Chapitre 1 - La reine maudite (3)

     Ambreuil observait la reine, que des frissons soudains secouaient de temps à autres tandis qu’elle faisait les cent pas dans sa chambre. La chevaleresse avait su la convaincre de patienter un peu, ne serait-ce qu’une nuit, avant d’envoyer ses troupes forcer la porte des monastères ; il fallait rédiger les ordres avant d’entreprendre les recherches, leur trouver un prétexte irréfutable, et simplement laisser passer un peu de temps pendant lequel il n’était pas exclu que la mystérieuse absente se présentât. L’impulsivité de la reine se trouvait souvent contenue ainsi par l’esprit calculateur d’Ambreuil ; il fallait toujours savoir ménager ses effets pour obtenir les meilleurs résultats. Énide, portée par l’éclat resplendissant de sa gloire rêvée et l’orgueil de porter la couronne, était désavantagée face à Ambreuil dont l’esprit naturellement doué aux manigances avait été longuement nourri de tactique militaire.

     La reine toussa. Elle avait enfilé sa lourde cape noire brodée d’or pour tenter de contenir les frissons qui attaquaient son dos, ses côtes et finalement sa gorge. À chaque quinte de toux, Ambreuil observait, sans un mot, les fines épaules de la reine tressauter sous son vêtement si épais que sa frêle silhouette y disparaissait. Énide murmura quelques mots inintelligibles en se tenant les côtes, puis se retourna enfin vers sa courtisane, qui demeurait stoïque.

— Quelle misère que cet endroit, lança-t-elle. Je ne désespère pas de le conquérir, mais je n’y mettrai pas la capitale.

 

     Elle marqua une pause.

 

— Il faudra par contre que je mette quelqu’un à sa tête.

— Sa Majesté songe à quelqu’un en particulier ?

— Non, non. Pas encore. Il faut déjà régler le problème de de l’Halta.

— La mère ou la fille ?

— Les deux. C’est tout comme.


     Elle s’interrompit, prise d’une nouvelle quinte de toux.

 

— Enfin… je ne sais pas ce que vaut la mère aujourd’hui, mais je n’aime pas la fille. Méfie-toi d’elle, Ambreuil.


     La chevaleresse sourit à cette mise en garde.

 

— Ne souris pas. Elle ne m’inspire pas confiance. Je sais que tu te ferais piéger par une fille comme elle.

— Sa Majesté connaît tous mes travers… Mais il n’y a rien à craindre. Je sais, au choix, être caressante ou intimidante quand il le faut, et surtout quand il faut servir Sa Majesté. D’autres n’en sont pas capables, n’est-ce pas ?


     La reine pensa à Isarn, qui avait si odieusement désobéi à ses ordres. Il lui était insupportable d’avoir été trahie ainsi ; elle planta ses yeux dans ceux d’Ambreuil et demanda :

 

— As-tu de la sympathie pour ton cousin ?

— Elle est négligeable.

— Fais ce que tu veux de lui.


     Ambreuil sourit. Elle avait toujours été profondément jalouse de ce cousin si aimable et si apprécié, qui avait eu les faveurs de la reine sans s’y attendre et sans même y penser, alors que son ascension à elle était le fruit de flatteries savamment pensées, de courbettes réitérées et d’une volonté de fer. Mais enfin ses efforts étaient récompensés, et plus encore qu’elle ne l’espérait.

 

— Je remercie Sa Majesté de me donner de telles libertés.

— Ce n’est pas tout, Ambreuil…


     Une lueur d’avidité illumina le visage de la chevaleresse, le temps que la reine se fût remise d’une nouvelle quinte de toux.

 

— … il me faut quelqu’un pour assurer le respect de mes ordres si je repartais pour Combels.

— Sa Majesté envisage de quitter le duché ?


     Énide jeta un regard vers la fenêtre traversée d’une lueur faible et grisâtre.

 

— Disons que son climat ne me semble pas très sain pour soigner les maux de poitrine.

— C’est finement observé.

— Il me faut donc quelqu’un. Quelqu’un de loyal et de réfléchi. Je songe que tu pourrais remplir ce rôle. J’imagine que devenir officière royale ne te déplairait pas ?

— Sa Majesté me ferait là un immense honneur.


     Un intense sentiment de satisfaction irradia Ambreuil. Soudain la reine toussa à nouveau, plus longuement et douloureusement que les fois précédentes ; elle avança jusqu’à la fenêtre, les bras serrés autour de ses côtes. Ayant enfin repris son souffle, elle leva la tête ; par les carreaux blanchâtres elle apercevait la cour du palais, vide ; puis les toitures disposées au hasard, trahissant l’urbanisme labyrinthique de la ville ; enfin, par-delà les dernières habitations et une plaine sans vie, des montagnes hautes et noires qui bouchaient l’horizon et que des nuages sombres commençaient de recouvrir.

 

— Crois-tu qu’il y a des gens assez fous pour vivre dans ces montagnes-là ?

— Je crois, répondit Ambreuil en s’approchant. J’ai un peu étudié la géographie de la région. Il me semble qu’il n’y a que quelques carrières et des hameaux. Voyez, on peut en deviner quelques-uns d’ici, à travers les arbres.

— Je ne veux même pas imaginer à quoi ressemblent leurs hivers.

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