Je gratte du bout de mon ongle la croûte restante de ma jointure droite qui a été blessée. C’est une petite tenace, celle-là.
Raclement de gorge.
Je soulève la tête vers le policier en uniforme devant moi. Mes parents qui sont vautrés debout dans le coin de la salle d’attente du poste de police se diligentent vers l'agent. Je lève les yeux au ciel. Un pouce de plus et ils vont se faire coller pour proximité indécente.
- Alors ? s’inquiète ma mère.
Mon père dépose une main sur l’épaule de celle-ci. Signe qu’il tente de la réconforter ou peut-être de la calmer. L’anxiété de ma mère ressemble aux feuilles qui tremblent sous un coup de vent. Mouvementé et fragile.
- Tu es chanceux, Han-sol Desrosiers, commence le policier d’un ton hautain.
Son regard se braque sur moi qui suis assis sur la petite chaise en plastique collé contre le mur. Je croise les bras sur mon torse refusant d’accepter qu’il y ait question de chance, car ce n’est pas le cas, justement. Je me retiens de ne pas lui pouffer de rire en pleine tronche.
- Les parents des cinq garçons que tu as agressés ne porteront pas plainte.
Évidemment. Ces têtes de gland ont dû supplier à genoux leurs pauvres parents merdiques de ne pas porter plainte. Ils ne voudraient certainement pas qu’une enquête vienne déterrer les dessous de toute cette pagaille.
- Toutefois, ils demandent un dédommagement pour les biens matériels qui ont été saccagés, explique-t-il en remettant un document à mes parents.
Leur expression se transforme lorsqu’ils posent leur regard sur ce qui doit être le montant à débourser pour les dégâts que j’ai causés. Mon père me zieute du coin de l’œil me faisant ressentir toute sa déception tandis que ma mère semble s’effondrer de l’intérieur.
- Considérant qu’une partie des bris a été commise à l’école, le lycée prend la responsabilité de fournir une conséquence adéquate. Après m’être entretenu avec ton directeur, il en a été convenu que tu devras passer un bon nombre de week-ends au Centre d’Hébergement de Repentance. Le CHR.
Je fronce les sourcils. Par pitié, ce n’est quand même pas un truc religieux. Il est hors de question que l’on m’oblige à prier et d’ouvrir mon cœur à Dieu. Il peut continuer de se faire bronzer sur la plage dans son paradis lumineux et me foutre la paix dans mon purgatoire terrien.
- C’est un centre qui permet à des délinquants de faire des travaux communautaires pour se repentir de crimes mineurs.
Génial ! Maintenant on me traite de délinquant. J'espère que ça aura valu la peine que j'aie un dossier criminel qui va ruiner toutes possibilités d'étudier dans le programme scolaire qui m'intéressait au cégep. En toute honnêteté, c'est clairement mon seul regret face à mes actes.
- Bien qu’en ce qui te concerne, tu es chanceux de te retrouver qu’à faire ça, rajoute-t-il.
Je serre la mâchoire sentant ma colère sur le point d’ébullition. Je toise du regard le policier. S’il redit une fois de plus que je suis chanceux, je crois que je vais lui faire ravaler sa chance en même temps que ses dents. Il se pense sûrement plus malin que moi, car il a le double de mon âge, mais les gens, ils aiment parler pour ne rien dire. De plus, la plupart ne savent jamais la globalité de l’histoire. Comme cet abruti en uniforme qui aimerait probablement que je m’énerve pour qu'il puisse s’octroyer le droit de me plaquer au sol.
Le chérubin, qui doit manger des trèfles à l’heure du repas pour avoir autant facilement le mot « chance » coincé sur le bout de la langue, ferme mon dossier, salut mes parents et quitte la pièce avec son arrogance.
Je souffle, relâchant la pression. Mon père balance sur mes cuisses le document qu’on lui avait remis. Je l’ouvre puis le consulte rapidement. Le prix pour avoir endommagé quatre voitures est énorme ! Le poid de la culpabilité m’empêche de lever mon regard vers mes parents et de m’excuser. Je sais pertinemment qu’ils sont frustrés et déçus de moi. La mâchoire me décroche lorsque je parviens à la partie explicative de ma dette. J’ai 20 week-ends à perdre dans ce centre merdique à faire des travaux communautaires.
- T’avais qu’à y penser avant d’aller te mettre les pieds dans les plats.
- Chéri, ça ne sert à rien de s’énerver contre lui, dit ma mère.
Mon père ne rétorque rien, mais la façon dont il secoue la tête exprime clairement son découragement et son mécontentement à mon égard. Après m’avoir lancé un regard dur, il laisse planer son ressentiment en sortant à l’extérieur.
Je me lève de la chaise. Je tends le document à ma mère qui le prend. J'observe cette dernière. Ses cheveux blonds sont mal coiffés et ses cernes démontrent le sang d'encre qu'elle se fait à cause de moi. J’aimerais pouvoir m’excuser, mais les mots ne veulent pas sortir. Je regrette sincèrement que mes parents payent les conséquences de mes actes, mais je ne regrette pas mes actes. En fin de compte, c’est ce qu’ils attendent de moi. Ils veulent constater que je regrette mon comportement et le préjudice que j’ai occasionné. Sauf que ça n’arrivera jamais, car je n’ai fait que leur rendre la monnaie de leur pièce à ces cinq exécrables merdes. Malheureusement, personne ne cherche à savoir ou à comprendre quelle douleur j’ai pu ressentir pour décider d'exploser ainsi. Encore moins à en connaitre la cause.
- Ça va ?
- Hum ?
Je lève les yeux vers ma mère qui m’évalue. Je lui souris tristement.
- Je me disais que papa et toi, vous devez regretter votre choix.
À la fois vexée et outrée de mes paroles, ma mère me tape l’épaule.
- Je n’ai aucun regret en l’amour que j’ai mis en toi lorsque je t’ai choisi à la maison d’accueil. C’est la même chose pour ton père.
Je hoche la tête, mais mon cœur n’est pas convaincu et ne le sera probablement jamais. Je ne suis qu’un bouche-trou, un pansement à leur douleur, un remplaçant à leur perte. Je ne suis rien. L’amour est trop souvent bercé d’une folie. Et la folie, c’est effrayant.
Ma mère glisse l'endos de sa main sur ma joue et me sourit gentiment.
- Allons retrouver ton père à la voiture. Un dernier arrêt à ton école pour rencontrer le directeur et nous pourrons retourner à la maison.
Retourner me morfondre et pleurer en silence dans ma chambre, oui.