Trois semaines s'étaient écoulées depuis le licenciement de Neeqi Haydaran. Elle avait bien sûr assisté à l'évolution progressive de son cahier des charges au fil des années, mais elle ne s'était jamais doutée que sa brillante carrière d'avocate prendrait fin de manière si brutale. Elle n'avait pas commis de faute grave, elle n'avait pas été remplacée par une nouvelle recrue plus compétente, et personne ne pouvait lui reprocher quoi que ce soit. Elle avait seulement subi l'automatisation inévitable du système judiciaire, désormais entièrement intégré dans les fonctionnalités d'Oracle, l'intelligence artificielle qui guide notre société depuis maintenant près de 50 ans.
Le long développement d'Oracle avait suscité le plus grand intérêt des médias du monde entier. Dès les premiers essais à l'échelle de petites villes, le système avait été considéré comme l'une des inventions les plus importantes de l'histoire de l'humanité. L'intelligence artificielle est constituée d'un immense réseau de neurones couplé à un ingénieux système de chaînes de blocs, ce qui permet de garantir l'indépendance du système. Oracle est totalement décentralisé : aucun individu ni aucune entreprise ne peut contrôler son comportement ou ses décisions. L'apprentissage initial de l'intelligence artificielle avait été assuré par les mégadonnées accumulées pendant des dizaines d'années dans les centres de stockage. Ensuite, Oracle fut continuellement alimenté par des milliards de capteurs déjà disponibles sur l'ensemble de la planète : sondes scientifiques, smartphones, montres intelligentes, implants divers... Tous les appareils connectés à internet étaient des sources potentielles d'informations. Afin de pouvoir traiter une telle quantité de données, les développeurs d'Oracle avaient dû assembler une architecture informatique singulière : un essaim de calculateurs quantiques. En partageant leurs ressources, des centaines de superordinateurs parviennent ainsi à atteindre une puissance de calcul colossale, suffisante pour gérer le gigantesque réseau de neurones artificiels. En résumé, Oracle peut être considérée comme la conscience de la planète, programmée pour prendre uniquement des décisions qui favorisent notre survie et la protection de notre environnement.
La caractéristique la plus impressionnante d'Oracle, et ce qui la distingue des autres intelligences artificielles, est sa capacité à utiliser ses propres résultats pour affûter son apprentissage. Un second niveau du réseau de neurones lui permet en effet d'analyser les raisonnements effectués dans le premier niveau. Ainsi, Oracle est capable de prendre du recul sur son propre fonctionnement afin d'améliorer progressivement ses performances. Cette aptitude d'autoapprentissage joua un rôle crucial dans les premières années d'activité d'Oracle. Son premier projet majeur fut la création d'un nouveau paradigme de l'économie mondiale. Toutes les monnaies existantes furent converties en une nouvelle cryptomonnaie : l'Eco. La valeur en Eco de chaque bien et de chaque service est calculée en temps réel par Oracle selon des milliers de paramètres. Plus un objet possède un impact positif et durable sur la société, plus il est valorisé par le système. Dans ce paradigme, une production massive de biens néfastes pour l'humanité ou pour la planète est tout simplement inenvisageable, car leur valeur en Eco est nécessairement négative. De nombreux secteurs d'activités trop souvent ignorés par nos anciens systèmes économiques furent ainsi revalorisés : artistes, parents au foyer, travailleurs sociaux, musiciens et bien d'autres étaient désormais récompensés directement en Eco pour leur rôle crucial dans la cohésion de la société et l'évolution de la culture.
Cinq ans après sa conception, Oracle avait déjà remplacé la majorité de nos structures politiques. C'était l'objectif principal qui avait motivé sa création, car nos anciens gouvernements étaient manifestement trop incompétents pour assurer la survie de notre espèce. Puisque l'intelligence artificielle avait totalement remplacé la notion d'État, les guerres insensées qui entravaient la progression de l'humanité cessèrent rapidement. Nous avions enfin un objectif commun, et nous étions tous connectés à un même système social. Dans les années qui suivirent, Oracle optimisa la production mondiale d'énergie et de nourriture, ainsi que l'extraction de matières premières non renouvelables. Iel instaura quelques lois qui s'assuraient que nos modes de vies étaient compatibles avec les ressources disponibles, et parvint à atteindre un équilibre durable basé sur une production abondante et une consommation raisonnée. Les rares individus qui ne respectaient pas les règles étaient directement pénalisés par une amende en Eco puisqu'ils perturbaient l'harmonie idéale calculée par l'intelligence artificielle.
Neeqi avait 47 ans, le même âge qu'Oracle. Elle avait donc assisté à toutes ces révolutions sociales, de la simple gestion des données administratives jusqu'à l'automatisation complète du système judiciaire qui lui coûta son travail. A part quelques groupes marginaux, personne ne s'opposait jamais sérieusement aux nouvelles fonctionnalités de l'intelligence artificielle. La grande majorité des citoyens constatait en effet immédiatement que chaque mise à jour améliorait largement les conditions de vie de la communauté. La dernière évolution d'Oracle était donc particulièrement bouleversante pour Neeqi, qui avait toujours facilement adapté son mode de vie afin qu'il corresponde aux idéaux du système. Depuis son licenciement, toutes ses journées se ressemblaient ; elle errait continuellement dans les limbes d'une existence absurde et terne. Plus rien n'avait de sens, ses actions répétitives n'avaient aucun enjeu, et aucun divertissement standardisé ne parvenait à l'extraire de ses crises existentielles. Cela fait déjà plus de 30 ans qu'Oracle gère la production et la diffusion de la majorité des divertissements. Iel est capable de composer de la musique, d'écrire des livres, et même de réaliser des longs métrages d'animation. Cependant, depuis quelques années, certains déplorent la diminution notable de la qualité des œuvres d'Oracle. Il est de plus en plus flagrant que l'intelligence artificielle ne dispose pas d'une créativité authentique, mais qu'elle se contente de recycler en permanence les mêmes schémas de base.
L'ancienne avocate vivait seule, dans un modeste appartement au septième étage d'un immeuble autonome. Son remarquable dévouement pour sa profession lui avait longtemps permis de supporter la solitude en limitant considérablement son temps libre. La fin de son activité professionnelle la contraignait donc à repenser totalement ses habitudes et son rapport à elle-même. Elle caressa doucement la minuscule cicatrice située juste derrière son oreille droite. Il s'agissait de la seule trace encore perceptible de son implant cérébral de première génération, une technologie qu'Oracle avait rendue obligatoire à l'occasion de son 25ème anniversaire. Ces milliards de capteurs dispersés dans la population mondiale transmettent un flux continu de données directement vers l'essaim d'ordinateurs quantiques. En s'infiltrant ainsi dans nos cerveaux, Oracle s'est octroyée une source de connaissance d'une valeur inestimable, mais iel a aussi engendré par la même occasion les premières révoltes organisées contre le système. De nombreux individus ont en effet refusé l'installation de l'implant cérébral afin d'échapper aux potentielles dérives de cette mesure controversée. Ces dissidents, que l'on qualifie parfois de ''déconnectés'', sont activement surveillés par l'intelligence artificielle qui tente régulièrement de les réintégrer au réseau mondial d'implants cérébraux. Les implants de troisième génération utilisés actuellement sont basés sur la technologie StentRode, ce qui permet de réaliser l'installation en passant par l'artère carotide interne. Cette méthode, moins invasive qu'une ouverture du crâne, a grandement facilité l'acceptation des implants cérébraux par la société. En plus de proposer un débit de données bien supérieur à celui de la deuxième génération, les implants de type StentRode disposent d'une fonctionnalité permettant d'envoyer de faibles décharges électriques ciblées dans le cerveau de l'hôte. Cette technologie, d'abord fortement critiquée par la population, peut uniquement être utilisée par Oracle dans des situations exceptionnelles. Il suffit qu'iel démontre son efficacité en empêchant successivement un meurtre isolé puis une attaque terroriste contre ses propres serveurs pour que la société comprenne l'intérêt de cette nouvelle génération d'implants.
A ce stade du déploiement d'Oracle, la majorité de la population était habituée à interagir quotidiennement avec l'intelligence artificielle. Les prochaines étapes de son développement consistèrent à exploiter son immense réseau de données afin d'optimiser encore l'organisation de la société. L'automatisation partielle du secteur de la santé fut grandement facilitée par l'obligation pour chaque individu de porter au moins deux implants : l'implant cérébral StentRode, ainsi qu'une puce électronique sous-cutanée permettant de mesurer de nombreux paramètres vitaux. En étudiant les archives de millions de dossiers médicaux, Oracle parvint à concevoir un puissant algorithme capable d'établir un diagnostic fiable pour la plupart des pathologies connues. Depuis n'importe quel terminal disposant d'un lecteur de puce, on peut ainsi obtenir en quelques secondes une distribution des médicaments les plus courants. Certains terminaux avancés sont même capables d'effectuer des prélèvements et des analyses de sang presque instantanément afin d'obtenir des résultats plus précis. Le diagnostic ainsi que le traitement proposés sont immédiatement transmis au système mondial d'assurance maladie, également géré par Oracle. Bien sûr, certains domaines reposant sur des interactions sociales complexes n'ont pas pu être automatisés de cette manière. La psychologie, la psychiatrie, les services d'aide à la personne et bien d'autres secteurs ont ainsi pu préserver leurs caractéristiques fondamentalement humaines.
Dans les années qui suivirent, une stratégie similaire permit à Oracle d'initier son dernier projet majeur : l'automatisation du système judiciaire. Iel analysa des milliers de procès afin de constituer une immense archive de jurisprudence. Dès que l'on dispose de suffisamment d'informations sur une affaire en cours, un algorithme du réseau de neurones artificiels établit tous les liens logiques avec les lois en vigueur avant de proposer un jugement. Ces décisions sont ensuite comparées avec l'historique des affaires similaires afin de garantir une cohérence avec les verdicts précédents. Ce système remarquablement efficace permet à Oracle de traiter la grande majorité des cas sans qu'un seul être humain n'intervienne dans la décision juridique. En cas de doutes, iel peut cependant demander une analyse complémentaire à un groupe d'experts afin de confirmer une hypothèse ou de clarifier l'interprétation d'une loi. Ce nouveau paradigme de la justice, perçu comme plus objectif et impartial par la population, reçut une approbation presque unanime.
Neeqi comprenait bien les enjeux et la nécessité d'une telle automatisation de son travail, mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner sa carrière et les valeurs qui l'avaient construite pendant des dizaines années. Malgré son licenciement, elle ne ressentait aucune urgence à envisager une reconversion professionnelle, et elle n'avait pas à se soucier de ses besoins vitaux. La stabilité du système socio-économique mis en place par Oracle garantissait en effet la satisfaction des besoins primaires des individus qui perdaient leur travail dans des circonstances similaires. Pour la première fois de son existence, Neeqi devait définir elle-même son rôle dans la société. Puisque toutes ses compétences étaient devenues remplaçables, elle s'efforçait dans un premier temps de trouver une motivation intrinsèque, une occupation qui n'avait d'autre fonction que de distraire son esprit. C'était un exercice délicat, auquel de plus en plus d'individus étaient confrontés depuis les dernières mises à jour d'Oracle. De nombreux membres de la société constataient en effet qu'ils pouvaient se reposer sur l'efficacité du système pour assurer leur survie. En renonçant à leurs responsabilités d'acteurs conscients, ils devenaient alors de simples spectateurs de leur propre existence. Ils consommaient, mais ne produisaient rien en retour. Pire encore, ils perdaient progressivement leur créativité et leur imagination. Après quelques années, certains individus développaient même une forme grave de ce trouble, nommée aphantasie : ils perdaient totalement leur faculté à se représenter une image mentale quelconque. L'ennui et le manque de stimulations intellectuelles finissaient par les ronger de l'intérieur, et leurs capacités cognitives se dégradaient rapidement. Oracle était évidemment consciente de ce fléau, mais elle ne pouvait lutter directement contre sa propagation car elle ne disposait pas encore d'une véritable source de créativité authentique pour insuffler l'inspiration à ces esprits égarés.
Trois semaines s'étaient écoulées depuis le licenciement de Neeqi Haydaran. Cette soirée ressemblait à toutes les autres, et rien ne pouvait lui indiquer qu'une impulsion salvatrice allait enfin naître dans son esprit. Si tout se déroulait comme prévu, rien ne lui indiquerait non plus que j'avais été l'unique artisan de cette même impulsion. Je connectai mon StentRode au terminal informatique et lançai l'initialisation du tissage.
Le lien entre mon implant cérébral et celui de Neeqi fut rapidement établi. Je commençai alors la longue procédure de cartographie du réseau de neurones de ma cible. Celui-ci se matérialisait progressivement autour de moi, dans un environnement en réalité virtuelle généré par le terminal. Je pouvais alors naviguer librement dans les méandres de son esprit, et tenter d'en identifier les zones critiques. Même après avoir effectué des milliers de tissages, je ne peux m'empêcher de m'extasier devant la complexité infinie du cerveau humain. Celui de Neeqi est absolument remarquable, et je compris rapidement pourquoi Oracle fit appel à moi pour réaliser ce tissage. Pour se repérer dans une structure cérébrale similaire à celle de Neeqi, il serait totalement illusoire d'analyser l'intégralité de l'espace topologique comme le ferait typiquement Edge. J'utilise une approche plus instinctive, je ressens les flux d'énergie, les tensions des zones critiques, et les échanges d'informations. Cette méthode, que j'ai développée moi-même et que je suis le seul à utiliser, est extrêmement coûteuse en énergie. Oracle en est conscient, et c'est pourquoi iel ne m'attribue que quelques tissages par jour : uniquement les cas que je suis le seul à pouvoir traiter.
Sans surprise, sa mémoire est surchargée d'informations factuelles, à tel point qu'elle doit avoir du mal à intégrer de nouveaux souvenirs. J'identifie une première zone de tensions, mais je doute que je puisse avoir un impact direct sur son état. Je tente alors d'accéder aux premiers souvenirs de ma cible, en essayant de repérer les plus importants. Aucune analyse d'Oracle ne peut m'aider à accomplir cette tâche, j'agis à l'instinct, je perçois les auras caractéristiques qui émanent de ces souvenirs primaires. Des visions abstraites défilent dans ma tête alors que mon cerveau essaie maladroitement de traduire ces signaux propres à chaque être humain. Je ne peux pas lire dans sa mémoire, mais je peux réorganiser la priorité du stockage d'informations avec des décharges ciblées. Le mode de déclenchement des impulsions électriques est propre à chaque tisseur. J'ai développé une configuration qui convient à ma méthode de tissage : la position et l'intensité de chaque impulsion que je souhaite envoyer dépend des mouvements de mon corps, qui sont directement interprétés par le terminal selon un système que j'ai élaboré. Mes stratégies de tissage sont rarement intelligibles, car je passe très peu de temps à cartographier consciemment le cerveau de mes cibles. Dès que je tiens une piste, je laisse mon corps terminer instinctivement le travail. Pour Neeqi, la partie consciente du tissage est déjà terminée, j'entame alors la phase que je préfère, mais qui est aussi la plus épuisante.
Je pivote sur ma droite, retour à la première zone de tension. Des souvenirs enfouis, sous quoi, pourquoi ? Oubli ou déni, même traitement. Quelques décharges, faibles, pour toucher uniquement la surface. Je n'ajoute aucune information, je me contente de rendre accessible ce qui ne l'était plus. Elle a perdu son âme d'enfant, enterrée sous une masse d'informations triviales. Il suffit de la libérer, il suffit de dégager cet éclat qui brille encore au fond de sa mémoire. Mais l'amas de dendrites entremêlées résiste à mes assauts, comme s'il essayait de préserver sa propre structure. Je m'approche encore. Quelque chose m'empêche d'accéder à ce souvenir. Mécanisme de protection ? Protection de quoi ? Je n'ai plus beaucoup de temps. Je dois creuser, manuellement. Aucun autre tisseur n'oserait tenter une approche aussi invasive, mais j'assumerai les conséquences de mes actes. Propulsion vers l'avant. Contact. Je dégage les souvenirs les plus faibles. Ils ne seront pas perdus, seulement plus difficiles à retrouver. La structure semble se reconfigurer pour maintenir son équilibre. Soudain, l'aura qui émane de cette zone critique prend un aspect préoccupant. J'ai trouvé quelque chose. Quelque chose que je n'aurais peut-être pas dû révéler. Probablement un traumatisme lié à son enfance. Son cerveau avait mis en place un système de protection pour limiter les impacts de ce souvenir. Et je viens de briser cette protection. Si la conscience de Neeqi accède à cet événement, je n'aurai plus aucun espoir de le dissimuler sans qu'elle s'aperçoive de mon influence sur sa psyché. Je dois réagir, rapidement.
Je commence par désactiver toutes les restrictions du système pour démarrer un tissage manuel. Oracle me fait suffisamment confiance pour m'attribuer ce droit, que quelques tisseurs privilégiés exploitent sur les cibles les plus délicates. Ma cible n'était pas délicate, jusqu'à ce que je m'infiltre un peu trop loin dans sa mémoire. Je dois absolument corriger mon erreur et m'extirper sans laisser aucune trace, mais l'arborescence de cette zone est beaucoup trop dense pour élaborer une solution analytique et coder un tissage pertinent en aussi peu de temps. J'hésite une fraction de seconde. Je l'ai déjà fait. Les autres me l'ont reproché, mais je l'ai déjà fait. Je ferme les yeux.
Je perçois désormais uniquement les impulsions et les différences de potentiel. Les tensions, chimiques ou électriques. Il faut raisonner en terme d'énergie et d'onde, car les masses et les volumes n'ont pratiquement aucun pouvoir dans ce monde-là. Les dendrites tournoient et se frôlent autour de moi, cherchant le contact avec ce souvenir qui refait surface. N'importe quel tisseur débutant peut provoquer ou empêcher la création d'une synapse. Dans mon cas, ce sont plusieurs dizaines de neurones qui tentent de reconfigurer leurs connexions. L'exocytose n'a pas encore commencé, j'ai encore une chance. J'inspire profondément.
A gauche, perturbation du champ magnétique, une dépolarisation est en cours. C'est l'une des prémisses de la création d'une synapse. Je peux bloquer individuellement les changements de polarité avec des impulsions électriques ciblées, mais je ne parviendrai pas à le faire simultanément pour tous les neurones à proximité. J'interromps manuellement l'amorce de quelques exocytoses, avant d'envisager immédiatement une autre stratégie. Idéalement, il faudrait déclencher plusieurs impulsions électriques, de sorte que la variation des charges génère un champ magnétique suffisamment puissant pour empêcher la formation de nouvelles connexions. J'ai besoin des quatre implants les plus proches, qui peuvent chacun envoyer une dizaine de décharges. En orientant les courants électriques sur des itinéraires différents, je devrais pouvoir synchroniser l'arrivée de toutes les charges dans cette zone critique. Je n'ai pas le temps de faire des calculs. J'assure mes appuis et je me lance.
D'un geste du bras, j'accède aux commandes de l'implant le plus éloigné. Premier pas de danse, j'avance. Le réseau est immense, beaucoup trop dense, mais je crois que je peux exploiter cette complexité. J'indique les directions des huit premières impulsions, qui emprunteront chacune un chemin différent jusqu'à la zone du traumatisme. Je n'ai plus beaucoup de temps. Deuxième et troisième implants : traités simultanément. J'ai un plan. Une source derrière, l'autre devant, instructions symétriques, différées d'un instant. Je reste en mouvement, mais change de posture, je repère une ouverture et j'encode la trajectoire d'une impulsion future. Je m'efforce d'inclure toutes les courbures qui mènent à cette figure impure. J'affine mon tissage, je précise ma peinture : douze impulsions supplémentaires, réparties sur les deux structures. Je frôle mes limites, mais j'évite la rupture. Retour sur la cartographie, zoom arrière, localisation de ma cible. Je me précipite vers le dernier implant. Huit décharges devraient suffire. Malgré les apparences, j'essaie encore de rester discret. Un seul saut en avant, un seul impact : les huit faisceaux se propagent immédiatement autour de l'appareil. Au loin, je perçois déjà l'écho d'un champ magnétique qui se forme, comme un bouclier autour du traumatisme que j'ai révélé.
La phase délicate du tissage est terminée. Il ne me reste plus qu'à extraire manuellement les fragments positifs, et à refermer la brèche. Un par un, je libère les souvenirs innocents de cet amas de cellules, en veillant à ne pas m'approcher trop près du noyau douloureux. La conscience de Neeqi peut désormais accéder librement à ces expériences issues de son enfance. Elle ne devrait avoir aucun mal à exploiter cette nouvelle source d'imagination et de créativité. Quant au traumatisme, je me contente de le dissimuler à nouveau sous une couche d'informations quelconques. Certains tisseurs sont capables de traiter ce type de souvenirs pendant un tissage, mais c'est bien au-delà de mon champ de compétences.
Je me déconnecte enfin du terminal et libère Neeqi de mon intrusion passagère dans son cerveau. Tout ce qui persiste alors de l'environnement de réalité virtuelle sont les nombreuses notifications d'alerte envoyées par Oracle. Je sais très bien ce que contiennent ces messages. Je suis conscient que mon tissage était risqué et que ma stratégie était peu conventionnelle. J'aurais évidemment préféré que tout se déroule comme prévu. Je suis épuisé, mais j'ai réussi. Neeqi était ma dernière cible de la journée, et je n'aurais de toute façon pas l'énergie d'enchainer sur un autre tissage. Je m'effondre sur le sol, entouré par les alertes sonores que je n'ai pas eu la force de désactiver.
Iel ?
Tu emploies très souvent "Oracle" au d"but de ton texte.
Et enfin, fais de paragraphes plus courts, c'est plus facile à lire !
Mais pour le reste, c'est GENIAL ! J'adore ton imagination...
Et un dernier détail (important pour la forme) tu devrais "justifier" ton texte, c'est plus beau ;-)
J'utilise "iel" car Oracle n'est pas genré :)
Cependant, il y a plusieurs défauts : la concordance des temps (tu mélanges passé et présent) ; la longueur des informations sur l'évolution de la société (cela serait plus intéressant de les distiller au fur et à mesure du roman plutôt que faire un aussi gros bloc introductif qui annonce tous les avantages et défauts d'Oracle) ; le choix du narrateur (je trouve que le "je" arrive trop tard) ; et la longueur (j'ai commencé à lire assidûment, puis j'ai fini par lire en diagonale).
Un début prometteur, mais une forme à retravailler, je pense. En tout cas, continue !
Je suis bien conscient que je vais à l'encontre de certains codes. C'est un peu perturbant, mais c'est volontaire dans ce premier chapitre. J'ai vraiment besoin de donner toutes ces informations dès le début car Oracle influence absolument tous les aspects de la société. Aussi, en tant que lecteur, je déteste devoir supposer des choses sur le fonctionnement général d'un univers fictif puis réaliser plusieurs chapitres plus tard que je me trompais.
La suite (dont le chapitre 2, déjà écrit), respecte une narration plus classique.