Graines de comédiens
Chapitre Un : La rentrée de la Section A
Paris, juin 2007. Au cœur du neuvième arrondissement de l’escargot parisien, dans une rue qui donnait sur l’Opéra Garnier, se trouvait une modeste école d’art et d’expression dramatique. En ce début d’été, la porte de l’immeuble était restée ouverte pour laisser entrer l’air frais. Pressés ou non, les passants marchant sur le trottoir pouvaient entendre un téléphone sonner, des doigts taper sur un clavier, une voix parler.
- Oui Monsieur, j’y penserai…s’exclama la dame à l’accueil, l’oreille fixée au téléphone. Ne vous inquiétez pas ! C’est ça ! Au revoir !
La standardiste raccrocha brutalement et replongea son nez dans ses papiers. Au même moment, un jeune homme apparut au bout du couloir. Il marchait sur un long et éclatant tapis rouge en direction du distributeur automatique de boissons et gourmandises, espérant ne pas se faire remarquer.
- Je peux savoir ce que tu fais dans le couloir à cette heure-ci ? pinça-t-elle, en relevant la tête. Tu ne devrais pas être en cours ?
Le jeune homme se retourna pour lui faire face, faisant mine d’être surpris. Puis il pivota à nouveau pour voir s’il n’y avait personne derrière lui. Il était seul. Hélas, la standardiste n’était pas dupe. Les sécheurs de cours, elle savait les repérer.
- Salut Suzette ! C’est à moi que vous causez ? demanda-t-il, l’air innocent.
- À qui d’autre, abruti ?!
- Vous en savez peut-être plus que moi, non ?
- Peut-être. N’empêche, qu’est-ce que tu fais dans les couloirs pendant les cours ?
- Moi ? reprit-il, étonné. C’est vraiment à moi que vous…
- Xavier !
- Bon, bon… J’ai été viré du cours.
- Quoi ?! s’étrangla la standardiste.
- Pas de quoi en faire un fromage, Madame Suzette. Mon prof est d’un ennui… Je me suis endormi dans son cours. Allez savoir pourquoi, ça ne lui a pas vraiment plu. Il m’a viré.
- J’en crois pas mes yeux ! Tu crois que c’est comme ça que tu vas réussir dans le métier peut-être ?
- Mais je m’ennuie, Madame Suzette, je m’ennuie ! Je suis dans une classe remplie de nuls ! J’ai un niveau cent fois plus élevé que les autres, et on me met en Section B seulement parce que je suis arrivé en milieu d’année ! Faut pas déconner quand même !
De la prétention, tous les élèves de cette école en avaient. Ce n’était pas un défaut, mais simplement l’une des caractéristiques d’un comédien. Un comédien comme Xavier.
Dans cette petite école de théâtre, chaque élève était réparti selon leur niveau. On distinguait d’abord la Section C, une classe peuplée de débutants. Les élèves inscrits manquaient de bases, et sur l’ensemble, les professeurs estimaient que peu deviendraient comédiens professionnels. Au degré suivant, la Section B accueillait les comédiens pour les rendre meilleurs et leur donner de grands atouts. Malheureusement, beaucoup d’entre eux étaient encore immatures et n’avaient pas le talent espéré, ce qui diminuait leurs espoirs d’être accepté en Section A.
Cette dernière classe rassemblait les meilleurs comédiens de l’école. Leur jeu d’acteur quasi professionnel faisait des envieux alors qu’ils continuaient d’acquérir la technique pour être au sommet de la perfection. Ils donnaient un minimum de trois représentations par année scolaire, et parfois, leur talent les faisait remarquer par des réalisateurs et des metteurs en scène.
- Et ton exam’ qui est la semaine prochaine, tu crois que tu vas le réussir si tu ne bosses pas un peu ?
- Évidemment que je vais le réussir, répondit Xavier en s’accoudant au bureau surélevé de la standardiste. Côté théorie, pas la peine d’apprendre les trois auteurs qui se courent après, je les connais déjà. Et côté pratique alors, n’en parlons pas… Je vais passer en Section A haut la main ! Je préfère bosser mon concours. C’est plus important.
Madame Suzette soupira de consternation. Au même moment, une jeune fille passa timidement la porte d’entrée. Elle portait une petite robe rouge à bretelles qui laissait dévoiler ses jambes fines. Elle avait environ 15 ans. Ses cheveux blonds vénitiens emmêlés retombaient sur ses épaules, et encadraient son visage rond et innocent. Xavier se raidit aussitôt. Il était très sensible aux jolies filles. Il les taquinait un peu, les séduisait parfois, les traitait (presque) toujours avec respect, et il avait toujours de bonnes relations avec elles. Son charme facilitait les échanges.
- Bonjour, fit timidement l’adolescente.
Le jeune comédien lui offrit son plus beau sourire en guise de bienvenue, mais il n’eut pas l’effet escompté : elle semblait terrorisée. Madame Suzette, quant à elle, grommela une réponse peu compréhensible. La nouvelle venue n’osa pas s’avancer, pensant sans doute que Xavier était la première personne de la file d’attente. Comprenant les raisons de sa distance, il s’écarta pour l’inciter à s’avancer. Elle s’approcha donc à petits pas et tendit un dossier à Suzette qui le saisit aussitôt. Pas même deux secondes de lecture s’étaient écoulées qu’elle le lui refila aussitôt.
- Je suis désolée, Mademoiselle. Ne pensez même pas à vous inscrire dans cette école si vous n’êtes pas majeure !
- Mais j’ai 17 ans ! protesta la petite blonde.
- Oui. Mais vous n’en avez pas 18. Revenez l’année prochaine.
- Alors ça, Madame Suzette, intervint Xavier, qui n’avait pas quitté des yeux la jeune fille, c’est vraiment pas sympa… Où est donc passé ce qu’il vous restait d’humanité ?
- Toi, occupe-toi de tes oignons et retourne en cours ! aboya la mère Suzette.
- Mais quand même, vous n’oseriez pas refouler une aussi adorable et mignonne petite demoiselle de cette école ?!
- J’ai l’argent, dit alors la principale concernée, toujours timide mais résignée.
- Ce n’est pas le problème, rétorqua la standardiste, hautaine. Vous n’êtes pas majeure, et donc, vous ne pouvez pas vous inscrire dans cet établissement ! C’est comme ça, et pas autrement !
- C’est vraiment pas sympa, répéta le comédien. Vraiment pas sympa !
- Xavier, je peux savoir ce que tu fous ici au lieu d’être en cours ? tonna alors une grosse voix derrière eux.
C’était Benjamin, le professeur principal de la Section A. L’élève allait répondre, mais son interlocuteur posa son regard sur la jeune fille.
- Je vois que tu n’as pas tardé à te faire remarquer par le Dom Juan de l’école ! plaisanta-t-il en lui souriant.
Pour toute réponse, elle regarda ses pieds. Seul Xavier ne manqua pas de réagir.
- Hey oh ! Pense à ma réputation ! Dom Juan, ce n’est pas la dénomination idéale pour l’image que je veux faire passer !
- D’accord, reprit Benjamin en se retournant vers la petite blonde. Disons juste que… tu viens de faire la connaissance du meilleur élève de l’école. Pour le moment.
La jeune fille releva tout de suite le visage et observa le comédien avec de grands yeux admiratifs.
- C’est vrai ?! s’exclama-t-elle, en serrant son dossier d’inscription contre sa poitrine. La chance ! J’ai hâte de te voir jouer !
- Je crois que je préfère encore me faire surnommer Dom Juan, répondit Xavier, gêné, en jetant un regard meurtrier au professeur. Toi, t’as vraiment le don pour tout gâcher !
Benjamin n’accorda aucune attention au comédien, et posa sa main sur l’épaule de la jeune fille, qui clignait des yeux en regardant succinctement le prof et son élève.
- Je t’attendais. Tes parents m’ont prévenu que tu étais arrivée à Paris. Tout est en règle pour ton inscription ?
- Non, répondit-elle, déçue.
- En effet, reprit Madame Suzette, cette fille n’est pas majeure ! Je ne peux pas l’inscrire ici, à moins qu’elle ne soit émancipée, vous le savez bien, Benjamin.
- J’en ai touché un mot au directeur. Il lui accorde une dérogation. Alors, reprenez son dossier, et inscrivez-la pour la rentrée en septembre !
Frustrée, la standardiste grogna quelque chose d’incompréhensible tandis que Xavier affichait un sourire éclatant, ravi de cette victoire.
- Bon, bon, je l’inscris en Section B alors…
- Ah non ! s’écria le professeur. Elle n’a rien à faire là-dedans ! Mettez-la en Section A !
- Quoi ?! s’étrangla Madame Suzette.
- Hein ?! répéta Xavier, abasourdi.
- Vous avez bien entendu. En Section A.
- Mais…
- Franchement, moi qui suis le meilleur, comme tu dis, j’ai été obligé d’aller en Section B avec tous ces comédiens à deux balles, et elle… en Section A d’entrée ! Non, ma jolie, je n’ai rien du tout contre toi, mais ça fout quand même les boules ! Il y a du favoritisme dans cette école ! Que dis-je, du sexisme !
Mal à l’aise, la jeune fille baissa la tête, et ne sut plus où se cacher. Benjamin tapota sur son épaule pour la rassurer, auquel elle répondit par une moue contrariée.
- Xavier, elle est spéciale. Tu verras.
- Oh, je n’en doute pas, répondit l’intéressé, en la dévisageant.
Elle voulut détourner son regard du sien, en vain. Le comédien s’était rapproché d’elle et lui souriait gentiment. Cela aurait dû la mettre en confiance, mais elle était toujours aussi tendue.
- Tu es toute petite, petite, petite, constata-t-il, amusé, tandis que Benjamin discutait de certaines formalités avec la standardiste.
L’adolescente déglutit et ses joues prirent une adorable teinte rouge vif. Sa tête n’arrivait même pas jusqu’aux épaules de Xavier. De plus en plus gênée, elle détourna son regard de lui en se mordillant la lèvre inférieure. Le physique du comédien ne lui avait pas échappé. Plutôt grand, des cheveux bruns et touffus, des yeux bleus comme la mer de Chine, avec un visage assez charmant, il ne devait certainement avoir aucune difficulté pour séduire les filles. Et il avait la personnalité qui allait avec.
- Vous comprenez, c’est une sorte de surdouée, glissa Benjamin à la dame d’accueil, en lui remettant le dossier de sa future élève.
Il avait essayé de se faire discret, mais les deux comédiens l’avaient entendu. Xavier avait d’abord haussé un sourcil, étonné, puis son sourire s’était élargi.
- Et bien, on a au moins un point commun ! s’exclama-t-il à voix haute.
- Pas si vite toi ! interrompit le professeur. Elle et toi, vous ne jouez pas dans la même cour ! Elle, c’est la scène. Toi, c’est les maths.
- Je dois le prendre comment ? grinça le supposé meilleur comédien de l’école, vexé.
- Les maths ? s’étouffa la jeune fille simultanément.
Elle fixa Xavier comme s’il s’agissait d’un extra-terrestre. Celui-ci, toujours en colère contre Benjamin, lui expliqua brièvement sa facilité pour les mathématiques.
- Oui, les maths. Tu sais, c’est quand deux et deux reviennent à quatre. Et que quatre et quatre reviennent à huit. Et que huit et huit reviennent à seize. Et que seize et seize reviennent à 32. Et que racine de 32 revient à approximativement cinq virgule…
- C’est bon Xavier, on a compris ! coupa l’enseignant. Et si tu retournais en cours ?
- Non. C’est trop chiant. Je m’ennuie.
- Retourne en cours.
- Pas la peine, Benji. Je reste avec elle, répondit l’élève en désignant la jeune fille. Si tu veux, je peux lui faire visiter l’établissement.
- Non, je veux que tu retournes en cours.
- Raté ! De toute façon, j’ai été viré.
- Oh Xavier ! Rappelle-moi ce que tu fous dans cette école ! se lamenta Benjamin, désespéré, en se cognant le front avec la paume de sa main.
Le comédien en question lui envoya un sourire sournois dont il ne s’aperçut pas, s’étant tourné vers sa jeune protégée.
- Tu peux rentrer chez toi. On se verra à la rentrée, d’accord ? Tu pourras dire à tes parents qu’il n’y a eu aucun souci pour ton inscription.
- D’accord.
- Je peux lui poser une question ? risqua Xavier.
- Non, répondit le prof, pète-sec. Allez file, avant que cet énergumène ne te tombe sur le dos !
Elle remercia Benjamin et Madame Suzette d’un mouvement de tête, et quitta l’école, non sans avoir jeté un dernier regard au jeune homme.
- Hey, Benji ! Tu déconnes ! Je ne sais même pas comment elle s’appelle !
- Je t’en prie Xavier…
- Ça va ! Je ne vais pas la bouffer, ta protégée ! Mais…
- Écoute, je préfère que tu te tiennes distant pour le début. Elle est assez fragile et délicate. Et je n’ai pas très envie que tu lui fasses du mal, même involontairement.
Le comédien perdit son sourire, et fronça les sourcils. Madame Suzette fit mine de ne pas écouter la conversation, même s’il s’avérait être une véritable commère.
- Et c’est à moi que tu dis ça, Benjamin ?! À moi ? répéta-t-il, en haussant le ton. Pourtant, t’es bien le premier à savoir que, de façon subjective, ce sont plus les filles qui me brisent que le contraire ! Je te rappelle que je sors à peine d’une dépression, au cas où tu ne l’aurais pas capté ! Et je pense que tu me connais assez pour savoir que je serais incapable de faire du mal à une fille aussi adorable que celle-ci !
Benjamin était certainement le seul professeur de l’école à connaître les élèves sur le bout des doigts. Il attachait de l’importance au fait d’être proche des comédiens qu’il formait, et c’était le premier qui leur prêtait une oreille attentive lorsqu’ils avaient besoin de se confier. Xavier était inscrit dans cette école depuis seulement quatre mois, et il pouvait déjà affirmer que Benjamin était devenu son psychologue attitré.
- Je sais, je sais… mais je la connais bien, elle aussi. Et je sais qu’il faut vraiment aller en douceur avec elle. Tu verras le moment venu qu’elle est… différente.
- Je l’avais déjà remarqué, tu sais.
- Maintenant, fais-moi plaisir. Va en cours.
- Bon. D’accord.
Le professeur arqua un sourcil, surpris que le comédien eût si vite abandonné l’affaire. Il s’éloigna tranquillement vers le couloir de droite. Benjamin, rassuré, discuta quelques minutes avec la standardiste, et partit à son tour par celui de gauche.
De son côté, Xavier avait attendu silencieusement dans la galerie que Madame Suzette fût seule. Il avait réfléchi à une mise en scène qui lui permettrait d’accéder au dossier de la jeune fille. Ainsi, il pourrait y apprendre son prénom.
Les couloirs de cette école d’art et d’expression dramatique avaient été soigneusement décorés. Les murs étaient blancs, et y étaient accrochés des tableaux représentant des scènes de films, de représentations théâtrales, et des auteurs, artistes, réalisateurs et metteurs en scène plus ou moins célèbres. Tout était très bien éclairé. Contre les murs, des plantes ajoutaient une touche de verdure.
- Typique de la Suzette… grogna le jeune homme en s’approchant d’un petit arbuste.
Il regarda autour de lui pour vérifier qu’il était bien seul, et comme c’était le cas, il donna un coup de pied dans le pot qui tomba dans un petit bruit sourd. Une grosse partie de terre présente dans la jarre s’était répandue sur la moquette rouge.
- Putain, mais c’est pas vrai ça ! beugla Xavier, de façon à ce que la mère Suzette l’entendît. Encore un petit con qui s’est amusé à faire tomber les plantes ! C’est vraiment dégueulasse ! Y’a de la terre partout maintenant !
Comme il l’avait prévu, la standardiste accourut, affolée. À la vue du désastre, elle poussa un petit cri et se renfrogna aussitôt.
- Ah ! Je commence à en avoir assez de ces élèves qui salissent les lieux ! Si je retrouve ces petits imbéciles, je les mets à la corvée de nettoyage jusqu’à la fin de l’année.
- Vous avez raison, Madame Suzette, c’est vraiment honteux, affirma Xavier, l’air mécontent. Il faudrait penser à faire installer des caméras, comme ça, on pourrait choper ces petits voyous !
Tout en disant cela, il s’éloignait discrètement vers l’accueil. Madame Suzette s’était dépêchée de récupérer une balayette dans un placard à balais pour nettoyer au plus vite cette catastrophe, et avait totalement balayé le comédien de son esprit. C’est donc avec le sourire aux lèvres que le jeune homme se rendit dans le hall d’entrée, pour fouiller dans le bureau de la standardiste. Il trouva sans difficulté le dossier de la jeune fille et, après s’être attardé sur sa photo d’identité, il repéra sur-le-champ son prénom.
- Bien. Ludivine, siffla-t-il, admiratif.
Le comédien lut l’heure sur sa montre et constata avec satisfaction qu’il ne restait plus que deux minutes avant la fin des cours. Il retourna donc dans le couloir de droite, faisant mine de se rendre jusqu’à sa salle, et croisa la standardiste, accroupie, qui s’affaissait à ramasser la terre du pot.
- Vous avez besoin d’aide ? proposa poliment Xavier.
- Va en cours ! pesta Madame Suzette.
L’humiliation la rendait hargneuse, et le jeune homme le savait. Au moment même où il s’éloignait vers sa salle, la sonnerie retentit. Sur le chemin, deux de ses camarades - ses deux meilleurs amis, en réalité - le rejoignirent.
- Hey Xavier ! appela un jeune homme, grand et châtain, répondant au nom de Pierrick.
- Quoi ?
- Le prof était furax quand tu t’es barré du cours !
- Je ne me suis pas barré, c’est lui qui m’a viré !
- Ah vraiment ? J’aurais plutôt pensé le contraire…s’exclama une jeune femme qui glissait un bras autour de sa taille.
- Toi, tu es censée être de mon côté, gronda-t-il, vexé par ce manque de soutien.
Elle lui sourit malicieusement, de ce sourire qu’il aimait tant chez elle, et il ne put s’empêcher de la serrer un peu plus contre lui. Xavier tenait énormément à Aline, et c’était réciproque. Peut-être était-ce dû au fait qu’ils étaient sortis ensemble, quelques années auparavant. Il régnait entre eux une totale confiance, le ciment même de leur amitié. Aline était une jeune femme de 19 ans, toujours à l’écoute. Elle était belle, mais son charme était très différent de celui de l’innocente Ludivine. Extravertie, son maquillage la rendait plutôt obscure. Ses yeux étaient cernés d’eye-liner noir et de fard bleu sombre. Son rouge à lèvres, aussi dans les tons foncés, tirait plus vers le mauve. Enfin, ses longs cheveux légèrement ondulés révélaient un noir de jais, identique à ses fins sourcils.
- Sinon, qu’as-tu fait de la demi-heure qu’il te restait dans les couloirs ? demanda-t-elle, l’air enjoué, en balayant sa frange qui lui tombait devant les yeux.
- Et bien…j’ai vu une fille.
- Une fille ? répétèrent ses deux meilleurs amis.
- Oui, une fille.
- Tu nous apprends là quelque chose de totalement excitant…ironisa Pierrick.
- Des filles, il y en a partout ici…affirma Aline.
- Non, mais celle-là, elle n’est pas d’ici. Elle sera seulement en Section A dès la prochaine rentrée.
- Non ?!
- Si. Et elle a 17 ans. Un petit prodige selon notre Benji national… Et je veux bien le croire !
Pierrick et Aline observèrent attentivement leur ami rêvasser avec un sourire béat, et se jetèrent un regard entendu.
- Coup de foudre, conclurent-ils en haussant les épaules.
- Si j’avais su qu’on devait se taper trois heures de cours en chant et danse confondus, j’aurais séché pour tout l’après-midi… grogna Xavier, en triturant sa feuille. J’aurais pu réviser mon concours. Je te rappelle que je le passe dans deux semaines !
- Courage, il ne reste plus que deux heures, murmura Aline.
Un élève était en train de chanter plus ou moins faux, et c’était un véritable calvaire de l’écouter. Son visage restait de marbre et ne trahissait aucune expression. Encore un qui échouerait à l’examen de passage en Section A.
- Franchement, tu peux me dire à quoi ça sert ? s’impatienta le comédien. Je sens une migraine se pointer, là !
Il n’avait pas réalisé qu’il avait parlé fort, et que son professeur de chant l’avait entendu. Elle arrêta l’élève qui chantait, et fixa Xavier de son regard perçant.
- Sachez, jeune homme, que les cours de chant et danse sont dispensés dans toutes les écoles de théâtre pour apprendre aux élèves à bien se servir de leur corps et de leur voix comme outils d’expression artistique. Claire, taisez-vous !
- Oui, oui, répondit l’intéressée, qui se révélait être une petite bavarde.
- Mon but, c’est de vous apprendre à chanter avec émotion. Qui sait si un jour, vous devrez jouer dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière, une comédie musicale comme vous le savez, ou interpréter une chanson dans un film ?
- Les chances sont minimes, fit Xavier, peu convaincu.
- Peu importe ! Vous avez besoin de savoir chanter pour passer haut la main vos examens ! Mais puisque vous êtes le meilleur comédien de cette école, Lusvardi, venez nous faire part de vos prouesses au chant !
Le jeune homme foudroya sa prof du regard, et se leva malgré lui pour se planter au milieu de l’estrade.
- Je vous préviens, j’attends quelque chose de parfait.
- Oui, oui, répondit distraitement Xavier.
Il se racla la gorge et, animé par la volonté d’ébahir sa prof, il chanta. La différence entre lui et les chanteurs professionnels était flagrante. Peut-être même que certains grands artistes ne chantaient pas aussi bien que lui. En tout cas, pas de façon aussi expressive, théâtrale. La « méthodologie » était en tout cas bien différente. Un comédien chantait avec son âme artistique.
- Le soleil inonde le ciel, mes jours en enfer passés à t’enterrer… Où chaque seconde est une poignée de terre, où chaque minute… est un caveau…
Sa voix était lente, morne, tremblante. Son regard se perdait dans le vide. Il n’avait pas l’air de souffrir. Non, il souffrait réellement. Il ferma lentement les yeux et haussa d’un ton.
- Vois comme je lutte, vois ce que je perds, en sang et en eau… En sang et en eau…
Une trentaine de regards le contemplait, admiratifs. Sa prof esquissait un petit sourire satisfait, mais ses yeux brillaient de larmes. Xavier fronça les sourcils tout en levant les yeux au ciel, pour exprimer sa douleur, douleur qu’il connaissait si bien et qui était toujours présente en lui. Il garda son attitude de deuil. Il restait immobile. Il n’avait pas besoin de se concentrer pour faire sortir les mots de sa bouche, car les mots s’envolaient librement de ses lèvres. Il chantait sans réfléchir. Il se laissait aller. Il ne lui restait plus qu’un couplet, et il chanta plus fort pour donner l’impression qu’il souffrait encore plus.
- Mais chaque seconde est une poignée de terre, mais chaque seconde est une poignée de terre, mais chaque minute est un tombeau… Vois comme je lutte, vois ce que je perds, en sang et en eau… En sang et en eau.
Les jeunes filles les plus sensibles de la classe avaient les larmes aux yeux et sa prof s’était mise à pleurer, preuve que Xavier avait bien réussi son interprétation.
- Merci… Xavier… renifla-t-elle, en extirpant un mouchoir de sa poche.
Les yeux dans le vide, Xavier ne répondit pas. Du fond de la classe, Aline et Pierrick devinèrent les pensées qui habitaient leur meilleur ami. Le désespoir du comédien avait été si communicatif qu’il s’était emparé de tous les élèves, et que le silence régnait désormais dans la salle.
Seul Xavier, en retournant à sa place, sifflait une triste mélodie… qui en disait long sur le reste.
Septembre 2007. Il avait attendu ce jour durant tout l’été. Jamais il ne s’était autant langui la rentrée. Non seulement il entrait en Section A, mais en plus, la dénommée Ludivine allait suivre les cours avec lui.
Xavier attendait avec impatience son arrivée et l’ouverture des portes en compagnie de ses camarades. Ils étaient trente en Section B, et voilà qu’ils se retrouvaient au nombre de neuf au degré supérieur. Aline, Pierrick, Tristan, Claire, Grégoire, Mathilde, Simon, Emma et lui étaient les seuls qui avaient réussi leur examen en juin.
- Quel temps de chien ! s’exclama Simon, en observant les cordes tomber du ciel.
Il pleuvait très fort, il ne faisait pas chaud, l’école était toujours fermée et Ludivine n’arrivait toujours pas. Xavier se demanda si la journée était aussi bonne qu’il l’avait prévu.
- C’est dingue ! Nous sommes neuf ! récapitula Emma, une fille superficielle que le jeune homme et ses amis n’appréciaient guère.
Le comédien stressait de plus en plus à cause de l’absence de celle qu’il attendait. Et cette idiote ne le rassurait pas.
- Nous sommes dix, contredit-il, de mauvaise humeur.
- Non, neuf.
- Dix, persista Xavier.
- Neuf, répéta Emma.
- Mais n’importe quoi, regarde ! Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit…
- Neuf.
- Et dix.
Il désigna une petite silhouette, drapée d’un étonnant imperméable jaune vif, qui courait sous la pluie. Il devina sans difficulté qu’il s’agissait de Ludivine. Celle-ci fonçait dans leur direction, et s’écrasa comme une mouche contre la porte de l’école.
- Oh ? s’étonna-t-elle, croyant que l’entrée serait ouverte.
- Fermé, lancèrent neuf voix à l’unisson.
- Oh ? répéta la jeune fille.
Déçue, elle se laissa glisser le long du mur pour finir assise sur le sol. Sans trop savoir pourquoi, Pierrick et Aline furent attendris. Ils ne voyaient pas son visage, car sa capuche le cachait, de même que ses cheveux blonds vénitiens mouillés. Xavier s’agenouilla auprès d’elle et lui adressa un grand sourire.
- Salut ! Tu me reconnais ?
Leurs deux regards se croisèrent et elle hocha timidement la tête. Au contraire, il garda son assurance et prit ses petites mains dans les siennes pour l’aider à se relever. Une fois debout, il retira sa capuche pour dévoiler sa tête.
- Voici donc tes nouveaux camarades de classe, lança Xavier, à la manière d’un présentateur télévisé.
- Ah ? répondit seulement Ludivine.
- Le grand benêt, là, à gauche, c’est Pierrick.
- J’te remercie Xav’, fit l’intéressé, froissé.
- Bon, tu verras, il n’est pas méchant et il est super rigolo. Enfin, il faut aimer son humour et ça, c’est pas donné à tout le monde. À côté, Aline. Elle fait peur comme ça, mais je te jure, elle non plus n’est pas vraiment méchante.
La dénommée Aline lui décocha un regard noir, mais cela fit sourire son meilleur ami.
- Très gentille, répéta-il. Un peu dangereuse parfois, mais très gentille.
- Bon c’est fini, oui ?! s’énerva la brune. Sinon tu vas te retrouver à l’Hôtel-Dieu sans savoir comment !
- Qu’est-ce que je disais ? se moqua Xavier à l’attention de sa petite protégée. Sinon, tu as Tristan, mon alter ego en beaucoup moins bien.
- Hey ! Retire ça tout de suite, enfoiré !
La ressemblance entre les deux comédiens n’était pas seulement physique. Bien qu’ils fussent tous deux grands et bruns, la lueur de malice qui régnait dans les yeux de Tristan était la même que celle qu’elle avait vue dans ceux de Xavier. Ludivine ne se douta pas un instant que ces deux-là s’étaient plutôt bien trouvés.
- Veuillez l’excuser, gente demoiselle, fit le comédien en faisant une mini révérence. Ce sot ne sait pas ce qu’il dit.
- Qu’est-ce que je disais ? claironna Xavier, taquin. Mon alter ego…en beaucoup moins bien !
- Mais qu’est-ce qui lui prend aujourd’hui ?!
- Cherche pas, il a l’air déterminé à nous casser tous autant que nous sommes ! grogna Aline, toujours vexée.
Son meilleur ami éclata de rire, avant d’ébouriffer les cheveux de Ludivine. Effrayée, elle rentra la tête dans ses épaules du mieux qu’elle le put.
- À côté de Tristan, tu as Claire, la pipelette de service.
- Même pas vrai d’abord…
- Ensuite, y’a Simon. Simon l’intrépide.
- Pff…
- Mathilde, la mijaurée.
- Connard !
- Grégoire, le méfiant.
- Je ne ferai aucun commentaire.
- Et Emma… euh… Emma, quoi.
La concernée ne prit même pas la peine de répondre et jeta un regard empoisonné à Ludivine. Xavier, voyant son malaise, se hâta de la rassurer.
- Laisse tomber. C’est une pouffiasse, glissa-t-il discrètement à son oreille.
Au même moment, Madame Suzette vint leur ouvrir les portes de l’école, et les élèves purent se mettre à l’abri de la pluie torrentielle parisienne.
- C’est pas trop tôt ! On a failli attendre ! grognèrent les comédiens.
- Plaignez-vous encore une fois, et je vous rejette sous la flotte !
Ils s’éloignèrent nonchalamment vers le couloir de droite, qui était censé les mener jusqu’à leur quartier général.
- Hey Xavier, tu vas où ? s’écria Aline, remarquant que le jeune homme se détachait du groupe avec Ludivine.
- Je vais lui faire visiter l’école en deux-deux ! Allez-y, on vous rejoindra après !
Sans plus attendre, il entraîna la petite blonde vers le corridor de gauche.
- Les deux couloirs se rejoignent au fond de l’école, expliqua Xavier en prenant la main de la nouvelle élève. Ça fait une sorte de boucle, tu vois ?
- Oui.
- Pas très bavarde, hein ?
Elle plissa le nez, mi-gênée et mi-contrariée. Le comédien sourit, de plus en plus attendri. Jamais, au grand jamais, une fille n’avait provoqué une telle panique en lui. Sauf peut-être deux fois, mais… Ici, c’était différent.
- Tu connais d’où Benjamin ? demanda-t-il, alors qu’ils remontaient le couloir.
- Il fréquente mes parents. Il a déjà travaillé avec ma mère, et je le connais depuis toute petite.
- Et elle fait quoi ta mère ?
- Rien de spécial… répondit mollement Ludivine.
Elle n’avait visiblement pas envie de parler de sa famille, mais Xavier ne s’en formalisa pas.
- Et tu habites où ?
- Comment ça ? s’étonna-t-elle, en s’arrêtant de marcher.
- Quoi ? fit le jeune homme, qui lui aussi ne comprenait plus rien.
- Enfin, tu peux répéter ta question ?
- Je… je te demandais où est-ce que tu vivais. À Paris ? En banlieue ?
- Euh… ça dépend.
- C’est-à-dire ?
- Je vis normalement dans le Midi, à Arles.
- Si loin ?! s’étouffa Xavier.
- Mais pour les études, mes parents m’ont prêté leur studio à Paris, se hâta d’expliquer Ludivine.
- Ah d’accord, je comprends mieux. Ça aurait été difficile de suivre les cours ici tout en habitant ailleurs qu’en région parisienne.
- Oui.
Ils se turent, gênés, et reprirent en silence leur visite. Le comédien montra à la jeune fille les salles où travaillaient généralement les Sections B et C, puis la dirigea vers le fond de l’école, jusqu’à une porte qu’il savait fermée à double tour. Xavier pria mentalement pour qu’elle fût ouverte, et après avoir abaissé la poignée, il constata avec joie qu’elle l’était réellement.
- Quelle chance, c’est ouvert ! Tu viens Lulu ?
Ludivine n’avait pas l’air de lui en vouloir pour l’avoir surnommée Lulu. Sans doute ce n’était pas la première fois qu’on l’appelait comme cela. C’était, après tout, un surnom courant. Elle s’agrippa à son bras, et le suivit dans la salle. Le jeune homme ferma la porte derrière eux.
- C’est tout noir ! Je ne vois rien ! s’écria Ludivine.
Elle nota aussi pour elle-même que sa voix résonnait. Heureusement, la présence de Xavier la rassura et elle resserra sa prise.
- Attention, il y a une marche là. Ça va descendre, prévint-il, ignorant la pression qu’elle exerçait sur son avant-bras.
- On est où ?
- Tu crois que je vais te le dire ?
Ludivine manqua de perdre l’équilibre sur une marche et se rattrapa à la chose la plus proche avec sa main libre. Elle toucha du bout des doigts l’objet pour deviner ce qu’il s’agissait.
- Ouah, c’est tout mou… Du velours, fit-elle, émerveillée.
Presque ravie de sa découverte, elle suivit Xavier qui continuait à l’entraîner en bas de l’escalier. Après deux minutes d’errance dans l’obscurité, il plaqua doucement la jeune fille contre quelque chose dont elle ne sut identifier. Il la retourna dos à lui.
- Pose tes mains là, conseilla-t-il en la guidant.
Ludivine, concentrée, tâta une sorte de plate-forme élevée. Xavier en profita pour poser les mains sur sa taille, et sa tête sur son épaule pour respirer son odeur. Il esquissa un sourire. Elle sentait le sucre.
- C’est une scène ! s’exclama-t-elle enfin, après une courte réflexion.
- Bien vu ! Tu te trouves dans le théâtre de l’école, précisa le comédien. Il peut contenir près de 300 personnes, avec 15 rangées de 20 sièges. La scène fait environ 150 mètres carrés.
- Ouah ! répéta Ludivine, encore plus fort. Fais-moi monter !
Il s’exécuta et dès qu’elle fut assise sur le bord de la scène, il se dépêcha de la rejoindre.
- Ne me laisse pas toute seule, hein ? fit-elle, un brin paniquée. Je n’aime pas trop le noir.
- T’inquiète pas, je suis à côté de toi.
- Où ?
- Là.
Xavier passa un bras autour de sa taille pour la rapprocher de lui. La jeune fille ne contesta pas. Sans doute cela lui passa par-dessus la tête. Elle remua, gênée par quelque chose. En se retournant pour enlever ce qui la dérangeait, elle faillit flanquer un coup d’épaule au comédien.
- Ah, c’était sur le rideau que j’étais assise… remarqua-t-elle, après avoir repoussé la lourde étoffe de velours.
Il ne répondit pas. Deux minutes passèrent dans le plus grand silence, que seuls les pieds de Ludivine interrompaient par des petits coups à l’estrade. Xavier essaya de deviner son visage dans l’obscurité. Il s’approcha lentement vers ce qu’il croyait être sa bouche et voulut l’embrasser. L’envie était trop grande, et tant pis si c’était trop rapide. Il ignorait absolument vers où il dirigeait ses lèvres. Sa camarade dut entendre un froissement de tissu, car elle tourna la tête vers le jeune homme, étonnée. Celui-ci, qui fonçait sans le savoir sur la joue joliment rosée de la comédienne, retrouva la cible souhaitée.
Il l’aurait embrassée, si et seulement si le théâtre ne s’était pas éclairé si brutalement. Frappés de plein fouet par la lumière des spots, Xavier stoppa brutalement son élan et Ludivine écarquilla les yeux, stupéfaite, en réalisant la proximité de leurs bouches. Aveuglée, elle les plissa presque aussitôt et enfouit son visage contre le torse du jeune homme. Lui, l’air penaud, releva la tête pour voir qui avait allumé l’éclairage. Benjamin. Évidemment. Il n’y avait que lui pour l’interrompre de cette façon lorsqu’il s’apprêtait à embrasser une jolie jeune fille.
- Je peux savoir ce que vous faites ici ? lança-t-il froidement, mécontent.
- Je… commença Xavier, embêté.
Sa camarade lui pinça le bras pour lui faire comprendre qu’elle allait personnellement s’occuper du cas de leur professeur. Dans ce cas-là, il fallait improviser. Et Ludivine excellait dans ce domaine.
- Hey ! Benji ! s’exclama-t-elle en lui faisant coucou de la main.
Pour toute réponse, il croisa les bras, les sourcils toujours froncés. La jeune fille sauta de la scène et accourut vers lui pour lui coller une grosse bise sur la joue.
- Ne lui en veut pas, supplia-t-elle en désignant Xavier qui revenait vers eux. Il voulait m’amener en cours, mais j’ai insisté pour qu’il me montre le théâtre. Ouah ! C’est vraiment grand, hein ! 150 mètres carrés pour la scène ! Tu te rends compte ?! Il m’a dit que la salle pouvait accueillir 300 personnes ! C’est vrai ?!
- Oui… marmonna Benjamin, malgré lui.
- Ouah ! Et bah dis donc ! Incroyable ! s’ébahit Ludivine, époustouflée.
Alors qu’elle entraînait son prof et Xavier hors du théâtre, elle continua ses exclamations.
- Mon parrain m’a dit que la salle de répétition du Casino de Paris faisait aussi 150 mètres carrés. C’est vrai Benji, hein, c’est vrai ?
Et le pauvre Benjamin, dont on ne mesurait plus sa connaissance des grandes scènes du monde, ne put s’empêcher de lui répondre. Son visage se dérida entièrement.
- Tout à fait Ludivine. Ton parrain est bien placé pour le savoir ! Il a quand même passé une année entière sur cette scène ! Mais savais-tu que le Casino de Paris avait été construit en 1730 pour Richelieu ? Car, tu vois, il se trouve que…
Et il se lança dans un long monologue sur cette salle de spectacle. Un sourire fendit le visage de Ludivine. Elle avait réussi, et bluffé Xavier par la même occasion.
Assis contre un mur entre Aline et Ludivine, Xavier n’écoutait qu’à moitié le discours de Benjamin sur cette nouvelle rentrée de la Section A. À sa droite, sa meilleure amie pouffait silencieusement de rire. Pierrick venait de lui glisser à l’oreille que le comédien aurait sans doute aimé rester plus longtemps dans le théâtre, lumières éteintes, avec la nouvelle élève.
- Arrêtez de vous foutre de ma gueule, grinça le jeune homme, énervé.
- Si tu veux, on peut s’arranger pour t’enfermer avec elle dans votre loge ! proposa discrètement Pierrick.
Leur classe, étant du niveau le plus élevé, possédait cinq loges attribuées aux élèves. Suite à un arrangement secret avec ses camarades, Xavier avait réussi à partager la sienne avec Ludivine. Soudoyer ses plus proches amis avait été un jeu d’enfant, et la petite blonde n’y avait vu que du feu.
- J’attends de vous du travail constant, et beaucoup, beaucoup, beaucoup de sérieux ! Je ne veux plus avoir à vous enseigner les bases, comme respirer, mourir, embrasser, pleurer, hurler, saccager… Si vous êtes ici pour ça, retournez en Section C ! Je veux voir des pros, je veux que vous jouiez comme vous respirez ! Et on n’est pas ici pour flemmarder, sous prétexte qu’on est le meilleur de l’école, n’est-ce pas Xavier ?!
Benjamin vit l’intéressé se renfrogner. À côté de lui, ses meilleurs amis s’étouffèrent de rire. Ludivine lui adressa seulement un petit sourire de compassion, qui réconforta un peu (mais pas assez) le comédien.
- Bécasse, murmura-t-il sauvagement à l’attention d’Aline.
- Mon Dom Juan adoré ! répliqua cette dernière, la mine réjouie.
- Je ne suis pas un Dom Juan !
- Et c’est pourtant bien toi, qui a dit l’autre jour, que tu ne croyais « qu’en deux et deux sont quatre, et que quatre et quatre sont huit » ! nargua Pierrick.
- Laisse mes chiffres tranquilles. Eux, au moins, ils ne m’emmerdent pas.
- Tes chiffres !
- Oui, mes chiffres ! Pas ceux d’un autre !
Aline et Pierrick cachaient leurs visages derrière le Programme de la Section A, pour ne pas que Benjamin les vît s’esclaffer. Vexé, Xavier ne dit rien. Il était ce que ses amis appelaient « une tête à X », le même surnom donné aux polytechniciens. Exceptionnellement doué en mathématiques, le comédien subissait depuis de nombreuses années les moqueries de ses deux amis.
- Si tu veux pas qu’on t’appelle Dom Juan, on choisira autre chose alors ! Ou pourquoi pas X ? C’est bien X, non ?! X, comme l’inconnu…
- Allez vous faire foutre !
- Déjà fait, répliquèrent les deux collègues, tout sourire.
- Bon, c’est fini, oui ?! s’énerva Benjamin, tapant du pied sur le sol.
Xavier, Aline et Pierrick se turent aussitôt… pour repartir immédiatement. Tous les trois avaient éclaté de rire, telle une bombe au milieu de la salle de cours. À son tour contaminée, Ludivine laissa échapper un petit rire. Le rire de Pierrick, s’étant confondu avec un ballon rempli d’air qui se dégonflait, connut d’ailleurs un grand succès au sein de la classe. Il s’arrachait les poumons à force de rigoler, et ceci se finit en un hoquet.
- Pu…hoc !
- Et bah alors mon Loulou, qu’est-ce qui t’arrive ? s’exclama Aline, les larmes aux yeux à force de rire, en lui flanquant une grande claque dans le dos.
- Je… ne sais… pas… hoc !
- Bien fait ! déclara Xavier.
- Je peux continuer ? demanda Benjamin, bras croisés sur la poitrine.
Ils n’avaient pas réalisé que toute l’attention s’était reportée sur eux. Comme leur professeur, les autres élèves les observaient, étonnés. Aline afficha un grand sourire joyeux, Pierrick toussota avant de reprendre son sérieux et Xavier passa inconsciemment son bras autour des épaules de Ludivine. Celle-ci fit comme si de rien n’était.
- Tu peux continuer, dirent-ils d’une même voix, une fois leurs fous rires envolés.
- Bon, alors… Ce que je voulais dire, c’est que… merde !
Dépassé par la partie de rigolade et le hoquet de Pierrick, Benjamin ne sut plus de quoi il voulait parler. Exaspéré par ce trou de mémoire, il foudroya du regard ses quatre élèves, qui lui adressèrent en retour un sourire innocent.
- Tu as fini ? s’enquit Xavier, alors que Ludivine écrivait sur un morceau de carton.
- Oui, oui.
Elle lui montra le petit panneau où elle avait écrit trois petits mots au feutre bleu. Le jeune homme sourit, et sa camarade se hâta de l’accrocher à la porte de leur loge. Leur loge à eux. Un abri reposant. Un endroit doux et tranquille. Un petit coin intime.
Ludivine & Xavier.
À la fin de la journée, alors que les élèves de la Section A quittaient leur quartier général pour rentrer chez eux, Benjamin intercepta Xavier.
- Qu’est-ce qu’il y a ? s’étonna ce dernier.
- C’est à propos de tout à l’heure… Je n’ai pas très apprécié que tu te retrouves seul dans le noir avec Ludivine à l’intérieur du théâtre.
- Benji, je te jure qu’on a rien fait.
- Sûrement… mais je n’aimerais pas que ça se reproduise.
Après un silence, le comédien répondit enfin d’un ton très sérieux.
- Fais-moi confiance, s’il te plait.
Son professeur ne lui répondit pas, car c’était déjà chose faite depuis longtemps. Le jeune homme quitta la pièce sans plus attendre, non sans l’avoir salué. Benjamin se gratta la nuque. Bien qu’il connût très bien Xavier, c’était Ludivine qui l’inquiétait. Ses réactions pouvaient être complètement inattendues, mais le comédien ne semblait pas s’en rendre compte.
L’imprévisibilité de Ludivine était un défaut qui pouvait faire de gros dégâts. Benjamin n’avait pas réellement envie de retrouver ses deux meilleurs comédiens avec un moral en dessous de zéro, à cause d’une petite amourette entre deux personnes si différentes. Surtout pas avec le travail qui les attendait. Mais ces deux-là étaient complètement bornés, et leur faire entendre raison relevait des douze travaux d’Hercule.
- Cette année promet d’être bien mouvementée… pensa-t-il avec amertume, en éteignant la salle de classe et sortant à son tour.
Ludivine et trop mignonne, je trouve. Je ne sais pas pourquoi, elle me fait penser à toi Clo ^^.
La pauvre quand même quand elle se cogne dans la porte. En même temps, vu que les autres attendaient dehors... Mais remarque c'est pas une référence. Une fois, tout le monde attendait dehors et moi, j'arrive, j'essaie d'ouvrir la salle. Ca marche et je rentre. Tout le monde me regardait.
Je continuerais demain.
Nascana
Je suis ravie que cette histoire, malgré son antiquité, te plaise, et surtout mes personnages ! Xavier n'est pas méchant, en effet, et Lulu est... euh... un mignon petit boulet dont je me suis inspirée à 80% de moi. =D Bon, je pense pas être aussi cruche qu'elle, parce qu'au bout d'un moment, elle tape VRAIMENT sur le système, mais bon voilà quoi.
Bref, un grand merci pour ton commentaire en tout cas ! *câlins*
Celle-ci est fraîche, simplement écrite, légère, très agréable, en somme. Ce premier chapitre me donne envie de continuer et de savoir comment va s'y prendre Xavier pour conquérir sa belle sans tout massacrer ni ses projets ni les belles entreprises de l'école et de ses amis.
Je reviendrai bientôt pour le prochain chapitre.
Oh Vef ! Merci beaucoup pour ton passage et tes commentaires !
Je suis contente de savoir que cette histoire se détende, même si je m'obstine à croire que les six premiers chapitres sont sans intérêt ! XD
Encore merci et bien des bisous ! ^^
La réputation de cette histoire n'est pas usurpée : quelle ambiance ! Tu nous harponnes dès la première ligne et les personnages sont déjà tous attachants : j'adore Xavier et Ludivine, ils sont adorables *_*. Tu as une belle maîtrise des dialogues, ils sont tellement percutants ! Et, je te l'avais déjà dit pour ton autre histoire, tu sais créer un cadre solide et bien documenté (en tout cas, c'est l'impression que ça donne en te lisant ^^) <br />
Bref, c'est frais, c'est dynamique, ça met de bonne humeur !Reponse de l'auteur: Merci Cristal ! Ravie de te revoir ! ^^ (Pour la réputation de l'histoire, je décline toute responsabilité ! xD). Je sais, les chapitres sont (un peu ;p) longs...mais ça, c'est parce que des lecteurs se plaignaient que c'était trop court à l'époque ! xD Bon, ça fait aussi moins de chapitres, et donc c'est "compact". Il est bien ce terme. Compact ! xD
Ben sinon pour le reste...*rougis* je n'ai jamais suivi de formation pour les dialogues (mais je suis contente si tu dis que je les réussie), mais pour le cadre, et bien tu l'as compris, je fais (beaucoup) de recherches. Voilà. ^^ Bien le bisou baveux pour toi, et encore merci ! Biyou biyou !
1-2-3... Merci ma Clooooooo d'amûûr !!! ^o^ Z't'adore !!! Héhé, tu me sauves la vie, y a rien à dire !!!
J'aime bien Ludivine. C'est un joli prénom. ^^ Alors Xavier, en plus d'être comédien et mathématicien, c'est un bon chanteur... Tssk, j'aime bien sa remarque à la fin de son petit numéro de chant. Il en fait vraiment des tonnes. ^^ Pareil à la fin, pour son " petit coin intime "... Rien qu'à lire ça, j'avais déjà envie de lui passer les alliances, lol... ^^"
*_* Je crois que j'ai un gros faible pour leur prof, Benjamin, va savoir pourquoi... Je suis un cas désespéré... C'est peut-être son prénom. Enfin bref, je l'aime déjà (rien que pour s'être laissé embobiné si facilement par la douce Ludivine... Héhéhé. Ca, c'est un type bien ! ;D)
Merciii pour ce post. ^^ J'adore déjà cette fic.
Reponse de l'auteur: Malheureusement, ça n'aura pas pu t'occuper pour la fin de la nuit ! XD (malheur, tu es un vrai phénomène !) Bref, marchi, marchi ! (bisous bisous)
Ca faisait longtemps que je voulais appeler un personnage Ludivine, bicoz c'est un prénom que j'aime vraiment beaucoup (hum...la vraie Ludivine aussi...). Pis c'est aussi la première fois qu'un de mes persos soit un MATHEUX HORS PAIR (contrairement à son auteur), mais j'aime bien ce contraste apr rapport aux autres (mais je pense l'avoir rendu un peu plus mâture dans les chapitres suivants). Je tiens vraiment beaucoup à lui (tu verras... plus tard)
XD C'est vraiment la première fois que quelqu'un s'intéresse vraiment à Benji (pas comme celui de la TV XD XD XD). Ben...tant mieux pour lui ! ^^"
Enfin, merci beaucoup ma p'tite Sunny, te couche pas trop tard ce soir ! xD Bisous bisous !
Clo'