Chapitre 2 : Fin du Silence [2/2]

Notes de l’auteur : Je m’inspire des dessins de l’artiste WLOP, tirés de son livre GhostBlade.

 

 

 

« Live for your life. To die is not to die. It's just living to die. »

 

 

 

~

 

 

 

 

   Naître Enchanteresse est une malédiction. Je ne peux pas voir ma condition autrement. Mais rester enfermée dans mon Antre avec pour seule compagnie que cette pipelette de prisonnier relevait de l'insoutenable.

- Je ne vois pas pourquoi je suis ici. Bon, j'ai peut-être emprunté un ou deux colliers qui appartenaient à des hauts-culs, mais c'était pour la bonne cause ! Et puis, soit dit-en passant...

Jamais il ne s'arrêtait. Moi qui aime le silence, ou plutôt, qui me le suis imposé, me voici déçue. Deux jours et deux nuits qu'il débitait son flot de paroles, sans autre interruption que ses ronflements à réveiller les morts. Et pourtant, les Dieux Gardiens savent que j'en ai vu passer un certain nombre depuis mon arrivée ici.

- Mais ! Ôte moi d'un doute, tu n'es pas devineresse ?

Interloquée, je relevais mon nez de mon anthropologie, avant de l'observer à travers les épais barreaux de sa cellule. Il venait sans aucun doute de coincer ses cheveux épais dans un ruban pour en faire un chignon, et même dans la pénombre je pouvais voir l'iris de ses yeux. Étrange...

- Comment as-tu su que j'étais un voleur ? siffla-t-il en raffermissant sa prise sur son flanc. Je ne mis pas deux secondes à répondre, désormais moins encline à l'étonnement.

- Tu es mince, tes joues sont un peu creusées, tu as des toc qui ne trompent pas, et tu me bassines avec tout ce que tu es parvenu à voler pour avoir été envoyé ici.

Sans aucune considération pour sa mine outrée, je me grattais la joue en entendant le son des cor. Ils annonçaient la relève, et le repos des gardes qui soupirèrent de soulagement en s'étirant. L'un d'eux se tourna vers moi, avant de s'abaisser à mon niveau. Zhora, et son éternel sac de tissus rempli de merveilles.

- Tiens, ma fille m'a dit qu'ils étaient très bien. Je ne pourrais pas t'en amener d'autres avant au moins un mois, je suis affilié à un autre poste.

J'orientais mon attention sur les trois ouvrages qui n'attendaient que je ne les ouvres et dégustent le contenu de leurs pages.

- Fais attention à toi, petit lion.

J'esquissais l'ombre d'un sourire à celui qui avait contribué à mon éducation. Zhora représentait l'image même du père incapable de voir une gamine seule sans s'en occuper. Il a déjà cinq enfants, et pourtant, il a toujours trouvé du temps pour moi, quitte à mettre de côté son devoir de soldat.

Puis il partit sans un regard en arrière, malgré mes doigts fermement resserrés autour des tubes qui m'entravaient, à m'en faire mal aux jointures. Je lâchais mon emprise pour aller rejoindre mon couchage, composé exclusivement de fourrures chaudes et douces qui m'apportait un réconfort dans cette froidure mordante.

- Qu'est ce qu'un bébé a bien pu faire pour être enfermé ici toute sa vie... souffla le voleur, s'amusant un tant soit peu à faire résonner ses ongles sur le métal devant lui.

- Juste venir au monde... étirai-je mes lèvres jusqu'en haut faussement.

Le silence revint, douloureux, oppressant, terriblement émouvant. Je gardais mes paupières obstinément closes, décidée à ne plus parler de toute ma vie si il le fallait. Mon cœur me forçait à suivre sa décadence, tout comme mon souffle qui se raréfia. C'était bon, c'était doux, ce tout petit instant parmi cette sourde pénombre.

Qui s'acheva à l'instant même où les portails crissèrent, et que les rires commencèrent à raisonner dans les lugubres corridors de cellules. Je me dressais aussitôt sur mes deux jambes, sachant déjà ce qu'ils allaient faire.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'enquiert l'homme du désert en regardant partout où son attention pourrait se poser.

La relève n'est pas aussi draconienne lorsqu'approche le retour de la Lune de Sang. Parmi les trois Lunes que je ne suis jamais parvenue à voir autrement qu'en dessin, une quatrième apparaît, rougeoyante de sang paraît-il. Ce liquide de vie me poursuit inéluctablement...

De fait de cette apparition une fois l'an, les plus grands dirigeants du continent se réunissent pour parlementer de tout ce qui concerne la politique, l'économie, les frontières, et même les mariages qui se sont déroulés dans l'année. Si seulement je pouvais assister à une seule de ces réunions, j'en tirerai bien plus de savoir que dans mes précieux livres.

Sans surprise, cette occasion permettait également de montrer la puissance des plus riches, de faire descendre et monter dans la société tous ceux à la surface, et bien évidemment, j'en faisais parti. Une pièce maîtresse dans la collection du Cénacle, une organisation que compose les treize Grand-Enchanteurs. Pour dévoiler le clou du spectacle, on devait le parer.

- Azilis ! Viens ma belle !

Sans résistance, j'avançai jusqu'à ma grille, le cœur battent dans mes tempes. Un cœur... Si j'en avais un, il ne me servait pas à grand chose, si ce n'était à me faire du mal, encore, et encore.

Le gardien, je le connaissais. Faroé. Son esprit ne reconnaît aucun concept lorsqu'il s'agit de pudeur, ni même pour rester à une place quelques minutes. D'ailleurs, je l'ai maintes fois entendu juste à côté prendre du plaisir avec une femme sans vergogne pour les prisonniers agonisants.

- Tends moi tes jolies poignets... voilà !

Je suivais le protocole habituel. Breloques aux poignets, bijoux de têtes, vêtement pas d'avantage couvrants, griffes étranges aux pieds, on m'épargna celles aux mains, et pour finir, des boucles d'oreilles vertes en formes de canines, qui aspiraient mes pouvoirs le temps d'une soirée, de sorte qu'ainsi, ils ne pouvaient pas s'éveiller durant la cérémonie de la Lune de Sang.

Comment je le sais ? Aucun des geôliers de la première relève ne savaient se tenir tranquille un instant. Ils infligent quelques sévices au corps des plus robustes pour éviter de leur donner des idées de fuite, puis festoient, l'esprit tranquille, en buvant des litres de bière et d'eau de vie. De quoi délier les langues et les ceintures...

- Tu es jolie comme un cœur ! s'extasia Féroé en se tenant les côtes, son torse fièrement exposé.

Cette mécanique de fierté, je n'ai jamais su l'interpréter. Essaie-t-il de me dire qu'il a un poitrail plus développé que le mien ? Il est vrai que des femmes, je n'en ai pas vu des masses dans ma vie, mais du peu que j'ai pu apercevoir, elles portaient elles aussi des seins et un ventre plus ou moins flasque, et non pas des abdominaux et des pectoraux taillés à la serpe.

Je haussai mes épaules, indifférente. Du moins, en apparence. Les hommes sont trop durs à comprendre. Moi je n'ai pas eu de modèle pour m'expliquer, comme chacun des geôliers n'ont de cesse de me répéter. Je défis ma longue tresse, laissant ma chevelure respirer un peu. Toute l'année les gardes me forçaient à l'attacher pour éviter les risques de bestioles et autres dedans.

Les bijoux serraient mon front et me tiraient les cheveux. Les joyaux dessus détonnaient dans le décor, et faisaient atrocement mal. Me coiffer relevait du miracle chaque journée de Lune de Sang.

- Il paraît que le Cénacle va présenter la gamine au haut-cul balafré du Southern Desert.

Du coin de l'œil, j'observai le voleur serrer convulsivement ses mâchoires, apparemment peu ravi que des sous-fifres parlent ainsi de son souverain. Ils n'en avaient cure, et en abusaient meme.

- Il reconnaîtra sa fille dans ce cas ! s'esclaffa Killian en découpant ce qu'ils appelaient communément "un sausciflard", avec l'aide son épée de service, rien que ça. Je ne savais pas quel goût ce genre de chose pouvait avoir, mais il sentait toujours drôlement bon et chaque jour, au moins une relève en apportait un entier et le dévorait.

- Avec la peau et les miches qu'elle lui a transmis, pas besoin de demander ce que ce crevard trouvait à sa catin de mère !

Puis ils s'étouffèrent encore de rire un sacré moment, et ce jusqu'à ce que l'inspection décide de passer à l'improviste, avec dans ses rangs, un Enchanteur particulier, venus tout droit du Monde...

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MariKy
Posté le 22/08/2020
Salut ! Je reviens sur ton histoire après une longue pause, et je retrouve l'ambiance avec plaisir. Ça se lit très facilement, on est plongé tout de suite dans l'univers. On apprend quelques infos sur le passé de l'héroïne à travers des allusions, et ça donne envie d'en savoir plus. J'aime beaucoup son innocence, le fait qu'elle a appris par quelques livres et par ce qu'elle entend des gardes, ça donne un regard naïf sur le monde très sympa à lire.
Bref, j'espère que tu nous as prévu une suite ?
Ekaterina A.
Posté le 28/09/2020
Ah ah, oui ! Bien évidemment ! Je compte la poster sous peu, il faut simplement que je trouve une histoire que je la commente, le système "plume d’argent" est sympa mais un peu galère quand on est pas habituée ! Au plaisir de te voir au prochain épisode ;-)
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