Chapitre 2

Par Ley

Au petit matin, je fus réveillé par un cauchemar qui avait été si fort que j'étais tombé du canapé en me cognant les côtes violemment sur le carrelage du salon. J'y avais vu une ombre se projeter sur moi avec sa grande faux et me pousser de son long doigt crochu dans un bain de zombies. Je m'y étais échappé avec une morsure que j'avais choisi d'ignorer et j'étais tombé sur un autre gamin vivant comme moi dont je ne voyais pas le visage et on avait voyagé longtemps avant que la morsure ne prenne le contrôle de moi et que je ne le dévore presque totalement pour me rendre compte en me relevant que mon camarade était moi-même, que j'avais toujours été seul et que je m'étais auto-dévoré dans la folie et la faim.

Mal-à-l'aise à cause de mon rêve, je mangeai comme quatre avant d'aller me doucher en profitant du fait que l'eau soit toujours disponible car j'avais transpiré à cause de mon cauchemar. Lorsque ce fut fait, comme j'allai partir directement et ne pas revenir – en tout cas, il me semblait que je ne reviendrais pas - , je décidai de revérifier tout ce que j'avais récupéré – volé: trois t-shirts et pantalons, une dizaine de caleçons, les talons-hauts et rouges, les chaussons requin, les boites de conserve,... J'avais aussi récupéré un oreiller parce que celui ou celle qui habitait ici avait des oreillers beaucoup trop confortables. Les affaires débordaient un peu du chariot alors je posai une couverture au-dessus et attachai le tout avec un tuyau d'arrosage, faute de mieux.

Je fermai la maison à clé et décidai de garder la clé sur moi. Ça ne m'était clairement pas utile comme je quittai l'endroit mais j'avais envie de la garder, on ne savait jamais. J'accrochai la clé à côté de la clochette pour produire plus de sons et commençai à partir. Au bout de quelques mètres, je m'ennuyais comme un rat mort, ayant envie d'écouter de la musique. Ça aurait été plus facile si on avait été deux au moins, j'en étais sûr. J'aurais eu un acolyte qui aurait joué du ukulélé ou du saxophone et ça aurait été plus sympathique. Ou juste quelqu'un avec qui parler. Je ferais n'importe quoi pour parler avec quelqu'un en cet instant mais ce n'était pas comme si quelqu'un allait apparaître soudainement. Alors je me mis à chanter. Je ne savais plus ce que c'était mais je savais que la voix du chanteur était plus grave normalement. Et je ne me souvenais presque plus des paroles alors je chantais surtout de fausses paroles très parodiques.

J'aurais bien aimé prendre une montre avant de partir mais elles étaient toutes arrêtées sur trois heures du matin alors ça ne m'aurait servi à rien. Je devais donc me servir du soleil pour tenter de me repérer au niveau de l'heure. Le soleil était vers l'ouest, un peu, il me semblait, et j'avais faim mais je ne voulais pas manger pour garder ma nourriture pour quand j'en aurais vraiment besoin. Il fallait que je me trouve un endroit où je pourrai trouver plus de nourriture facilement pour ne pas être pris au dépourvu et le petit quartier aisé où j'étais ne suffirait pas. La nourriture était rapidement périssable et tant que je ne savais pas jardiner, ce ne serait pas un bon plan. Je me dirigeai donc vers les grands bâtiments de la ville qui se trouvaient plus loin, sachant que je n'arriverais pas à les atteindre avant que la nuit ne tombe. C'était pour ça que j'avais pensé au sac de couchage, au cas où je serais trop fatigué mais j'espérais vraiment ne pas avoir à m'arrêter. Même si j'étais seul au monde, dormir seul sur le bord de la route était l'idée la plus stupide à faire pour quelqu'un de mon âge.

Je ne sus pas si c'était l'inquiétude de me laisser aller au sommeil à la vue du monde vide ou si c'était la motivation mais je marchai toute la nuit. Le soleil commençait à pointer l'horizon derrière moi et je traînais mon chariot difficilement, mes chaussons frottant contre le béton poussiéreux de la route quand mon regard fut attiré par un éclat lumineux au loin. Je relevai les yeux, soudainement réveillé et fixai les bâtiments qui n'étaient plus très loin pendant une longue minute avant de comprendre que c'était le soleil qui avait fait cet éclat contre une fenêtre. Je soupirai, attristé, et continuai ma route. Finalement, j'atteignis la ville et je décidai de m'arrêter sur le sol même pour me reposer. Je me laissai tomber sur le sol et fixai le ciel qui prenait des couleurs et les étoiles qui commençaient à se faire plus claire en ignorant mon ventre qui grognait. Je ne voulais pas manger avant d'être arrivé, ce n'était comme si ça me tuerait. Je vent commençait à se lever et j'eus moment d'espoir en entendant une canette rouler avant de comprendre. Je décidai de me relever et de me diriger vers un fast-food. Je ne savais toujours pas où j'étais mais si la ville était suffisamment grande pour avoir de grands-immeubles, il devait bien y avoir un fast-food. C'était le genre de nourriture qui ne se gardait pas longtemps, ce serait dommage de laisser gâcher tout ça. Motivé par ma faim, je faillis ne pas voir ce qui volait au coin de mon œil. Je tournai la tête, intrigué et je le vis.

C'était un tas de linge suspendu au-dessus du vide à la fenêtre d'un appartement d'un immeuble. Je comptai rapidement que c'était le troisième étage et le linge flottait doucement au vent. Pourquoi du linge avait été oublié aussi haut? Qui n'avait pas eu peur de le perdre avant de disparaître? Je m'approchai, intrigué, et remarquai alors que le linge était humide. Ça ne faisait pas de sens. Comment du linge aurait-il pu rester humide pendant autant de temps? Ce n'était pas normal. En trois jours, depuis le début de tout ça, il aurait du sécher depuis. À moins que...

Le cœur gonflant dans la poitrine, j'attachai mon chariot à un lampadaire allumé et me précipitai vers les appartements. J'hésitais à crier pour attirer la personne qui vivait ici. Rien ne pouvait prouver que cette personne soit bonne ou mauvaise. Je ralentissais le pas, le poing serré sur ma batte, et m'arrêtai au pied du bâtiment. Quelqu'un vivait ici. Quelqu'un d'autre existait. Je n'étais pas seul. Je poussai les portes de l'immeuble et y pénétra, le cœur battant. Je ne pris pas le risque de prendre l'ascenseur et grimpai les marches jusqu'au troisième étage. De mémoire, je savais quel était l'appartement avec le linge – pas que ce soit difficile, il n'y en avait que deux par étage – et ouvris la porte qui n'était pas barrée. Je toquai aussi mais personne ne me répondit alors j'entrai. L'appartement était petit. La cuisine et le salon étaient joints et il y avait un petit couloir avec deux petites portes fermées. Quelqu'un avait clairement dormi sur le canapé récemment et il y avait une odeur de nourriture dans l'air. Je me dirigeai vers les portes. La première était une petite salle de bain avec une douche et des toilettes dont la lunette était baissée et le rideau était mouillé. C'était sûr, il y avait forcément quelqu'un ici. Je me dirigeai ensuite vers la seconde pièce que j'ouvris lentement.

Je fis tomber ma batte par terre sous le choc.

Au fond de la pièce, sur un bureau face à une fenêtre, il y avait un bocal rond avec une eau claire et un tout petit poisson rouge à l'intérieur en train de tourner en rond en toute inconscience de l'état du monde. Si j'avais eu le moindre doute avant, là c'était sûr. Ce poisson était là. Et il vivait, c'était encore plus important. S'il vivait, c'était qu'il avait été nourri. Et s'il avait été nourri, c'était qu'il y avait quelqu'un.

J'avançai dans la chambre, lentement, pour voir le poisson de plus près. J'avais presque peur que si je m'approchais trop vite le poisson disparaîtrait. Je finis par atteindre le bocal et quand je pu le toucher et remarquai que le poisson n'était pas juste le fruit de mon imagination, je sentis les larmes me monter aux yeux. Il y avait quelqu'un d'autre ici. Quelqu'un de suffisamment bon pour nourrir un poisson plutôt que de s'en nourrir ou de le laisser mourir.

Je regardai le poisson tourner dans son bocal en tapotant légèrement le verre du bout de l'ongle pour attirer son attention. Est-ce qu'il avait été nourri aujourd'hui ou pas encore? Il était encore tôt. Est-ce qu'il avait un nom? Il faudrait que je demande à l'habitant de cet appartement. S'il n'en avait pas, je pourrais proposer qu'on l'appelle Nemo. C'était un bon nom pour un poisson rouge. Peut-être qu'il s'appelait déjà Nemo.

J'étais obnubilé par le poisson à tel point que je ne sentis pas que je n'étais plus seul jusqu'à sentir quelque chose appuyer sur mon dos jusqu'à ce que je me retourne. Je fis alors face à un enfant de mon âge – il m'était impossible de dire si c'était un garçon ou une fille – avec la peau parsemée de tâches claires, les cheveux coiffés en anglaise – quand avait-il eu le temps de se coiffer comme ça? - et qui tenait ma batte cloutée entre les mains, ce qui me fit me maudire de l'avoir laissée derrière moi. Je levai les mains de chaque côté de ma tête pour montrer que je n'étais pas armé, étant plus effrayé qu'autre chose. J'attendis que mon assaillant parle, dise quoi que ce soit, mais il resta muet comme une carpe, ses yeux passant rapidement du poisson à moi.

Il fit un mouvement de batte brusque pour m'éloigner du poisson et j'obéis sans hésiter. Rapidement, il me coinça dans un coin de mur. Ses mains tremblaient sur ma batte mais il ne me lâchait pas du regard. Je me dis alors qu'il fallait sûrement que je m'excuse, ça le rassurerait sûrement – même si c'était lui qui était armé.

«Je suis-...» Il fit un autre mouvement de batte et je baissai les yeux. «Désolé! Je suis désolé! Je ne voulais pas être un problème. Je suis juste... Seul.»

L'autre fronça les sourcils et se mit dans une position un peu moins offensive et plus attentive. Je pensai à baisser mes bras mais je n'avais toujours pas sa confiance alors je décidai d'éviter. Je n'allai tout de même pas me mettre à dos la première personne que je croisais, encore moins si la personne en question avait mon arme entre les mains. Je préférai donc me justifier sur ma présence afin de le rassurer sur mes intentions.

«Je me suis réveillé il y a cinq jours dans un endroit que je ne connaissais pas et il n'y avait personne. Je... J'ai vu le linge accroché à la fenêtre et... Je me suis dit que je n'étais plus seul. Je me suis juste concentré là-dessus. Et il y a le poisson! Tu dois comprendre ce que je veux dire. J'étais juste seul. Je veux juste parler avec quelqu'un, avoir quelqu'un à mes côtés.»

Le garçon baissa les yeux un instant et posa la batte sur le sol, derrière ses pieds, avant de me regarder à nouveau et de se mettre à remuer les mains à toute vitesse. Je mis un moment avant de comprendre qu'il était en train de se servir de la langue des signes et encore un moment avant de comprendre qu'il était muet, voire sourd.

Il comprit à son tour que je ne comprenais pas ce qu'il disait et s'arrêta petit à petit alors que je me laissais glisser contre le mur sur le sol, bientôt suivi par mon nouvel acolyte qui s'assit face à moi, le visage marqué de déception et tristesse – probablement comme le mien en ce même instant. J'avais enfin trouvé quelqu'un et je ne pouvais même pas le comprendre parce qu'il parlait une autre langue mais parce qu'il ne parlait pas.

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