Avec mon pied, je pousse ma valise du haut de l’escalier. Je souris pendant que je l'observe dégringoler bruyamment sur les marches jusqu’à atterrir sur le plancher. J’efface mon sourire au moment où la tête de mon père apparait. Ce dernier lève les bras avant de les laisser retomber, depuis longtemps résigné à tenter de comprendre ce qui ne tourne pas rond chez moi.
- C’est quoi ton problème, encore ? L’ampoule est déjà brûlée là-dedans ? questionne-t-il en tapotant son crâne, mais en parlant du mien.
Je fais mine de réfléchir à une réponse. Je hausse les épaules en souriant niaisement.
- De toute façon, je crois pas qu’elle ait déjà allumé.
Mon père plisse les yeux s’apprêtant à rétorquer, mais se réfrène. Il lève plutôt les yeux au ciel et soupire d’exaspération. Il disparaît une seconde avant de réapparaître aussitôt. D’un air sérieux, il me pointe de son doigt.
- N’attends pas que je monte et que je t’oblige à descendre comme tu l’as fait avec ta valise. Il faut partir, alors bouge.
- Oui, oui, j’arrive, rétorqué-je avec lassitude.
M’activant lentement à rejoindre l’étage du bas, je me braque sur la dernière marche quand je vois Seona monter celles du balcon. Je n’ai pas le temps de fuir qu’elle me remarque à travers la fenêtre de la porte. Je glisse mes doigts dans ma chevelure foncée et je soupire. Je vais lui ouvrir avant qu’elle ne cogne. Elle entre sans invitation et retire sa veste qu'elle garde toutefois accroché à son bras. Ses cheveux bruns frisés lui tombent sur les épaules. Ils sont un peu ébouriffés dû au vent qui semble agité à l’extérieur en cette journée de mai. Un doux sourire plaqué sur les lèvres, elle penche la tête vers la cuisine et secoue la main pour saluer mes parents. Ces derniers lui rendent la politesse. Il faut avouer qu’ils aiment bien Seona, mais que d’un autre côté, je n’ai pas d’autres amis. Alors bon, ils ne peuvent pas réellement faire de comparaisons.
- Il s’est passé quoi avec mon frère ? chuchote-t-elle pour que je sois le seul à l’entendre.
Il était inévitable qu'elle mette sur le tapis ce sujet que je redoutais. Pour moi, cette question sonne comme une alerte rouge dans ma tête. Je dois fuir rapidement. Répondre qu’il ne s’est rien passé serait de la prendre pour une idiote. Je sais qu’elle n’accepterait pas ça. Je peux encore moins lui raconter la vérité, c’est au-dessus de mes capacités. Il y a des trucs qui se doivent de devenir un secret et de le rester. La réponse à cette question en est un.
- T’as l’intention de dire quelque chose ou de me laisser mourir d’inquiétude ? As-tu la moindre idée de la manière dont je me sens ? Mon frère a été transféré pour deux semaines dans l’aile psychiatrique de l’hôpital, car les médecins craignent qu’il soit encore un danger pour sa propre vie.
Elle lève son ton d’une octave en constatant que je me referme. Je détourne le regard comme si je pouvais également détourner la conversation avec ce mouvement.
- Bon sang, Han-sol ! C’est moi qui l’ai trouvé gisant da…
Je lui plaque une paume sur la bouche pour qu’elle cesse de crier. Les yeux dans les yeux, je la toise. Je ne souhaite pas que mes parents entendent un traitre mot de tout ceci.
- Tais-toi ! murmuré-je.
Elle frappe ma main pour libérer sa bouche. La colère peint son visage, mais je peux deviner son chagrin derrière cette façade.
- Je ne pige rien du tout, continue-t-elle plus calmement d’une voix tremblante. Pourquoi il a fait ça ? Pourquoi tu n’es pas venu voir Sid à l’hôpital ? Et bon sang, c’était quoi ton délire avec Maxwell et sa clique ? Tu sais que Max ne pourra plus jamais rejouer au foot avec ce que tu lui as fait ?
Elle agrippe sa tête entre ses mains et la secoue d’incompréhension.
- J’ai l’impression d’avoir manqué un épisode sans qu’on m’ait prévenue.
Entendre le prénom de Sid fait résonner ses pleurs dans ma tête et fait apparaître la dernière lueur horrible dont je me souviens de son regard. Tout ceci se mêle au rire de Maxwell et à son sourire malveillant. Mon cœur s’accélère dans ma poitrine m’intimant que je ne devrais pas continuer sur ce terrain glissant. Discrètement, j’inspire et expire. Je plaque mon éternelle expression d'indifférence sur mon visage.
- Prend bien soin de Sid. Ce n’est plus de mon ressort, à présent. Puis concernant Max-hell-shit, je suis sincèrement désolé de ne pas lui avoir cassé les deux rotules, au lieu d’une seule.
Je me récolte une gifle qui laisse ma joue brûlante. Seona me fusille du regard. Comme je venais d’attiser sa haine avec mes paroles, elle décide de la cracher sur moi.
- T’es qu’un sans cœur ! Et ne t’inquiète pas, je vais en prendre soin de mon frère, moi. Clairement, ce n’est pas dans tes priorités que de te préoccuper du bien-être des autres. Il te faudrait un guide pour te retrouver dans les sentiers de ta connerie.
Sur ses épaules, Seona remet sa veste d’un mouvement brusque puis elle sort en claquant la porte de la maison sans m'adresser un regard. Je pince les lèvres et ferme les yeux de contrariété. La peur. Celle de vouloir justement me préoccuper de mon amie m’a simplement incité à être blessant. Pourtant, j’ai été honnête. C’était réellement l’une de mes dures pensées. Incapable de fuir la conversation qu'elle m'amenait, je l’ai poussée à partir en lui disant des mots que j'aurais pu garder pour moi. J’aimerais vraiment me détester de l’avoir blessé, mais cette douleur qui s’accroche à mon âme ne fait que nourrir toute la colère et mon propre mal de vivre qui me retiennent de me permettre de me détester davantage. Puis mon fardeau personnel est déjà suffisamment lourd et épuisant pour que je trouve la force de prendre en charge celui des autres.
Je pivote m’apercevant que mes parents m’ont rejoint. Les bras croisés sur le torse, mon père secoue la tête en me fixant. Les sourcils froncés de ma mère accentuent son inquiétude perpétuelle. Je soupire et détourne le regard en attrapant ma valise près de l’escalier.
- On y va ? Je suis subitement pressé d’aller me faire chier dans un centre de repentance, déclaré-je avec un rictus.
Le fait de me refermer ainsi face à mes parents les désappointe, mais ils ne pipent aucun mot et opinent d’un commun accord.
Un Enfer n’attend pas l’autre, apparemment.
En tant qu'adulte et lecteur extérieur, on se doute que si Han-Sol parlait, les choses pourraient se régler bien mieux et bien plus vite mais... on est tous passé par là à l'adolescence : le silence, l'absence de mots juste, le besoin de protéger les autres et leurs secrets... quitte à ne pas voir les alliés autours.
J'ai hâte de lire la suite !
>.> et j'espère que Seona va bien prendre de Sid et que ce dernier ne retentera pas de se suicider >.<
Et d'un point de vue moins personnel : Très beau lancement, on est de suite pris dans le récit, les sentiment sont délicieusement palpables, et on voit une belle trame se dessiner. Ne t'arrête surtout pas !
(juste une petite confusion : c'est pas résilié, c'est résigné le terme correct dans 'depuis longtemps résilié à tenter de comprendre')