Chapitre 1 : Arya - Nouvelle vie

Arya se tortillait les mains dans le dos. Elle regardait le bout de ses sabots de bois qu’elle avait un peu honte de porter dans un tel endroit. Le vent fouettait son visage. Elle osa lever un peu les yeux. Des gens allaient et venaient sur l’immense plate-forme. Certains portaient une tunique violette mais la plupart portaient du mauve. Le violet, la couleur des médecins, logique à la clinique. Le mauve, Arya ignorait totalement à quoi il correspondait.

Elle releva vraiment la tête pour scruter l’endroit si différent de ses habitudes. Elle tenta parmi les personnes présentes de déterminer ceux qui portaient des ailes. Peine perdue. Toutes les excroissances étaient cachées sous des tuniques.

- Arya ! Cesse de t’agiter ! gronda son père.

La gamine baissa le regard et se figea en pinçant les lèvres. Elle ne voulait pas déshonorer sa famille. Elle se força à l’immobilisme mais sa curiosité fut la plus forte et rapidement, elle releva les yeux. Quelques ailés se posaient et les couleurs valsaient : rouge, jaune, bleu, vert, mauve, orange. Arya n’avait jamais vu un tel arc-en-ciel. La plupart des arrivants repartaient vite : les malades avaient pu rencontrer un médecin et obtenir des médicaments ou des conseils. Arya tenta de compter les allers et venues mais dû s’arrêter : ça allait trop vite et la gamine ne maîtrisait pas encore bien les nombres.

- On y va, annonça Aaron, son père.

Arya suivit l’homme qui avançait d’un pas sec. Every, sa mère, la poussa tendrement d’une main dans son dos. Les trois arrivants se retrouvèrent dans une pièce close. Arya ne s’y sentit cependant pas confinée. Les dimensions de la pièce lui permettaient de respirer librement. Ses parents auraient pu sans difficulté y déployer leurs ailes et peut-être même voler un peu vu la hauteur du plafond. S’y risquer aurait cependant risqué de faire s’envoler les nombreux parchemins disposés sur un grand bureau en bois verni. De plus, les livres dans la bibliothèque du mur devant Arya semblaient précieux et il aurait été stupide de les abîmer d’un coup d’aile.

Sur un haut tabouret derrière le bureau se trouvait juché un homme à l’air grave. Ses cheveux noirs encadraient un visage glabre, au nez fin et aux yeux d’ébène. Il leva la tête et son regard les caressa.

- Vous vous êtes trompés de porte. Je ne réalise pas de visite médicale, indiqua l’homme en tunique violette.

Sa voix claquante donna la chair de poule à Arya.

- Le démographe venu examiner notre fille Arya nous a demandé de venir vous voir. Vous êtes bien le docteur Daryl ?

- En effet, répondit la tunique violette en fronçant les sourcils.

- Le démographe a indiqué ne pas être sûr et préférer nous envoyer vers vous.

Il soupira en secouant la tête.

- Ils manquent tellement de candidats qu’ils acceptent n’importe qui chez les démographes, grommela le docteur Daryl en levant les yeux au ciel.

Il sauta souplement à terre et s’avança vers Arya. Son père s’écarta et la gamine trembla devant l’homme imposant.

- Déploie tes ailes, ordonna-t-il.

Arya le regardait et se trouva incapable de bouger. Cet homme la terrifiait. Elle se retint de justesse de ne pas s’uriner dessus.

- Arya, ma chérie ! Montre tes ailes au monsieur, insista doucement sa mère.

La gamine parvint à réaliser le geste demandé. Par miracle, elle ne s’empêtra pas dans sa tunique. Le docteur observa ses ailes puis les manipula. Arya en eut la nausée : il lui semblait être un animal de foire qu’on examine pour s’assurer de sa bonne santé. On traitait les animaux et les humains ainsi, pas les ailés ! Une bouffée de haine la saisit, vite refoulée par la crainte que la tunique violette lui inspirait.

Il l’observa ainsi longuement, dépliant même un peu ses ailes jaunes pour comparer les couleurs.

- C’est votre fille ? demanda-t-il enfin à ses parents.

- C’est ma fille, répondit Every.

- Mais pas celle de monsieur, comprit le docteur.

- Un prêtre m’a honorée, indiqua sa mère, la voix tressaillant de joie. Arya est notre miracle ! Nous avons tant essayé, avec Aaron. Il a suffi que ce prêtre m’honore pour qu’Arya naisse. Elle a été notre seule réussite. Pourtant, nous essayons mais…

- La couleur ne suffit pas pour juger, la coupa la tunique violette. L’envergure des ailes compte également.

- Arya vient à peine d’obtenir sa teinte finale, intervint son père. Ses ailes sont loin d’avoir atteint leur taille maximale.

- C’est pourquoi elle restera ici, avec moi, afin que je puisse suivre son développement, indiqua le docteur Daryl. Vous pouvez rentrer chez vous.

À ces mots, le docteur retourna à son tabouret sans plus accorder d’importance à ses visiteurs. Les trois ailés restèrent un instant bouche bée avant de sortir de la grande pièce.

- On ne va pas lui laisser Arya ! s’insurgea Aaron.

Arya ne parvenait pas à parler. Que se passait-il ? Des larmes lui montaient aux yeux. Son ventre se serrait. Son estomac prévenait d’une nausée. Ses lèvres tremblaient convulsivement.

- Quelle chance merveilleuse ! répliqua sa mère. Une fille de gestionnaire à la clinique ! Elle pourra enfin manger à volonté. C’est une opportunité à ne pas rater !

- Tu délires ! s’exclama Aaron. C’est notre seule enfant.

- Et je veux le mieux pour elle. C’est un miracle !

- Cesse avec tes allusions divines stupides ! Arya n’est pas…

- Ousouk est intervenu, la coupa Every. Que tu le veuilles ou non, Arya est un enfant miracle. Sa place est ici, auprès des siens.

- Arya ne sera jamais une pure ! cracha son père. Elle est ta fille, celle d’une impure ! Tu ne peux pas croire un seul instant qu’ils l’accepteront !

- C’est sa destinée. Elle existe pour cette raison.

Arya était habituée à la ferveur religieuse de sa mère mais cette fois, cela dépassait l’entendement.

- Arya ! Viens là ! ordonna le docteur Daryl depuis l’intérieur de la pièce.

- Ce pur vient de réclamer notre fille, indiqua Every.

- Et tu te soumets ? s’exclama Aaron, les yeux écarquillés.

- Arya est ma fille, pas la tienne, rappela Every avant de s’accroupir devant sa fille. Tu vas obéir au docteur Daryl. Il va prendre soin de toi à partir de maintenant. Je t’aime, ma fille. Tu auras une bien meilleure vie ici qu’avec nous.

Elle l’embrassa sur le front puis lui tourna le dos. Elle déploya ses ailes orange et sauta depuis le rebord de la plate-forme. Aaron resta figé. Arya fit un câlin à la jambe de celui qu’elle considérait comme son père, même si apparemment, il ne l’était pas, puis retourna près du médecin.

- Écoute et tais-toi, ordonna le docteur. Tu peux rester debout ou t’asseoir, à ta convenance.

Arya resta debout, droite comme un i, clignant des yeux, son esprit ne réalisant pas.

- L'opération a été réalisée pour traiter une hernie inguinale chez le patient. J’ai pratiqué une incision pour exposer la zone concernée. J’ai obtenu l’accès en exposant les tissus sous-cutanés et en identifiant la poche herniaire proéminente. J’ai réinsérée la poche herniaire dans la cavité abdominale. J’ai renforcé la paroi abdominale à l'aide de sutures.

Il écrivait tout en parlant. Arya ne comprenait pas un mot. Elle ouvrit de grands yeux ronds. Il continua à écrire son rapport tout en lisant à voix haute ce qu’il écrivait. Arya, trop abasourdie pour réagir, l’écouta parler sans rien dire. Il poursuivit sans s’intéresser à l’enfant silencieuse et sage.

Finalement, il s’étira, bailla puis se leva. Arrivé à la porte, il fit un signe discret de la tête à Arya pour qu’elle le suive. Il se dirigea vers le bord de la plate-forme et déplia ses ailes. Arya en resta bouche bée. Jamais elle n’avait vu des ailes aussi grandes. Elle se perdit dans ce jaune uni d’une perfection absolue.

- Tu viens ? lança-t-il en désignant le vide de la main.

Arya se recula en gémissant.

- Je… je ne sais pas… voler, précisa-t-elle.

Il plissa les paupières.

- Tu es venue comment ?

- Mon père me portait, précisa Arya.

Au souvenir de ce vol, elle eut la chair de poule. Elle avait confiance en son père mais être ainsi suspendue et dépendante d’un autre lui avait noué l’estomac.

- Je viens à peine de perdre ma dernière touche de blanc, se justifia-t-elle.

Les larmes lui montèrent. Son père aurait dû lui apprendre à voler. Sa gorge se serra. Aaron n’était même pas son père. Un prêtre avait honoré sa mère, permettant la naissance de la gamine. Every l’avait abandonnée à ce médecin, refusant à Aaron son droit de décision sur cette enfant qui n’était pas la sienne. Le visage d’Arya se couvrit d’un liquide salé.

Le front du docteur Daryl se plissa et l’ailé s’accroupit devant l’enfant. Il posa une main sur son épaule puis annonça :

- Je t’apprendrai à voler. Pas tout de suite. Je vais manger et je reviens. Va dans mon bureau et restes-y en attendant mon retour. Ne touche à rien !

Arya hocha la tête avant de s’éloigner la mine basse. Un regard en arrière lui permit de voir l’aile jaune s’élancer dans le vide. C’était si beau ! Arya se blottit dans un coin du bureau, les bras entourant ses genoux. Elle sanglota longuement, essuyant son nez sur la manche de sa tunique bientôt trempée.

Le bruit de la porte coulissante lui fit lever ses yeux rouges. Le docteur Daryl lui accorda un regard neutre avant de lui tendre un sachet. Arya se leva et l’attrapa.

- Pour toi. Interdiction de manger dans le bureau. Le jardin t’offrira des bancs. Prends le temps de te restaurer et reviens quand tu auras fini. Des fontaines te permettront de boire.

Arya hocha la tête puis sortit. Elle aurait voulu le remercier mais sa voix refusait de s’activer. Elle marcha sur un chemin de gravier entre des arbustes et arriva à une jolie clairière fleurie. Trois bancs vides s’offraient aux visiteurs. Arya en choisit un au hasard et ouvrit le sachet.

Elle découvrit des bouchées dont elle ignorait totalement le nom, n’ayant jamais rien vu de tel. À la ferme, ils mangeaient tous les jours un gruau d’avoine trempé dans une soupe de légumes. Les jours de chance, une cuillère de confiture offrait une jolie note sucrée finale.

Arya croqua dans le « truc » et se figea. C’était délicieux ! Jamais elle n’avait mangé quoi que ce soit d’aussi bon. Elle observa la bouchée. C’était fourré d’un mélange roux. Arya aurait été incapable de déterminer ce qu’elle mangeait mais c’était incomparable. Elle mangea, n’en revenant pas.

Elle se souvint des propos de sa mère : «  Elle pourra enfin manger à volonté ». Non seulement l’estomac d’Arya fut rempli mais en plus, ses papilles sautillèrent de joie. La gamine n’en revint pas. Elle en eut les larmes aux yeux, de joie cette fois. Elle leva les yeux. Derrière la végétation, elle ne voyait pas le bureau du docteur Daryl. Elle fut prise d’une bouffée de reconnaissance envers le docteur. Arya observa le sachet désormais vide. Cela avait-il coûté au médecin ? Probablement pas. Il devait en avoir à disposition à volonté. Arya soupira puis se leva, à la recherche d’une fontaine. Elle ignorait ce dont il s’agissait. À la ferme, ils buvaient l’eau d’un puits. À quoi pouvait donc ressembler une fontaine ?

Le soleil avait un peu bougé dans le ciel qu’elle n’avait toujours pas trouvé et elle commençait à avoir vraiment soif.

- Salut ! T’es nouvelle ? T’es drôlement jeune ! Pourquoi tu portes pas du mauve ?

Arya se tourna vers la bavarde. La jeune femme brillait dans sa tunique mauve. La gamine observa ses propres vêtements : une tunique verte. La couleur des gestionnaires. Vert clair parce qu’elle n’était qu’une enfant mais en grandissant, la couleur herbe s’approfondirait. La bouche d’Arya se tordit. Elle ne porterait jamais la tunique vert foncé. Elle ne serait jamais gestionnaire. Elle ne portait pas non plus une tunique mauve. Deviendrait-elle médecin ? L’incertitude de son avenir lui tordit les tripes.

- Ça va ? s’inquiéta la tunique mauve. T’as pas l’air bien ! T’es malade ? Je suis bête ! Tu es venue chercher des soins. Excuse-moi ! Je t’ai prise pour une apprentie. J’aurais dû comprendre ! Tu es bien trop jeune pour être apprentie et puis tes vêtements… Enfin, bref. Je t’amène vers un médecin ?

- J’ai soif, bafouilla Arya.

La tunique mauve resta un instant interdite. Les yeux grand ouverts et la bouche bée, elle cligna plusieurs fois des paupières avant de bouger sa main et de murmurer :

- Il y a une fontaine juste là.

Arya tourna la tête dans la direction désignée et ne vit pas d’eau, nulle part. Aucune vasque ne permettrait d’en contenir. Pas d’amphore, de tonneau ou d’outre. Arya fondit en larmes devant la tunique mauve ahurie.

- Arya ? lança la voix grave du docteur Daryl.

La gamine se tourna vers la tunique violette. Il proposait des lèvres pincées et un regard dur.

- Tu ne revenais pas alors je m’inquiétais, précisa le médecin. Djeïlin ? Encore à te promener ?

- J’étais en route vers mon entraînement lorsque j’ai croisé cette patiente. J’ai cherché à lui venir en aide en…

- Arya n’est pas une patiente. C’est mon assistante, indiqua le docteur Daryl.

- Assistante, répéta Djeïlin en fronçant le front.

Elle déshabilla Arya des yeux en faisant la moue. Il était clair que la tunique mauve ne comprenait pas.

- Va t’entraîner, Djeïlin, ou Samuel aura vent de ton excursion.

- J’y cours, docteur, s’écria Djeïlin avant de bondir dans la direction d’où elle venait.

Le docteur Daryl se tourna vers Arya. La gamine aurait voulu disparaître. Cet homme lui faisait tellement peur ! Allait-il la punir ? Elle regarda autour d’elle, désespérée. Elle ne pouvait pas le fuir. Ne sachant pas voler, elle ne pouvait espérer rejoindre ses parents. Et puis à quoi bon ? Sa mère la ramènerait direct ici. Arya fondit en larmes de plus belle.

Daryl s’approcha de l’enfant, s’accroupit et la prit dans ses bras. Il la câlina tendrement avant de lui demander d’une voix tendre :

- Qu’est-ce qui t’a retardée ?

- J’ai soif, indiqua Arya.

- Va boire ! proposa-t-il tendrement en s’éloignant d’un pas.

De sa main, il désignait la même direction que Djeïlin un peu plus tôt. Arya observa le jardin et baissa les yeux. Elle se contenta de rester plantée là, muette, silencieuse. Elle ne pleurait plus. Son mal-être était au-delà de ça.

Le docteur Daryl ne s’énerva pas. Arya aurait cru qu’il lui crierait dessus voire même qu’il la frapperait. Il semblait si fort ! Elle n’en revint pas lorsqu’il annonça :

- Pardonne-moi, Arya. Je n’y ai pas songé. Les fontaines n’existent pas dans la plaine. Tu ignores ce dont il s’agit ou comment ça fonctionne. Viens, je vais te montrer.

La gamine leva les yeux vers le médecin. Son visage dur s’était adouci. Il s’avança et Arya le suivit volontiers. Une statue moche reposait entre deux bancs. Arya avait vu plusieurs de ces monuments sans y apporter trop d’attention. Elle s’était juste dit que les ailes jaunes avaient des goûts de merde en terme d’art. Il souleva une protubérance en métal et une eau claire et limpide s’écoula. Arya se pencha sur le filet d’eau, les yeux écarquillés.

- Ça fonctionne grâce à la gravité, annonça le docteur Daryl. L’eau provient de la plate-forme au-dessus de nous. Chaque plate-forme possède un réservoir de stockage. L’eau de la rivière est prélevée et nettoyée avant d’être amenée dans le réservoir. Des tuyaux en cuivre se dirigent vers le niveau inférieur, permettant l’arrivée de l’eau. Une quinzaine de plate-formes fournissent la clinique car nos besoins sont énormes. Certaines chauffent l’eau, permettant à nos patients de bénéficier de bains chauds.

Arya en resta bouche bée. Elle qui n’avait jamais connu que le puits n’en revenait pas.

- Bois, proposa le médecin avec douceur.

Arya se pencha et but dans ses mains en coupe. L’eau était délicieuse.

- L’eau en provenance de la rivière est d’abord tamisée, expliqua le docteur Daryl. Puis, elle repose dans un second bassin afin que les sédiments soient séparés. Enfin, l’eau est filtrée à travers du sable, du charbon actif et du gravier. Ce que tu consommes est le résultat d’un long processus.

Arya, rassasiée, poussa la poignée vers le bas. L’eau cessa de couler. Elle regarda le trou en retournant la tête.

- L’imperméabilité est assurée à l’aide d’un joint en caoutchouc, expliqua le docteur Daryl. C’est ce qui permet qu’aucune goutte ne passe.

- Je ne comprends pas tous les mots que vous prononcez, prévint Arya.

- Ce n’est pas grave. Ça viendra, assura le médecin.

- Merci, dit Arya et elle trouvait que ce mot ne suffisait pas à exprimer toute sa reconnaissance.

- De rien, répondit le docteur Daryl. Suis-moi maintenant. Tu restes à côté de moi. Tu écoutes et tu te tais. Tu ne touches à rien. Ton but : être la plus invisible possible. Tu as compris ?

- Oui, monsieur.

- Pas monsieur. Docteur.

- Bien, docteur, répondit Arya.

Le médecin hocha la tête en souriant. Arya en sautilla de joie. Finalement, satisfaire son mentor ne serait pas si difficile. L’avenir ne lui sembla plus si sombre. Elle sourit et suivit Daryl qui se dirigeait vers le bâtiment principal.

Nul ne lui accorda d’intérêt. La petite, elle, regardait partout. Jamais elle n’avait vu un bâtiment de cette taille. Chez elle, les plaines régnaient en maître. Les champs s’étendaient à perte de vue. En montant sur une petite motte, on pouvait voir l’horizon.

Le seul bâtiment était la ferme, grand domaine proposant le quartier des travailleurs où une centaine d’hommes dormaient, mangeaient, se reposaient, vivaient. Un peu plus loin se dressait la maison des ailés où Arya demeurait avec sa famille, composée uniquement de son père et de sa mère. La maison ne contenait que deux pièces : la principale, où on mangeait et dormait, et le nid, où seule sa mère avait le droit d’entrer. Elle y allait souvent pour pondre. Aucun frère ou sœur n’en était jamais sorti. Sa mère pleurait beaucoup à cause de ça.

Les entrepôts de stockage se dressaient, avec une haute pointe. Son père lui avait promis de l’emmener là-haut et de lui apprendre à voler depuis son sommet. Arya ne put empêcher sa main de trembler.

Un puits séparait les deux édifices.

Le quartier des travailleurs s’étirait sur dix fois au moins la longueur de la maison des ailés. Pourtant, aucun travailleur, malgré leur nombre et leur force, ne s’attaquait jamais aux ailés ni ne tentait de se rebeller. Ses parents avaient prévenu Arya : les humains restaient dangereux. Dressés, ils l’étaient, mais mieux valait être méfiant. Tant qu’elle ne saurait pas voler, elle n’avait pas l’autorisation de les approcher.

Arya les regardait donc partir aux champs à l’aube, percevait parfois leur mélodie et les voyait rentrer au crépuscule. Elle avait osé, une fois ou deux, désobéir à ses parents et aller fureter au milieu du coton. Elle avait pu entendre un chant en entier, du début à la fin. Elle en avait sautillé de joie.

À une journée de marche – ou un saut de puce en volant – se trouvait le village avec le marché, la taverne et la grand place centrale. Les travailleurs n’avaient pas l’autorisation de quitter la ferme. Arya et ses parents auraient pu y aller, pour danser ou discuter, mais Aaron et Every ne s’y rendaient jamais. Every passait tout son temps libre dans son nid, à veiller ses œufs. Aaron éduquait Arya, lui apprenant tout ce qu’il savait et elle le suivait volontiers partout, enfant curieuse et vive.

- Arya ?

L’enfant sortit de ses pensées sombres pour se rendre compte qu’elle s’était arrêtée. Le docteur Daryl la brûlait du regard. Elle le rejoignit en trottinant, la mine basse. Elle retenait difficilement ses larmes.

- C’est qui ? demanda un médecin, reconnaissable à sa tunique violette.

Arya n’en voyait que les pieds, sanglés dans de jolies sandales. Propres et bien proportionnés, Arya les trouva très beaux.

- Mon assistante, répondit le docteur Daryl.

- Ton assistante ? répéta l’autre. Déjà, une telle chose n’existe pas. Ensuite, elle porte la tunique verte des futurs gestionnaires. Elle n’a rien à faire dans une salle d’opération.

- Je veux qu’elle m’assiste, insista le docteur Daryl.

- C’est ton apprentie ?

- Non. C’est mon assistante.

- Une telle chose n’existe pas, répéta l’autre. Fais-en ton apprentie sans quoi elle n’entre pas dans une salle d’opération.

- Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire ! gronda le docteur Daryl.

Arya aurait voulu s’enfoncer dans le sol. Ces deux purs se disputaient à cause d’elle. La digue rompit et le visage de la gamine se couvrit de larmes.

- C’est mon opération. Elle n’entre pas.

L’autre disparut derrière une porte. Le docteur Daryl resta dans le couloir et soupira.

- Reste dans le couloir. Ne parle à personne. Ne bouge pas. Je dois assister Samuel sur cette opération. Je m’occuperai de toi ensuite.

Il disparut derrière la porte sans laisser le temps à Arya de répondre. La petite s’assit à même le sol, le dos contre le mur, les larmes coulant toujours abondamment.

- Ça ne va pas ? demanda Djeïlin en s’accroupissant près d’elle.

- Djeïlin ! Préparation ! Maintenant ! cria une voix masculine de l’autre côté de la porte.

La tunique mauve se releva avec une moue d’excuse. Elle haussa les épaules puis disparut à son tour de l’autre côté de la porte. Arya resta seule. Quelques personnes passèrent, assez peu. Surtout des tuniques mauves et trois violettes, dont deux femmes. Des gens souffrant les accompagnaient parfois, marchant pour les plus en formes, portés sur des brancards pour les autres.

Arya ne put s’empêcher de se demander ce que faisait son père. Surveillait-il les champs ? Était-ce le jour du partage ? L’huissier et ses transporteurs venus de la ville étaient-ils à la ferme, prenant le résultat du labeur des travailleurs et des gestionnaires, leur donnant en échange de l’avoine pour se nourrir, eux et leurs travailleurs ? Ce jour-là, Aaron ne souriait pas. Il parlait froidement à Arya qui avait appris à ne pas l’approcher à ce moment-là. Il tenait des propos très froids mais emplis de respect envers les purs et leurs lois permettant à tous de survivre au sein de cette communauté de partage.

Arya n’était plus très sûre que le partage en question fut très équitable. Son unique repas ici, chez les purs, venait de lui faire changer de perspective. Elle avait toujours supposé que chacun recevait la même quantité de nourritures et que les purs ne produisant pas – ils soignaient, protégeaient, priaient les dieux, il fallait bien que ceux qui travaillent leur donnent un peu de leur production. Les purs semblaient bien mieux lotis que les impurs de la plaine. Arya sentit un froid intense parcourir ses os.

Elle n’avait qu’une envie : partir. Une fois encore, la réalité la rattrapa : elle n’avait nulle part où aller. Elle enfonça sa tête entre ses genoux, mit ses mains sur ses oreilles et s’enfuit mentalement, loin d’ici, loin d’un monde auquel il lui semblait ne pas appartenir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
blairelle
Posté le 21/09/2023
Le début est horrible (pas dans le sens "mal écrit" hein !), je pense que je vais lire cette histoire très lentement par prudence.
Je n'ai pas compris pourquoi les parents d'Arya l'emmenaient chez le médecin ? Ni ce que c'est qu'un démographe et où est son problème et en quoi la couleur de ses ailes est importante ? Je suppose qu'on y reviendra :-)

Je ne réalise pas de visite médical => médicale
Nathalie
Posté le 21/09/2023
Tu m'as bien cernée. Oui, on y reviendra.

Merci pour la coquille.
Lilisa
Posté le 17/09/2023
Bonjour Nathalie,
Très intéressant le début de cette histoire !
Pauvre petite Arya qui est abandonnée par ses parents !
Si j'ai bien compris, les purs sont l'équivalent de l'aristocratie et ne peuvent pas se mélanger aux impurs (à peu près les paysans), mais ils les soignent ? Et il y a ces fameux travailleurs, des humains retenus en esclavage, non ? M'est avis qu'on va en entendre parler.
Je parie sur un soulèvement ou sur une fuite pour aller vivre librement autre part.

Pour Arya, aucun rapport avec le personnage du trône de fer ? En voyant son prsénom et celui de son père, je me suis dit que les prénoms commençant par la lettre A étaient de telle caste, ceux de la lettre B de telle caste, mais en fait pas du tout. Sinon, je n'ai compris quel était le rôle d'un gestionnaire, et ce qu'il
faisait dans la communauté.

Je trouve cette idée de couleur et de taille de d'ailes déterminant qui tu es très intéressante. Par contre, je pense que le fait que la signification la couleur des vêtements et des ailes soit important fait un peu beaucoup non ? Je trouverai plus simple que ce soit quelque chose du genre ailes mauve = infirmier et ailes violette = docteur ou idem avec les tuniques.

Mais à part ce petit détail, je trouve que ce premier chapitre est très bien écrit et je me demandais si tu l'avais proposé à une maison d'édition. Je n'ai certes lu que le premier chapitre, mais je le trouve très prometteur et je cours lire la suite !
Nathalie
Posté le 17/09/2023
Bonjour Lilisa

Arya ne vient pas du throne de fer. Une amie d'une connaissance s'appelle ainsi et je puise souvent mon inspiration autour de moi.

Tu vas comprendre de mieux en mieux au fur et à mesure de l'histoire, ne t'inquiète. Je ne peux pas faire "couleur"="utilité" car tu vas voir que la couleur détermine davantage un ensemble d'activités qu'une seule précise.

Je n'utilise pas le terme "esclave" car il signifie "qui travaille sans être payé". Or l'argent n'existe pas dans cet univers. Personne n'est payé pour ce qu'il fait. Du coup, j'ai choisi le terme "travailleur" et "travailleuse" (même si en fait, tout le monde travaille pour le bien de la communauté) pour les humains qui ne choisissent pas leur travail, leur lieu de vie, ni avec qui ils vivent ou se reproduisent. Je pense que tu peux sans souci traduire par "esclave" dans ta tête ;)

Je l'ai écrit pendant les vacances d'été (de 2023). C'est encore tout frais et donc pas encore envoyé en maison d'édition mais c'est gentil de trouver que ça mérite. Je pense qu'il manque encore quelques approfondissements mais je suis heureuse de voir que ça plaît.

Encore merci pour ton super commentaire !

Bonne lecture !
Vous lisez