Chapitre 1

Le ciel était légèrement couvert, le vent était retombé. Depuis plusieurs jours, les nuages défilaient à une vitesse folle dans le ciel. Alerte orange, puis jaune. Les bulletins d’alerte météo se succédaient pour annoncer coup de vent et tempête. Mais en ce samedi matin de septembre, le temps était calme et propice pour sortir prendre l’air.

 

Victor devait retrouver Paul vers 11 heures ce matin. Ils s’étaient donnés rendez-vous place de l’Hôtel de Ville. Le taxi l’avait déposé devant les marches de l’édifice et il alla s’assoir tout en haut, un peu en retrait, à l’abri des regards. Il posa sa tête dans les mains et ferma un instant les paupières.

- C’est bien la première fois que tu es en avance.

Victor se réveilla en sursaut, et manqua de tomber en avant. Il reprit son équilibre de justesse. Paul était debout devant lui, tout sourire.

- La nuit a été courte ?

- Question de point de vue. La soirée s’est prolongée bien plus tard que je ne l’espérais…Tu m’attends depuis longtemps ?

- Je ne crois pas étant donné que j’ai entendu 11 heures sonné quand je me suis assis.

Victor regarda sa montre. 11h05. Effectivement, la nuit avait été courte.

- Je t’invite à boire un café ?

- Avec plaisir, répondit Victor.

 

Ils s’installèrent en terrasse d’un petit bar dans une rue adjacente à la grande place.

- Alors cette soirée ? Vu ta tête, elle a dû être mémorable.

- On peut dire ça. J’ai rejoint mon pote Alex. Tu sais le grand bouclé. Le surfeur d’Hossegor. On s’est invités dans un hôtel particulier en plein centre-ville. Vers minuit on a suivi un groupe qui voulait boire un coup dans un bar. Je ne me souviens plus du nom, quelque part par là.

Victor agita la main devant lui. Quelque part dans le centre-ville en somme. Il continua le récit de sa soirée. Paul aurait dû venir avec lui hier, mais il avait été appelé à l’hôpital en urgence. Il était interne en médecine, ce qui ne lui permettait pas d’être aussi libre qu’il le voulait.

- Jamais autant marché de toute ma vie en si peu de temps. On a fini à l’autre bout de la ville dans son appart. Je me suis couché vers 8h ce matin et mis mon réveil à 10h. J’ai appelé un taxi, comprendre où j’étais aurait pris trop de temps.

- Tu t’es levé exprès pour moi ? s’étonna Paul.

- Tu sais bien qu’un rendez-vous doit être honoré ! Et puis on n’a pas souvent l’occasion de se voir. Une fois par semaine c’est déjà peu en sachant qu’on habite pratiquement dans la même rue.

- Ce n’est pas faux.

- Et toi Paul, tout va bien ?

- À part le boulot qui me prend la tête, ça va.

Paul remua son café. Il avait le regard fixé sur le contenu de sa tasse.

- Ta cheffe qui te rajoute encore des heures à tes gardes ?

- Si on veut. Elle m’a collé aux Urgences.

Victor dévisagea un instant son ami. Il savait que Paul redoutait ce service.

- Un AVC, une péritonite, des calculs rénaux, sans compter un type avec trois clous dans le bras et une mère de famille qui s’est fait tabassée.

Paul se redressa et se gratta la tête. Il avait l’air fatigué. Victor lui était nauséeux. Le café avait un arrière-goût amer, pire que celui de l’habituel expresso. Pour couronner le tout, il se demanda si sa vue n’était pas en train de se dédoubler. Il vit tout de même le regard perplexe de Paul.

- Ça tient toujours pour ce soir ou tu es de garde ? lui demanda Victor.

- Oui je serai là. Je suis enfin en week-end. Je reprends mardi.

Victor parla d’Anaïs, une jeune femme qu’il connaissait depuis quelques semaines et qu’il avait revu la veille.

- Je lui ai proposé de nous accompagner ce soir. Il y aura Alex aussi. J’espère que ça ne te dérange pas.

- Bien sûr que non.

- Parfait. On mange ensemble si tu veux à midi ?

- Dans ton état je pense qu’il vaudrait mieux que tu dormes. Que tu sois présentable ce soir. Et puis je retrouve Clara pour déjeuner.

Victor sursauta et reposa son verre d’eau.

- Tu la vois plus souvent que je ne le pensais. Il y a quelque chose entre vous ?

Paul soupira. Il secoua la tête, l’air désabusé. Il sembla mal à l’aise.

- Ce n’est parce que je vois une fille régulièrement qu’il y a forcément quelque chose.

- C’est souvent comme ça que ça marche.

- Je dois être l’exception qui confirme la règle.

- Si elle te plaît, pourquoi ne pas te lancer. Elle est plutôt mignonne.

- Je passe du bon temps avec elle, sourit Paul. Elle est drôle, têtue. Maladroite.

Il sembla rechercher le bon qualificatif pour la décrire.

- On est amis voilà tout. J’oublie un peu tout le reste quand je suis avec elle.

- Tout le reste ?

- Pour quelqu’un qui doit avoir encore pas mal d’alcool dans le sang, tu te préoccupes beaucoup de moi ce matin.

- Je me demandais juste ce qui pouvait te préoccuper de la sorte.

Paul releva les yeux vers lui, les sourcils froncés. Victor reconnut que sa technique manquait de subtilité et était sans doute vouée à l’échec. Lui faire avouer quoi que ce soit constituait un véritable exploit à celui qui y parvenait. La distance que Paul Lacour mettait avec le monde extérieur n’était pas toujours simple à franchir.

- Pourquoi tu me parles de ça aujourd’hui ?

Victor perçut un léger tressaillement chez son ami.

- Dès que j’essaie d’oublier, on vient me le balancer en pleine figure.

- Personne ne te demande d’oublier Paul.

- Évidemment. Tu n’étais pas là.

- Parce que toi si ?

Paul se mordit la lèvre. Le silence qui s’ensuivit fut long. Les deux amis se dévisagèrent, sans mot dire. La tension était palpable.

Paul se redressa et sembla chercher ses mots avec soin. Ses yeux brillaient.

- Je n’en sais rien.

Paul respirait calmement, peut-être un peu trop. Victor le vit détourner le regard.

- Je suis désolée Paul.

- C’est Charlotte qui te l’a dit ?

La brutalité avec laquelle il prononça ces mots frappa Victor. Il déglutit avec insistance. Décidément le café ne passait pas. Il aurait dû arrêter de boire avant le lever du soleil.

- Paul ça fait combien de temps que tu ne lui as pas parlé ?

- Et tu voudrais que je lui dise quoi ?

Il sembla furieux. La colère transparaissait dans sa voix, son regard, ses gestes. Quelques clients attablés jetèrent un regard de travers pour signifier leur mécontentement.

- C’est elle qui refuse de me dire quoi que ce soit.

- Ne lui en veux pas. Après tout, pour elle aussi ça a été difficile.

Victor se tut. Paul semblait lutter contre lui-même pour ne pas exploser. Il se tenait la tête, les coudes posés sur la table. Les minutes passèrent et Victor brisa le silence devenu trop pensant.

- Ça tient toujours pour ce soir ?

- Tu ne m’as pas déjà posé la question ?

La réponse fut cinglante. Victor but une grande gorgée d’eau, et il sentit la fraicheur du liquide lui glacer l’estomac. Il savait le sujet sensible, et il se dit qu’il aurait peut-être dû attendre un autre moment pour l’évoquer. Paul releva la tête et se cala contre le dossier de sa chaise, les bras croisés. Il secoua la tête, comme s’il se parlait à lui-même, puis soupira. Il sourit, même si ça manquait clairement de naturel.

- On m’a dit un jour qu’un rendez-vous devait être honoré. Je ne sais plus si j’ai vraiment le choix maintenant.

 

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