Chapitre 1 : Je quitterai l'Angleterre...

Par Rouky

Red Sharp pénétra, le souffle court, dans le bureau que ses collègues avaient l’habitude de nommer “Le Sanctuaire D’Ebène”, tant les murs de l’immeuble étaient aussi noirs que de la suie. En ce qui concernait la dénomination de “sanctuaire”, Red Sharp n’en était pas convaincu. Pour lui, ce lieu s’apparentait plus à une prison qu’à un endroit où l’on viendrait chercher refuge...

Au commissariat, lorsqu’on lui avait annoncé que le “patron” voulait lui parler, il avait failli tourner de l’œil. Se précipitant à l’extérieur du bâtiment, il ne lui avait fallu que sept minutes, au lieu des vingt habituelles, pour rejoindre les bureaux de son supérieur.

En chemin, il avait plusieurs fois songé à prendre la fuite. Mais, s’il choisissait de disparaître, c’est toute sa famille qui risquait d’être punie à sa place. Parfois, il se disait que l’amour était un fardeau. S’il n’aimait personne, alors il n’aurait à se sacrifier pour personne.

Il passa devant la secrétaire du patron, qui lui jeta un regard empreint de pitié. Visiblement, elle savait ce qui attendait l’inspecteur de l’autre côté de la porte.

C’est donc avec le souffle court et la peur au ventre que Red Sharp entra dans la pièce qu’il avait apprit à tant redouter.

Le bureau de Jehan Saint-Cyr était saccagé. Des piles de dossiers était jetées à plusieurs endroits, des meubles avaient été renversés. Le lourd pupitre était complètement retourné, brisé en deux par la seule force de l’homme qui se tenait maintenant dans un coin de la pièce, le visage entre les mains, et qui ne cessait de gronder :

- Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible...

Il n’avait pas encore remarqué la présence de son subalterne. Red Sharp hésita un instant à manifester sa présence. Il recula même de quelques pas, mais la porte derrière lui se referma en grinçant, ce qui eut pour effet d’attirer l’attention de Saint-Cyr. Il releva la tête, apercevant enfin l’inspecteur.

- Toi, pesta-t-il en s’avançant vers son employé.

Sharp ancra ses pieds bien au sol, prêt à encaisser le choc qui allait suivre. Celui-ci se manifesta en un coup de poing si puissant qu’il parvint tout de même à renverser le jeune inspecteur au sol.

Etourdi, il n’eut pas le temps de se protéger des coups qui se mirent bientôt à pleuvoir sur lui. Dans le ventre, sur les cuisses, sur les avant-bras... Saint-Cyr savait où viser pour infliger le plus de souffrances possible. Un coup de pied dans les côtes arracha un hoquet de douleur à Sharp. Il protégea en priorité sa tête, que Saint-Cyr avait tout particulièrement choisi de viser avec ses souliers pointus.

Au bout d’un temps qui sembla interminable à l’inspecteur, son supérieur se recula enfin.

- Relève-toi ! Aboya-t-il.

Sharp obéit avec difficulté, manqua de tomber à plusieurs reprises. Son corps ankylosé était devenu une prison de souffrance. Une fois bien campé sur ses jambes, à moitié plié en deux face à Saint-Cyr, ce dernier lui asséna un nouveau coup de poing. Sharp tomba lourdement sur le dos.

Du sang s’écoulait à flots du nez brisé de l’inspecteur. Il gémit de douleur en se roulant en boule, déclarant forfait.

- Relève-toi ! Ordonna une nouvelle fois Saint-Cyr. Tu n’es pas foutu d’encaisser quelques coups ? Relève-toi donc, espèce d’ordure, c’est un ordre !

- Pitié, supplia l’ inspecteur. Je suis désolé, monsieur...

- Désolé ? Et désolé de quoi Sharp, hein ? Dis-moi !

- Ils ont enquêté sur le Vicaire, à Paris... Et sur De Guise...

- Oh oui, parlons-en, de ça ! Tu m’avais pourtant promis que ces deux là ne se mettraient plus en travers de mes affaires, non ? Et les voilà, gambadant autour de mon receleur, manquant de peu de le démasquer ! Rappelle-moi, que t’avais-je promis si tu échouais une nouvelle fois à me satisfaire ?

- De me... décapiter, hoqueta Sharp.

- Oui, la décapitation, parlons-en aussi ! Ma signature, qu’Ambroise De Guise a choisi d’infliger à ses propres hommes. Pour me défier. Parce que le Vicaire a livré les soldats de mon allié à la police ! J’ai l’impression de nager en plein cauchemar ! Pourquoi a-t-il fait ça, dis-moi ? Pourquoi a-t-il compromis mes affaires en France ? Pourquoi m’a-t-il trahi ?

- Je l’ignore, monsieur... Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler, depuis cet incident...

Sharp n’avait qu’une envie, s’évanouir. Mais la peur qu’il éprouvait, aussi intense que sa douleur, le forçait à rester éveillé. Il fit mine de ramper à reculons, mais Saint-Cyr le suivit, se penchant de plus en plus pour pester au visage de l’inspecteur.

- Un incident, c’est comme ça que tu appelles cette situation ? Grogna l’homme d’affaires. C’est une véritable catastrophe, imbécile ! D’abord la branche en Suède, et maintenant celle en France ?! Vous voulez que je fasse faillite, c’est cela ? Que la police m’arrête ?

- Non, monsieur...

- Relève-toi immédiatement, inspecteur.

Les jambes flageolantes, Sharp tenta de se lever une nouvelle, mais retomba lourdement sur son flanc droit.

- Laisse-moi donc t’aider, se moqua Saint-Cyr.

Il empoigna les cheveux de Sharp et, de l’autre main, lui asséna plusieurs coups de poings à la suite.

Red essaya vainement de se reculer, mais il était bien trop affaibli pour se dégager. C’est à peine s’il arrivait à lever les bras pour se protéger.

Le directeur de la branche Anglaise le relâcha enfin. Red Sharp s’effondra sur le ventre tandis que Saint-Cyr se laissa choir à même le sol, contre la baie vitrée. Ses yeux noirs plongèrent dans le regard apeuré de son subalterne.

- Alors, dit-il calmement, que dois-je faire, maintenant ? Te faire décapiter ?

- Hmmm...

Sharp ne parvint qu’à émettre une sorte de grognement, sa mâchoire bien trop douloureuse pour prononcer la moindre syllabe.

- Non, tu as raison, j’ai encore besoin de toi, répondit Saint-Cyr à lui-même. Tu m’es toujours utile. Après tout, tu es le seul de mes soldats à avoir fait l’erreur de t’enrôler dans mon bataillon alors que tu avais une famille proche de toi. Je n’ai qu’à donner un seul ordre, un seul, et tes parents et ta sœur finiraient...

Il fit passer son index sous sa gorge, esquissant un large sourire.

Sharp déglutit avec difficulté, puis secoua lentement la tête.

- Pit... pitié...

- C’est tout ce que tu sais faire, sale chien ? Demander pitié en rentrant la queue entre les jambes ? Bien, si c’est là tout ce dont tu es capable...

Saint-Cyr agita son index, intimant l’ordre à son subalterne de venir vers lui. Flairant le danger, Sharp secoua la tête, manquant de vomir tant la migraine lui broyait le crâne. Il n’avait plus juste envie de s’évanouir, maintenant. Il aurait préféré mourir plutôt que de subir cette punition humiliante et douloureuse.

- Allez, approche, insista Saint-Cyr en riant. Fais-moi plaisir et rampe jusqu’à ton maître, mon toutou.

Craignant qu’une désobéissance ne lui offre une nouvelle salve de coups, Red Sharp finit par obéir. Avec difficulté, il se traîna jusque devant son supérieur, rampant tandis que son orgueil lui hurlait de se relever.

Là, Saint-Cyr lui tapota gentiment la tête. Distrait, il se mit à caresser les cheveux de l’inspecteur, réfléchissant à un plan d’action.

Red Sharp se tint aussi immobile qu’il put, la douleur irradiant dans tout son corps. Il ne voulait même pas songer au moment où on lui ordonnerait de quitter la pièce, et où il devrait parvenir à faire tenir debout son corps meurtri. Au moment où il devrait repasser devant la secrétaire, le visage gonflé et contusionné.

- Voici ce qu’on va faire, chuchota Saint-Cyr. Tu vas prendre le premier bateau pour te rendre en France. Là, tu iras chez Ambroise De Guise, et tu lui remettras en main propre une missive que je vais rédiger. Tu le trouveras dans son Château des Saint-Hubert, dans la Loire. Je veux que tu lui présentes des excuses sincères en mon nom. Après cela, je veux que tu ailles trouver ces deux misérables qui me mettent des bâtons dans les roues, et que tu les exécutes. Rapporte-moi une preuve formelle de leur mort. Enfin, je veux que tu me retrouves le Vicaire, et que tu l’amènes chez De Guise. Je veux que le comte punisse ce traître de ses propres mains. Je lui offre le receleur en gage de réconciliation. Me suis-je bien fait comprendre, sale chien ?

Red Sharp émit un grognement.

- Je n’ai pas entendu, s’énerva Saint-Cyr.

- Oui, m'sieur...

- Parfait. Je vais aller rédiger la lettre. Attends-moi ici.

Saint-Cyr se releva. Puis, sans crier gare, il envoya un puissant coup de pied dans l’estomac de son subalterne.

Cette fois, Red Sharp hurla de douleur.

- Je me sens déjà beaucoup mieux, exulta Saint-Cyr en sortant de son bureau ravagé.

Red Sharp bouillonnait de fureur. Cette souffrance, il la devait au détective Français et à Thomas Laon. Sa vie se portait très bien avant que ces deux là ne fouinent dans des affaires sensibles.

La rage lui tiraillait les entrailles. Ne pouvant affronter le juge de ses tourments, il jura de tourner son bras vengeur à l’égard de ses deux rivaux.

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Grande_Roberte
Posté le 15/04/2025
Coucou Rouky,
Dans le titre et le descriptif d’introduction tu évoques un enquêteur récurent, le détective Gallant, idée qui me plaît bien, j’apprécie de retrouver des personnages de récit en récit, mais je commence par le 5e volume, est-ce grave ?
Cette scène d’introduction est intense, à peine soutenable par moments ! En dépit du nom trompeur d’inspecteur, qui évoque la police légale, on devine que le personnage principal du chapitre est l’homme de main d’un patron de la pègre… qui n’y va pas de main morte. En tous cas elle plante le décor, cette scène, et le ton général est vraiment dans le style des romans noirs, ça fonctionne bien.
Cela m’a donné envie de lire la suite, pour faire connaissance avec ce détective :)

PS : Je ne sais pas si tu souhaites qu’on te fasse des retours sur les petites coquilles et incohérences, , j’en ai repéré quelques-unes, dis-moi si cela t’intéresse.
Rouky
Posté le 15/04/2025
Coucou !

Ce n'est pas très grave de commencer par le 5 je pense, mais il y aura quand même des personnages et des évènements que tu risques de ne pas comprendre 😅

Mais je suis contente si tu arrives à suivre et que tu apprécies quand même l'histoire !

Oui je veux bien que tu me fasses part d'incohérences et de coquilles, afin que je puisse corriger au mieux !

Merci, et à bientôt j'espère !
Grande_Roberte
Posté le 16/04/2025
Re-coucou ,
alors voici ce que j'ai glané au cours de ma lecture :
- il ne lui avait [fallu] : ici c'est un participe passé
- il avait plusieurs fois [songé] : même chose, participe passé
- Des piles de [dossiers] : plusieurs dossiers dans une pile
"- Je n’ai pas entendu, s’énerva Saint-Cyr.
- Parfait. Je vais aller rédiger la lettre. Attends-moi ici." : il manque une information entre ces répliques, au moins une réaction de l'interlocuteur, pour comprendre l'enchaînement qui sans cela n'est pas logique.

Des petites choses, comme on en laisse tous/toutes passer ;)
Rouky
Posté le 16/04/2025
Merci beaucoup, je vais arranger tout ça !
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