Enfin de retour chez tonton ! Ça fait trop longtemps qu’on n’est pas venus ! Tout ça parce qu’il était parti en voyage pour son travail. Pfff… et nos voyages en casque magique à nous alors hein ? Ils sont importants aussi !
Bref, Solène et moi, on boude un peu et il nous faut au moins une bonne dizaine de gâteaux apéro pour accorder notre pardon à notre oncle favori.
— Ah ça y est, les enfants se dérident on dirait, s’amuse papa lorsque nous décidons d’un commun accord avec Solène d’agresser tonton à coup de chatouilles dans le cou.
L’après-midi se passe bien, avec papa qui aime de nouveau son frère. Enfin je veux dire, qui ne lui fait plus la tête quoi. Il y a bien un moment de crispation (surtout de la part de papa) lorsque Martha, la chatte de tonton, fait son apparition, mais ça ne dure pas[1].
— Et c’est quoi cette histoire de grenouilles et d’amours au fait ? j’entends papa demander alors que je suis en train de jouer sous la table avec Solène, ce qui nous fait aussitôt dresser l’oreille, et même nos deux oreilles (enfin quatre, enfin, vous avez compris quoi).
— J’ai demandé à Solène si c’était parce qu’elle cherchait son nouveau prince charmant, continue papa, mais bizarrement, elle ne m’a pas répondu, ah ah ah !
Sous la table, je vois Solène lever les yeux au ciel et papa se prendre un coup de pied de la part de maman, ce qui me fait pouffer.
— Les anoures, rectifie tonton en évitant diplomatiquement[2] le sujet des princes charmants (bah oui, parce qu’en fait Solène ne veut plus qu’on lui parle d’amoureux depuis qu’elle n’aime plus Maxence), c’est parce que j’ai l’intention d’emmener les enfants à l’étang, tu sais, là où on s’était promené l’été dernier ?
— Du coup, tu as demandé aux enfants de faire ces recherches pour trouver plus facilement des amours — enfin, des grenouilles — à observer, c’est ça ? demande papa en se frottant le mollet.
— Oui c’est à peu près ça, répond tranquillement tonton.
Avec Solène, on s’empêche mutuellement de rire. C’est bien plus que ça ! On va carrément devenir des grenouilles ! C’est trop chouette, je vais pouvoir faire des bonds énormes !
Une fois les parents partis par contre, on questionne tonton sur un point délicat :
— Au fait tonton, demande Solène, pourquoi tu nous emmènes pas tout simplement à la mare qui est juste à côté de chez toi, celle où on va d’habitude ? Il y a plein de grenouilles là-bas ! Je pensais que c’était là qu’on irait.
— Oui oui, moi aussi, je confirme en hochant vigoureusement la tête.
J’ai d’ailleurs centré toutes mes recherches sur les grenouilles agiles[3] de la mare. Alors bon, ce serait peut-être mieux si on allait là-bas non ?
— Ah ah ! Vous verrez bien pourquoi je préfère aller un peu plus loin ! réplique tonton avec un sourire qui ne me rassure pas.
Une fois arrivés nous pique-niquons, puis lorsque le soleil commence à se coucher et que les promeneurs ont déserté le parc qui entoure l’étang nous trouvons une cachette, exactement comme nous l’avions fait pour les poneys.
Elle est très facile à trouver, puisqu’il y a un petit bosquet au bord de l’eau qui est très touffu. Le seul problème, c’est que je ne vois pas com-
— Mais tonton, on n’arrive quasiment jamais à les voir les grenouilles ici, m’interrompt Solène. Elles se cachent toujours dans les roseaux et ne sortent que la nuit ! Il va falloir les chercher dans le noir avec le casque magique sur la tête ? Et si on n’y arrive pas ? S’inquiète-t-elle, exprimant exactement ce que j’étais en train de penser.
Ce à quoi tonton se contente de sourire et de sortir deux bocaux de son sac à dos. Contenant, l’un une grenouille, l’autre un crapaud.
Je reste bouche bée, avant de crier en même temps que ma sœur :
— Mais t’as pas le droit de faire ça tonton !
— C’est interdit tonton, les amphibiens sont protégés par la loi !
— Ah ah ah ! Je sais les enfants, je sais ! Mais j’ai fait très attention à ne pas leur faire de mal, et puis ce n’était que pour une journée, je les ai capturés hier soir et j’ai fait bien attention à eux.
— Mouais, je grogne. Bon, moi, je veux la grenouille.
— Ah non, c’est moi ! proteste Solène aussitôt.
J’ai comme un mauvais pressentiment.
— Heu… j’ai capturé une grenouille et un crapaud pour que vous puissiez bien voir les différences entre les deux justement… c’est pour ça qu’on est venus ici ? Bredouille tonton, surpris. Rassurez-moi, vous avez bien étudié les grenouilles ET les crapauds, comme j’avais dit à vos parents ?
Ah. Voilà mon mauvais pressentiment confirmé : le message téléphonique entre papa et tonton n’était pas très bien passé. Papa ne nous avait parlé que de grenouilles et « d’amours ».
— Sinon, reprend tonton, on peut très bien repousser l’expédition à la prochaine fois, le temps que vous fassiez des recherches plus complètes ?
Ah non, pas question ! Il ne fallait pas que tonton sache qu’on n’y connaissait rien aux crapauds !
— Moi, c’est juste que je veux être une grenouille parce que c’est un mot plus joli ! annonce alors Solène, croisant les bras.
— Ah ah ah ! N’importe quoi ! Quelle raison bidon Solène ! j’éclate de rire en face de ma sœur, même si je suis bien content qu’elle ait essayé de distraire tonton avec sa bêtise.
— Ah oui ? Et c’est quoi ta raison à toi ? me lance-t-elle avec un sourire.
Je m’arrête de rire. Zut, elle m’a bien eu !
— Ouais allez, je suis sympa, je prends le crapaud ! En plus, il est tellement plus gros que ta toute petite grenouille que c’est sûrement un mâle super costaud donc ça tombe bien.
Pourquoi Solène rigole ? Bon, allez ! De toute façon, grenouilles et crapauds c’est presque la même chose, pas vrai ? Pas la peine de m’éterniser, sinon je vais hésiter et faire ma poule mouillée. Posant rapidement le casque de tonton sur la tête, je regarde le crapaud du deuxième bocal, ignore les cafards que j’aperçois du coin de l’œil en espérant que tonton ne les laissera pas s’approcher de nous, appuie sur le bouton et…
ZAP !
*** Informations documentaires ***
Pour faire simple, on appelle souvent « grenouille » tout ce qui ressemble à un « anoure » (catégorie qui rassemble tous les amphibiens sans queue).
À savoir aussi que le terme « amphibien » signifie « double vie » car ils débutent leur vie sous forme de têtards ne pouvant vivre que dans l’eau avec leurs branchies, pour ensuite développer des poumons et vivre sur terre.
Il y a bien des différences entre grenouilles et crapauds, mais pas celles qu’on pourrait penser. Dans l’esprit de la plupart des gens, le crapaud a des pustules et est plus moche que la grenouille.
C’est parfois le cas concernant les pustules il faut l’avouer, mais pas toujours.
Scientifiquement, la seule façon de distinguer grenouilles et crapauds, c’est que les crapauds ont des glandes derrière la tête, et les grenouilles, deux bourrelets sur les flancs.
L’important ce n’est donc pas de distinguer si c’est une grenouille, un crapaud, ou même une rainette, mais de bien l’observer pour déterminer son espèce précise.
La loi en France protège beaucoup d’anoures, car la plupart sont menacés. Cependant, la grenouille verte et la grenouille rousse sont pour le moment moins protégées que les autres.
Ce qui pose problème, car elles sont difficiles à distinguer d’autres espèces plus menacées.
[1] Voir « le casque magique : Martha la chatte »
[2] Diplomatiquement = avec tact, en faisant attention à ce qu’on dit pour ne pas blesser ou gêner.
[3] Grenouilles agiles = espèce de grenouille qui fait de grands bonds et qui ressemble beaucoup à la grenouille rousse.