1
« Prenez-moi la main ».
Sans réfléchir, elle s’exécuta. Elle enlaça ses doigts puis réchauffa sa paume. Elle le regarda dans les yeux. Des yeux qui brillaient et miroitaient une histoire toute tracée.
Il la tira vers elle avec une douceur entrainante. Un sourire en guise de réponse, elle accepta l’invitation et fit virevolter sa robe pour le rejoindre.
2
Il faisait chaud en cet après-midi d’août. Le soleil s’invitait dans les rues piétonnes et faisait chauffer les pavés de pierre. Les terrasses étaient bondées, les boissons glacées s’amassaient sur les tables que les serveurs ne cessaient de débarrasser. De nombreux éventails tempéraient le visage des femmes. Les couvre-chefs surplombaient la foule et donnaient une rondeur aux ombres élancées. La guerre était finie, les belles journées estivales se savouraient.
Des échanges amicaux, des sourires, des accolades et même des baisers venaient agrémenter la joie qui régnait dans ce village. Cette gaieté animait ce vieux patelin qui, quelques mois auparavant, cachait des âmes meurtries par l’horreur.
Les moineaux guillerets participaient également à cette harmonie enjouée. Certains piaillaient dans le ciel et sur les toits tandis que d’autres savouraient les quelques miettes égarées au sol. Une bise rafraichissante contribuait également à cette douce harmonie estivale. Les passants se ressourçaient et profitaient de ce calme.
Un gamin hirsute, vêtu d’une chemise blanche tâchée et froissée tenait la main de sa mère. La robe fleurie qu’elle portait ondulait au rythme du vent. Ils traversèrent la rue pour se réfugier à l’ombre, sous des balcons garnis de géraniums. Le petit, dont les sens étaient bien aiguisés, demanda à sa mère :
« Tu entends ? Qu’est-ce que c’est ? »
« De quoi parles-tu mon chéri ? » lui répondit-elle.
Il lâcha sa main et pointa avec son index un bâtiment qui marquait un coin de rue.
« Là-bas derrière, il y a de la musique ! »
Il se mit à courir dans cette direction. Sa mère soupira, toussa et accéléra le pas pour ne pas le perdre de vue. Sa robe n’ondulait plus, elle dansait.
Lorsque le jeune garçon atteignit le bout de l’avenue, il bifurqua à gauche, laissant les sonorités musicales pénétrer pleinement son oreille. Les notes d’un accordéon, la mélodie d’un fifre et le rythme d’un tambourin s’accordaient pour créer un air rythmé et entrainant. Il n’était pas le seul à avoir été interpellé par cette musique, une petite foule d’une vingtaine de personnes s’approchait de la source et commençait à s’amasser autour des trois musiciens.
L’un d’eux, orné d’un chapeau melon, faisait valser son accordéon sur sa bedaine. Des gouttes de sueur perlaient sur son visage souriant. Au milieu, un homme d’une taille remarquable soufflait les yeux fermés dans son bel instrument en ébène. Ses doigts pianotaient sur les trous de l’instrument avec une maitrise prodigieuse tandis que le reste de son corps demeurait statique. Ses belles chaussures en cuir, d’une taille tout aussi impressionnante que son corps, s’ancraient fermement dans le sol.
Le dernier musicien paraissait minuscule à côté du joueur de fifre mais prenait pourtant plus de place. Sa danse balourde attirait le regard et faisait sourire les curieux avides de divertissement. Il tapait vivement sur son tambourin en le balançant de droite à gauche, ce qui faisait claquer les cymbalettes dorées qui ornementaient le contour en bois de l’instrument.
L’enfant semblait hypnotisé par ce spectacle devenu si rare. Il se faufila dans la foule pour s’offrir la meilleure place sans réaliser que sa mère peinait à le suivre. Elle s’était arrêtée à une quinzaine de mètres en arrière, prise par une quinte de toux. Une goutte de sang tâchait l’un des pétales blancs de sa robe fleurie.
Les yeux écarquillés devant ce ballet musical, le môme ne remarqua jamais cette fleur rougie par la maladie, ignorant que d’ici quelques semaines, il serait orphelin.
Je te remercie pour ton commentaire, c'est très apprécié.
Bonne lecture :)