Chapitre 1

Notes de l’auteur : Contient un vocabulaire explicite, références à la drogue. Didascalie-free.

I

 

Une chambre aussi propre et éclairée dans Paris, c’est du jamais vu, même si je n’ai pas pour habitude pour autant de faire le tour des buis buis dégueulasses de la capitale qui puent l’urine. Ca doit bien faire des années que j’ai la permanente sensation de dormir sous la belle étoile dans les rues de cette ville immonde, dans les cloaques innommables des ersatz de marchands de sable qui l’habitent pourtant richement. Que ce sont de sacrés hôtes, ces parisiens.  Ils te prennent leur mauvaise foi pathétique pour un cache-misère brodé. Infâme. Tout bonnement infâme. Qu’est-ce que je suis venu foutre mon temps en l’air dans ces draps qui sentent le luminol ? Tiens, en parlant de ça.  Le goût métallique que j’ai dans la bouche depuis tout à l’heure couvre de plus en plus tous mes autres sens, je n’ai même plus l’odorat, complètement gâché par ce sang qui me ruisselle sous le nez. Alors j’imagine que ma critique sera sensiblement différente une fois que j’aurais décuvé et recraché tout ça. J’en ai tellement ras-le-cul de ce boulot. Une fois que ce sera terminé, le seul goût de métal que je veux dans ma bouche, c’est celui de l’étain d’une bonne canette de bière. 

Tiens, ça aussi ça me gonfle. J’ai ces relents de champagne dans la gorge alors que j’ai horreur de ça. Je t’aime bien, Nancy Meyers, mais tu peux garder ton foutu champagne pour toi. 

Et je virevolte, de boîtes tordues en boîtes tordues, avec tous ces relents de champagne bipèdes qui ne savent pas aligner une phrase sans mettre un “je” devant. C’est pour ça qu’on doit dire que les gens nous saoûlent; plus ils parlent et plus ça donne envie de vomir. Merde. Si on ne me payait pas aussi bien, ça ferait longtemps que je leur aurais dit à tous d’aller se faire foutre. Et c’est qui, la bonne poire affalée sur un lit miteux ou peut-être pas, pas moyen de vérifier dans cette position, obligée de se farcir ces trous de… Aïe. Pas que je m’énerve. C’est rageant, pourtant ! Qu’est-ce que je branle, sérieusement ? Je pourrais juste, partir. Aller dépenser tout ce pognon mal gagné plutôt que de continuer à passer ma vie dans ces hôtels de merde, à profiter de ce que j’ai plutôt que de me vider dans tous les coins de cette ville plus merdique encore, pour changer. Ce que j’ai mal.

 J’ai le crâne qui s’apprête à éclater. 

Des semaines que ça dure. Je te sens te presser contre mon lobe préfrontale de tout un poids, saloperie de migraine. Comme si ma cervelle s’était mise à gonfler comme un château gonflable dans une malle. Voilà, maintenant je n’arrive plus à m’enlever cette image. J’ai envie de m’éclater une énorme bouteille de champagne sur la tête, comme quoi, un nabuchodonosor c’est ça ? Juste pour sentir le verre se briser infiniment au contact de mon squelette, ouais. Fracasser ma tête contre une vitre pour exorciser la douleur. Ca se fait ça ? Catharsis par coup de boule. Je jure que la première bouteille de champagne qui a le malheur de croiser mon regard finira en poussière, je préfère avoir la tête dans les débris de verre et pouvoir les enlever pour m’en soulager que de, juste, avoir mal comme un con en ne faisant rien ? Merde. L’air commence à manquer là-haut. Qu’est-ce que je disais. Plus ça va, plus j’ai l’impression d’être sur le point d'étouffer. D’ailleurs, non, qu’est-ce que je raconte ? J’étouffe déjà. 

J’étouffe, je sens mes entrailles se serrer et m'agripper de l’intérieur comme pour m’arracher l'hypothalamus. J’étouffe. Je me sens léger pourtant. Enfin, j’ai la tête lourde, oui. Je sens plus le reste. J’ai le neuf millimètres à côté  sur le lit, déjà; propre, presque luisant, jamais servi. Pas encore. Une bouteille de vodka entamée sur le bureau, une sous-marque affreuse qui me fait regretter de ne pas avoir opté pour de l’eau. Mon paquet de cigarettes écrasé est sur le point de se casser la gueule, je le sens, comme je l’ai posé au bord du bureau. Pas grave. Peux pas fumer dans l’hôtel, de toute façon. Je n’arrive même plus à me rappeler pourquoi je suis là, d’ailleurs, ni ce que j’attends allongé sur le lit comme un gland. Le téléphone est à quelques centimètres de mes doigts et je n’ai même pas la force de m’en saisir. Si ça se trouve, j’y réfléchis à l’envers. J’ai du me prendre une bouteille de champagne dans la gueule, je saigne à cause de ça et en plus ça me file mal au crâne. Je te déteste, Nancy. Toi et ton champagne de merde.

Ce qu’ils m’emmerdent, vraiment. Tous.

J’ai trois shot à portée de main et j’hésite sérieusement auquel prendre. Le ratio avantages et conséquences de chaque option me paraît égal pour les trois, mais bon. J’ai bon espoir que le rouleau compresseur qui me ratisse l’intérieur du front jette l’éponge avant moi. J’ai la tête dure. Exactement comme ça ouais. Merde, j’avais pris une belle beigne ce jour-là. Ce type avait des parpaings à la place des phalanges. Ah, même me souvenir de la douleur me fait réaliser que c’est une sacrée migraine que je me coltine. Infâme. Juste… Infâme.  Faut vraiment que je reprenne mes esprits. Ce n’est plus possible. C’est que, ça serait peut-être mieux de dormir. Si je le pouvais. Et puis, à quoi ça me servirait de bouger ? Je ne sais pas ce que j’attraperais en premier, d’abord. J’imagine que je préfère le téléphone. Quelle est la pire chose qu’il pourrait m’arriver ? Qu’il me retombe sur le coin de la gueule quand mes doigts céderont de fatigue alors que j’essaye de lire l’écran ? D’accord, d’accord, risque calculé. 

Rien. 

Vide. Tout ça pour ça. Je n’ai même pas pensé à regarder l’heure mais maintenant, j’ai trop peur de vraiment me prendre le téléphone en pleine face. D’ailleurs pourquoi je pense aussi… bruyemment ? C’est vrai quoi, j’ai l’impression d’être au cinéma, ou de parler à voix haute et de bloquer à chaque fois que je réalise que je pense. C’est peut-être pour ça que j’ai la migraine, va savoir. Non, attends un peu, non ! C’est cet enfoiré de Damian. Kétamine, mon cul, ça ne m’a jamais fait ça avant. C’est pas de la kétamine, sa merde, même coupée ça n’a pas… ça ne fait pas… Aïe. Merde ! Pourquoi je saigne du nez déjà ? Ah oui, le roumain. Non, il était quoi déjà, lui ? Bulgare ? Sa grosse tête de con, ça y est, je m’en souviens. C’était pas le champagne. Le champagne avait juste un goût dégueulasse. Je sens que je vais vomir. Attends voir, c’est que je n’y vois rien moi, depuis tout à l’heure ! Ah. Mon costume blanc, foutu. La chambre, dégueulasse finalement. Les lumières en plein sur la gueule. Pourquoi ai-je rouvert les yeux. Ok, il faut que j’aille faire un tour. Il suffit que je me lève. Non, fermer les yeux. C'est mieux, tellement, tellement mieux. Dormir. 

C’est moche ici de toute façon. Je… Je ne vais pas y arriver. Il faut que j’aille éteindre… 

C’est étrange. D’où sort cette femme ? Et qu’est-ce qu’on fout dans ma caisse ? J’ai horreur de cette sensation, je sais que je n’arriverais pas à ouvrir les portes alors que je vois bien que je ne suis même pas en train d’essayer. Je ne pourrais pas dire depuis combien de temps je suis ici, mais je suis certain que c’est encore un rêve idiot. Je vais encore repenser à l’Estonie. L’accident, la voiture dans le fossé, et… Je connais la suite. J’aimerais pouvoir attraper mon cerveau et lui coller une bonne raclée, une bonne trempe comme celle que j’ai collé au bulgare. 

Ou slovaque. Il est quoi déjà, lui ? Attends voir. L’Estonie, le bulgare, la voiture, l’accident et j’ai encore le nez qui saigne. La bonne nouvelle, c’est que la migraine est partie. La mauvaise, qu’est-ce qu’il m’arrive ? Qu’est-ce que j’ai pris, putain, qu’est-ce que c’est que cette merde ! S’il m’a refilé de la poussière d’ange, je lui fais un deuxième trou de balle à côté du premier. 

Bon, le sol est stable. Mon costume est toujours foutu, le sang séché n’a bientôt plus d’odeur et j’arrive à me redresser. Pourquoi ai-je pourtant l’impression d’être coincé dans une bulle ? 

Kétamine, kétamine, kétamine, non, ce n’est pas ça. Ké… Ré…. Téra…. Péta… Séra…  Sérakine ? Non, je vais bien finir par trouver. 

Sérendipité

Ce n’était pas de la kétamine. Poudre rose, odeur de lila, de sodium, de ményanthe, de chlore.

Sérenphédrone.

À peine un gramme. Enfin… J’imagine. Je ne me souviens plus ou que très peu de l’odeur. Je suis bien incapable d’affirmer que j’ai visé juste, pour le coup. Il faut que je retrouve Damian. Ce truc aurait pu me tuer. Il le peut toujours, maintenant que j’y pense. Non, rien. Je n’ai rien. Le coeur, ça va. Le bide, ça va. Aucune… douleur. Juste l’impression que quelqu’un est dans ma tête. Comme si quelqu’un parlait à ma place quand je pense. Ok, concentration. Merde, il fait déjà jour, j’ai dormi combien de temps ? Dix heures. Damian doit être dehors. Il fait la fête jusqu’à pas d’heures, mais il n’est pas du genre à ne rien glander en journée. Il doit être dehors. Je devrais regarder du côté de Soubise. Oui, il doit forcément y être. Je n’arrives même pas à comprendre pourquoi j’en suis aussi convaincu, mais je verrais bien sur place. En train de fumer cigarette sur cigarette avec Karim, au coin du café de la rue, et fort à parier qu’il lui raconte déjà la soirée d’hier et comment le bulgare m’a pété le nez. C'était de sa faute, mais ça l’a bien fait rire. Ca, et le fait qu’il m’a refilé sa merde en me disant que c’était de la kétamine, à la base. Quel enfoiré. Qu’est-ce que j’ai foutu de mes chaussures ? Ah merde, mon costume. Tant pis, j’achèterais une chemise neuve en bas, je suis sûr d’avoir vu une boutique hier, ou avant-hier, et le temps que j’arrive il sera sur le point de partir et j’aurais une occasion de le coincer dans une rue pour lui casser la gueule. Il l’aura pas volée. Mais il faut que je parte maintenant. Voyons, téléphone, clopes, vodka… Dans le couloir. Quel con ! J’ai vraiment laissé mes chaussures dans le couloir ?

Bingo. Je ne sais pas si je suis devenu devin, mais c’est bien la première fois que j’évite de passer une demi-heure à chercher mes affaires alors qu’elles sont sous mon nez. C’est cette foutue poudre à la con. 

Elle m’a fait quelque chose que… J’ai l’impression que mon cerveau va… 

Il faut que je trouve Damian. 

Il doit savoir ce qui se passe exactement. Qu’est-ce que je raconte ? Il n’en sait probablement rien, c’est un gros con. Il y a même des chances qu’il pensait sincèrement que c’était de la kétamine, je le connais. Étrange… Je n’arrive pas à m’en convaincre. Pire. Pourquoi je le réalise, là, comme ça ? J’aime pas ça du tout. Faut tirer ça au clair. 

Qu’est-ce qu’il m’a dit ? Merde, j’étais trop pressé pour écouter le réceptionniste. Trop tard, je suis déjà dehors de toute façon. Vu sa tête, l’heure, les gens dans le hall, l’odeur de croissants qui commence à disparaître, les relans de café froid, j’imagine qu’il parle du ménage. C’est ça, la femme de ménage doit passer. Quoique, avec sa barbe superbement taillée, ses grosses lunettes noires de hipster, sa peau mate brillante comme dans une pub de gel douche, ce type-là a du dire “employé” de ménage. 

Mais qu’est-ce que je raconte ? J’en ai rien à foutre ! 

Où sont mes clés ? Merde. Voilà que je verbalise les micros-impulsions nerveuses de mes doigts qui cherchent mes clés dans ma poche. C’est à rendre dingue. Est-ce que c’est ça… la schizophrénie ? Est-ce que je suis en train de devenir maboule ? Non. Je suis tout seul, là-dedans. Quoique, je me parle à moi-même. Non, attends-voir, c’est juste que je fais de l’hyperconscience. Ca existe ce mot ? Bon, j’ai compris, alors oui. Si c’est compréhensible, il n’y a aucune raison qu’il n’existe pas. Même si je sais que j’ai déjà compris l’effet de cette drogue à la con, je suis aussi… surpris que sceptique. Je vois pas l’intérêt d’avoir ce genre de trip. Il sait que je me balade avec un flingue, pourtant ! Jamais ça lui serait venu à l’idée que je lui colle une balle entre les deux yeux ? Non, jamais. Pas seulement parce qu’il est con, mais parce qu’il sait que je ne le ferais jamais. Ce qui m’inquiète, j’en ai peur, c’est de réaliser que c’est moi que j’aurais pu blesser, avec sa merde. 

J’ai entendu des tas de choses sur les tendances à l'autodestruction. Dans ce métier, de toute façon, c’est un peu le motto de tout le monde. On ne recherche pas les sensations fortes et le frisson pour épater la galerie où se faire des albums collages pour nos vieux jours, non ? Ah, pourtant… C’est vrai que j’y pense. La retraite. Mais l'autodestruction, ça va plus loin encore. Je crois bien que je savais déjà dans quel état me mettrait sa sérenphedrone avant même de comprendre ce que c’était. On aurait dit de la poussière de fée clochette, non ? Ce truc aurait pu s’appeler la poussière d’ange aussi. Le pire, c’est que je ne suis même pas sur que ce soit fait exprès. Niveau marketing, ça passe, mais j’imagine mal les types de la dutch riviera se farcir des cours sur internet sur “comment faire pétiller vos drogues ultra-puissantes” ou acheter des paillettes comestibles ou je ne sais quoi à la boutique du coin. Non, cette poudre-là était accidentelle. D’ailleurs, son existence devait l’être aussi. J’imagine mal quelqu’un bosser dans un laboratoire spécifiquement pour fabriquer un truc aussi bizarre. Mais il est malade lui ! Il voit pas que je traverse ! Abruti ! 

Gros con. Bon, la boutique est ouverte, mais tout à l’air moche. Vu la tête du vendeur, je pense que je vais opter pour un petit pourliche histoire qu’il ne me questionne pas sur le sang sur ma chemise et mon costume. Il pourrait y avoir le risque qu’il voit mon arme, qu’il appel les flics, et je n’ai pas envie de ça. Tiens, prends ça, l’ami. C’est ça, fais moi un grand sourire. 

— Merci, monsieur ! 

C’était quoi ça ? Merde, la trouille. J’ai bien cru que je parlais à voix haute depuis tout ce temps, mais c’était juste le vendeur. Putain ! Damian ! Ok, du calme. C’est vrai ça, depuis hier soir j’ai l’impression que je pense à voix haute, comme si je partageais avec tout le monde ce que je pensais. Quel malaise. Quel malaise ! Mes lèvres ne bougent pas, c’est bon signe. J’ai peur de ce qui se passera quand j’essayerais d’articuler des phrases construites. 

Je devrais peut-être attendre d’en savoir plus avant de dire quoique ce soit. Le vendeur n’a pas l’air perturbé de ma présence, j’imagine que je suis dans les clous. Dans les clous, c’est comme ça qu’on dit ? Cette chemise-là a l’air sympa, ça devrait me suffire. Elle a tout ce qu’il me faut : pas de traces de sang,... C’est à peu près tout ce dont j’ai besoin. Ah, elle n’est pas à carreaux, oui, ça joue aussi. Je n’aimerais pas avoir l’air d’un clown, même si la poudre rose continue de me donner l’impression d’en être un. Non, vraiment, juste une seconde : pourquoi suis-je allé voir Damian pour commencer ? Je n’ai pas besoin de ses fixes au rabais, ni de perdre mon temps dans ses fêtes, avec tout cet alcool. Comme si je n’avais pas assez de problèmes. Oh, non. La vodka ! J’ai oublié la vodka ! Attends, qu’est-ce que je raconte, non je n’en ai pas besoin justement. Qu’elle la jette. Et mes clopes aussi. Je crois que j’ai ma dose de trucs toxiques dans le corps pour le reste de l’année. Bon, peut-être du mois. Je verrais bien. 

Vingt-quatre quatre-vingt-dix-neuf. Je suis où, là ? Jeter une chemise en soie à trois cent balles pour du bas de gamme. Génial. Pourquoi il me regarde de travers lui ? Ah, le sang. Sourcils froncés, moue dégoûtée, petits coups d’oeil à mon torse, oui, voilà, comme ça, et on retourne sur l’écran de la caisse. Quel crevard. Je lui file un billet et il me dévisage ? Il a l’air fatigué. Manches retroussées, on dirait que son parfum, non, ça ressemble plutôt à de l’eau de cologne bon marché. Il a l’air d’avoir passé une journée aussi pourrie que la mienne. Bon, peut-être pas aussi pourrie. Pas vraiment le genre de type à s’enfiler des poudres inconnues dans les narines. Quoique. Où est le miroir ? Lunettes de soleil, parfait. Juste un coup d’oeil et,... Oui, moi non plus en fait. Bizarre. Je n’ai pas les yeux explosés et j’ai même l’air assez lucide, pour changer. Pas mal. L’odeur de ce type me donne l’impression que l’alcool s’est évaporé sous le coup de la chaleur. Il fait plutôt frais pourtant, il n’est même pas encore midi. Est-ce que c’est possible que… 

Machine à café cassée ?

— Oui, comment vous le savez ?

Quel écho infâme. Pourquoi ma voix résonne autant dans mes oreilles ! Une intuition. Merci. Il faut que je me tire d’ici avant de me mettre à jacasser, je ne m’étais pas rendu compte que j’avais la gueule de bois. Ah. Pire remède jamais découvert. Et maintenant que je le dis, parce qu’évidemment c’est mon jour de chance, maintenant j’ai l’impression de sentir mes cheveux pousser à l’envers ! C’est mieux que la migraine, néanmoins. Oui, beaucoup mieux. 

Je sais que je risque d’arriver en retard si j’y vais à pieds, mais je crois bien que marcher me soulage le crâne. 

Pffuiiiit !

 

— ‘jour. Vous allez où ?

Encore un autre qui passe une journée de merde. Après, je le comprends, on est comme des coursiers, tous les deux. Il y a plus dur, plus facile. 

Place Soubise, près du Gincamp. 

J’espère qu’il sait où c’est. J’espère que j’ai assez d’argent sur moi ? Oui, ça va. En y réfléchissant, je crois bien que Damian ne m’a pas fait payé sa merde. Trente, cinquante, il doit me rester quatre ou cinq cent. Trop crevé pour regarder. Mazette, c’est une limousine sa caisse, première fois que je vois un taxi aussi propre et confortable. Et cette fois, je crois bien que ce n’est pas qu’une impression. Il ne doit faire que les courses de journée. Voyons voir, sa licence, où est-elle ? Merde, je crois qu’il m’a vu. La complexion de sa peau est étrange. Il doit fumer depuis aussi longtemps qu’il a son permis. Il regarde à peine la route. Il frôle le volant comme une danseuse un parquet. Le mouvement agile de son bras sur le pignon de vitesse a l’air si fluide, ça doit bien faire quoi… Une trentaine d’années, qu’il fait ce métier ? Deux options : soit il connaît suffisamment son métier pour m’emmener là où il faut à temps, soit il connaît suffisamment son métier pour me faire prendre des détours inutiles que je lui file plus de pognon. Son regard a l’air calme. Ses yeux bleus azur, éteints. Il n’a pourtant pas l’air malheureux, je ne comprends pas ? Sa berline est impeccable, fumeur de longue date, bon conducteur. En m’approchant de la voiture, je n’ai pas vu une seule rayure; on est pourtant à Paris. La voiture doit être neuve, elle sent le neuf. Peut-être un an, deux ans à tout casser ? C’est quoi ça… Une photo de famille, une femme, deux fils, une fille, j’imagine sa famille, mais il n’est pas dessus. Quoi d’autre ? Boutons de manchette. Intéressant. Est-ce que c’est… de l’or ? Ce type à l’air d’avoir passé sa vie sur la route, mais pas de cette façon. Pas comme ça, pas dans un taxi. Il doit bien avoir la soixantaine, difficile à dire. C’est un fumeur. Je le sens, même. On dirait qu’il a un paquet de cigarettes dans la poche de sa chemise, mais avec ce foutu reflet sur le parebrise, difficile à dire aussi. Merde, j’arrive pas à me concentrer avec la radio ! Quoi, sur les quais ? La nuit d’hier ? Tant pis. Donc, fumeur, conducteur, père de famille, et euh… boutons de manchette et paquet de clope. Une voiture neuve, propre, service de jour et voyons voir, non, on est sur la bonne route et je crois même qu’il ne va pas essayer de me la mettre à l’envers. 

Ah ! Enfin !

— Mh ?

Rien. La radio. 

Merde. J’aurais dû dormir plus. 

Vous emmerdez pas à faire le tour, je vais descendre ici.  

— Comme vous voulez. Ca vous f’ras…

Merci, je sais lire le compteur. 

Tenez

Bon, plus qu’un pâté de maison à remonter. 

Une poubelle. Pas de poubelle ici ? Ah, si. Voilà, tant pis, j’en rachèterais une autre.

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Misanthrope
Posté le 12/07/2020
C'est une introspection forte et intense. Les choses semblent se dérouler tellement rapidement dans la tête du personnage. Tous les détails y sont. C'est facile de s'immerger dans l'état d'esprit du personnage puisque tu manies si bien les descriptions.
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