Ien était arrivé sur la grand-place à la constellation déserte où quelques balayeurs libéraient de la neige les ruelles endormies. Une gangue de glace enserrait les façades et offrait à la pierre sombre la lumière de la lune. Ien s’avança, une fine couche de poudreuse bruissait sous ses pas, résonnant dans le silence ouaté. Au centre de l’esplanade trônait le Bassin du Monde. Malgré le froid et la neige, l’eau n’avait pas gelé. Une pellicule de givre enveloppait le muret qui l’entourait, faisant scintiller la roche. Ien contourna le Bassin et sortit des plis de sa lourde cape la lettre cachetée de violet qui l’avait fait lever si tôt. Un violet zinzolin, la couleur des Tisseurs de Rêves. Inquiet de sa ponctualité, il leva ses yeux clairs vers le ciel immuablement sombre qui abritait la ville de Kamen et se perdit dans l’étude du schéma des étoiles. La lumière rouge de l’Aiguille dépassait à peine la constellation du Lion-Céleste. « En avance » pensa-t-il, alors que soulagement se dégageait de sa peau, et il s’assit sur la margelle du Bassin du Monde face à la grande arche d’entrée de la Bibliothèque.
Se penchant sur l’eau, Ien ôta sa capuche blanche pour mettre de l’ordre dans ses longs cheveux limpides. Près de son reflet brillait la lune. Kamen semblait petite dans son logement de pierre, si différente de son miroitement là-haut dans le ciel. Ien caressa la surface de l’eau avec respect et sentit au bout de ses doigts le picotement d’émotions refoulées. Cette gemme au fond de l’eau éclairait leurs existences, d’après certaines légendes elle leur aurait même donné la vie.
Quand l’Aiguille fut à frôler l’aile du Souffleteux, Ien attrapa dans une poche de son vêtement une pierre de la taille d’un ongle qu’il lança dans le Bassin. Elle vint se loger dans la constellation du Leurre. Bon augure.
Ien était encore seul lorsqu’il franchit les immenses portes de la Bibliothèque. L’arche de pierre s’ouvrait sur un hall heptagonal barré d’un bureau de bois massif où s’affairaient une dizaine de liserés-Chercheurs aux tuniques blanches bordées de brun. Le jeune kamir leva les yeux au plafond. La voûte en croisée d’ogives était aussi impressionnante que l’amas de connaissances du lieu, et Ien ressentit humilité. La pièce était percée en son centre d’un escalier, heptagonal lui aussi, desservant les innombrables salles souterraines. Depuis peu, deux des murs lambrissés abritaient des cages d’ascenseur propulsées par un mécanisme à aimant, création de la guilde des Inventeurs. C’était vertigineux. Chaque niveau était rempli d’étagères et tout y était méticuleusement classé : ici les carnets de voyage, là les traités d’anatomie, plus loin l’Histoire complète de Sioltà, les dictionnaires de langue, la science du calcul et la géographie. Toutes les connaissances du peuple kamir étaient regroupées en ces lieux, dans la Bibliothèque.
Ien descendit la première volée de marches et atteignit le pallier suivant. Çà et là étaient disposées des tables de travail et quelques Chercheurs en habits bruns courbaient déjà la nuque sur d’épais volumes, les doigts tachés d’encre et les yeux cernés, certains n’avaient pas dû dormir de tout le zef.
Passant devant les rayonnages monumentaux, longeant le garde-fou du colimaçon, Ien se résolut à emprunter l’ascenseur le plus proche, il avait entendu un liseré-Chercheur dire qu’à pied, le trajet jusqu’au dernier niveau pouvait prendre bien plus d’une constellation et il ne pouvait pas se permettre de vérifier la mesure. La cage mécanique amorça sa descente vers les tréfonds de Sioltà avec force cliquetis. Ien exsudait un mélange d’impatience et d’appréhension. Dans le secret du dernier étage, il allait rencontrer les Tisseurs de Rêves.
La porte de l’ascenseur s’ouvrit et Ien, intimidé, resta dans sa familière étroitesse. Il s’était souvent imaginé la Songerie jusque dans ses moindres détails, comme un temple de l’onirisme et de l’illusion, présentant une profusion d’objets et de traces d’un ailleurs. Aussi rien ne l’avait préparé à l’étonnante simplicité de l’endroit. Ses pupilles se dilatèrent. La pièce était plongée dans la pénombre, éclairée seulement par un astucieux jeu de miroirs et de loupes qui dispensait, au cœur des lieux, la clarté de la lune. La disposition des étagères contre les murs était semblable à celles des niveaux supérieurs, à ceci près qu’elles paraissaient plus nombreuses et soutenaient, en lieu et place des livres, des milliers de petites fioles et bouteilles de verre soigneusement étiquetées.
D’un pas hésitant, Ien quitta l’ascenseur éclairé, pour l’ombre de la Songerie. Il était seul, quelques grains de poussière dansaient dans la lumière pâle.
Curiosité prenant le pas sur ses autres émotions, Ien s’avança entre les rayonnages. La majorité des flacons étaient vides, leurs étiquettes noircies comme unique témoignage d’une utilisation passée. Les autres contenaient une substance doucement nacrée, celle-là même qui courait sur sa peau pâle. « De l’exhalt », comprit-il intrigué.
Sa nyctalopie combattant l’obscurité, il s’engagea dans une allée et lut çà et là quelques inscriptions manuscrites. « Anor, Voyage en île haubanée », « Jessamyn, Dans les peaux d’un Ogari », « Yf, Guerre du fer ». Du songe en bouteille ! Un concentré d’émotions tissé par les membres de la guilde la plus enviée et la plus secrète de Kamen. Sa peau frémit d’excitation, réalisant à grand peine la chance qu’il avait de se trouver là. Ien embrassa la pièce des yeux. La lumière diffuse se réverbérait sur les flacons à facettes faisant chatoyer le liquide qu’ils contenaient. Il tendit la main vers une fiole — « Mozes, Marché de la douzième ventée » — qu’il caressa d’un doigt laiteux, comme pour en ressentir le contenu. Il n’avait fait l’expérience du rêve qu’une fois par mégarde : au prix de l’once, on ne s’en servait qu’avec parcimonie pour les grandes occasions et après avoir quitté le blanc de l’enfance. Il ne gardait pas le souvenir de la manière dont la dernière goutte de la petite bouteille avait touché sa peau, mais la vision restait gravée dans sa mémoire, brève et intense.
Un soleil éblouissant hissé haut dans le ciel, des odeurs inconnues et il volait, au-dessus des flots et des îles, mosaïque de verts, de jaunes et de bleus. Depuis lors, il avait toujours souhaité rejoindre les Tisseurs pour apprendre avec eux.
Sa réflexion fut interrompue par l’entrée d’une silhouette habillée de violet. La Tisseuse avait le visage fermé, comme tous ceux de son peuple, mais les émotions se dégageant de sa peau formaient une aura presque tangible. On ressentait joie et sérénité avant même de l’effleurer.
Ien, impressionné, s’inclina devant la Tisseuse qui le releva d’une main amusée, sondant son exhalt du même mouvement.
« Bonzef Ien, et bienvenue dans la Songerie. Je suis Jessamyn, et je m’occuperai de ta formation tant que tu voudras apprendre parmi nous. Je serai ta maistre. »
Elle frôla de ses doigts le poignet d’Ien et sentit perplexité.
« Quelque chose ne va pas ? », l’interrogea-t-elle.
Le jeune amorça une réponse puis, s’interrompant, commença d’un pas les déambulations rituelles des conversations kamires, Jessamyn sur ses talons.
« C’est à dire… Je m’attendais à devoir faire mes preuves ou bien argumenter pour entrer au service d’une guilde aussi révérée que la vôtre.
– La nôtre, corrigea la Tisseuse, l’incluant d’un geste de la main. Tu es des nôtres maintenant, ne l’oublie pas. »
Revenue au centre de la pièce, elle termina le motif d’un coup de talon, et se remit en marche pour un nouveau symbole. Les circonvolutions évoluaient avec les pensées de chacun, marcher aidait à trouver la sérénité et permettait ainsi de s’approcher de la vérité.
« Je t’ai observé pendant que tu m’attendais. Comment trouves-tu l’endroit ?
– Beau, pour sûr, comme l’est le reste de la Bibliothèque. »
Jessamyn refoula déception. Elle oubliait souvent la pudeur et l’introversion de ses semblables. À travers les Rêves qu’elle avait tissés et visités, elle avait découvert une nouvelle façon de penser, de voir le monde et de l’exprimer. Il avait encore tout à apprendre, elle ne pouvait s’attendre à mieux pour le moment.
« Mais encore ? Que dirais-tu de la lumière ? De l’espace ? De l’organisation ? De ce que tu as lu sur les fioles ? De tes... »
Elle s’interrompit. Il ne fallait pas qu’elle l’effraie dès le premier zef en lui parlant d’émotions, pas alors qu’il n’avait jamais quitté les frontières de Kamen, jamais envisagé autre chose.
« Enfin… N’as-tu rien de plus à dire de la célèbre Songerie ? »
Ien perturbé s’écarta du tracé et s’arrêta près d’une étagère. Son regard gris clair parcourut la pièce.
« Il fait sombre. Il y a tellement d’étagères que les allées sont étroites. Chaque étiquette indique le contenu des flacons. Et… certains sont vides. »
Jessamyn acheva le motif, pensive. Elle alla s’appuyer contre une colonnette et fit tinter, du bout d’un ongle, le verre d’une fiole.
« Tu ne peux pas te contenter de regarder Ien. Il faut que tu comprennes ce qui fait le lieu. »
Le sentant perplexe, la maistre poursuivit :
« Tu peux décrire précisément la pièce, l’alignement des meubles, l’intensité de la lumière, mais il faut comprendre pourquoi. Est-ce un hasard s’il fait sombre ? L’étroitesse de l’endroit est-elle due à un manque de place ? Alors peut-être pourras-tu effleurer l’essence du lieu. Recommence. »
Ien passa tout le proche à s’imprégner de l’ambiance de la Songerie, cherchant à trouver les mots justes pour la dépeindre. Quelques fois, un Tisseur traversait la Bibliothèque des Songes, leur adressant un hochement de tête avant de disparaître par des portes dissimulées par des étagères. Jessamyn, attentive, guidait le jeune Kamir du mieux qu’elle pouvait, explorant son nouveau rôle de maistre. Elle essaya de lui faire voir la salle sous différents angles que le Tisseur novice ignorait jusque là. La faible lumière pour conserver l’exhalt, la profondeur de la pièce autant intrigante que défensive.
Sentant fatigue dans l’exhalt de son élève, et se découvrant elle-même lasse, Jessamyn lui donna congé alors que l’Aiguille atteignait le Hauban.
Ien rentra chez lui harassé et heureux de son zef passé sous terre. La lumière du foyer filtrait par les rideaux. Le jeune Kamir poussa la porte d’entrée, brisant la glace qui commençait à se reformer à sur le linteau. Bien qu’il fût encore tôt, il rejoignit directement la chambre qu’il partageait avec son frère et sa sœur, plus jeunes.
Avant de sombrer dans un profond sommeil, Ien eut une pensée fugace pour ses apprentissages du zef. Il se demanda si le désordre habituel de la chambre était dû au hasard, et se promit d’explorer, un zef futur, la raison obscure qui devait l’occasionner.
Les sentiments sous cette forme sont dus à la manière dont les Kamirs transmettent leurs émotions. Tu devrais mieux comprendre dans la suite !
Merci de ton commentaire !
Quelques remarques qui ne sont que des suggestions et que je considère comme insignifiantes au regard du travail sur le style (je les fais dans le seul but de proposer mon aide sur un plan technique).
Soit le passage suivant : "D’un pas hésitant, Ien quitta l’ascenseur éclairé, pour l’ombre de la Songerie. Il était seul, quelques grains de poussière dansaient dans la lumière pâle.
Curieux, Ien s’avança entre les rayonnages. La majorité des flacons étaient vides, seules leurs étiquettes noircies témoignaient d’une utilisation passée."
Ne faudrait-il pas éviter la répétition de l'adjectif "seul" / "seules" ?
Dans : "celle-là même qui courrait sur sa peau pâle", si "courir" est bien à l'imparfait et pas au conditionnel, il ne faut qu'un seul "r".
Dans : "et lu, çà et là", il faut écrire "lut" car c'est du passé simple me semble-t-il.
"Bienvenue", quand il est employé ainsi, s'écrit toujours avec -e final car c'est l'expression du souhait de la bienvenue, même si c'est un homme à qui on la souhaite.
"Bien qu'il fût" => il faut un circonflexe, c'est un imparfait du subjonctif.
Encore une fois, je suis sous le charme de la poésie de ce premier chapitre. Au plaisir de continuer à vous lire.
Je suis vraiment très heureuse que vous ayez ressenti la poésie de ce chapitre ! J'ai vraiment travaillé sur les images et sonorités et suis heureuse que ça ait porté ses fruits !
Petite nouvelle sur PA, ton histoire est la première à atterrir dans ma PAL :)
Je suis super sensible au style, à la façon dont les descriptions, les dialogues etc sont formulés, et je peux vite me braquer contre une histoire si je trouve les tournures maladroites (ce qui est injuste car souvent le fond compense largement la forme). Mais dans ton cas le style m'a tout de suite accroché: il est précis et enlevé, à l'image de la première phrase que je trouve parfaite "Ien était arrivé sur la grande place à l’heure déserte où quelques balayeurs libéraient de la neige les ruelles endormies."
Comme je me suis mise à te lire un peu par hasard je n'ai pas la genèse de ton histoire et les éléments de contexte à l'esprit, donc les émotions exprimées en italique sont un peu déroutante mais ça ne me dérange pas du tout dans la mesure où je comprends que c'est quelque chose qui me sera révélé progressivement?
J'ajoute que la fin du dialogue avec la Maistre est intriguant à souhait et me pousse vraiment à continuer :)
Merci pour ton commentaire !
Pour ce qui est du style, il se trouve que j'écris très lentement (trèèèèèèès lentement) et réécris plein de fois les chapitres, justement parce que je cherche à décorer chaque phrase ^^ J'ai (encore) modifié mon chapitre et cette version n'est donc pas tout à fait la dernière, le dialogue de la fin est mieux mis en valeur (je l'espère) dans la nouvelle version pas encore sur FPA.
Oui, pour les émotions tu devrais comprendre plus avec le chapitre suivant (notamment) et avec les suivants aussi (work in progress...).
A bientôt peut-être !
Eh ben... il est très maîtrisé, ce premier chapitre ! Quoique tu en penses, d'un point de vue de la narration, du ton, de l'ambiance... ça fonctionne :-) je pense que tes choix pourront tout simplement être orientés par tes envies en tant qu'autrice.
Tu m'avais déjà décrit ces personnages qui ressentent via leur corps, et je ne suis pas 100% sûre parce que c'est un "détail" qui m'a marqué les deux fois où tu m'as présenté ton histoire, mais je crois que le concept est relativement bien transmis pour les lecteurs.trices qui n'en sauraient rien - relativement parce que, mine de rien, cette particularité ne me semble pas être au cœur de ce chapitre, et j'imagine qu'il t'en faudra d'autres pour explorer tout ce que ce à quoi ça peut amener.
Ton écriture est toute précise, minutieuse et presque mathématique (tout en géométrie et carrés - je me comprends ^^). Et paradoxalement, très fluide ! J'ai l'impression qu'elle correspond pas mal à ton histoire et aux particularités de tes persos.
On sent aussi que tu maîtrises ton univers, et que cet univers est très riche : tu nous plonges sans aucun préavis, comme si tout y était naturel (alors que pas du tout). C'est très intriguant !
Merci pour cette lecture ! Tu peux être fière de ce premier chapitre ;-)
A très vite,
Liné
Merci pour ta lecture ! Ton commentaire est super encouragent !
Je suis heureuse si ma manière d'écrire te plait, j'espère que ça continuera même si je choisi une autre approche (à la 9e réécriture, qui sait ^^).
Pour ce qui est des émotions, je ne veux pas trop submerger le lecteur dès le premier chapitre, donc oui, ça commence doucement de ce point de vu là ! De manière générale, j'ai essayé de ménager le lecteur pour ce(s) premier(s) chapitre(s)...
Merci encore !
J'aime beaucoup ton style et je suis contente de pouvoir découvrir ce chapitre 1 après la lecture du 2 héhé ;) Je sais qu'il ne s'agit que d'une introduction cependant je trouve un peu dommage le fait que tu éludes toute la journée qui est passée à s'imprégner de l'atmosphère de la Songerie par un seul petit paragraphe. J'aurais aimé en lire plus, même si je crois comprendre pourquoi est-ce que tu ne t'attardes pas plus dessus.
Merci d'être venue lire !
J'ai écris une autre version de ce chapitre un, qui détaille plus et élude moins... Je ne sais pas encore trop si c'est vraiment ce que je veux ^^ En tout cas je note ta remarque et j'y réfléchis !
Je reprends donc rapidement (n'hésite pas à me contacter si tu as des questions)
J'aime bien ce début, ton système autour des émotions est intéressant, original, et promet de beaux développements. La Songerie est aussi un lieu mystérieux que l'on a envie de découvrir, et dont on souhaite connaître les activités.
Au niveau style, je n'ai pas grand-chose à dire, c'est fluide et bien écrit :-)
Mon seul petit point, c'est cette introduction un peu massive de termes dans les premiers paragraphes. Je n'ai pas eu de mal à les assimiler (on peut raccorder un sens en français et ça aide à retenir); mais je trouve qu'ils créent un effet d'exposition un peu lourd. On a l'impression que tu cherches à exposer les fondements de ton monde, alors même que certains passages suggèrent que tu distilleras tes informations. si tu n'y arrives pas, ce n'est pas gravissime, il y a après tout beaucoup de livres de fantasy qui ont une introduction de ce type, mais je trouve cette accumulation un peu dommage étant donné ton style, et je pense que tu faire en sorte que ce soit plus subtile :-)
Liée à cette idée, je m'interroge aussi sur l'emploi des majuscules. Elles surchargent un peu la mémoire du lecteur en attirant son attention. Sont-elles toutes bien nécessaire ? Par exemple "l'Aiguille" ou "la Bibliothèque" (puisque tu évoques ensuite son nom complet ==> "La Bibliothèque du Nord" ?
Voilà, je continuerai à lire avec plaisir !
Merci pour tes remarques. Tu n'es pas la première à me faire remarquer le côté "massif" de l'entrée en matière. Je vais voir comment je peux alléger ça dans la suite. En fait, en tant que lectrice, j'aime me sentir noyer dans un nouvel univers, comme si son fonctionnement était trop "évident" pour les personnage qui y évoluent pour que l'auteur prenne le temps de le détailler dès le début. Manifestement, là ça fait tout de même trop brut de décoffrage...
Pour ce qui est des majuscules, je vais certainement enlever celle de Bibliothèque (et lui trouver un autre nom) mais pour l'Aiguille (qui est une île-étoile) je garde la majuscule comme on garde celle de la France ou de Véga ^^ En fait, la grande majorité des mots avec majuscules sont des noms de constellations et prennent donc, comme celles de notre ciel terrestre, une majuscule...
Merci encore de t'être arrêtée ici !
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Je me présente, je me nomme Isiniel, et j’étais un peu connu pour avoir rédigé des critiques un peu alambiquées basées sur le sens et la sonorité.
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En préambule, ma critique est basée avant tout sur une méthode dévoyée du commentaire de texte : grossièrement parlant, en partant d’un axe de lecture de soulever tout ce qui serait contraire à un axe de lecture. Cette critique n’a pas autant pour but de modifier que d’observer la force du texte à défendre ses propres choix. Il se peut que je puisse paraître virulent dans ma critique (on m’a souvent dit que je déconstruisais les textes (rire)), mais il n’en sera rien : j’adore discuter avec les gens de leur choix d’écriture (sourire) !
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Voici l’extrait que je critiquerai :
Ien était arrivé sur la grande place à l’heure déserte où quelques balayeurs libéraient de la neige les ruelles endormies. Il contourna le Bassin du Monde et sortit des plis de sa lourde cape la lettre cachetée de violet qui l’avait fait lever si tôt. Le Kamir leva ses yeux clairs vers le ciel immuablement sombre et se perdit dans la contemplation des étoiles. La lumière rouge de l’Aiguille dépassait à peine la constellation du Lion-Céleste. « En avance » pensa-t-il, alors que soulagement se dégageait de sa peau. Ien s’assit sur la margelle du Bassin face à la grande arche d’entrée de la Bibliothèque.
Se penchant sur l’eau, Ien ôta sa capuche blanche pour mettre de l’ordre dans ses cheveux limpides qu’il portait longs.
Quand l’Aiguille fut à frôler l’aile du Souffleteux, le jeune Kamir se leva et attrapa dans une poche de son vêtement une pierre de la taille d’un ongle qu’il lança dans le Bassin. Elle vint se loger dans la constellation du Leurre. Bon augure.
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En préambule :
« alors que soulagement se dégageait de sa peau » : un mot semble manquer.
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D’emblée, une particularité ressort et rend malaisé le lien de connivence entre le lecteur et ton texte : « Bassin du Monde », « Kamir », « Aiguille », « Lion-Céleste », « Bibliothèque », « Souffleteux », « Leurre ». Les trois premiers paragraphes qui ouvrent sur ton univers comprennent un lot de noms propres qui, s’ils semblent signifier quelque symbole au personnage, n’expriment que peu de chose aux yeux du lecteur-type que je représente. Par exemple, que signifie « Kamir », pourquoi une majuscule à « Bibliothèque », pourquoi « Bonne augure » pour une constellation dite du « Leurre », qu’a donc de particulier ce bassin pour être nommé ainsi ? De sorte que tu confrontes à ton lecteur de nombreuses questions qui ne trouvent pas de significations immédiates ni d’image, via le texte. Au contraire, tu me sembles obliger le lecteur de puiser dans l’imaginaire collectif pour créer un sens à des mots qui, à leur apparition, n’en possèdent peu. De sorte que cette entrée en matière, loin de fédérer le lecteur derrière ton imaginaire, ne fait que refléter l’univers du lecteur, puisqu’il doit puiser dans ses propres références pour se créer une image de ta scène (à cause des noms propres). Tu risques de débuter ton roman sur un lien fragile entre toi et ton lecteur. On peut me arguer que des noms propres produisent un sentiment de mystère (j’oppose toutefois que l'onconfond l’atmosphère du mystère et la compréhension du texte) ; malheureusement, je n’ai pas d’espérance dans cette technique qui substitue le difficile exercice de la description par une majuscule qui n’a pas de force d’évocation.
De la même façon, la gestuelle qui accompagne ta scène me paraît manquer son propos. Pourquoi ? Décomposons ta scène en une pièce théâtrale :
1°) Entrée sur le plateau : « Ien était arrivé sur la grande place à l’heure déserte ».
2°) « Il contourna le Bassin du Monde ».
3°) « sortit des plis de sa lourde cape la lettre cachetée de violet qui l’avait fait lever si tôt. ».
4°) « Kamir leva ses yeux clairs vers le ciel ».
5°) « Ien s’assit sur la margelle ».
6°) « Se penchant sur l’eau ».
7°) « Ien ôta sa capuche ».
8°) « mettre de l’ordre dans ses cheveux limpides »
9°) « le jeune Kamir se leva et attrapa dans une poche de son vêtement une pierre de la taille d’un ongle qu’il lança dans le Bassin »
Dans cette décomposition du geste, la gestuelle du héros oscille entre deux chaises : l’importance d’informer le lecteur et l’importance de donner de la chair au personnage. Le plus flagrant est lorsque Ien sort la lettre cachetée violette : en accordant une phrase et un geste, tu donnes une importance à cette lettre. Toutefois, ta focale bifurque aussitôt sur la contemplation du ciel. Tu émets en ce sens une sorte d’ambivalence étrange sur l’importance de la lettre, puisque le personnage lui-même en fait peu cas, par sa gestuelle et qu’il ne s’y référera plus dans la suite du texte.
De plus, certains actes de ton personnage me paraissent forcés : le 7° et le 8° me sont apparus qu’ayant pour seul but de donner une information sur les caractéristiques des cheveux de Ien. Pour cause, en effet, la rétention d’informations des premiers paragraphes ne permet de supposer que le personnage rencontrera des membres éminents auxquels il souhaite faire bonne impression. De plus, jusqu’à la rencontre, cette gestuelle caractéristique ne se répétera pas lors de sa déambulation dans la bibliothèque. En d’autres termes, a priori et a posteriori, ce geste perd de son sens d’évocation et devient purement esthétique ou informel. Je parle de perte d’évocation, car dans la phrase : « Se penchant sur l’eau, Ien ôta sa capuche blanche pour mettre de l’ordre dans ses cheveux limpides qu’il portait longs. » tu emploies des termes neutres qui n’appartiennent pour aucun au champ lexical « du mélange d’impatience et d’appréhension » (termes employés par Ien pour décrire son impression) ; « Se penchant », « ôter », « mettre de l’ordre », « limpide », « portait », « long », s’ils décrivent bien l’action, ne lui donnent pas de cette valeur d’angoisse qui réglera la suite de l’histoire.
A fortiori que cette gestuelle survient à la suite d’une tentative de mise en importance de la structure de la bibliothèque. De la même façon que la lettre, tu concentres l’attention du lecteur sur un point précis pour l’en détourner par une action qui n’informe que sur un trait esthétique.
<br />
Je m’arrête là pour le moment.
<br />
Qu’en penses-tu ?
Je voudrais tout d'abord te remercier du temps que tu as passé sur mon texte.
Je pense qu'il faut encore que je réussisse à définir le but de l'écriture pour moi.
Pour le moment, je ne veux pas écrire pour un "lecteur-type", pour reprendre ton expression, mais plus pour moi et des lecteurs qui apprécient des lire destrucs comme je voudrais en lire. Je m'explique. J'adore lire des textes qui immergent tout de suite avec plein de trucs qu'on ne comprend pas, et pas trop de détails. J'aime que l'auteur me pousse à utiliser mon imagination pour créer petit à petit, avec des indices dispersés, les images qu'il souhaite.
Je fais en sorte de faire des phrases qui ne comportent que l'essentiel, et pousse le lecteur à lire entre les lignes (par exemple, la phrase où tu soulignes le mouvement "inutil" de recoiffage de Ien, montre son anxiété).
En fait, je pense que j'écris, non pas pour l'histoire mais pour le monde et le style. Ton message me permet de réfléchir à savoir si c'est vraiment ce que je veux faire ou si je dois reréfléchir cet objecif pour pouvoir partager mon texte avec plus de monde.
Je serais heureuse d'en discuter plus avant avec toi !
A bientôt,
Olek
Très jolie intro, toujours ce style et ce monde très complexes, très mystérieux... mais on s'y retrouve ! le seul mot qui m'a posé problème c'est le "proche", mais bon on devine que c'est une période de temp, et ça s'éclairecira surement plus tard.
petite coquille dans la dernière phrase : "de d'explorer".
Hâte d'en lire plus !
C'est un peu ma peur, que ce début fasse une avalanchede nouveautés difficilement assimilables ! Heureuse que tu aies suivit :p
Coquille corrigée !
J'essaie de poster le chapitre suivant sans trop tarder, il sera sur un autre personnage de l'histoire...