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Toute mon existence, j'ai essayé de m'évader. Pas de ma prison. Non. Des cris, des langages incompréhensibles et autres hurlements spectraux, qui résonnaient en continu dans les couloirs de mon "Antre". Je voyais encore défiler, juste devant les barreaux de ma chambre, le prisonnier qui tentait vainement de s'évader. Il courait partout comme un chat égaré, perclus dans les vagues algiques qui le faisait sombrer.
Cet homme qui, sans aucun doute, possédait des attaches dans le Monde, ne pouvait envisager d'être ici, ou même d'y rester durant toute la durée de sa condamnation. D'ailleurs, aucun sain d'esprit ne parviendrait à le concevoir, et je le lui accordais volontiers, méprisant cette obscurité perpétuelle qui m'empêchait de lire comme je le désirais. À contrario que moi, en revanche, je n'avais nul autre choix que de rester toute ma vie dans cet endroit sombre et hideux, uniquement ponctué de gargouillis provoqués par les blessures ouvertes, les séances de torture qui me déconcentraient continuellement, et l'odeur affreuse des escarres purulentes et des chairs nécrosées, en totale décomposition.
Le meilleur des quotidiens, en somme.
Éclairée à la bougie, je voyageais dans mon espace accessible, presque entièrement enseveli sous les montagnes de livres, de cartes, et de parchemins. Je me servais d'une des piles comme d'une table pour y poser ma chandelle, déterminée à retrouver un ouvrage relatant de la muraille Sinaï, servant de frontière entre le Denat et l'Esmérèse. Un explorateur passionnant la dépeinte comme une véritable reine, et l'heure des interrogatoires approchant, à en juger mon sablier, je ne désirais que de m'échapper du présent pour m'enfermer dans mon Monde, celui où je pouvais songer, fantasmer, croire, et espérer.
Trop tard..., pensai-je en remarquant le lieutenant chargé de l'Inquisition s'approcher de la prison collective, juste en face de ma chambre. Sans aucune forme de procès, les deux gardes à son service ouvrirent les grilles grinçantes, manquant de les faire sortir de leur gonds, pour venir attraper les bras frêles d'un vieillard courbé. Quel est l'interêt de le prendre ainsi, par la force ? Alors qu'un seul de ces molosses constituait au moins deux fois son corps, si ce n'était trois.
Avant de partir, le lieutenant se tourna vers moi, m'analysant comme à chaque fois, son sourcil haussé et provocateur, comme s'il me défiait de faire quoique ce soit.
- Ne t'en mêle pas, fillette. Et vous, vous n'avez rien d'autres à faire !? Déguerpissez et envoyez-moi ça chez le procureur !
Après un dernier clin d'œil, le gradé s'en alla simplement, laissant la place à un autre duo de soldats qui transportait, ou traînait serait un mot plus à propos, un homme à moitié nu et complément peinturluré de rouge et noir sur tout le corps. De longs cheveux épais et bouclés se fondaient dans le décor et couvraient son visage que je ne désirais pas à voir.
Je ne cherchais pas d'avantage et me remis à ma recherche, sachant que d'ici quelques minutes, l'on infligerait à cet aïeux, les pires sévices en matière de châtiments corporels, et que je ne supporterais pas le bruit. Les gémissements et feulements rauques ont quelque chose d'agaçant, qui rendent nos oreilles sensibles au prochain, comme si on ne savait jamais ce qui allait advenir par la suite et que l'on essayerait presque à deviner. Je supportais tant bien que mal, du moins, j'essayais.
Sauf lorsqu'un captif cherchait à établir un quelconque contact avec moi. Ce qui fut le cas pour l'arrivant déjà salement amoché. Je tendis distraitement mon oreille, l'écoutant se redresser sur les barreaux, puis sentit le poids de son regard sur moi.
- T'es drôlement bien installée, ma Sœur. souffla-t-il en portant une main à son flan, exerçant sans doute un point de pression pour éviter au sang de s'écouler. Pour avoir vu d'innombrables allants et venants le faire, je trouvais que ça ne serait pas à grand chose, m'enfin. Puis, sa phrase me revint, et je tiquais un instant à ces deux derniers mots, dubitative.
- Je ne suis pas votre sœur, une sœur représente une femme avec qui on partage du sang.
Malgré l'algie qui semblait le dévorer, ce malotru trouva tout de même la force de rire. Et même calmé, il conserva un petit rictus qui ne le rendait que plus misérable dans sa situation.
- Merci, ma Sœur, je sais ce que ça veut dire. Tu viens de mon pays natale, il est normal pour moi de t'appeler ainsi. Toi aussi tu peux le faire, après tout, nous partageons le même Roi.
J'inclinais ma nuque à l'instant où il pointa ma personne du doigt. Pensait-il réellement ce qu'il disait ? Sans pouvoir m'en empêcher, j'haussai un sourcil, amusée.
- Ton Roi te remercieras pour ton...patriotisme. Je sais que je viens du Southern Desert par mon père, mais je ne suis fidèle à aucun Roi. Pas même au tien, je n'en vois pas l'utilité, puisqu'il a abandonné un de ses sujets. Si tu le permets, j'aimerais lire.
Alors que je pensais avoir enfin la paix, l'individu revint à la charge, sans même que je n'ai le temps de survoler une ligne de ce chef-d'œuvre.
- Tu es assignée à cette prison depuis combien de temps ? chuchota-t-il pour ne pas attirer l'attention des patrouilleurs qui se gonflaient à bloc pour la relève. Car, dans ce court laps de temps, les plus têtes brûlées tentent des évasions, qui se soldent aussitôt par un échec, et une pendaison ou une décapitation en règle ( selon l'humeur du garde et du bourreau ), dans la même minute.
- Ma naissance.
Je devinai sans peine son étonnement, mais n'esquissais pas le moindre geste, ni la moindre expression faciale. Pourquoi le ferais-je ? Pour lui donner l'envie de me libérer ? Pour me prendre en pitié ? J'ai suffisamment payé pour le reste de cette vie sombre et infiniment brutale, qui ne s'achèvera malheureusement jamais.
- Quel est ton genre préféré ? Je compris sans trop de difficulté sa question, et soupirais lorsque je dus répondre.
- L'aventure...
Je soudais mon regard au sien, infiniment doré à la pénombre de la flamme qui pourrait tout faire s'embraser, et moi, et mon envie de vivre pleinement avec. Je me détournai rapidement, me souvenant que jamais je ne pourrais me contempler comme lui a sûrement eu l'occasion de faire un millier de fois dans sa vie. Je tachais de contrôler mon chagrin, en songeant à quel point mon reflet m'est inconnu, que je ne verrais pas mon visage, la forme de mon crâne, la courbure de mon menton, ou encore le renflement de mes pommettes. Savoir si j'étais plus grande ou plus petite que les femmes du Monde me serais à jamais inconnu, et même pouvoir user de ma nuque pour observer les étoiles resterait un éternel paysage inconnu, que je n'admirais toujours que dans les livres. J'adorerai tout, si je parvenais à quitter mon Antre. Tout. Du plus petit insecte à la plus grande des montagnes, en passant par les ruisseaux et les Lunes.
Soudain, alors que je pensais qu'ils allaient épargner le vieil homme, un hurlement d'outre-tombe, à en fendre les murs et briser le cœur de n'importe qui, retentit contre les murs. Les murmures affolés provenants des cellules alentours me parvinrent, mais je décidai de les ignorer, comme toujours, et me plonger dans mon somptueux bouquin, avec l'aventureux explorateur me faisant découvrir toutes les Cour du monde, et qui me plongeait tête la première au cœur de l'Ouest...
« Cet amas de pierreries me semblait plus intéressant encore que n'importe quelle parure de diamants en ce monde. Les couleurs se mariaient parfaitement entre elles, et symbolisaient une puissance comme nulle autre pareil pour un si petit État. Le bleu impétueux du Saphir, le violet impérial de l'Améthyste, et même le vert triomphant de l'Émeraude. »
[...]
« Tout ici figurait dans un unique but, celui de marquer l'esprit. De lui annoncer ce qu'il en coûte de défier nos Dieux Gardiens, en détruisant leur rempart protecteur, par exemple... »
Alors, un avis ? XD
Je trouve le résumé très alléchant, surtout avec cette galerie de personnages pour accompagner l'héroïne. J'ai hâte de voir ce que donnera la bande !
Pour cette intro, plein de mystères, une plongée dans un univers sombre et on comprend vite la personnalité de l'enchanteresse.
Au niveau de la forme, j'ai relevé quelques corrections au fil de ma lecture, je pourrais les partager si tu veux :)