Chapitre 1 - Des begonias sur la fenetre, de l'ail au dessus de la porte

Notes de l’auteur : Bienvenue sur cette nouvelle histoire !

Les contes de la lune décrochée ce sont de toutes petites nouvelles qui s'entre-imbriquent (1500 mots - environs 10 minutes de lecture).

Il y aura plein de personnages lgbtqia+, des histoires d'amour et d'amitié, des conflits et des complots surnaturels. Tout un programme !

Je vais essayer de publier un chapitre par semaine pour que vous ayez rapidement la suite !

Pour aujourd'hui, je vous invite à la rencontre des habitantes de l'appartement 2 de la rue de Circé, Doria et Michèle. Je vous mets une rapide présentation juste là :

-> Doria Luna Pérez Ortega, secrétaire syndicaliste retraitée, plasticienne, franco-espagnole lesbienne cis

-> Michèle Page, Boxeuse retraitée, aime jardiner et cuisiner, afropéenne lesbienne cis

Je les aime beaucoup. J'espère que vous apprécierez les rencontrer vous-aussi. Au programme : une petite dispute et une grande nouvelle.



Bonne lecture !

13 rue de Circé - Appartement 2, Doria et Michèle

 

La porte claqua contre son chambranle. C'était Doria qui rentrait avec son cabas, une demi-baguette sous le bras et les ingrédients pour le repas de midi. Michèle était installée à la fenêtre pour inspecter ses bégonias. Son préféré, c'était le semperflorens. Il faisait de toutes petites fleurs pâles qu'elle cueillait pour décorer ses oreilles. Ça rendait beau sur sa peau, lui disait souvent Doria. Michèle toucha la terre au pied de son tubéreux orange. Il lui causait du souci celui-là, tantôt pourrissant, tantôt séchant. L'hiver semblait l'avoir encore affaibli. 

Michèle écoutait, dans l'entrée, son amoureuse déposer ses clefs dans la grande assiette, enlever son masque rose aux motifs géométriques, pester contre son dos douloureux en retirant ses mocassins à petits talons, puis s'écrier :

- Ah non Michèle ! Tu as encore recommencé !

- Quoi ? Attends poussin, je t'entends pas. Je suis dans la cuisine, j'arrive. 

Michele savait bien ce qui faisait crier Doria et avait pris une voix fluette qui trahissait son complexe et embarassant sentiment de culpabilité. Elle ne bougea pas. Michele savait, mais c'était pas ça qui allait l'en dissuader. Elle dormait mal sinon. Elle souffrait de sueurs froides et n'arrivait plus à se concentrer sur rien. Il fallait...

 

- On s'était mises d'accord. Plus d'ail au-dessus de la porte. Coño, ça pue trop. Ils vont dire quoi nos voisins, tu sais ? 

- Mais chérie, ça pue pas, c'est séché. 

Doria fit la moue.

- T'as raison ça pue pas. C'est pas ça le problème, amour. J'ai juste pas envie qu'on nous prenne pour des vieilles superstitieuses.

Michèle avait une idée assez précise de ce que pensait Doria à propos de tout ça. Au début, ça l'avait beaucoup blessée, mais maintenant plus vraiment. 

En rangeant les courses dans les placards, Michèle tenta une nouvelle approche. La dérision lui permettrait peut-être de désamorcer la situation...

- Des vieilles hien ? Tu sais qu'on est des vieilles depuis longtemps maintenant, rit-elle en se forçant un peu. Et par-dessus ça, on est des vieilles gouines qui font trop de bruit. Je ne suis pas blanche et tu n'as pas l'accent de chez eux. Pardon pour la desillusion bébé. Je ne crois pas que ce soit un secret pour les voisins !

Gouines... Ce mot, il faisait toujours pouffer les petits et petites de l'association Rivera quand c'était elles qui le disaient. Ça ne faisait pas longtemps qu'elles l'utilisaient, mais elles l'aimaient bien. Quand elles le prononçaient, en dehors de l'asso, elles pensaient aux jeunes et ça leur donnait de la joie. 

 Gouines, gouines, gouines... Elles le mettaient à toutes les sauces. Alors « Gouine » avait peu a peu remplacé leur mot d'avant « Lesbienne » qui était très chouette aussi. Les nouveaux mots, les sociabilités, l'enthousiasme et la joie, ça leur rappelait leurs jeunes années. Elles se le disaient, ce mot, comme pour se l'offrir. « Sans rancunes » pensa Michèle et Doria sourit aussi. 

- Ça j'aime bien, tu sais. Et puis ces... Así que no me jodan, hé ! Les gens ici font plus de bruits de nous. 

Doria fit mine de jeter sa main par-dessus son épaule comme pour dire « n'en parlons plus ». Puis elle se mordit la lèvre. Tout en passant la coupole de fruit à Michèle pour qu'elle y dépose les oranges, Doria chercha une manière de faire marche arrière. Elle n'aurait pas dû dire ça. Ça allait relancer la machine...

- Sauf la famille du troisième, c'est ça qui m'inquiète. Pas de bruit, jamais. 

Et voilà, elles étaient reparties pour un tour, soupira mentalement Doria. 

Michèle, du jour au lendemain, s'était mise en tête que les voisins du troisième étaient dangereux. « Des vampires » elle disait, et que si l'ail pouvait protéger leur maison, elle n'hésiterait pas à en étaler sur le palier , dans la cour, sur les rideaux et même jusque dans leur lit. 

Depuis ce moment, Michèle avait épluché toute la documentation qu'elle trouvait, à la bibliothèque - surnaturel, ésotérisme, romans, comics et bandes dessinées - sur leur tablette - de wikipedia au CNRTL en passant par doctissimo et Gallica - et même chez le gentil médium du deuxième étage, Jorge. 

Doria roula des yeux puis sembla se perdre dans ses pensées.

En tant que boxeuse, sur le ring, Michèle avait appris à guetter les signes avant coureurs d'une attaque, mais cette fois elle ne s'attendait pas à ce qui allait suivre. Doria reprit.

- Tu sais, si comme tu dis « on s'en fout de ce que les gens pensent parce que sinon on vivrait pas », on pourrait peut être penser à... 

 

Doria parla sans la regarder et presque en un seul souffle.

- Tu sais, moi j'aimerais bien, une petite fête comme ça, aller à la mairie, un joli repas avec deux ou trois voisines, les gens de l'association et tes frères, leurs petits enfants...

Le cabas était vide. Il y eut un silence. Michèle s'était déjà lavée les mains et avait laissé sa place à Doria. Son front était plissé, son coeur paniqué. Elle tirait nerveusement sur une boucle serrée de cheveux au niveau de sa nuque, la déroulant et la réenroulant sur elle-même. 

Qu'est-ce qui lui arrivait ? Pourquoi se sentait-elle si ...

- Je t'aime Doria. Tu sais, je crois que ce n'est plus de notre âge. Le mariage, il faut laisser ça aux plus jeunes. 

Doria souriait doucement. Elle sentait Michèle dans son dos, tendue et tenta de la rassurer. 

- Il n'y a pas de « places limités » à la mairie. Si c'est ce que tu crois, on va pas leur voler, Michèle. Nous aussi on y a le droit, petit chat.

- C'est vrai. Mais c'est peut-être ça, on y a le droit... 

 

Qu'est ce qu'il venait de se passer ? La cuisine tanguait doucement autour d'elles. Michèle était confuse. Les phrases lui échappaient, fébrile, sans qu'elle ne semble pouvoir rien y faire. Tout la submergeait soudain, la situation, ses propres mots...

- Si on y a le droit, alors pourquoi on n'avait pas le droit quand on était jeunes et qu'on pouvait voyager sans risquer d'être malade ? Il a vraiment fallu attendre toute notre vie et ... 

Les mains baguées et trempées de Doria s'arrêtèrent juste au-dessus du torchon. Quand elle se retourna, son amour avait les traits tirés et ses rides étaient un peu plus humides sous les yeux. Doria la prit dans ses bras maladroitement, prenant garde à ne pas mouiller son t-shirt. 

L'étreinte douce et chaude calmait Michèle. Doria comprenait que Michèle avait peur. Elle était passée par là aussi. Quand Doria y avait réfléchis la première fois, elle avait cru se briser en morceaux. 

Le parfum à la bergamote de Doria les enveloppait. Elles restèrent ainsi jusqu'à en avoir mal aux jambes. 

Pour Michèle, accepter de se marier ce jour-là, c'était crier au monde, par effet de contraste, qu'on le lui avait refusé avant. C'était dur de se confronter la réalité si brutalement, frontalement.

La vérité c'était que Michèle avait toujours désiré se marier. Chic et classique c'était ce qu'elle voulait. Elle, dans un costume de belle butch. Noir et blanc, sans bouton de manchette mais avec mouchoir de poche et noeud papillon. Combien en avait-elle acheté en prévision ? Les beaux tissus avaient tous fini dans une boite à chaussures qui se trouvait elle ne savait même plus où. Dans les rêves de Michèle, Doria portait un collier de perles, ou peut-être même deux, de longs gants de dentelle fine et une robe beige magique à en faire pâlir toutes les hétéros.

 

Dans le creux de son cou, Michèle murmura. 

- Peut être qu'on... Je crois que j'en aurais envie. Peut être que ce n'est pas si grave si on se marie à soixante-quinze ans. 

- Hé parle pour toi, moi j'ai que soixante-quatorze ! S'exclama Doria, hilare de bonheur. 

Michèle n'était pas sûre de supporter, mais elle voulait bien essayer d'y réfléchir, pour Doria. Après tout, on venait de lui faire une demande, une vraie, qui pouvait se concrétiser ! 

Elles s'embrassèrent. 

Un mariage, elle, Michèle Page ! Avec Doria Luna Pérez Ortega ! La merveilleuse secrétaire de club et sa sportive pro favorite, à plus de soixante-dix ans. Elle n'en revenait pas. Michèle lissa du pouce la joue de Doria et déposa un bisou à l'endroit de la caresse. 

- Je t'aime, tu sais

- Je sais, moi aussi

Elles finirent par s'installer autour de la table et machinalement se mirent à éplucher les tomates en rêvant. Elles n'auraient jamais le mariage de leurs jeunesse. Mais ce n'était plus une raison pour ne pas essayer de penser à un mariage de vieillesse.

Le silence était doux, et, de temps en temps, elles se regardaient, puis se souriaient. 

- Avec plein de fleurs, lança Doria comme si Michèle avait pu suivre le fil de ses pensées.

- Et des oeuvres à toi, ce serait l'occasion de les montrer ! Répondit Michèle comme si elle les avait suivies.

- Peut-être même que les petites et petits de l'asso pourront nous aider ! 

Elles ne comprenaient pas toujours les jeunes de Rivera quand iels parlaient, mais il y en avait toujours qui étaient là pour elles et pour leur expliquer des choses parfois. Oui, c'était sûr qu'iels voudraient aider. 

 

Un peu plus tard, par association d'idées, Doria pensa à Olivia. C'était à Rivera qu'elles l'avaient connue. La petite venait de quitter sa novia et Paris. Elle arrivait en ville dans la journée. 

- J'aimerais bien inviter Olivia boire un thé pour un quatre heures. Tu enlèveras l'ail ? J'ai pas envie qu'elle prenne peur et qu'elle reparte aussi vite.

Ce n'était pas vraiment une question mais Michèle acquiesça, crispée.

La tension légère dans son dos se réinstalla. 

 

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
IDreaming
Posté le 18/06/2024
Bonjour Chloé,
Pour enfin que je trouve une romance lesbienne de mon âge !!!!
Merci pour cette lecture rafraichissante .
J'adore tes personnages !
Bien à toi
IDreaming
Lunereveuse
Posté le 09/10/2022
Coucou Chloé !

J'ai été ravie de te lire, ce chapitre est vraiment très beau. Il se lit tout en douceur. Tes deux personnages sont absolument adorables. J'ai hâte de lire la suite !

Bien à toi
Lune Rêveuse
Abbyleplume
Posté le 23/08/2021
Alohaaaa ! Je suis ravie de te voir sur PA alors quand j'ai vu ta plume débarquer, je ne pouvais que sauter sur l'occasion de te lire. Et quel plaisir ! Tes personnages sont attachantes, les émotions sont bien retranscris je les vivais en même temps qu'elles et c'est attendrissant ! Hâte de dévorer la suite !
andy
Posté le 08/07/2021
Bonjour Chloé!
J'ai bien aimé ce premier chapitre. J'aime lire des histoires avec des personnages queer, c'est rafraîchissant! :) Ces deux femmes sont déjà attachantes et j'ai hâte d'en lire plus!
Chloé BZG
Posté le 10/07/2021
J’espère que ça te plaira alors
Thomas_Parzad
Posté le 08/07/2021
Bonjour !

J'ai beaucoup apprécié ce premier chapitre :) Les personnages m'ont touché, et leur monde et leur caractère sont introduits de manière super fluide, on ne sent pas du tout l'exposition, j'étais pris dans la découverte de leur personnalités et de leurs peurs.

Il y a juste un endroit où j'ai buté, c'est quand Doria se lance et parle de son envie de se marier, j'ai dû relire plusieurs fois pour être sûr que c'était elle qui parlait et pas Michèle.
Chloé BZG
Posté le 10/07/2021
Oh merci pour ce message. Et pour l’info, je vois l’endroit dont tu parles. Je modifierais ça !
Zultabix
Posté le 05/07/2021
Tes deux old queens sont touchantes et fort sympathiques. Un petit événement aurait été le bienvenu. Tu avais stipulé "genre science-fiction", je suis un poil déçu. Mais bon, ton moulin à paroles tourne bien ! Meunière, tu ne dors pas, ton écriture nous tient en éveil !

Bien à toi !
Chloé BZG
Posté le 06/07/2021
Hello Zultabix, oui j'avais prévus un départ plus rapide et finalement l'introduction est devenu très importante. Ca c'est un peu transformé en réalisme magique. Les gros gros événements arriveront autour du chapitre 7. Je prends note. Je me servirais de ta remarque pour mieux séparer et regrouper les parties et peut être pour faire un meilleur teasing ! Merci !
Ohana
Posté le 02/07/2021
Bonjour !
J'ai vu la lumière et j'ai cliqué :D (vive les suggestions de nouveaux chapitres sur la page d'accueil !)

J'étais intriguée par le concept et je ne suis pas du tout déçue par cette première nouvelle, j'ai trooop hâte d'en lire plus !

Tes deux personnages sont tout simplement adorables, et même si ce n'est que le début, je les trouve déjà très bien construits, on s'immerge super facilement ! Et je comprend tout à fait que tu les aimes d'amour, et ça paraît dans ton écriture !

Bref, je n'ai pas grand chose à dire d'autre, il y a peut-être quelques petites coquilles mais sans plus, j'ai hâte de voir comment tu vas imbriquer tes différents textes !
Chloé BZG
Posté le 03/07/2021
Oh mais c’est adorable ! Merci pour ton message !
Pour le prochain chapitre je me concentrerais sur deux autres personnages encore (que j’aime beaucoup aussi mais qui vivent un peu plus encore dans le drama)
Une correction plus approfondie est prévue mais je repousse toujours plus ha ha. Ce n’est pas exactement mon fort !

Merci pour ton message encore et à très vite !
Vous lisez