Chapitre 2 - Nathiel - Départ

Par Olek
Notes de l’auteur : Chapitre mis à jour le 17 avril 2020 !

Sur ses épaules trop larges pour un Kamir, Nathiel accrocha la cape jaune de sa guilde. Il emplit à la hâte ses vastes poches de carnets et de plumes et attacha par habitude un glaive à son côté. Non pas qu’il compte s’en servir, mais jusqu’à la veille encore, c’était la guerre. La signature d’un traité de paix ne changeait pas les habitudes en un zef. Il ajusta sa capuche sur ses cheveux sombres et sortit de la maison de son père, sa convocation à la main. Elle portait le sceau personnel d’Addel, l’un des Puissants Voyageurs.

Nathiel traversa la ville de Kamen, une main posée sur la garde de son arme, les oreilles à l’affût. Il ne lui était jamais rien arrivé derrière les impressionnantes murailles de la cité cependant il restait sur le qui-vive, il avait lu bien trop de récits de Voyageurs agressés lors de leur dernières sorties sur les îles.

La Tour des Voyageurs était située non loin du port, facilitant ainsi les allées et venues de ses membres. Sur les quatre étages qu’elle comptait, deux étaient constitués de dortoirs pour les retours de mission. Le dernier, ainsi que le rez-de-chaussée, abritait entre autre les bureaux de compte-rendu et d’attribution des missions.

Lorsque Nathiel entra, le hall grouillait de monde. Vêtus de jaune pour la plupart, même si certains portaient le brun des Chercheurs. Le jeune homme soupira (il l’avait découvert dans un de ses voyages et il adorait ça, soupirer) ; depuis le début de la guerre, la Tour ne désemplissait pas.

D’un pas ferme, il se dirigea vers le bureau des attributions. Sur son chemin, les Kamirs s’écartaient, évitant de croiser son regard ou, au contraire, le scrutant avec attention. Il le savait, il les mettait mal à l’aise, lui le Kamir-Îlien à la peau vierge de tous sentiments. Une bête de foire. Quand il ferma la porte derrière lui, il aurait pu éprouver soulagement tant le hall en était imprégné.

« Bonzef, Nathiel. »

Addel l’accueillit d’une voix égale. Il n’amorça pas de geste vers le poignet de Nathiel, d’ailleurs ce dernier s’était bien gardé de le découvrir. Ce type de salut se terminait invariablement par dégoût sur des doigts qui se dégageaient avec empressement de son bras dénudé.

« Nous avons un Voyage à te proposer. Ton… lien avec les Îliens devrait t’aider dans cette entreprise. »

Souvent, Nathiel s’amusait à imaginer les émotions invisibles qui couraient à la surface de la peau de ses interlocuteurs : gêne, ici.

« Tu n’es pas sans savoir que la guerre finie, les harponneuses vont être démantelées », (mépris plutôt ?).

Si Nathiel s’en doutait, il se garda bien de répondre. Quoi qu’il dise, sans l’appuyer d’émotions, il se desservirait. Au mieux on le prendrait pour idiot, au pire pour pédant.

Addel poursuivit : « Il faut que tu ailles là-bas, sur place, recueillir les témoignages, dessiner, trouver des échantillons intéressants, quoi que ce soit qui puisse servir aux Chercheurs. Noter les émotions même, toi qui y tiens tant (moquerie sans aucun doute possible). Bref, tu pars demain sur l’île haubanée amarrée près du Mur. »

Il s’arrêta, le jaugea du regard et reprit : « Il va sans dire que nous attendons de toi un compte rendu détaillé. »

Nathiel inclina la tête en signe d’assentissement, il ne pouvait pas faire grand-chose de plus devant un Puissant de sa guilde.

Sans attendre quoi que ce soit de plus d’Addel, Nathiel tourna les talons et traversa de nouveau le hall bondé. De nombreuses paires d’yeux le suivirent avec avidité et il sentit sur son passage des vapeurs de curiosité.

Nathiel ne comprenait pas pourquoi cette mission lui incombait, non qu’elle lui déplût, au contraire, cela lui donnait une raison de quitter la touffeur du nid paternel, mais ce genre d’excursion unique était généralement prisée par les Voyageurs les plus réputés. Certainement la dangerosité de l’affaire. Après tout certaines harponneuses étaient peut-être encore habitées, et sacrifier la petite horreur kamire valait mieux que risquer de perdre un membre éminent de la guilde.

Nathiel se demanda avec douleur combien de ceux, massés derrière lui, espéraient qu’il ne rentrerait pas de cette mission. Plus il voyageait et plus il se sentait étranger ici.

Le jeune métisse passa la porte, la promesse de son départ prochain allégeant quelque peu sa peine. Sur le chemin du retour, Nathiel prit le temps d’un détour par le Bassin du Monde. Il ne regrettait pas la lune quand il était loin d’elle, bien que son spectacle serein apaisât ses émotions. Elle calmait son monstre intérieur, le caressait jusqu’à l’endormir pour un temps. Ses sentiments pouvaient être si douloureux comme il les contenait ! Il s’assit sur la margelle gelée. Au fond de l’eau, Kamen, le joyau du petit monde, brillait d’une clarté pure. Nathiel inspira profondément. Il aimait l’odeur du froid humide et silencieux qui régnait ici.

À Kamen, il n’habitait pas à la Tour des Voyageurs, comme la majorité des jeunes membres de sa guilde, mais chez son père, Eleas. Autrefois lui-même Voyageur, ce dernier avait arrêté de parcourir Sioltà peu après la naissance tragique de son fils. Le petit monde ramenait à sa mémoire le visage rieur de sa défunte compagne, aussi avait-il choisi d’abandonner la cape jaune pour le rouge des Soigneurs. Jamais plus il ne laisserait quelqu’un mourir sous ses yeux impuissants, comme ce triste zef qui l’avait vu devenir à la fois père et veuf.

De retour dans la petite maison de pierre ponce, Nathiel empaqueta ses affaires. Cela ne lui prit guère de temps, il ne possédait que ce qu’il pouvait porter : quelques habits de rechange, son nécessaire d’écriture et ses carnets, une gourde d’eau, une carte des vents et un sifflet îlien qu’il tenait de sa mère, son bâton à la main.

Il mangea en silence avec Eleas. Il n’y avait jamais eu beaucoup de mots entre eux et les derniers prononcés avaient été très durs.

Nathiel se leva au plus tôt afin d’éviter un au revoir malhabile, composé de prises de mains hésitantes et d’encouragements un peu trop faussement heureux. Sans un bruit, Nathiel sortit de la maison où résonnait encore la respiration calme de son géniteur. Nathiel aimait beaucoup son père, mais il y avait toujours eu une certaine gêne dans leurs échanges. La tristesse de ne pas se comprendre ? La déception de ne pas être pour l’autre celui qu’il aurait souhaité ?

Le jeune Voyageur traversa la ville et se rendit sur les quais. Le quartier du port avait beaucoup changé. Autrefois il brillait sous les guirlandes de lanternes des îles amarrées, il retentissait des cris des marchands fraîchement débarqués et du bruit des tavernes, si différents du calme feutré enveloppant le reste de la ville. Ç’avait été un endroit vivant, au goût sucré de jouy, le reflet des îles sur les terres du Nord. Deux ventées auparavant, on avait bâti un mur. Lourdes pierres avilies. Un mur immense coupant Kamen de la mer, la protégeant des harponneuses, rendant le lieu encore plus froid, encore plus fade.

Nathiel longea la muraille, une main sur la roche suintante. La rue était sinistrement sombre sans le reflet de la lune sur les flots pour l’éclairer. Le jeune homme frissonna et pressa le pas. Il n’aimait plus s’attarder ici.

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Xendor
Posté le 30/10/2020
Re coucou, tu m'avais déjà parlé de Nathiel, et je compatis à son sort maintenant que je lis ce chapitre. C'est désolant de voir une telle réaction de la part de son propre peuple qui le considère, comme tu l'écrivais, comme une "bête de foire" (ou encore comme "curiosité scientifique", vu que beaucoup sont des chercheurs.). Donc, du coup, les deux personnages, Ien et Nathiel ne viennent pas de la même époque. J'ai déjà une vague idée de qui est à la base de la fondation de la guilde des tisseurs de rêve, si je me souviens bien de ce que tu m'en as dit.

Niveau plume, c'est extra. Tu es très fluide, et on sent que les mots ont été travaillés. C'est très agréable à lire :)
Olek
Posté le 01/11/2020
J'adoooore Nathiel !! Je m'identifie un peu trop à lui. Il me sert de défouloir et c'est trop bien !
En effet, Ien et Nathiel sont de deux époques différentes. Ien est plus récent.
Je ne pense pas t'avoir déjà parlé de la création de la Guilde des Tisseurs de Rêve mais je suis curieuse de connaître tes suppositions !

Je suis heureuse que ça se sente que les mots sont travaillés ! Je passe tellement de temps dessus !
Paul Genêt
Posté le 19/12/2019
Je ne ressens pas la même chose que Sorryf. Je trouve que les incompréhensions font partie du plaisir de la découverte d'un nouveau monde foisonnant. Je n'ai pas besoin de tout comprendre. C'est l'utilisation d'une même expression dans différents contextes qui va me faire deviner son sens (comme "l'île haubanée", c'est très beau). C'est le plaisir de la découverte d'une nouvelle langue associée à une nouvelle réalité. J'aime beaucoup et j'admire le travail.

Quelques corrections ou suggestions :

et sorti de la maison de son père => sortit (passé simple)

"Quoiqu’il dise" et "quoique ce soit" => quoi que ("quoique" = bien que mais "quoi que" exprime ce qu'on appelle en grammaire un parcours des possibles, comme quoi la grammaire peut être poétique, parfois)

certaines harponneuses était peut-être encore habitées => étaient

Ses sentiments pouvaient être si douloureux comme il les contenait ! => là, je ne suis pas sûr de moi, le "si" semblait annoncer une circonstancielle de conséquence mais finalement, c'est une causale introduite par "comme". Personnellement, ça m'a interpellé mais après je me suis dit que vous l'aviez peut-être fait volontairement.

aussi avait-il choisit d’abandonner la cape jaune pour le rouge des soigneurs => choisi

un siffler îlien qu’il tenait de sa mère => là non plus, je ne suis pas sûr. Le substantif, normalement, c'est "sifflet" mais le remplacer par le verbe substantivé est peut-être un effet poétique ?

composé de prise de mains hésitante et d’encouragements un peu trop faussement heureux => prises de mains hésitantes, non ?
Olek
Posté le 03/03/2020
Merci be
Olek
Posté le 03/03/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire, ton point de vue sur le foisonnement des informations me rassure un peu dans mes choix de narration. Merci aussi beaucoup pour tes corrections, je suis allée un peu vite...
Romane
Posté le 08/12/2019
Hello ! Je viens lire la suite ! Comme ma lecture du chapitre 1 datait un peu, j'ai mis un peu de temps à me recontextualiser.
Je trouve le personnage de Nathiel intéressant, la faille que tu lui as créée autour de ses émotions promet des développements intéressants.
Comme Sorryf l'a également dit, je suis aussi pour ma part un peu perdue sur certaines choses et je rejoins ses propres points. Les Harponneuses, par exemple, j'ai tout de suite instinctivement rapproché cela des Harpies, du coup j'imaginais des créatures organisées en réseau, mais ça n'a pas l'air d'être ça.

Sinon ton style est toujours aussi agréable :)
J'attendrais peut-être que tu aies posté un peu plus pour continuer, pour pouvoir enchainer plusieurs chapitres et mieux m'immerger dans l'histoire
Olek
Posté le 03/03/2020
Merci de ton passage ici !
J'espère que les choses s'éclairciront pour toi dans la suite ! J'ai pas mal avancé sur l'écriture, mais ça a créé des incohérences donc je vais attendre un peu avant de publier la suite...
Liné
Posté le 19/11/2019
Tu sais que tu as très bien fait de publier ce 2e chapitre ? ;-)

On y retrouve ton écriture toute précise.

Coté intrigue, on fait un bon en avant (du coup, à mon sens, le premier chapitre fait peut-être figure de prologue ?) : on entend parler d'une guerre, de harponneuses, et d'un personnage visiblement central envoyé en mission - pourquoi exactement, on ne le sait pas.

J'aime ta manière de nous faire pénétrer dans la complexité de ton univers de manière douce et naturelle : tu nous poses des termes, des concepts qu'on ne fait pour l'instant qu'effleurer. Autres bouts d'explications et de compréhension dans la suite, donc ;-)

A très vite !
Olek
Posté le 19/11/2019
Merci d'avoir continué !

Je ne pense pas qu'on puisse vraiment qualifier le premier chapitre de prologue étant donné que l'histoire de Ien sera poursuivie dans la suite et que le chapitre trois sera la suite logique du un. J'ai tendance à voir les prologues comme des trucs un peu à part qui introduise au monde mais ne sont pas directement liés à la suite (même si on en découvre l'utilité seconde plus tard). Peut-être ai-je une mauvaise définition du prologue...

Je suis heureuse si l'introduction dans le monde est douce ! C'est un truc assez compliqué pour moi d'être sûre d'en dire assez pour faire plonger le lecteur dedans sans en dire trop pour ne pas le submerger...

A très vite... Tu es un peu optimiste je crois XD
Sorryf
Posté le 19/11/2019
Bravo pour avoir posté cette suite ! ça faisait longtemps !
C'est toujours aussi bien écrit et profond que dans mes souvenirs ! Les infos que tu m'as donné sur le monde m'aident beaucoup, même si des choses m'échappent encore.
Pauvre Nahiel, privé de "liens" avec ses semblables à cause de son impossibilité a exprimer des émotions. ça m'a un peut fait penser au héros du parfum que personne n'apprécie parce qu'il n'a pas d'odeur (de mémoire)(en bieeeeeeeeeeeeen plus sympathique!) Voyager, rencontrer d'autres peuples, ça va lui faire du bien j'espère !
La suite !
Olek
Posté le 19/11/2019
Merci de ta lecture Sorryf ! ça faisait longtemps oui, mais après tes menaces de dimanche...

Je suis intéressée de savoir quelles sont les choses qui t'échappent encore pour me faire une idée de ce qui doit être expliqué, approfondi... Si jamais tu as le temps bien-sûr !

Je ne l'avais jamais vu sous le même angle que le parfum mais c'est vrai que c'est un peu pareil ! Je suis heureuse s'il a l'air plus sympathique que Grenouille ^^
Sorryf
Posté le 19/11/2019
et ben par exemple... (je vais avoir l'air bête alala T.T)
les harponeuses : j'ai cru que c'était des personnes au début, puis ensuite je me suis dit c'est des îles ?
Le petit monde, c'est l'endroit ou ils sont ?
Je j'ai pas identifié Kamen : c'est la lune ? son reflet ? (mais le reflet dans l'eau ou le ciel du coup xD ?) C'est le pays ? Le bassin du monde : l'image que je m'en était fait quand tu en as parlé IRL est un peu différente de ce que je crois comprendre ici : le reflet dans le ciel est le reflet d'un joyau qui est dans le bassin (Kamen?)(ce que j'ai compris à la lecture) ou c'est le reflet du bassin entier (ce que j'avais compris à l'oral)? Si c'est le 1, le bassin doit être immense, est-ce qu'on peut en faire le tour, ou meme voir la rive d'en face ?
Une Ventée, aucune idée de l'unité de temps que ça peut être, j'imagine environ une décennie (au pif total)
Quel est le lien entre les personnages de ces deux premiers chapitres...
des choses comme ça ! la ça fait beaucoup pour un chapitre si court (oui voila je suis bete T.T) mais c'était pas handicapant à la lecture : ca m'a pas posé de problème de pas savoir si les harponneuses sont des guerrières, des armes ou des moyens de transport, je le découvrirai bien tot ou tard (si tu continues a poster :p)
J'espère que ça t'aide + que ça te confusionne T.T
Olek
Posté le 20/11/2019
C'est top ! Merci d'avoir pris le temps de me noter tout ça ! Je pense que tu auras des réponses plus tard même si à la correction (et je vais essayer d'attendre pour ça ^^), je modifierai certainement quelques trucs pour la clarté !
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