Tout était si calme. C'était étonnant. Généralement, tout était tellement animé que je ne pouvais pas passer un moment tranquille. J'avais envie d'en profiter mais je n'y arrivais pas. J'avais un sentiment désagréable qui me gardait éveillé et qui me poussait à me lever alors j'y cédai. Je me levai et le lit ne grinça pas, à ma grande surprise. Il grinçait d'habitude. Il grinçait tout le temps. Ce fut là que je me rendis compte que je n'étais pas dans ma chambre. Il n'y avait ni mon poster, ni mon bureau avec mon gros ordinateur trop lourd pour que le terme de «portable» fasse vraiment sens, pas ma fenêtre sur la droite, longue et étroite - il y avait bien une fenêtre mais sur ma gauche et carrée – et il n'y avait pas mon vieil ours en peluche décoloré ni la chaise de bureau sur laquelle il aurait dû être.
Je sortis du lit avec inquiétude et une unique pensée en tête: J'avais été kidnappé. Je ne voyais pas comment ni pourquoi mais il n'y avait pas d'autres explications. Je pouvais aussi remarquer que j'étais toujours dans le même caleçon que quand je m'étais endormi et je ne savais pas si c'était mieux ou pas. J'allais me précipiter sur la porte mais ce n'était pas une bonne idée. Je ne savais pas qui m'avait enlevé mais je ne pouvais pas l'affronter avec mes poings nus. Je n'étais pas si fort que ça même si je savais me battre. Je fouillai partout et en ouvrant l'armoire, je vis que celle-ci était pleine de vêtements pour fille – étrange car la chambre était très neutre et le fait qu'il y ait du linge détonnait complètement – qui étaient suspendus à des cintres. Ayant un peu froid, j'attrapai un vêtement qui me couvrirait le mieux – un pull jaune qui me couvrait jusqu'aux cuisses avec une grosse abeille et l'inscription Honey Bee autour – et défis le cintre pour en faire une longue tige à enfoncer dans le corps de celui qui m'avait enlevé. C'était mieux que rien et j'arriverais à déverrouiller la porte si elle était fermée à clé.
Ce ne fut pas le cas et c'était presque vexant. Je refermai derrière moi et tins ma tige dans ma main comme si elle était une arme bien plus dangereuse – j'imaginais une batte couverte de fil barbelé ou cloutée – et avançai à pas feutrés le long du couloir. J'ouvrais toutes les portes discrètement pour essayer de savoir ou était celui qui m'avait enlever mais il n'y avait personne. Dans aucune pièce. Tout la maison était vide, j'étais le seul être vivant à l'intérieur. Je me dirigeai vers la porte d'entrée rapidement. Elle était fermée à clé mais celle-ci était sur une petite table à côté. Je sortis dehors dans l'espoir de voir quelqu'un qui m'aiderait à rentrer chez moi mais toujours personne. La rue était vide. Enfin, s'il n'y avait que la rue. Je n'entendais pas le moindre son. Pas de conversations, pas de marches plus ou moins lointaines, pas de cris d'enfants, pas de voitures même dans la distance, pas d'oiseaux, rien. Seulement moi et le son du réfrigérateur dans la cuisine qui fonctionnait et faisait un vacarme d'enfer comme il n'y avait pas le moindre son pour l'étouffer.
C'était quoi ce bordel?
Je me précipitai sur le trottoir, ma tige toujours en main et me mis à crier, à appeler quiconque pourrait m'entendre. Pourquoi n'y avait-il pas le moindre son, pas le moindre mouvement? Pourquoi il n'y avait pas le moindre signe de vie? Il n'y avait même pas un chien pour aboyer en réponse à mes cris. Mes bras retombant le long de mon corps, je sentis ma gorge se serrer, la panique grandir et d'un seul coup, je fus pris d'une nausée. Je portai la main à la bouche et essayai de rejoindre les toilettes de la maison inconnue dont je venais de sortir mais je ne fis même pas la moitié du trajet du trottoir à la porte d'entrée avant de vider mon estomac sur l'herbe. Ma gorge brûlait pour de bon cette fois et je sentis mes yeux s'humidifier. Pourquoi je mettais dans cet état-là? C'était comme si je savais ce qu'il se passait alors que je ne savais rien. Je savais juste que j'étais seul et je n'avais pas la moindre idée de ce que j'étais supposé faire alors que je titubais, et je me dirigeai vers la maison en pleurant de toutes mes forces sans avoir la moindre honte mais toujours sans lâcher ma tige de métal à laquelle je m'accrochais comme si elle était la chose la plus précieuse que je n'aie jamais eu. Mon ours en peluche me manquait, l'internat me manquait et la vie me manquait. Peut-être que j'étais mort. J'étais mort et c'était à ça que ça ressemblait quand on était mort: un monde entièrement vide sauf pour le défunt. C'était sûrement pour cela que certains disaient que quand on mourait, on était seul. En tout cas, je n'avais jamais été aussi seul. Je retournai dans la chambre de fille trop neutre et me roulai en boule sur le matelas pour pleurer – et tant pis si je laissais du vomi qui était autour de ma bouche sur le draps – et restai un long moment ainsi, jusqu'à ce que j'ai faim. Je quittai le lit faiblement et traînai le pas jusqu'à la cuisine où le réfrigérateur vrombissait. Le jus d'orange fut désagréable quand il coula le long de ma gorge mais je m'en fichais et je finis la bouteille que je jetai par terre. Je m'en fichais, j'étais seul. Le ou la propriétaire n'avait qu'à être là si ça le dérangeait. Je me servis aussi un verre de lait et pris cette fois la peine avant de boire de retirer le vomi séché sur mon visage... avec ma manche. Encore une fois, pas vu pas pris.
J'allai m'asseoir sur le canapé et par réflexe j'allumai la télévision pour avoir un écran bleu comme réponse que je fixai jusqu'à ce que je finisse de boire mon lait à petites gorgées. Je pensais qu'il faudrait peut-être que je mange mais je ne m'en sentais pas la force. Je me laissai tomber sur le canapé, le verre par terre et finis par m'endormir d'épuisement, bercé par le réfrigérateur et le son sourd et continu de la télévision.
J'avais froid en me réveillant mais rien de surprenant étant donné que j'avais laissé la porte ouverte. J'avais quand même espéré que la mort soit plus agréable. Peut-être que je ne l'étais pas alors. Je me levai du canapé et me sentis sale, et affamé. Je décidai de d'abord aller me doucher et en sentant l'eau froide percuter mon dos pendant ma douche, j'étais sûr de ne pas être mort. Ce n'était juste pas possible d'être mort et de quand même manquer de glisser – et mourir – en sursautant à cause de la température de l'eau. Mais le fait de me rendre compte que j'étais vivant et nu comme un ver dans la salle de bain d'un inconnu alors que tout le monde avait disparu ne me rassura pas. Étonnant. Ma première pensée fut que je m'étais réveillé en plein milieu d'une apocalypse zombie. C'était logique à ce moment-là et je me maudis d'avoir laissé la porte ouverte alors que je n'avais rien d'autre à me mettre que mon caleçon sale et le pull tâché de vomi. Je n'avais même pas emmené ma tige. Un zombie pourrait apparaître et essayer de me tuer. Non, ça aurait déjà dû être le cas. Les zombies auraient dû venir quand j'avais crié la veille et ce n'était pas le cas alors il n'y avait pas de zombies, ce qui n'était toujours pas rassurant. Les zombies avaient au moins la décence d'être là. Je sortis de la salle de bain et allai fermer la porte d'entrer. J'espérais presque entendre quelqu'un crier à ma nudité mais non. Rien. Définitivement, rien. Je décidai de rester nu pour la journée et la passa à ne rien faire d'autre qu'observer attentivement la maison où je m'étais réveillé. Il était toujours possible que j'ai été enlevé. Peut-être que j'avais été enlevé et qu'ensuite tout le monde avait disparu.
J'avais trouvé un gros feutre noir dans un bureau et commencé à écrire toutes les théories sur ce qu'il se passait sur le réfrigérateur. J'avais émis toutes les hypothèses possibles et impossibles: une pluie trop acide, une apocalypse-zombie, un météore qui allait tomber et tout le monde avait pris une fusée, une zone de quarantaine, une réduction drastique du nombre d'être vivants, une attaque extraterrestre, les reptiliens, le Tardis... Peut-être que si je criais suffisamment fort, le docteur m'aiderait à retrouver tout le monde. Peut-être que j'étais le docteur et que je faisais un cauchemar. Probablement pas, il me semblait peut possible que le docteur se promène nu dans la maison d'un inconnu. En tout cas, je n'avais pas le souvenir d'avoir vu un épisode qui se passait comme ça.
La nuit tombée, je me servis un verre de lait et allai dehors pour regarder le ciel étoilé. J'eus la pudeur de me couvrir d'une couverture, au cas où. Le ciel était magnifique et c'était apaisant avec tout ce silence – excluant le réfrigérateur et le sèche-linge qui ne fonctionnait que pour le pull et mon caleçon.
Le lendemain, je décidai que je ne pouvais pas rester là alors que je m'étais réveillé sur le transat. Il fallait que j'aille à la recherche d'autres personnes, s'il y en avait, ou à la découverte du monde vide. Je ne savais toujours pas où j'étais après tout et je ne pourrais pas éternellement continuer à le nourrir dans le réfrigérateur, il finirait par être vide. Je laissai mon linge à sécher et préparai un sac. Je savais que ça ne me suffirait pas très longtemps alors je récupérai un pantalon de pyjama rose pastel et partis à la découverte des maisons aux alentours, barrant à clé derrière moi. Moi vivant, je ne laisserai personne voler les affaires que j'allais voler. Avant de partir, je laissai quand même un verre de lait sur la fenêtre. Au cas où. Je verrai bien quand je rentrerai si quoi que ce soit était passé.
Je partis sur ma droite et la première maison était barrée. Je toquai mais n'eus, sans surprise, aucune réponse. Je me servis de ma tige et déverrouillai la porte. Il n'y avait personne de vivant. Il n'y avait personne de mort non plus – c'était ce qui m'avait inquiété. Il n'y avait pas grand chose d'intéressant mais je pris quand même une chemise à carreaux. Elle était bien trop grande pour moi mais je m'en fichais royalement. J'avais l'air beau avec mes cheveux en bataille, ma chemise vert pomme et mon pantalon de pyjamas rose qui glissait sur mes hanches.
Quand je revins à la maison après avoir fait un tour du patté de maison, le soleil était bien avancé dans le ciel et je traînais derrière moi un chariot que j'avais rempli d'un sac de couchage, de boites de conserve, d'une brosse à cheveux adaptée à ma tignasse, de quelques vêtements à ma taille, d'un ukulélé et d'un saxophone – je ne savais jouer ni de l'un ni de l'autre mais si je ne trouvais pas un moyen ou un autre de faire du son, j'allais péter un plomb – d'une clochette que j'avais accroché à mon chariot et d'une batte de base-ball que je gardais en main. Je n'avais pas trouvé de fil barbelé alors je l'avais cloutée. On ne savait jamais, j'aurais peut-être besoin de me défendre un jour ou l'autre. J'avais cédé à la curiosité et j'avais essayé des talons-hauts. Je m'étais tordu la cheville au bout de dix pas et à présent je boitais. Les chaussures étaient quand même dans mon chariot mais je les avais remplacées par des chaussons requin. C'était beaucoup trop marrant. Bon, j'avais rigolé tout seul et avais décidé de les mettre dans le lave-linge en arrivant car ils puaient – prouvant une fois de plus que j'étais encore vivant car la mort ne m'aurait jamais laissé des chaussons senteur pieds de la quarantaine. En revenant à la maison, je remarquai aussitôt un puceron mort dans le verre de lait que j'étais allé voir aussitôt. Le point positif était que je n'étais pas le seul être vivant ici à mon départ. Les points négatifs étaient que j'avais peut-être tué mon seul compagnon et que je ne valais apparemment pas mieux qu'un puceron. Je vidai le verre dans le lavabo, jetai mes chaussons dans le lave-linge et finis de préparer mes affaires pour mon départ. Étant donné que mes chaussons seraient trempés, je décidai de partir le lendemain. Une nuit de plus ou de moins ne changerait rien.
J'avais réussi à allumer le lecteur DVD de la télévision alors je regardai des films d'action en tout genre et de toutes les qualités avant de m'endormir une nouvelle fois sur le canapé.