Chapitre 1 -- Aliss

Par Capella

Aliss

——

La fille aux cheveux rêches

 

 

Avec les os de sa viande qu’elle avait assemblés comme un collier de perles épaisses, elle faisait frotter sa main pour produire les sonorités de billes roulant les unes contre les autres. Ce fut dans un premier temps le seul instrument dont elle s’octroya la présence. Du reste, ce fut sa voix, qui fit le reste.

Commençant pas des onomatopées, de simples syllabes étendues, elle finit par pincer les lèvres et là, frappa la corde qu’elle avait tendue d’un mur à l’autre jusqu’à ce qu’enfin, après moult essais, elles puissent produire un son de corde pincée. Très staccato, la note, et criant comme l’aurait fait un canard, mais un accompagnement tout de même ; et pour une belle voix, un accompagnement rauque était parfois un meilleur allié. Alors, la voix en question revint, mais avec des paroles. Elle avait pris la peine de les inventer elle-même, et si elles furent une ode à la mer – faute d’imagination –, elles furent par précaution une invitation à venir la rejoindre.

Elle espérait qu’en cet instant, le soldat, au sommet des marches qu’elle entendait résonner, avait tourné la tête vers la voix étouffée par ses murs, mais qui, ironiquement, se prit d’une douce réverbération grâce aux murs resserrés de ce couloir. Elle espérait qu’intrigué par la corde qui se contentait de ne faire qu’une seule et même note, par le collier de perles osseuses au rythme soutenu et la voix enjôleuse, il mettrait un pied devant l’autre. Un pas, qui rebondit contre les quatre murs de l’allée, puis un second.

Avec un peu de chance, cet homme oublierait ce pour quoi il était là, ce qu’il avait à surveiller, ce dont il ne devait pas s’approcher. Avec un peu de chance, il le ferait malgré tout ; muni d’une torche, se concentrant sur la voix qui n’avait pris aucun cours pour être ce qu’elle était. Faire un rythme lui avait toujours paru si simple, depuis qu’elle vivait dans sa chambre fermée, à savoir depuis un temps dont elle n’avait même plus souvenance. Chanter des inflexions mélodiques sans devoir en amont trouver d’inspiration était apparu à sa naissance. Attirer un aigle dans sa toile d’araignée ne lui parut pas bien difficile, de fait.

En disposant ses doigts d’une certaine manière sur la corde, elle fut capable d’en changer les notes. De sa voix de tête, elle atteignit des aiguës et des inflexions qui lui firent vibrer le cœur. Et devant elle, un bruit étranger approchait à un rythme régulier. La présence était derrière la porte.

Elle répéta deux fois ce petit couplet qui intimait à l’autre de passer le mur qui les séparait, et après le son d’un trousseau de clés, le battant s’ouvrit doucement.

Elle croisa le regard émerveillé de cette créature humaine. Des cris d’agonie se firent entendre.

La corde de sa guitare improvisée enroulée autour de son cou, elle serra de toutes ses forces, et lorsque sa proie n’émit plus la moindre résistance, sans avoir arrêté son chant, et n’escomptant pas le faire maintenant, elle s’échappa du couloir.

Rasant les murs de pierre de sa paume, elle sentit sa voix perdre en force à mesure qu’elle gravissait les marches, preuve s’il en était qu’elle quittait son lieu exigu pour un autre, là où la voix ne pouvait résonner dans son immensité ; là où cependant, elle pourrait s’envoler plus loin.

Là-bas, des salles des pas perdus, immenses, parsemées de tuniques ou de robes, de cheveux bruns, blonds, châtains, de regards bleus, verts, noisette, tournés dans sa direction ; immobiles. Tous regardèrent la jeune femme marcher, laquelle posa ses yeux céruléens, plissés, effilés comme des couteaux, en direction de toutes ces œillades pétries de merveille.

Si j’dis pas de bêtises… Papa est tout en haut du joli château… J’habitais ici depuis tout ce temps et je ne le savais même pas… C’est génial…

Traînant ses pieds nus sur le sol, elle gravit les étages, se perdant souvent, mais se demandant parfois si l’architecture visant à guider vers un lieu en particulier n’était-elle pas un bon indice à suivre. Toutes les décorations ou les ornements gagnaient en noblesse à mesure que le dernier étage lui approchait.

Les gens munis d’épées ne firent pas un mouvement visant à l’arrêter, ceux en robes et en tunique se contentèrent d’observer en silence, se taisant et admirant, et au bout de son couloir, elle devina une immense double porte.

C’est grand. C’est joli. C’est forcément ici qu’il est…

Elle approcha, et avec leur gentillesse, les humains en armes lui ouvrirent la porte. Se révéla à elle une immense table ovale autour de laquelle une flopée d’autres êtres humains parlaient.

« Cessez donc de raconter de telles bêtises, garçon. Mes soldats ont été directement entraînés pour éviter d’écouter le moindre chant… »

Face à elle, les deux paumes sur la table, ce visage familier, aujourd’hui tordu de colère, aux cheveux châtains et aux yeux bleus, lequel fut le premier à couper ses mots. Non, la première avait précisément été la jeune femme, qui, brusquement, avait fait taire sa voix pour considérer ce beau monde avec un grand sourire. Comme depuis le début, tous les regards ne se détachèrent plus d’elle.

« Aliss… », souffla son papa.

De beige, ses traits se firent de plus en plus blancs ; comme le linge neuf qu’on lui donnait pour se vêtir parfois. Là, il ressemblait plus à sa fille, avec son teint aussi pâle que la lune. Le sourire d’Aliss grandit davantage à cette pensée.

Sourire qu’elle conserva dans la nouvelle chambre qu’on lui offrit aussitôt. Un lit. Somptueux, elle pouvait rebondir sur le matelas. Une fenêtre. Elle donnait vue sur une ville absolument divine ! Les villes étaient des choses qui ressemblaient à un amoncellement de petites formes depuis lesquelles allaient et venaient les hommes et les femmes. Les hommes étaient des êtres humains, comme elle, avec de plus larges épaules et des poils sur le visage. Les femmes avaient des aspérités, comme elles, à la poitrine et aux hanches. Pourquoi ? Elle ne saurait le dire, mais c’était en tout cas très amusant de deviner qui était homme, qui était femme.

L’être humain qui se tenait devant elle, apportant un plateau de nourriture à sa table, en était par exemple une, de femme. Sourire aux lèvres, Aliss considéra la dame disposer les mets qu’elle n’avait jamais vus. Elle exulta à la première bouchée.

Dans la salle de bain, elle eut le droit à un bain. Un concept absolument vivifiant. Elle n’avait jamais eu autant d’eau dans sa vie, et en plongeant la tête dedans, elle vit sa domestique se prendre d’une grimace étrange.

« M’dame Ophelia, pourquoi les humains voient mieux sous l’eau ? Je ne peux pas respirer, et pourtant…

— Vous voyez… mieux ?

— Oh non. Non, non, non. C’est pas bien de faire cette tête, m’dame. C’est pas grave. J’ai toujours été amie avec l’eau. Peut-être pas vous. C’est pour ça. »

Les cheveux humides, elle regarda avec un plaisir ostensible sa domestique passer une brosse sur ses immenses cheveux châtains partant comme les épines d’un porc-épic. Les animaux, ça, elle savait ce que c’était. Elle avait eu le temps d’en lire, des encyclopédies à leur sujet.

« M’dame Ophelia, je suis contente de découvrir tout ça. Le monde extérieur est somptueux…

— J’en suis… heureuse… mademoiselle.

— Tant mieux. Oui, c’est bien. Pourquoi j’ai été enfermée dans cette prison aussi longtemps par papa ?

— Pour vous protéger », répondit-elle aussitôt, avec des tremblements dans la voix.

Aliss se demanda bien quelle était la source de cette réaction, et ce qu’elle pouvait bien signifier, mais rapidement, son cerveau lui fit mal. Réfléchir était douloureux, épuisant, et elle ne comprenait pas de quelle source de bonheur devait-on la protéger dehors. Être heureux était une mauvaise chose ?

Nan… Elle a dit qu’elle était heureuse pour moi… C’est bien, d’être heureux, donc ils veulent pas me protéger de ça…

Elle fit passer sa journée en regardant par la fenêtre. Des heures durant, sa domestique demeura derrière elle, mais Aliss ne détourna pas une seule seconde son regard de la ville. Tout l’après-midi, elle le fit promener sur les hommes et les femmes, les suivait, passait à un autre une fois le précédent disparu. Après cela, d’une voix sanglotante, sa domestique lui annonça qu’il était l’heure de manger.

« Oh. Manger. C’est bien, oui. J’espère que ce sera aussi bon que ce midi. C’était délicieux, ce midi… C’est la première fois que je mange aussi bien, m’dame Ophelia. »

Aliss trouvait que sa voix, lorsqu’elle parlait, était à des lieues de son chant. Traînante, lancinante, grinçante. De fait, Ophelia se crispait chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.

« Non, non non non, je ne vais jamais te taper, Ophelia, lui dit-elle, posant une main sur l’épaule de la domestique. Oh, vous êtes grande. Toutes les femmes que je vois sont plus petites que les hommes, sauf moi, sauf vous… C’est amusant. Nous avons quelque chose en commun. »

Elle se contenta d’un signe de tête guindé en réponse avant de la guider le long des couloirs. Sans son chant, les regards furent quelque peu différents. De la peur. Aliss eut un sourire amusé.

Les êtres humains ont peur facilement ? Je devrais essayer d’avoir peur aussi, alors…

Mais elle ne sut vraiment trop comment faire. Et toutes à ses pensées, elle remarqua avec un temps de retard qu’à côté de la chaise qui lui avait été tirée, se trouvait une flopée d’autres gens.

« Voici votre famille, déclara Ophelia. Ils partagent votre sang.

— Ma famille ! s’excita Aliss en s’asseyant, considérant tour à tour chacun des visages qui peuplaient cette table. Qu’ils sont beaux… Terriblement beaux. »

Les regards furent quelque peu fuyants. Encore la peur.

« Pourquoi tout le monde a toujours peur, papa ? Toujours. Oh… Oh… Oh. Vous vouliez me protéger, apparemment. Vous êtes craintifs, mais non, ce n’est pas bien. Le monde est rayonnant. Il n’y avait pas besoin d’être si craintif pour moi, je ne me blesserai pas ici. » Il n’y eut pas de réponse, mais Aliss eut un petit rire, émit de sa voix grinçante. « Vous en faites pas, moi non plus, je ne vais jamais être méchante avec vous. Que pourrais-je faire, en plus ? Ah, d’accord, vous avez peur, car j’ai tué quelqu’un. Les gens avec leurs épées font peur… Oh ! C’est ça, avoir peur ? J’avais pas envie qu’il me fasse du mal avec sa lame, car je sais que c’est douloureux, mais moi, je ne vous ferai rien. Et si vous avez peur des autres, je peux vous aider. Je n’ai pas d’épée. Ça doit être dur de se défendre, sans épée, alors je devrais arracher les yeux. Ça fait mal. Et Ça fait peur.

— Aliss…, prononça la voix de son père, tremblante. Pas de ce genre de sujets à table… Nous allons manger.

— Hein ? » Elle éclata de rire. « Quel rapport, papa ! Les yeux, ça ne se mange pas ! »

Les plats qui lui vinrent furent tout aussi bons. Elle exulta et poussa son content de gémissement de plaisir.

« Mademoiselle, quand vous mangez, utilisez vos couverts, fit Ophelia d’une voix douce.

— Oui. Oui, tu as raison. C’est plus joli à voir, mais pour la viande, comment faire ? Il faut tout retirer. Tout se mange. Mais je vais essayer. Je vais essayer. »

Ce qui fut pour elle une tâche difficile. Elle devait en convenir, manger hors de sa chambre de pierre était légèrement moins intuitif. Mais pour les paysages, les bains et les miroirs… les bains, vraiment ! elle ferait un effort. Oh, elle serait même incapable de trouver cela difficile, pour les bains.

« Et donc… Aliss… Ici… Tu te plais bien ? Tout est à ton goût ?

— Tout est à mon goût, oh, oui, oui. Cette nouvelle vie est magnifique.

— Je vois… Tant mieux… »

Aliss promena son regard sur les autres membres de sa famille, visages rivés vers leur assiette. Elle n’avait entendu, à tous ces gens, aucune inflexion de leur voix. Son père toussa un instant, puis se redressa.

« J’ai dû t’enfermer dans cette cage, Aliss, et je m’en excuse. Mais il fallait te protéger. Après tout…

— Me protéger, oui… Mais, c’est marrant, papa, je ne vois pas de quoi.

— Oui, eh bien, la guerre.

— La guerre ? Quand les êtres humains hommes affrontent d’autres êtres humains hommes ?

— Voilà. Notre empereur est mort il y a peu, et les gens sont pleins de colères, partout dans le monde. Nous avons reçu de notre Roi la Perse, le plus grand territoire de l’empire. Les gens le veulent.

— Le plus grand territoire. Donc l’endroit où il y a le plus de ces jolies villes, de ces jolis jardins, de ces jolis hommes et femmes. Oui, les êtres humains veulent notre territoire car ils veulent être heureux aussi. C’est bien, d’être heureux. Papa, trouves-tu que j’apprenne vite ?

— Très », souffla-t-il.

Le sourire d’Aliss fut d’autant plus grand qu’elle ne trouvait aucune peur derrière les mots de son père. Il était à l’aise avec elle, enfin ? Elle pourrait se mettre à chanter.

« Comment on a eu ce territoire, au juste ? On était les plus gentils, donc on a eu le plus grand en récompense, c’est ça ?

— Non… Nous étions les survivants. Nous n’en avions qu’une partie, à l’origine. Il a suffi de deux années pour que la moitié des compagnons d’Alexandre ne meurent. Alors nous avons eu le reste.

— Oh. Je ne saisis pas tout.

— Naturellement, c’est une question difficile que la politique, ma fille. »

Elle remarqua que les visages familiaux s’étaient tournés vers eux. Eux aussi, désormais, osaient rappeler l’existence d’Aliss à leurs yeux ? Son papa était en train de mettre tout le monde à l’aise, pas seulement lui. Il était décidément quelqu’un de très fort, qui méritait sans aucun doute le gros pays qu’il avait gagné.

La Perse. C’était joli, comme nom. Pour savoir que ce lieu avait pour nom Persepolis, elle se disait au versant que ce n’était peut-être pas assez recherché…

« Eh bien, papa, c’est vrai. La guerre a l’air d’être quelque chose de vraiment compliqué… Mais en même temps, c’est sans doute aussi très amusant, j’en suis sûr. »

Cette fois, tous les regards se baissèrent derechef, évitant celui de la jeune femme. Elle eut une moue chagrine, déçue d’avoir tout gâché…

Comme personne ne daigna l’inviter à parler après le dîner, que cela fût pour un thé ou une promenade vespérale, elle s’en alla trouver une occupation d’elle-même. Le son des armes l’attira aussi bien que son chant sur les hommes.

Sur un terrain de terre battue en retrait des jardins, mais toujours dans l’enceinte de la noble demeure du Satrape de Perse, des hommes agitaient leur épée, le fer croisant le fer.

Debout, bras croisé, un autre, vêtu d’une imposante cuirasse, dépassant Aliss d’une tête malgré sa belle taille, se tint là, aussi ferme que l’aurait fait une montagne. Ce fut vers celui qui ne lui semblait pas occuper à gesticuler que la jeune femme approcha.

« Mademoiselle Aliss…, s’étonna le cavalier en décroisant ses bras de fer.

— Je suis contente d’être déjà connue. J’ai l’impression que tout le monde parle de moi. Mais, c’est bien normal, je sais, je sais. J’étais caché dans les sous-sols et surprise… je suis là», fit-elle d’un petit rire.

Le soldat acquiesça, gardant son visage protégé d’un casque rivé sur la jeune femme.

« Que font ces gens », demanda Aliss.

De fait, il se détourna enfin d’elle pour roffrir son attention aux hommes qui bataillaient entre eux. Plusieurs duos s’étaient formés, et chacun affrontait son partenaire, essoufflés, dégoulinant de sueur.

« Ils se battent. Non, ils s’entraînent pour le moment où ils devront se battre, plutôt.

— Quel est le principe ? Ils usent de leur épée pour couper l’autre ?

— C’est cela.

— Je vois. Voilà qui est facile à comprendre, pour une fois. »

Elle s’attarda sur l’un des duos, les deux épéistes prenant leur distance, l’un des deux courbés de moitié, las. Il prit une profonde inspiration, se redressa et se remit en position, passant le pouce sur une estafilade sur la joue.

« Cette marque rouge qu’il a sur le visage… Du sang ?

— Eh bien… Oui.

— Comment cela fonctionne-t-il ? Je trouve ça d’une très jolie couleur.

— Heum… » Le soldat en fut quitte pour recroiser les bras, inclinant légèrement la tête sur le côté, ce qui, avec sa carrure, fut passablement comique à regarder. « Dans votre corps, il y a beaucoup de ce liquide rouge qui coule comme une rivière. Mais… il est dans votre corps. Lorsqu’une épée le coupe…

— Alors le liquide se déverse tout partout, inféra Aliss.

— Précisément.

— Eh bien… Une bruine aux couleurs du rubis… C’est somptueux. Pourquoi les gens ne font pas cela plus souvent ?

— Car cela revient à tuer. »

Tuer. Quel mot étrange, qui, comme beaucoup de choses ici, lui était complètement… étranger ? Inconnu ? Hors de son monde, en tout cas. Elle avait tué, ce matin même, mais au demeurant, ça ne l’avançait pas plus que cela.

Elle joignit les mains devant son ventre, conservant un rictus formidable. Elle fit passer sa langue sur le pointu de ses canines, et sentit alors une vive douleur. Elle avait toujours trouvé ces quatre dents trop pointues pour sa bouche, aussi eut-elle un petit rire jaune en se blessant elle-même.

« Qu’est-ce que tuer ?

— Un sommeil… éternel. Pour le corps, du moins. L’âme, elle, part aux Enfers. La plupart des âmes vont dans les prés de l’Asphodèle.

— Cela est peut-être un plus joli endroit à voir, non ? Sans doute plus que le monde d’ici.

— Cela, nul ne le sait. Et au pire, je le saurai dans peut-être quarante années. Peut-être moins encore, étant soldat. Nous ne perdons rien à attendre un peu.

— Oh, je crois que j’ai compris ! dit-elle d’une voix excitée dans laquelle se mêla un rire. L’Asphodèle est visible toute notre éternité. Mais ce monde-ci, il faut en profiter. Tuer, c’est empêcher à la victime de se délecter de chaque parcelle de la terre qu’il ne reverra plus une fois aux Enfers !

— Eh bien… Oui, dans l’idée, c’est cela.

— Oui, oui. Je comprends vite, apparemment. »

Ce fut au tour d’Aliss, instinctivement, d’imiter le soldat en faisant glisser les bras sous sa poitrine. Quand son interlocuteur lui offrit un regard, il eut une exclamation moqueuse.

« Vous êtes bien en chaire, pour quelqu’un qui a passé sa vie dans une prison.

— Je mangeais beaucoup, oui, oui. Papa m’y forçait. Et quand j’étais malade, il y a dix personnes qui venaient s’assurer de m’aider. C’est sûr, il voulait vraiment me protéger. »

Le soldat ne lui fit même pas l’honneur d’un soupir en réponse. Un simple silence, à croire même que sa respiration s’était coupé pour ne pas trahir la moindre de ses émotions. Il se détourna d’elle, lentement, et Aliss eut un petit rire.

« En tout cas, la guerre, le meurtre… Ça ne me plait pas du tout. Empêcher les gens de profiter de ce monde, c’est bien triste.

— Oui, vous êtes une femme, c’est normal.

— Normal ? Seuls les êtres humains femmes aiment le monde ?

— Non… Pas forcément. Mais la guerre coule dans le sang des hommes, voilà tout. Vous, les femmes, êtes faits pour être douces et panser les douleurs des hommes qui reviennent de la bataille. Votre sensibilité vous fait détester le sang et la violence, car cela apaise le cœur meurtri de ceux qui vivent à ses côtés. »

Aliss sentit ses yeux se mettre à piquer quand des étoiles vinrent les décorer. Elle serra le poing, le dos bien droit.

« Ça a l’air génial. Oui, j’espère que je serai la femme préférée de tous les gens de ce monde.

— Mais oui, je suis sûr que vous serez populaire auprès des hommes. »

S’imaginant être celle qui apaiserait le cœur des hommes de la plus belle des manières, elle découvrit peu à peu que son sourire disparaissait à la faveur d’une pensée insidieuse.

Je dois être une femme modèle pour que les gens m’aiment… Donc, il va sérieusement falloir que j’arrête de trouver que le sang est quelque chose de joli, je suppose.

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