« Par-delà les murs de la grande Cité, vivait une sorcière.
Son domaine s'étendait de l'orée de la forêt à l'horizon que la brume cachait derrière son voile. La sorcière vivait paisiblement dans les bois. Lorsqu'elle parcourait les chemins tracés au fur et à mesure de ses nombreux passages, elle cueillait toutes sortes de plantes, de feuilles, de fruits et d'herbes qu'elle mettait ensuite dans ses potions, ses soupes ou ses confitures. Les fleurs déroulaient sous ses pieds nus des tapis de pétales doux et parfumés, et les arbres saluaient son passage par d'élégantes révérences qu'elle rendait en déployant le jupon de sa robe de laine. Elle se tenait bien sur deux jambes, mais la Sorcière n'était pas très différente de ceux qui vivaient autour d'elle, en vérité. Sa maison était creusée dans un arbre, comme le nid des écureuils. Les chansons qu'elle fredonnait reprenaient en canon celles sifflées par les insectes. Comme les chevreuils, elle aimait les baies sauvages, comme les loups, elle ne refusait jamais un bon morceau de lapin et comme les chouettes et les chauves-souris, elle adorait l'heure du crépuscule.
— Est-ce que la sorcière vivait seule ?
— Oui et c'était sa volonté.
— Mais où étaient ses parents ?
— Elle n'en avait plus depuis longtemps.
— Elle n'avait pas de frères ou de sœurs avec qui jouer ?
— Elle en avait eu lorsqu'elle était enfant. Mais écoute bien ceci : la sorcière demeurait à distance de la Cité car la Cité était bruyante et avide. La cité regorgeait de monde, elle débordait de vies affolées qu'elle broyait, inlassablement, semblable aux grosses meules qui écrasent le blé pour faire de la farine. Depuis l'autre côté des remparts, la sorcière entendait parfois le hennissement plaintif des chevaux dont on battait les flancs, les braiments malheureux des ânes aveugles enfermés dans les forges, le grincement du métal contre le métal, les aboiements de chiens fous étranglés par les longes et battus à coups de bottes. A la nuit tombée, les rires gras d'hommes couvraient les cris effrayés de jeunes filles, les os des poings heurtaient la chair des corps, guidés par l'odeur nauséabonde de la bière et celle des boissons imitant avec grossièreté les breuvages des dieux. Tout n'y était que feu, fumées, cris et peines.
— Pourquoi est-ce que la Cité était si affreuse ?
— La Cité n'était pas affreuse. La Cité obéissait simplement à son Seigneur qui lui, était le plus cruel des dieux.
— Alors la sorcière avait raison de rester cachée dans les bois.
— Je ne te le fais pas dire. Elle se contentait des bois et tout se passait pour le mieux. Cependant, il ne plaisait guère au Seigneur gouvernant la Cité qu'une Sorcière ne vive près de lui.
— Pourquoi ?
— Parce que le Seigneur craignait la Sorcière.
— Mais elle ne lui a rien fait !
— Mais lui, il lui avait fait quelque chose.
— Qu'est-ce qu'il avait fait ?
— Le Seigneur avait volé quelque chose à la sorcière.
— Et il avait peur qu'elle vienne le lui reprendre ?
— Ce n'était pas quelque chose qu'elle aurait pu lui reprendre.
— Qu'est-ce que c'était ?
— Ce n'était pas ça, qui importe le plus.
— Alors, qu'est-ce qui faisait peur au Seineur ?
— Seigneur, mon chéri. Répète : le Seigneur.
— Le Sei-gneur.
— Parfait. Eh bien, le Seigneur était un être malin qui savait duper son peuple. Il avait réussi à faire croire à ses sujets qu'il n'était pas responsable de leur pénible existence, que leur travail acharné était le propre des mortels et que lui seul pouvait leur donner une quelconque valeur, que lui seul pouvait leur octroyer richesse et reconnaissance. Le Seigneur se faisait passer pour un protecteur, blanc, exempt de tous crimes et doué de clémence. Or, la Sorcière savait bien que tout cela était faux. Le Seigneur craignait que la Sorcière ne vienne lui arracher le cœur, et qu'elle ne montre à tous ses sujets quelle âme noircie et sèche pouvait battre dans sa poitrine.
Mais, vois-tu, elle avait connu une vie aussi douloureuse que celle des hommes et des femmes de l'autre côté du Mur. Cette vie-là, cette vie de servitude était une prison. Un piège qui se referme avant même que l'on lève les yeux vers lui et pour rien au monde elle n'aurait voulu y retourner, même pour un jour. La sorcière préférait la paix de la forêt. Alors elle y demeurait, sans déranger personne.
— Alors, le Seigneur aussi, restait de son côté du mur ?
— En un sens, oui. Il resta bien à l'abri derrière sa muraille, bien au chaud dans son palais d'argent et de marbre.
En revanche, il envoya des chasseurs à la poursuite de la sorcière. Mais ces hommes-là ne connaissaient rien à la forêt. Ils se prenaient les pieds dans les racines des arbres, trébuchaient et se rompaient les os sur les rochers. Avec leurs grosses bottes, ils saccageaient les nids des pauvres couleuvres qui ne se laissaient pas faire. Ils tombaient dans les ronces, s'empoisonnaient tous seuls avec de mauvaises baies. Les hommes de la cité n'avaient jamais mis un seul pied dehors, après tout. La Sorcière avait cet avantage et puis... elle était bien plus intelligente qu'eux. Elle savait comment se cacher, elle connaissait des sorts capables de les désorienter, et les autres résidents des bois l'aidaient bien volontiers. Eux non-plus n'aimaient pas ces intrusions.
— Et qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
— La sorcière parvint à tous leur échapper. Mais un jour, alors qu'elle se lavait dans la rivière, une branche craqua derrière elle. Elle se retourna et vit qu'un des archers de la Cité se tenait là, sur la rive, et pointait une flèche, droit sur son cœur.
— Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Elle est restée calme et lui a parlé. L'homme a remis la flèche dans le carquois qu'il portait en bandoulière et a laissé tomber son arc dans l'herbe. La Sorcière comprit qu'il n'était pas un être mauvais comme ceux qui l'avaient pourchassée jusque-là, alors, quand les loups se sont mis à grogner, elle les a renvoyés d'un signe de la main. L'archer de la cité ne voulait que la paix et il croyait la sorcière source de la terreur des siens. Mais qui aurait pu l'en blâmer ? Il ne connaissait que les histoires racontées par son Seigneur !
— Alors il n'était pas méchant ?
— Non, pas le moins du monde. La Sorcière le ressentit tout de suite. Elle lui montra sa maison creusée dans l'arbre, ses Jardins pleins des fruits dont raffolaient les dieux, et lui présenta chaque animal de la forêt. En rentrant chez lui, l'archer raconta son émerveillement à ses camarades, il leur conta la beauté de la vie, par-delà leur prison. Il parvint à convaincre le Seigneur que la Sorcière ne lui voulait aucun mal. L'Archer avait toujours été un homme loyal, alors son Seigneur le crut. C'est ainsi que revint la paix entre la Cité et la Forêt.
— Et la Sorcière et l'acher, ils se sont revus après ?
— L'Archer. Oh, plusieurs fois, oui. Tous deux sont tombés amoureux et se sont mariés sous les yeux de la lune et du soleil. L'Archer a continué à travailler à la Cité, car il demeure fidèle à son Seigneur, mais dès qu'il le peut, il rentre auprès de la Sorcière et lui ramène des trésors faits d'or et de pierreries, de fourrures et d'étoffes, car il ne désespère pas de lui prouver que son monde n'est pas que hurlements et laideur.
— Et ça a marché ?
— Et bien... de tout ce qu'a offert l'archer, son plus beau cadeau demeure le magnifique petit garçon qu'il eût avec la Sorcière. Car, bien qu'elle l’eût toujours nié, elle se sentait un peu seule, avant lui.
— Comment était le petit garçon ?
— Il avait de beaux cheveux blonds et de jolis yeux bleus. Et quand tu seras assez grand, je te raconterai son histoire.
— Quand est-ce que je serai assez grand ?
— Bientôt, mon petit héros.
— Tu le raconteras aussi à lui ?»
Torunn referma le livre qu'elle n'avait pas lu et le laissa peser lourdement sur ses genoux. Siegfried veillait encore, ses grands yeux ronds remplis de questions qui devraient attendre. Ses cheveux dorés brillaient à la flamme de l'unique bougie de la chambre.
« Il est l'heure de dormir, mon chéri.
— Maman, est-ce que Papa va bientôt revenir nous voir ?
— Il vient à peine de partir, ne t'inquiètes pas ainsi.
— Il avait l'air très inquiet quand il est parti.
— Ton père reviendra car sinon je lui jetterai un sort qu'il détestera.
— Un sort de quoi ?
— Un sort qui fera tomber ses cheveux et grandir son nez. »
Il faut croire que l'image que s'inventa le petit garçon était des plus grotesques puisqu'il se mit à pouffer de rire. Torunn succomba à son visage poupin. Elle s'amusa encore à le chatouiller, à embrasser son front et à le serrer très fort contre elle avant de se résoudre à le border. De son fils, il ne restait qu'une petite touffe de cheveux clairs et deux yeux fripons dépassant de la couverture quand elle quitta la chambre.
En descendant l'échelle de cordes, elle eut un curieux pressentiment. L'impression que si elle se retournait, un regard jaune et fendu serait là, perçant la pénombre, braqué sur elle. Mais il n'y avait personne. Pas même une chouette la saluant au travers d'une des nombreuses fenêtres de l'Arbre. Et cela n'aurait pas dû la surprendre. Voilà des années qu'aucun animal des bois ne lui avait rendu visite. Il semblait à Torunn que la forêt l'appréciait moins, depuis son mariage avec Lazare et la naissance de Siegfried. Que penseraient tous ses résidents, lorsque viendrait cet autre enfant qu'elle portait en son sein ?
Siegfried couché et Lazare reparti, le calme envahissait la maisonnée. Dans ce vide, résonnaient les tergiversations de Torunn. Elles enflaient, grossissaient, et explosaient dans cet espace trop grand, trop silencieux.
Malgré son évidente fatigue, lot commun aux femmes enceintes et aux mères élevant seules leur progéniture, elle s'installa dans son siège de bois que son mari avait couvert d'une épaisse fourrure dans le but de le rendre plus confortable. La vérité c'est que Torunn avait toujours connu ce siège grinçant et humide, et que c'était ainsi qu'il devait être. Pour qui la prenait Lazare ? La croyait-il trop précieuse pour accepter que le monde n'existait pas pour se plier à elle? C'était pour s'adapter à ce siège que ses vertèbres s'étaient tordues ! Et puis, comme à chaque fois qu'elle s'emportait ainsi, ce qui se produisait très souvent depuis le début de sa grossesse, elle se rappelait que Lazare n'était qu'un homme qui faisait de son mieux.
En attendant que Siegfried ne descende à son tour, d'ici une heure ou peut-être deux, les joues couvertes des larmes d'un cauchemar terrifiant, Torunn reprit son travail de couture.
Cela faisait des mois que Siegfried cauchemardait.
Cela faisait des mois que Torunn souffrait de sautes d'humeurs.
Cela faisait des mois que son ventre s'arrondissait.
Oui, il grossissait à vue d'œil et pourtant, il ne cessait de creuser un vide que tous les préparatifs de naissance ne comblaient pas. Pour son premier fils, Torunn avait aimé fabriquer un petit lit, confectionner des vêtements et des couvertures, sculpter des figurines animales dans le bois et cuisiner des soupes. Mais pour celui qui s'approchait, Torunn repoussait chaque tâche. Elle passait des journées entières à contempler des morceaux d'étoffes qu'elle n'avait guère plus le cœur à assembler.
Abandonnée par un mari plus fidèle à son Seigneur qu'à elle, rejetée par ceux qui l'avaient adoptée autrefois, elle préférait s'écorcher les doigts sur l'aiguille que de se sécher les yeux. Lazare finirait par se dégoter une pintade sophistiquée, gloussant auprès de son Seigneur et qu'il pourrait parer de tous les bijoux du monde. Seulement, et c'était son seul réconfort, Torunn savait que cette garce-là lui donnerait de pitoyables enfants. Ordinaires. Quelconques.
Torunn les haïssait tous, déjà. Elle haïssait ceux de l'autre côté, elle haïssait leur Seigneur, elle haïssait ce parasite qui pesait toute la journée sur sa vessie, lui puisant son énergie et lui donnant la nausée. Elle roula en boule le chiffon qu'elle tentait de coudre et le jeta au feu. Il se désintégra en quelques secondes, festin de choix pour des flammes affamées. Le seul regret de Torunn fut qu'elle ne puisse en faire autant avec ce bébé. Même sa magie n'y pouvait rien.
Ainsi comprit-elle cette chose que ses pensées les plus honnêtes tâchaient de lui souffler, prisonnières des convenances les plus élémentaires. Cette chose qu'elle ne pouvait formuler à voix haute ni devant Lazare ni devant Siegfried. Cette chose que les animaux de la forêt ne pourraient comprendre. Ce sentiment noir, que le quotidien cachait derrière tout un tas de petits tracas montés de toutes pièces : Torunn ne voulait pas de cet enfant à naître.
Elle lissa la laine de son jupon. Les larmes ruisselaient sur son visage, rivière débordant de son lit fait des rides qui lui plissaient les yeux et les joues. Qu'elles coulent, qu'elles l'inondent. Au final, la libération d'un cri ne fut qu'illusoire. L'enfant se trouvait toujours là, dans sa chair.
Torunn dut toutefois se censurer lorsqu'au-dessus de sa tête, les pas légers de Siegfried firent gémir le plancher. Suivrait bientôt la plainte noueuse de l'échelle de corde, mécontente d'être chahutée au milieu de la nuit.
Comme prévu, le petit garçon ne tarda pas à passer la tête dans l'encadrement de l'arche. Siegfried accourut, se jeta sur ses genoux et blottit la tête contre la poitrine de sa mère. Respectant leur malheureuse routine, Torunn se mit doucement à lui masser le dos, le menton posé au sommet de cette petite tête blonde, pétrie de peur et d'inquiétude. Siegfried pleurait, certes, mais cette fois, il reniflait, essuyait compulsivement ses yeux, commençait des mots qui se bloquaient dans sa gorge.
« Qu'y a-t-il, mon Trésor ? »
Siegfried releva la tête, essaya à nouveau de parler mais ne sortirent de sa bouche que d'incompréhensibles bégaiements. Ses petites mains agrippaient ferme la robe de sa mère. Il était pâle comme un mort. Torunn toucha son front. Il n'était pas fiévreux.
« De quoi as-tu peur, mon pauvre Siegfried ? De quoi as-tu rêvé ?
— Q... Quelqu'un... dehors.
— Tu as fait un mauvais rêve, mon chéri. Mais c'est terminé.
— Non Maman, il y a qu... quelqu'un dehors. Je l'ai vu. »
Les yeux rougis de Siegfried parcouraient la pièce, tous azimuts. Torunn n'eut pas le cœur de réfuter ce qu'il venait de dire. D'abord parce que dans ces cas-là, après avoir réalisé que ses peurs ne se reposaient que sur des ombres et du vent, Siegfried bougonnait et se murait dans un silence honteux. Ensuite, parce que blottis l'un contre l'autre avec le crépitement du feu pour seule musique, Torunn réalisa que dehors, la forêt respirait à peine tandis qu'habituellement, son souffle s'engouffrait dans la maison et frappait les volets contre le tronc. Les ailes des rapaces nocturnes ne battaient pas davantage. Les loups ne hurlaient pas en dépit de la lune pleine. Comme si la Mort avait jeté son ombre sur les bois, et que tous se cachaient à sa vue.
L'humidité fit craquer l'écorce de la maison.
C'est l'Arbre qui se figeait.
Torunn se redressa vivement. Son pressentiment se réaffirma par un douloureux battement dans sa poitrine.
« Retourne te coucher Siegfried. »
Son ton n'avait plus rien de compatissant. Il n'était plus une couverture dans laquelle se lover, confortable et lourde sur les épaules. C'était devenu un fouet cinglant.
« Maman, j...
— Va te cacher, tout de suite. Vite !»
Repoussé par sa mère, Siegfried trébucha et se précipita vers sa chambre en reniflant ses larmes. Torunn le suivit des yeux, jusqu'à le voir pris dans les bras de la pénombre.
Dès lors, le silence lui-même se retira. Il laissa sa place au bruissement de l'herbe sous des pas et au râle guttural d'une créature revenue d'entre les morts. La porte grinça sur ses gonds. L'obscurité s'engouffra à l'intérieur, soufflée par un vent glacial qui cingla le visage de Torunn. Une tornade de feuilles mortes s'écrasa à ses pieds.
Découpée dans la lumière blafarde d'un rayon de lune, l'ombre se tenait dans l'entrée. En dévoilant la chevelure éparse sous sa capuche, elle ouvrit deux grands yeux jaunes fendus qui n'eurent pas à fouiller l'espace pour trouver celle qu'elle cherchait.
Au seul commandement de sa pensée, s'enflammèrent les bûches rassemblées dans l'âtre. Son sourire seulement fait de canines étira le trait noir de sa bouche. La chose souriait et le spectacle était des plus terrifiants. Sa main, terminée par de longues griffes nécrosées, approcha le ventre rond de Torunn.
« Tel que je l'ai vu, dit-elle à voix basse.
— Que viens-tu faire ici, Lopten ? Gronda Torunn, dont les membres fourmillaient d'une énergie menaçante. Ne devrais-tu pas être à la Cité ?
— J'y serai demain.
— Va-t’en d'ici !
— Il fallait que je te vois, Torunn.»
Lopten pénétra dans la maison, se révélant un peu plus à la lumière. Elle trouva un refuge providentiel auprès du feu, dont la chaleur léchait les écailles qui recouvraient son corps.
Bien des rumeurs circulaient sur cette sorcière. On la disait aux ordres de la Déesse des Morts en personne. On disait que son apparence de reptile, elle la devait à un châtiment infligé par sa maîtresse. On disait qu'elle s'acoquinait avec les forces les plus sauvages d'Yggdrasil. Certains disaient qu'elle s'était abreuvée de sa sève, d'autres affirmaient l'avoir vue se baigner dans le sang de l'Arbre-Monde. Chaque être vivant connaissait Lopten, car, semblait-il, Lopten avait toujours existé.
Et Torunn connaissait chacun de ces bruits de couloirs. Certains étaient même le fruit de ses propres théories. Toutefois, la seule chose que l'on pouvait affirmer au sujet de Lopten, c'est que de sa beauté froide et incisive de jadis, ne perdurait qu'un vestige diaphane. Ses traits saillants, tranchants, s'animaient à peine. Sa maigre chevelure noire flottait comme un voile autour de son cou squelettique. Les mains tendues au-dessus des flammes, elle parla ainsi :
« Je me suis rendue chez les Nornes. J'ai étudié leur tissage et noté les futurs de chaque nouveau-né de la Cité d'Alldrheim.
— C'est ton fardeau, pas le mien.
— Détrompe-toi. Il pourrait le devenir.
— Que dis-tu ?
— As-tu jamais vu l'Observatoire des Nornes, Torunn ? Je gage que si. »
Torunn ne démentit pas la chose.
« Sachant ton fils héritier d'un destin exceptionnel, l'enfant que tu portes m'a inspiré une profonde curiosité, confessa Lopten. A l'instant où elle s'est imposée à moi, je n'ai plus réussi à m'en détourner. Alors, dans le Grand Tissage, je t'ai cherchée et je t'ai trouvée. J'ai suivi ton fil jusqu'au nœud qui t'unit à ce scélérat de Lazare. Plus loin, votre tresse se ramifie en une ligne sombre ; plus loin encore, émerge le fil doré et scintillant de Siegfried.
Mais j'ai eu beau chercher, je n'en ai trouvé aucun autre.
— Que dis-tu là ?
— L'enfant que tu portes n'a pas de place dans le Tissage des Nornes. Aucune place ne l'attend, nulle part.
— Que veux-tu que cela me fasse ?
— Je voulais te prévenir, Torunn. Le Père-de-Tout n'est pas tendre avec ceux dont il ne peut prévoir les actes.
— Est-il au courant ?
— Ton enfant pourrait être le mien. Je n'ai pas informé Odin de cette découverte. Considère cet avertissement comme un gage de ma bonne foi, une preuve de mon pardon.
— Ton pardon, Lopten ? Je n'ai que faire de ton pardon ! Tu m'as arraché un fils !
— Et tu as su te venger.
— C'est toi qui a fait ça ! Et veux-tu savoir ? Ta ruse ne réussira pas ! Je tuerai cet enfant de mes propres mains s'il le faut.
— Tu en serais incapable.
— Ne me lance pas ce défi, grinça Torunn.
— Alors tu auras à affronter le jugement de ton tendre fils qui nous écoute. »
Les yeux jaunes de Lopten se posèrent sur un point tapi dans l'obscurité, par-delà l'épaule de Torunn. Siegfried, repéré par la femme-serpent, disparut derrière le mur.
Les derniers mots de Torunn éclatèrent en même temps qu'un sort qui ébranla sa maison. Elle hurla bien d'autres choses dans la nuit tandis que les écailles de Lopten s'en retournèrent dans les ténèbres qui l'avaient recrachée. Furieuse, Torunn la poursuivit mais cette nuit-là, elle n'attrapa que du vent entre ses doigts.
Au petit matin, elle haïssait davantage l'enfant qui battait ses pieds minuscules dans son ventre et dont elle ne pourrait plus se débarrasser désormais.
Nul ne devait savoir pour l'enfant qu'elle portait.
Pour la première fois depuis la naissance de son fils, Torunn se rendit dans ses Jardins. Elle s'y reposa et ne le quitta qu'une fois dotée de la force nécessaire à la confection du plus puissant sort qu'elle eut à jeter depuis son départ de la Cité des Asgardiens.
Aaaah j'aime beaucoup! Quelle délicieuse manière d'introduire le contexte! Une histoire dans une histoire! (#inception, c'est dé-li-cieux). Je suis très intriguée par la suite!
À bientôt!
Merci beaucoup et j'espère que la suite te plaira ! Pour info, je publie un ou deux chapitres par semaine. S'agissant d'une réécriture, j'ai un peu de marge d'avance ehehe
A bientot :)
J'ai été curieuse en voyant ton titre et encore plus après avoir lu ton synopsis.
J'ai bien aimé ton chapitre, je trouve ta plume très fluide et très agréable à lire, on se projette très bien dans la scène et on imagine bien ce qui se passe.
Comme je le dis souvent sur les histoires écrites à la troisième personne : C'est quelque chose avec lequel j'ai du mal d'habitude, mais quand le chapitre est aussi bien écrit, j'en oublie ce détail, ahah !
Je lirai très certainement la suite !
À + :)
On rentre vraiment bien dans l'histoire, j'aime beaucoup le rythme !
Je me demande bien à quelle divinité Torunn est liée et n'étant pas grande connaisseuse de la mythologie nordique cela me donne envie de m'y intéresser.
C'est bien écrit, le petit conte pour poser les bases fonctionne bien et avec tous ces éléments, on est forcément intrigué par le destin de cet enfant à naître.
Torunn, c'est un personnage qui appartient à la mythologie ou tu l'as inventée ? Est-ce qu'il faut comprendre que c'est un peu une déesse ?
En tout cas, les histoires de sorcière, la mythologie nordique et les enfants mal aimés, j'aime bien. Je lirai avec plaisir la suite !
Juste, si je peux me permettre, je pense que l'histoire attirerait plus de lecteurs avec un résumé un peu plus fourni. ^^' Parce que là, les deux petites phrases, ça donne vraiment aucune idée sur le contenu de l'histoire. Si j'étais pas en quête de découverte et que la couverture ne m'avait pas plu, j'aurais probablement pas cliqué.
Alors pour te répondre, Torunn est un personnage inventé mais qui est lié à une divinité de la mythologie nordique.... Un peu de patience pour savoir à laquelle !
Je prends aussi note, concernant le résumé. J'admets qu'il n'est pas bien consistant, il faut que je prenne sérieusement le temps de rédiger quelque chose d'un peu plus fourni :)
Il y a quelques phrases qui peuvent paraître longuette, mais rien de grave car le sens ne s'y perd pas.
Ensuite pour les pronostics, j'ai ma petite idée sur le père. Ça dépend de ton niveau d'inspiration sur la mythologie nordique, ou le niveau de sadisme du seigneur.
Je suis très curieuse de connaître ton prognostique sur l'identité du paternel :D