Chapitre 1 :
2019
— Accusée, levez-vous.
Je me lève et le bruit du métal de mes menottes retentit dans la salle plongée dans un silence lourd et pesant.
2006
— C'est quoi ça, maman ?
— C'est la chaîne que ton père m'a offerte quand nous étions jeunes, un jour, elle sera à toi.
2019
Je ne crois pas, maman, que quand tu parlais de chaînes qui seraient à moi un jour, tu parlais de celles-là !
— Mademoiselle Nalla, Maria, Sophie, vous êtes accusée d'avoir tué votre sœur il y a neuf ans. Êtes-vous d'accord avec ce que je viens de dire ?
— Oui, maître !
— Bien.
2009
Comme tous les mercredis après-midi, après l'école, je vais à la danse. Ma mère m'y a inscrite, car pour elle, j'ai la grâce d'un cygne, alors que pour ma prof, c'est celle d'un hippopotame en voie de disparition.
Après mon cours, ma prof m'a un peu retenue. J'ai eu beau lui dire que mon père n'allait pas être content si je rentrais aussi tard, elle n'a rien voulu savoir.
Comme prévu, je rentre en retard. Je regarde dans la rue, il n'y a pas la voiture de mon père. Soulagement ! J'ouvre la porte d'entrée, je retire mes chaussures, pose mon sac et pousse la porte de la cuisine. Et là, vision d'horreur, mon père est là. Le visage fermé la ceinture à la main.
— C'est à cette heure-là que tu rentres ?
— Papa...
— Tu me dégoûtes, ne m'appelle pas comme ça. Tu n'es pas ma fille. Tu n'es qu'une traînée comme ta mère ! Je vais t'apprendre à ne pas obéir !
Je tente de m'enfuir, mais il me rattrape par les cheveux et me traîne dans les escaliers.
— Maman ! hurlé-je.
— Ta gueule ! hurle-t-il plus fort.
Une fois la montée des escaliers qui me paraissent une éternité, il me jette sur son lit. Sans que j'y sois préparée, un coup de fouet claque à mon oreille, sur ma gorge et sur mon œil. Et c'est le début d'une longue série de coups et de cris de ma part.
Quand ça lui suffit, il enlève son pantalon et son caleçon.
En voyant ce qu'il y a entre ses jambes, dressé comme un bâton, je sais ce qui m'attend, comme tous les mercredis.
Je le laisse faire. Plus vite il aura ce qu'il veut, plus vite ce sera terminé.
2019
— Je viens de vous poser une question.
Comme, je la regarde avec un air interrogatif, elle m'interroge de nouveau :
— Expliquez-moi ce qui s'est passé ce jour-là, Nalla !
Finalement, ce n'était pas une question.
Toujours et toujours cette même demande.
— Nous attendons ! me presse-t-elle
— Nous... Nous étions dans le jardin...
— Qui ?
— Ma... ma sœur et moi ! Mia, ma grande sœur, avait trouvé quelque chose, elle m'a dit de venir voir. C'était l’arme de mon père. Nous nous sommes amusées à faire semblant de tirer et j'ai appuyé sur la détente, alors que ma sœur était partie chercher quelque chose. Comme c'était le matin, il y avait de la brume très basse comme toujours. Je ne savais pas qu'il était chargé. Je ne savais pas que j'avais touché quelqu'un ! Surtout pas ma sœur !
— Merci mademoiselle, vous pouvez vous asseoir. J'appelle à présent la défense à la barre.
2009
— Nalla, va te laver s'il te plaît, ma chérie.
— Oui maman.
— Attends ! Pourquoi ton oreille et ton œil sont rouges ?
— C'est avec des copines, on a joué.
Je monte dans ma chambre, je me déshabille et me dirige en direction de la salle de bains. Une fois que l'eau chaude recouvre mon corps, je me mets à pleurer.
— Arrête de chialer, sale gosse. Ouvre-moi cette putain de porte, sale chienne !
— Tu ne parles pas comme ça à notre fille !
— Elle n'est pas de moi cette petite peste.
2019
— Pourquoi avoir menti ce jour-là ? me demande-t-elle.
— Je n'avais que huit ans ! Je ne voulais pas que ça retombe sur ma mère !
— Votre père vous a-t-il déjà touchée... ?
C'est seulement à la fin de sa phrase que je sens de la bile me brûler la gorge, attaquer mon palais et une grande honte m'envahir.
À plusieurs reprises, je tente de dire quelque chose, mais je n'y arrive pas.
— Je... Je... Oui !
— Pouvez-vous me le prouver ?
— Comment voulez-vous que je trouve ça ? J'ai perdu ma virginité à six ans avec ce gros porc qui m'a servi de père... Ce n'est pas assez, ça ?
À ce moment-là, je vois rouge. Je fais la première chose qui me passe par la tête. J'ouvre ma chemise, faisant sauter tous les boutons.
— Ce n'est toujours rien pour vous ? hurlé-je. Chaque coup est là ! Il n'en manque pas un seul.
— Je demande une analyse !
Malgré moi, malgré ce que je me suis promis, je me mets à pleurer.
Des bras puissants viennent me réconforter. Ça me met tellement en rogne, de ne pas pouvoir le prendre dans mes bras.
— Ça va aller, mon amour !
— Merci Damien !
— Pas de contact, nous rappelle à l'ordre l'agent de police.
— Je viens te voir demain, je t'aime.
2009
— Oh, merci papa !
— Il n'y a pas de quoi.
Mon père a toujours préféré Mia à moi.
— T'as quoi à me regarder comme ça, toi ?
— Tu n'as rien pour ta fille ? demande ma mère.
— Mia a déjà eu son cadeau !
— Tu as deux filles.
— Non ! Nous avons une fille et toi, tu as une fille. Cette petite peste n'est pas ma fille !
2019
Pour ça, tu avais raison, « papa », tu n'es pas mon père !
Cette crapule n'est pas là aujourd'hui une fois de plus.
Je suis devant ma cellule, on me retire les menottes et me pousse à l'intérieur.
— Tu étais très convaincante, ma belle, on aurait presque envie de te croire.
— On ne vous a pas demandé votre avis, les filles !
— Merci Christine.
— Tu peux nous dire à nous, me dit Fatima.
— Je suis sûre qu'elle est coupable, déclare Douceur.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, ce prénom ne lui va pas du tout.
— Bon, les filles, si elle n'a pas envie de nous le dire, c'est son problème, me défendit Cheetah.
— Ce n'est pas pour vous faire peur, mais on partage quand même notre cellule depuis deux ans avec une fille dont on ne sait rien. Jusqu'au jour où on la voit à la télé coupable du meurtre de sa sœur, renchérit Douceur.
— Pouvez-vous arrêter de parler de moi comme si je n'étais pas là ? Si vous voulez tout savoir, non, je n'ai pas tué volontairement ma sœur. Alors maintenant, foutez-moi la paix, est-ce que c'est clair ?
2008
— Maman, maman regarde.
Je lui tends des fleurs.
— Oh, c'est joli, ma chérie.
— C'est pour toi.
— C'est gentil.
— C'est Mia et moi qui l'avons fait.
— C'est vrai ?
2019
Après ce souvenir, je ne peux pas faire autrement que de souffrir. J'aime énormément ma mère.
— Ketenise, debout !
Ici, tout le monde s'appelle par son nom de famille. Je me lève et fais mon lit.
Deuxième jour de procès. On me conduit dans le camion de transport. Quand je pose le pied dehors, je me fais agresser par une horde de journalistes et de flashs. On me bombarde de questions plus indiscrètes les unes que les autres. Je suis rejointe par ma mère.
Damien est en haut des marches. Cette fois, j'ai pu le prendre dans mes bras.
Son odeur m'avait manqué, je suis restée deux ans enfermés.
Bien sûr, il est venu tous les jours sans exception après son travail pour me voir, mais il était derrière une vitre.
2009
J'ai beau hurler qu’il me laisse entrer, il n'a rien fait. C'est le début de l'hiver.
Cette enflure m'a enfermée dehors toute nue, sans rien. Il est sur le fauteuil de la véranda avec une bière à la main. Je hurle, mais rien.
Ce sont les voisins qui m'ont aperçue de la fenêtre de leur chambre qui ont sonné chez nous et m’ont fait rentrer.
2019
On me fait asseoir sur une chaise. On me libère une main et la juge est annoncée. Tout le monde se lève.
— Deuxième jour de procès de l'affaire Ketenise ! Hier, vous nous avez parlé de ce qui s'était passé le jour du drame, mais vous êtes restée vague au sujet de votre père...
— Pour vous, je suis restée vague ?
— Nous n'avons pas encore fait l'analyse. Elle sera faite ce soir ou demain matin. Nous allons écouter le premier témoin, j'appelle à la barre M. Guy Ketenise.
Encore une fois vision d'horreur ! Mon père ! Bien coiffé, cravate, veste, il me dégoûte !
2008
— Tu me dégoûtes comme fille ! Bouge de là.
Il me pousse violemment.
***
« Tu dois faire quelque chose.
— Oui, mais quoi ?
— Va voir la police !
— Pour dire quoi ? Ce ne sont que des mots, maman ! Je ne peux rien prouver du tout !
— Mais enregistre ! »
J'avais surpris cette conversation entre ma grand-mère et ma mère.
2019
— Donc, vous affirmez que vous n'avez jamais touché votre fille ?
— Oui, jamais !
— Pourtant, ce n'est pas ce qu’elle dit.
— Ma... fille – c'est comme si ce mot lui arrachait la bouche – n'a jamais été très stable. Regardez où elle en est aujourd'hui. Regardez ce qu'elle a aux poignets, des menottes, et de quoi elle est également coupable aujourd'hui !
— Très bien, merci pour votre témoignage. À présent, j'appelle à la barre M. Damien Phils.
2008
— Je te présente Damien, chérie, c’est notre nouveau voisin. J'ai pensé que tu pourrais jouer avec lui.
— Bonjour, moi, c'est Nalla.
Le jour où j'ai rencontré Damien, j'étais la plus heureuse, j'avais enfin un ami.
2019
— Saviez-vous ce qui se passait chez les Katenise ?
— Souvent, elle avait les yeux rouges, sûrement après avoir pleuré. J'ai déjà aperçu quelques bleus sur elle.
2008
— C'est quoi ça ? me demande Damien.
— C'est rien !
— Montre-moi !
— Ne me touche pas !
2019
— À l'époque, en avez-vous parlé un adulte ?
Je me souviens très bien de ce jour.
— Oui, à ma mère qui a répondu que ce n'était pas un problème. Mais sur son lit de mort elle m'a dit qu'elle regrettait de n'avoir rien fait pour moi.
Je demande un verre d'eau, j'ai la gorge en feu... Il faut à tout prix que je l’éteigne.
2008
— Si tu n'arrêtes pas de crier, je recommence !
J’aimerais ne pas crier, mais c'est impossible, la brûlure est horrible. Comme promis, il recommence, il attaque mon dos avec sa cigarette. Bien sûr, nous sommes mercredi. Malgré moi, je me mets à pleurer. Après sa torture, il baisse son pantalon et c'est reparti.
2019
On dépose un verre d'eau devant moi, ce qui me fait sortir de ma transe. Je remercie et lève le verre à ma bouche, mais une odeur me parvint aux narines. Il me faut quelque chose en argent.
***
— Maman.
— Quoi ?
— Passe-moi ta boucle d'oreille.
Elle ne pose pas de question et fait ce que je lui dis. Je prends le mouchoir à ma disposition, attrape l'objet avec celui-ci et le plonge dans le verre sans toucher l'eau. Le métal s'oxyde au contact du liquide.
2019
— Je peux savoir ce qu'il y a de plus important que ce dont nous sommes en train de parler, mademoiselle Ketenise ?
— Mon verre d'eau !
— Vous vous fichez de moi ?
— Non, il est empoisonné !
Tout le monde lâche un hoquet de surprise.
— C'est grave ce que vous dites. En avez-vous la preuve ?
— Bien sûr ! Je vous rappelle que je suis toxicologue, le poison, ça, je connais.
— Je veux que ce verre soit analysé.
C'est une tentative de meurtre si on peut appeler ça comme ça.
Ça me fait froid dans le dos. Qui a voulu me tuer ? Pourquoi ? L'hypothèse qui me vient ne m'étonne pas. Mon père ! Un jour, je le jure, je le ferai souffrir pour tout ce qu'il a fait subir à la petite fille de neuf ans que j'étais.
Quelques remarques de style :
- "Une fois la montée des escaliers qui me paraissent une éternité" : je suppose que c'est la montée et non les escaliers qui lui parait une éternité? J'ai un peu butée sur cette phrase à la lecture, ne faudrait-il mieux pas couper la phrase et dire tout simplement : "La montée des escaliers me parait une éternité".
- Il y a des changements d'adresse dans le récit : parfois la narratrice s'adresse au lecture ("Je suis tout à fait d'accord avec vous, ce prénom ne lui va pas du tout"), parfois à son père... Pour moi, il faut clarifier, choisir un interlocuteur et s'y tenir, sinon en tant que lectrice je m'y perds un peu.
Par ailleurs, c'est un détail, mais si Nalla est jugée pour meurtre, je suppose qu'elle est dans le box des accusés, et donc Damien ne peut pas la serrer dans ses bras quand elle craque?
En tout cas, je lirais la suite :)
Ok ça me plait.
C'est une forme intéressante ces allers-retours. Ça ne pose aucun problème pour suivre le cours des événements, ça donne un rythme énergique à l'histoire, comme des flash-back.
L'ambiance est lourde et poisseuse, très réussite, bravo.
J'ai un peu buté sur le coup de l'argent dans le verre d'eau : le métier de la narratrice n'est pas abordé avant le passage sur le poison, du coup il sert d'excuse, ça fait de lui un deus ex machina dès le premier chapitre de l'histoire, ce n'est pas subtil. On aurait pu en parler un peu en amont, avec les camarades de cellules de Ketenise par exemple.
L'un dans l'autre je continuerai à lire avec plaisir =)
Merci pour ton soutien en espèrent que la suite sera a la hauteur de ce que tu t'attendais.
Bonne journée.
Une histoire c'est une histoire, c'est comme une personne, on la prend en entier ou on la prend pas.
Les passages d'un temps à l'autre qui s'entremêlent sans se parasiter, l'idée est géniale !
Il y a une toute petite faute, sur la perte de virginité à 6 ans : tu as écrit trouve au lieu de prouve.
J'ai hâte d'avoir la suite !