Chapitre 1

Par ElyMaze

Trois ans plus tard

April  

 

  Fin octobre. L'hiver n'est pas encore arrivé et pourtant le froid à déjà fait son apparition de manière brutale en ce début de semaine. Le ciel, habituellement si bleu ces derniers jours, à enfiler son manteau gris. Les arbres perdent petit à petit leur habillage d'été et laissent exploser une myriade de couleurs aux tons chauds. J'ai toujours beaucoup aimé l'automne, les souvenirs que cette saison me laisse. Ceux de mon père qui joue avec moi, me jetant et me roulant dans les tas de feuilles qu'il avait amassées derrière notre maison, les tartes à la citrouille que me faisait ma mère,...

  Je secoue la tête pour chasser ces images, enfonce la tête dans le col de mon manteau et accélère le pas en direction de la librairie où je travaille, essayant ainsi d'éviter la morsure du froid. Il va sérieusement falloir que j'investisse dans un nouveau bonnet et une écharpe.

  Je pousse la porte de la boutique et laisse la douce chaleur m'envahir, mes muscles se détendant instantanément. Mon Dieu, que ça fait du bien !

  Le Verity, ma librairie, mon bébé. J'ai mis tout ce que j'avais dans ce magasin, mes espoirs, mon amour des livres et de la lecture, mes économies, pour en faire un endroit chaleureux, où chaque personne qui y entre se sente aussi bien que chez soi, et trouve exactement ce dont il a besoin.

  Pourquoi Verity ? Tout simplement parce que même si beaucoup de romans sont fictifs, chacun des livres que l'on ouvre recèle une part de vérité, quelle qu'elle soit, sur un sujet ou un autre. Nous avons toujours des leçons à tirer d'un bon roman. En tout cas, c'est le cas pour moi. La lecture m'a beaucoup aidée dans mes moments difficiles.

─ Salut ma belle ! Brrr, il fait un de ces froids !

  Abby est appuyée contre le comptoir, une pile de livres à trier et ranger devant elle. Nous nous sommes rencontrées sur les bancs de l'université de Charlotte, et depuis, nous ne nous sommes plus quittées. Lorsque la librairie à commencé à bien fonctionner et à ramener suffisamment de bénéfice pour en retirer un salaire et celui d'une employée, j'ai embauché Abby. On ne peut pas dire qu'elle soit une grande fan de lecture, mais c'est une excellente vendeuse et je ne voulais personne d'autre qu'elle pour ce poste.

─ Il faudra commander à nouveau des exemplaires de "Au cœur de la tourmente" d'Edward Blaze, nous n'en avons presque plus.

─ Oui, bien sûr. Ce roman fait vraiment un carton! dis-je en passant derrière le comptoir pour y déposer mes affaires. Et je comprends pourquoi... ! Je te jure, le moment où Neil retrouve Sarah et l'embrasse comme si sa vie en dépendait...

─ Psssst tssst tssst ! Pitié non ne me raconte pas !!

─ Tu vas le lire ?

─ Euh...non... Moi, les histoires d'amour guimauve toute dégoulinante de romantisme ou l'héroïne passe son temps à courir après le même type pendant tout le roman, non merci! me dit elle en faisant mine de vomir.

  Je hoche la tête en esquissant un sourire, car je sais que j'ai piqué sa curiosité malgré tout. Dès que j'aurai le dos tourné, elle va se ruer sur le premier exemplaire de ce roman qu'elle pourra trouver et le dévorer en deux jours. Elle est comme ça Abby, elle veut faire croire à tout le monde qu'elle n'aime pas l'amour, qu'elle n'y croit pas, et que toutes ces histoires ne l'intéressent pas, mais au fond c'est une vraie sentimentale. Elle cache simplement bien son jeu.

  La journée passe tranquillement. De nombreux clients viennent chercher leur bonheur littéraire, et nous essayons de les aiguiller au mieux sur ce qu'ils recherchent. Entre temps, nous passons notre temps à bavarder des choses à faire à la librairie et de lecture. Notre dernière soirée du samedi soir, les derniers potins, et bien évidemment, les garçons, occupent une grande partie de nos discussions également.

***

  Il est dix-neuf heures lorsque je rentre chez moi, fatiguée de ma journée et à nouveau transie de froid. Ce soir, Jay, mon colocataire,  ne sera pas là avant vingt-trois heures. Il est parti boire un verre avec ses amis, alors j'en profite pour prendre mon temps et me couler un bon bain chaud. J'enlève mes vêtements, me plonge dans la baignoire, ferme les yeux et laisse la douce chaleur de l'eau m'envelopper.

  Tout comme Abby, j'ai rencontré Jayden à l'UNC Charlotte*, nous étions dans des cours différents, mais un jour, nous nous sommes retrouvés assis à la même table à la cafétéria et, sans que l'on sache vraiment pourquoi, nous sommes repartis côte à côte. Je l'ai présenté à Abby, qui a un temps fait une petite fixation sur lui puis est passé à autre chose. Depuis ce temps-là, nous sommes inséparables tous les trois. Avec ma mère et mon frère, ils sont mes piliers dans ce monde, surtout depuis la mort de mon père il y a quelques années,bien avant que nous ne déménagions à Charlotte. Bien avant que ma vie ne change.

  Repenser à mon père, à ce que nous avons vécus, à sa disparition, est toujours très douloureux pour moi et s'accompagne toujours d'un grand sentiment de culpabilité. C'est pourquoi j'essaie, tant bien que mal, de ne pas trop y penser. En vain...

  Je sors de l'eau, me sèche, enfile mon pyjama en pilou-pilou - pas très sexy, c'est vrai, mais tellement confortable -, me fait à manger et m'installe sur le canapé, emmitouflée dans mon plaid. Je suis entrain de zapper lorsque Jay ouvre la porte. Vingt et une heures, je ne l'attendais pas aussi tôt.

─ Tu rentres déjà ? m'étonné-je.

─ Oui, il y a eu, comme qui dirait, un petit problème, me dit-il en désignant du doigt son oeil droit, dont le pourtour commence à devenir légèrement violacé. Ca m'a soûlé, je suis rentré.

Il enlève sa veste, qu'il jette sur une chaise, et s'affale à côté de moi sur le canapé.

─ Fais voir !

  J'ouvre grand les yeux, impressionnée par l'ampleur des dégâts. Il est vraiment amoché. Le contour a déjà bien enflé, sa paupière n'est presque plus visible, et le tout se confond en un camaïeu de jaune, de bleu et de violet. Il va avoir un bel œil au beurre noir ! Je touche du bout de mon index son arcade sourcilière, ainsi que sa pommette et, au vu du mouvement de recul qu'il a, je devine que c'est douloureux.

─ J'espère que ce n'est pas cassé, remarqué-je. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu n'es pas du genre à te bagarrer pourtant !

─ Zeke est revenu.

Quoi ? C'est ça son explication ? Et qui est ce Zeke ?

─ Je crois qu'il va falloir que tu m'en dises un peu plus sur ce coup-là...

Il soupire et passe sa main dans ses cheveux châtains.

─ Tu te rappelles de Zeke Anderson, mon pote qui jouait chez les Dolphins, l'équipe de football américain de Miami ?

─ Ouais ... Le mec qui fait la une des tabloïds en ce moment avec ces nombreuses incartades ?

─ Celui-là même, confirme t-il. Tu sais donc qu'il s'est fait virer del'équipe.

  J'acquiesce. En effet, difficile de louper quoi que ce soit à propos de ce mec en ce moment. Drogue, alcool, mise en détention,... Pas étonnant que l'équipe ne veuille plus de lui.

─ Et bien, comme il ne trouve aucune autre équipe pour l'instant, il est de retour dans les parages. Il essaye de se faire embaucher chez les Panthers, mais ça n'a pas l'air gagné. Bref, il était la ce soir, au bar. Cela m'a fait plaisir de le revoir, pourtant, j'ai eu du mal de le reconnaître. Dans sa manière d'agir en tout cas. Il était déjà impulsif il y a quelques années, mais là, il est totalement ingérable. T'aurais dû le voir ! Un type l'a seulement regardé un peu de travers, et il est parti en vrille direct. J'ai essayé de m'interposer, d'où le coquard.

─ Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne t'ont pas loupé. C'est sympa d'avoir essayé de défendre ton pote. Dommage que tu te sois pris un coup perdu, le taquinais-je.

  Jay a un temps fait parti d'un club de boxe. Il était plutôt doué, mais il a un jour décrété que ce sport n'était pas pour lui. C'est un pacifique, et je crois que c'était un peu trop violent pour lui.

─ Oh non... Tu n'y es pas du tout... C'est Zeke qui m'a fait ça quand j'ai essayé de le calmer.

─ Tu plaisantes ! Ton propre pote t'a cassé la gueule ?

─ Ouais... concède t-il, pensif.

─ Ok... Ce n'est pas vraiment un ami alors.

─ Il n'était pas comme ça avant. J'imagine que trop de choses se sont passées et qu'il a du mal à les gérer.

─ Ça n'excuse rien...

─ Sans vouloir le défendre, ces derniers temps, il n'a pas eu une vie facile. Et puis en dehors de ça, de ses moments d'impulsivité, c'est un chic type.

─ Ouais ... maugréais-je, sceptique.

  Ce mec était une des stars de l'équipe, brassait des milliers, se tapait - et se tape encore sûrement - toutes les femmes qu'il veut, et sa vie est difficile ? Je la veux bien moi, sa vie...

Jay se lève pour prendre une bière dans le frigo, puis revient s'assoir à mes côtés.

─ Pour changer de sujet, Jo organise une soirée demain soir. Ça vous branche, Abby et toi ?

─ Oh que oui ! réponds-je, déjà excitée à l'idée du super moment que nous allons passer.

  Les soirées chez Jonathan sont toujours géniales. Alcool qui coule à flots - même si je ne bois pas -, plein de bonne choses à manger, de la musique sympa, et de purs instants de rigolade. Ce qui est bien, c'est que souvent, et malgré l'alcool, ses fêtes ne dégénèrent jamais. Je crois que c'est pour ça que j'aime y aller.

  J'envoie un message à Abby.

"Sors ta robe à paillettes. Demain soir, c'est chez Jo !"

 

*UNC Charlotte: University of North Carolina at Charlotte (abréviée UNC Charlotte), soit Université de Caroline du Nord à Charlotte.

 

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