Le temps n'a jamais été aussi morose qu'en cette journée. La pluie ruisselle le long de mon visage, mes larmes se mêlant aux fines gouttes de pluie, et le vent faisant voleter mes cheveux sous ma capuche. Cependant, je ne ressens ni l'eau sur mes joues, ni le froid qui me mord le visage. J'ai la sensation d'être comme anesthésiée. Je n’éprouve plus rien. Plus de douleurs, plus de tristesse, plus de colère, juste un grand et immense vide. Mes yeux ne sont pas fixés sur la scène qui se joue devant moi, mais perdus dans le vague. Je ne vois plus rien. Je n'entends plus rien. Tout a disparu en même temps que l'homme qui comptait le plus pour moi, celui pour qui j'aurais tout donner mais qui, aujourd'hui, n'est plus à mes côtés pour partager mes joies et mes peines.
Mon père gît devant moi, entouré des lames de bois qui seront sa dernière demeure, et recouvert d'un couvercle sombre. Son cercueil. L'imaginer dans cette boîte, immobile, sans vie, me donne envie de hurler. Lui qui ne tenait pas en place, qui était si plein de vie, toujours à rire, à raconter des anecdotes n'est aujourd'hui plus qu'un corps inerte et froid.
J'ai la sensation d'être hors du temps, hors de ma vie, hors de tout. Plus jamais je ne serai heureuse, en tout cas plus comme je l'ai été lorsque mon père était encore parmi nous. Pourtant, je sais que ce n'est pas ce qu'il voudrait. S'il était là, il me dirait que la vie continue, que je dois avancer sans regarder en arrière. Qu’il est parti, mais que ce n'est pas la fin de tout et que malgré cela, il sera toujours auprès de moi.
Cependant, me dire cela est encore pire. Comment avancer quand le centre de votre monde s'est envolé ? Comment survivre à cela quand on vous arrache une personne que vous aimez, de manière si brutale ? Ce n'est pas comme s'il était tombé malade, que j'avais eu le temps de m'y préparer - si tant est que l'on arrive à se préparer à la mort de quelqu'un -, non, pour mon père, cela a été bien différent. La veille, il était auprès de nous, puis le lendemain, plus rien. Il nous avait été arraché.
Ma mère, à côté de moi, est inconsolable. C'est normal, elle a perdu l'homme de sa vie, celui dont elle était amoureuse depuis ses dix-huit ans et je ne peux que comprendre son chagrin. Elle aussi a perdu le centre de son univers. Il était tout pour elle.
Je lui prends la main sans la regarder, et la presse doucement. En retour, elle s'y accroche fermement, comme si tenir ma main représentait son point d'ancrage dans la réalité, sa manière de ne pas sombrer davantage.
Le prêtre donne les derniers sacrements, mais je ne l'écoute pas. Je ne l'entends pas. Je ne veux pas l'écouter débiter ces paroles stupides sur la vie après la mort, sur le fait que l'âme de mon père sera toujours sur Terre, auprès de nous. Mon père n'est plus là et il ne reviendra jamais, ce n'est pas la peine de nous mentir ou de tenter d'atténuer notre chagrin, rien ne le peut.
— Nous allons maintenant dire Adieu à Henry Wells, cet homme merveilleux aimé de tous.
Il fait signe aux porteurs de descendre le cercueil dans le trou qui a été creusé dans la terre.
Cette vision m'est insupportable. Je vais vomir. J'ai envie de me jeter sur ces personnes qui mettent en terre mon père, de leur dire d'arrêter, que mon père n'est pas mort, que ce n'est possible. Mais je reste là, immobile, des larmes silencieuses dévalant abondamment mes joues.
L'homme d'église nous invite à nous approcher, ma mère, mon frère et moi, puis à dire une dernière prière, ainsi qu'à laisser tomber une rose blanche et une poignée de terre sur la boîte en bois, ce que fait ma famille. Une fois mon tour arrivé, je prends la rose, l'embrasse, puis la lance. Elle atterrit sur la partie supérieure, a l'endroit même où se trouve son cœur, sous la planche qui le recouvre. Puis je me baisse et saisi une poignée de terre détrempée. Je reste ainsi quelques instants, fixant ma main boueuse, puis le cercueil. Je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas laisser mon père s'en aller. Je ne veux pas qu’il repose ici, sous ce sol froid et humide.
Le prête s'inquiète.
— Mademoiselle ? Est ce que ça va aller ?
Non ! Évidement que non, ça ne va pas aller !
J'ai envie de hurler. Mais je me redresse et le regarde. Il m'offre un regard et un sourire compatissant, puis hoche la terre, m'indiquant ainsi de jeter ce que j'ai dans la main. Je ne veux pas, mais je dois me résoudre à la faire. Je lève ma main au-dessus de la fosse et laisse échapper la terre de ma main, qui vient s'écraser sur le cercueil en contre bas, comme la peine vient écraser mon cœur à ce même moment. Envahie par la douleur, je ne peux plus bouger. J'ai le souffle coupé, l’estomac au bord des lèvres et je sens que je vais m'évanouir. Mon frère me saisit par la taille pour me ramener vers ma mère, qui me serre contre elle. Il nous entoure également de ses bras puissants. Une étreinte qui ne ramènera pas celui que nous avons perdu, mais qui réchauffe quelque peu nos cœurs meurtris.
Nos proches, ceux qui connaissaient mon père, viennent un à un nous assurer de leurs sincères condoléances. Un des plus dures épreuves de la journée pour moi. Entendre ces personnes s'exprimer sur la bonne humeur de mon père, leurs souvenirs avec lui et la peine qu'ils ressentent eux aussi m'est insupportable. Aucune tristesse n'est semblable à celle que nous ressentons, ma famille et moi. Ma famille... Ce mot semble si inapproprié désormais. Nous ne serons plus jamais un foyer, il manquera toujours quelqu'un auprès de nous. Je tente de rendre leurs sourires à ces gens, mais je n'y arrive pas. Mon cœur saigne et pleure, il m'est impossible de faire semblant, de faire comme si tous ces paroles me réconfortaient. Au contraire, cela me rend plus triste que je ne le suis déjà. Cela m'est tellement difficile que je quitte subitement la cérémonie, en courant, pour me réfugier dans notre voiture. Je m'y enferme, fermant les yeux, essayant de me calmer et de mettre mentalement de la distance entre moi et tout ce qu'il se passe à l'extérieur. Je vais me réveiller, tout ceci n'est qu'un cauchemar. Je vais ouvrir les yeux et mon père sera là, à côté de moi, un sourire sur le visage. Oui, c'est comme cela que ça va se passer. Je vais me réveiller et il sera là.
Mais lorsque je rouvre mes paupières, la réalité me rattrape. Il n'est pas à mes côtés. Je tourne la tête sur la droite et aperçois l'attroupement qui s'est formé autour de mon frère et de ma mère, ainsi qu'autour du trou qui renfermera mon père d'ici quelques heures. Je n'ai pas rêvé. Tout ceci est bien réel, et je ne sais pas comment je vais réussir à vivre sans l'homme le plus important de ma vie.
Mais je vais le faire. Pour lui. Je vais continuer à vivre. Nous allons tout reprendre à zéro, nous n'avons pas le choix.
J'ai juste vu une coquille qui m'a fait rire XD "Il hoche la terre" mdr