Chapitre 1 : La tache

 

Le temps passa au rythme des demi-lunes, plus qu’un rendez-vous, il devint un véritable rituel. Ils ne purent pas se retrouver toutes les demi-lunes, mais jamais ils ne se virent sans un demi-cercle argenté pour veiller sur eux. Ils se rencontraient aux abords du village. Ils parlaient, jouaient, ou restaient tout simplement blottis l’un contre l’autre, à demi-assoupis. Jamais Conan ne demanda à Asha qui elle était ni d’où elle venait exactement, il sentait au fond de lui qu’il briserait le charme. Il préférait se dire qu’elle était une sorte de fée vivant dans une forêt enchantée. Il aimait beaucoup voir danser cette fée, il était sûr qu’il n’existait rien de plus beau au monde.

Le temps passa au rythme des demi-lunes. Entre elles, les deux enfants suivaient le chemin que les adultes leur avait tracé. Conan apprenait la menuiserie tandis qu’Asha s’entrainait pour devenir une Hekaour, chasseresse et patrouilleuse à dos de cheval. Elle aimait bien les chevaux et eut bientôt son premier poulain qu’elle baptisa Flaé, « nuage », en référence aux tâches blanches qui mouchetaient ses flancs bruns. En revanche, elle ne se passionnait pas pour la chasse, préférant largement la cueillette. Mais le pire, c’était la lutte. Comme toute Hekaour, elle devait protéger sa tribu contre d’hypothétiques invasions, et par conséquent apprendre les arts martiaux. Elle tentait de se persuader que combattre équivalait à danser, mais elle savait pertinemment que ce n’était pas le cas. Souvent, elle allait espionner les leçons d’Ealys et Kurtis. Elle aurait bien aimé être Arsalaï et, comme eux, apprendre toutes les danses cérémonielles, mais elle n’avait pas assez de pouvoir spirituel. Elle était moyenne dans toutes les disciplines, au contraire de sa sœur cadette, Keira. Cette dernière brillait comme un soleil et faisait la fierté de son père. Asha, elle, était une étoile parmi tant d’autres. 

Le temps passa au rythme des demi-lunes, et ils ne furent bientôt plus des enfants.

 

 

*

 

 

Le grondement des sabots enfla jusqu’à devenir assourdissant comme le tonnerre courant sur la terre. Une masse brune immense déferla dans la cuvette, harcelée de tous les côtés par des Hekaours. Ils hurlaient et frappaient les flancs des aurochs à leur portée avec leur akkash. Les mugissements des bêtes se perdaient au milieu du bruit puissant de leur galop. 

Asha s’essuya le front, le soleil, unique dans le ciel, tapait aussi durement que les armes des chasseurs. Sous elle, Flaé piaffait, se laissant gagner par l’excitation ambiante. Elle le retint jusqu’à ce qu’un signe de sa sœur, perchée au sommet d’une bute, lui indique un flanc délaissé. Le petit cheval moucheté s’élança et sa cavalière saisit son akkash. Le long bâton auquel étaient accrochées des pierres vint s’écraser contre l’épaule saillante d’un vieil auroch qui se laissait distancer. Il mugit de douleur et Asha grimaça. Autour d’elle, plusieurs bêtes se faisaient peu à peu extraire du troupeau, entourées puis mises à mort. C’était bientôt le solstice et les fêtes qui y étaient associées, les banquets seraient nombreux et devaient être alimentés. La jeune fille se plaça derrière sa vieille proie et la harcela, ponctuant ses coups de cris. Pour abréger ses souffrances, elle abattit son akkash sur les pattes de l’animal qui tituba et s’effondra. Ce n’était pas conforme au rituel, mais dans la panique personne ne l’avait vue. Elle sortit un couteau et sauta de son cheval. Elle manqua de se faire transpercer par les cornes de l’auroch qui n’avait pas dit son dernier mot, mais elle réussit à lui trancher la gorge en évitant ses ripostes. Elle ferma les yeux et prononça les formules rituelles le temps que sa proie rende l’âme, puis remonta prestement en selle. Elle rejoignit une autre formation qui s’était attaquée à une femelle en pleine possession de ses moyens.

Une corne-voix sonna la dernière prise, c’était l’heure pour le mâle dominant d’être chassé. Et c’était Keira, aidée d’Oèn, entre autres, qui devait s’en charger. Les Sylviens avaient marqué leur plus grosse proie et parvinrent donc à la retrouver au milieu du troupeau. Il fallut beaucoup de temps pour réussir à dévier les aurochs lancés à pleine vitesse pour réussir à atteindre leur chef. Un Hekaour tomba de selle et fut rattrapé in extremis par un de ses camarades avant de se faire piétiner par la masse en furie. Au terme d’une course et d’un combat harassants, Keira finit par triompher de l’imposante bête. Épuisée, elle ouvrit tout de même le poitrail de l’animal pour y extraire son cœur palpitant. Les Sylviens se rassemblèrent alors que le troupeau s’éloignait et crièrent de joie. Asha se mêla aux autres, elle voyait, près de sa sœur, son père qui la couvait d’un regard fier. Parvenir à mener une chasse de cette ampleur et à abattre le plus gros mâle du troupeau à seize ans était un exploit que Keira venait d’accomplir haut la main. La jeune fille couverte de sang rayonnait, elle en avait presque les larmes aux yeux. C’était un grand honneur pour elle d’avoir été choisie pour ce rôle, elle n’avait cessé d’être angoissée les jours précédents la chasse, mais elle avait finalement triomphé. Asha lui sourit lorsqu’elle accrocha son regard. Elle se fraya un chemin jusqu’à elle et la félicita. 

Après quelques minutes de liesse, les Sylviens s’empressèrent de vider et trier leurs prises. Ils emportèrent la viande, quelques boyaux, les os et la peau, laissant quelques restes aux prédateurs et charognards qui attendaient sous le couvert des arbres. Keira eut l’honneur de prendre pour elle les cornes de l’auroch qu’elle avait tué.

On applaudit l’expédition lorsqu’elle rentra au village, deux jours plus tard. L’air sentait déjà la fête.

 

*

 

— Tu ne vas pas avoir de mal à trouver un compagnon, commenta Asha. Tu as l’embarras du choix.

Elle tressait patiemment les cheveux noirs de sa sœur à la lueur rougeoyante du soleil couchant. 

— Oh arrête un peu, tu sais bien qu’il n’y a qu’Oèn qui m’intéresse.

Asha saisit une plume pour parer la coiffure, elle était assise en tailleur sur son lit.

— Tu as hâte d’avoir ton totem pour pouvoir mêler ton âme à la sienne ? s’enquit-elle

Elle vit le bord de la joue de Keira devenir écarlate.

— C’est quoi cette question… je… j’y pense quoi. Ça ne me déplairait pas. Mais j’ai un peu peur aussi.

— C’est normal, il parait qu’au début c’est douloureux, mais après tu verras, ce sera un délice. En tout cas c’est ce que dit Artis.

— Tu me le confirmeras bien vite, tu ne devrais pas avoir ton totem dans très longtemps. Moi je dois encore attendre.

Asha repoussa la tresse de sa sœur et dévoila son dos nu. Elle écarquilla les yeux en voyant une tache sombre s’étaler sur la peau, engloutissant ses omoplates.

— Keira… souffla-t-elle, je crois que tu vas avoir ton totem avant moi… 

— Comment ça ? Quelque chose ne va pas ? 

— La tache est apparue.

— Hein ? Quoi ? Où ça ? Fais-moi voir !

— C’est sur ton dos…

Keira se tortilla en tous sens sans parvenir à apercevoir la précieuse tache.

— Tu es sûre que ce n’est pas autre chose, hein ? Je ne veux pas avoir de faux espoirs !

Asha posa sa paume sur le dos de sa sœur. Il était chaud et aucune aspérité ou texture ne faisait ressentir la tache au touché. C’était comme si elle était sous la peau.

— Je crois que c’est ça.

— Appelle Père ! Je m’habille vite !

— Oui, bien sûr.

Asha laissa sa sœur et sortit de leur cabane. Elle courut jusqu’au centre du village ou régnait une agitation frénétique. La fête de début de la saison chaude était en préparation, supervisée par son père. Elle trouva Artis en train de transporter des paquets de nourriture. 

— Tu n’aurais pas vu mon père ?

L’autre haussa les épaules.

— Y a un truc qui va pas ? demanda-t-elle.

— Keira a été choisie par son totem, j’ai vu la tache ! 

— Quoi ? Mais c’est super ça ! 

Elle avisa son compagnon à quelques mètres.

— Eh tu connais la meilleure ? Keira a son totem !

— Ce n’est pas encore validé, lui souffla Asha, ne nous précipitons pas.

— Ah tiens, c’est pas ton père, là-bas ? fit Artis.

— Ah oui, tu as raison, merci !

Elle arriva, essoufflée, auprès d’Aedan.

— Qu’y a-t-il ? s’enquit-il en haussant un sourcil tandis qu’Asha reprenait son souffle.

— C’est Keira… une tache est apparue sur son dos… je pense que c’est son totem.

Son père manqua de lâcher les parchemins qu’il tenait à la main.

— J’arrive, dit-il en les donnant à son lieutenant.

Il marcha à grands pas vers leur maison, petite habitation de bois dressée sur des pilotis. Keira l’accueillit d’un regard nerveux. Elle se tourna immédiatement pour lui montrer son dos.

— Alors ? fit-elle d’une voix étouffée.

Les yeux bleu sombre de son père détaillèrent silencieusement les contours de la tache. Elle faisait penser à un nuage d’orage qui étendait peu à peu ses volutes. Elle grandissait presque à vue d’œil.

— C’est bien ça, lâcha-t-il. Ton totem t’a choisie. Et il semble puissant au regard de l’espace qu’il prend.

Keira piétina d’excitation, des étoiles dans les yeux.

— On commencera la préparation de la cérémonie demain, annonça Aedan. Pour l’heure, profite de la fête.

Sa voix était chaude, paternelle. Une chose rare chez cet homme impassible. Comme ses filles, ses cheveux noirs assombrissaient son visage, ses traits en étaient d’autant plus durs, renforçant son caractère. Keira lui était semblable, ses iris bleu sombre s’ourlaient d’orage lorsqu’elle était en colère. Asha ne leur ressemblait pas. Sa chevelure n’était pas lisse, mais bouclée et ébouriffée. Elle avait les joues rondes mouchetées de quelques taches de rousseur et un petit nez rosé, là où le sien, élancé, projetait une grande ombre sur ses lèves minces. Ses yeux étaient bleus aussi, mais d’un azur clair semé de petites taches dorées. Elle avait de doux tout ce que sa sœur avait de dur, de discret tout ce qu’elle montrait de charisme.

— Un totem dans le dos, lança Asha d’une voix légère, comme Père.

Aedan pivota la tête vers sa première fille, l’air indéchiffrable. 

— Effectivement.

— Que penses-tu que je vais avoir ? demanda la cadette. Le même que toi ? 

— C’est peu probable, et ça ne t’irait pas. Tu le découvriras dans une semaine, tempéra-t-il. Bon, je te félicite. Maintenant je dois y retourner, il reste encore du travail avant les réjouissances.

Il partit sans attendre de réponse, ses larges foulées dévoraient le sol. 

— Viens, dit Asha à sa sœur. Je vais te faire plus belle que jamais.

 

*

 

Lorsqu’elles arrivèrent au centre du village où brûlait un grand feu, la nouvelle s’était déjà répandue. On entoura vite la vedette de la soirée, demandant à voir la tache et faisant des paris sur le totem qu’elle allait représenter. Keira rougissait à chaque compliment, les yeux brillants. Oèn fut le premier à la rejoindre, un grand sourire ornant son visage. De deux ans son aîné, il avait eu son totem, le Sanglier, seulement quelques mois auparavant. Il lui prit la main, ému. Il pensait déjà à la fin de la cérémonie de Maturité, persuadé que c’était lui que Keira choisirait. Et il n’avait pas tort. Elle piqua un fard à son contact, ses yeux se baissèrent vers le sol avant de remonter, irrésistiblement attirés vers celui qu’elle aimait. 

Près d’eux, Asha sourit. Elle se glissa hors de la foule et alla s’asseoir à côté d’Artis, qui avait déjà entamé le repas.

— Elle est drôlement précoce, ta frangine, commenta celle-ci entre deux bouchées.

— Et oui…

Artis la dévisagea.

— T’es pas jalouse ? 

— Non, au contraire, je suis très contente pour elle. Elle le mérite.

Les yeux d’Asha se nimbèrent de violet lorsqu’elle les mêla aux flammes. Son sourire rivalisait avec le feu de joie.

— Chais pas comment tu fais, moi je serais morte de jalousie. M’enfin c’est pas avec mes abrutis de frères que je risque quelque chose. Pis j’lai déjà.

Elle caressa l’ours qui était roulé en boule sur son ventre, légèrement mis en relief par ses bourrelets. Son geste était tendre, presque maternel. Elle était reconnaissante à cet animal lui avait offert le monde des adultes.

Le son des tambours s’éleva soudain, vite accompagnés de flutes et de gripeurs. Quelques personnes tournaient dans les rangs pour distribuer de la boisson. Le banquet, gorgé de fruits et de viande, était éparpillé à même le sol. Artis fit remplir son verre et l’avala d’une seule gorgée. 

— Ah ! Qu’ça fait du bien ! J’en pouvais plus du jeûne !

La musique se fit plus forte et les rires s’y mêlèrent, la tribu se rassembla autour du feu et la nourriture commença à disparaître dans des bouches avides. Asha sentait la mélodie des tambours traverser son corps et lui arracher des frissons. Son amie faisait bouger ses épaules en rythme tout en grignotant un gigot. 

— Bon, j’sais pas toi, annonça-t-elle après avoir fini, mais moi j’y vais. 

Elle retira le haut de son habit, ne laissant que son pagne de feuilles et quelques bracelets autour de ses chevilles et de ses bras, ainsi que ses colliers rituels. Elle se leva et rejoignit le cercle des danseurs, au plus près du feu, pour se trémousser en rythme. Ses seins semblaient danser sur un autre air, tout comme ses cheveux roux. Asha ne résista pas longtemps à l’appel de la danse. Après avoir avalé quelques bouts de viande et une écuelle de fraises des bois, elle se précipita pour rejoindre son amie, vêtue du pagne rituel. Mais Artis avait rejoint le deuxième cercle, celui des adultes, frôlant les flammes. Asha ne pouvait pas y pénétrer tant qu’elle n’avait pas son totem. Elle se contenta du premier cercle, et la mélodie l’emporta. Kurtis dansa avec elle, lui non plus n’avait pas encore d’esprit protecteur. Il tentait, le visage rouge, de ne pas laisser son regard dériver vers les seins qui remuaient sous ses yeux, ce qui fit rire Asha. À côté d’eux, les adultes ne s’en privaient pas. Au fur et à mesure que le deuxième cercle se remplissait de nouveaux danseurs, il se vidait de couples qui partaient se cacher dans la forêt. 

La musique agitait les corps et les esprits. Le grondement du feu et le martèlement des tambours emplissaient les têtes. Ombres mouvantes sur un sol de victuailles, les Sylviens se laissaient enivrer de sons, d’odeurs et de goûts. Ils entraient en transe, leurs cris dansant avec les flammes. L’extrait de champignon et la liqueur de framboise coulaient à flots, les aurochs grillés disparaissaient les uns après les autres. Les corps libérés se courbaient, se tordaient en tous sens, coulaient dans la lumière et surgissaient des ombres. Les effluves de viande, d’alcool et de sueur les faisaient tournoyer toujours plus vite.

Asha savait toute cette agitation protégée de la vue des hommes par de puissants enchantements. Néanmoins, elle se promit de demander à Conan s’il n’avait rien entendu. Elle aurait bien aimé l’emmener ici et danser avec lui, le voir s’émerveiller de cette fête enivrante et goûter la joie qui l’entourait. 

Elle quitta le cercle de danse et alla s’asseoir près d’un arbre. Derrière elle, dans les buissons, elle entendait des soupirs. Elle choisit de porter son attention ailleurs. Elle vit Keira qui mangeait avec Oèn avant que celui-ci ne l’emmène danser. Elle aurait bientôt le droit d’aller dans le deuxième cercle et de se laisser emporter dans les broussailles. Asha darda sur Oèn des yeux intenses, porteurs d’une menace non voilée. Mais il ne s’en rendit pas compte, absorbé par la vision de sa compagne qui dansait. Elle laissa dériver son regard et celui-ci se posa sur Aedan. Assis, une coupe pleine à la main, il fixait le grand feu, immobile. Comment toujours depuis la mort de sa première femme, il ne participait pas aux réjouissances. Asha tenta de convoquer le souvenir de celle qui lui avait donné la vie. Mais c’était inutile, elle n’avait qu’un an quand elle avait succombé à la naissance de Keira. À la place, c’est Séla, sa mère adoptive qui apparut. Asha essuya une larme au coin de son œil. Il ne fallait pas penser aux morts en ce jour de fête.

Elle leva la tête et contempla les étoiles. Séla était décédée depuis huit ans, elle devait avoir quitté le ciel pour rejoindre la Source. Asha fixa pourtant la voûte céleste teintée de fumée, elle aurait aimé pouvoir la toucher.

 

 

*

 

 

Dès le lendemain, Keira fut entraînée à l’écart par son père et la Moïa, la cheffe spirituelle, pour se préparer à la cérémonie de Révélation. Elle n’eut pas le droit de dormir dans le même lit que sa sœur et passa toute la semaine dans la hutte des Arsalaïs. Asha savait qu’elle s’entraînait sans relâche le jour et méditait la nuit comme le voulait la coutume. Peu de sommeil lui était accordé, elle y aurait droit la journée précédent la cérémonie. Mais elle n’était pas inquiète, Keira était sérieuse et têtue, elle accomplirait tout ce qu’on lui demanderait et le jour venu réussirait la cérémonie. 

Néanmoins, Asha demanda à Kurtis des nouvelles. Celui-ci, encore apprenti Arsalaï, ne participait pas à la préparation mais avait le droit de rentrer dans la hutte. Il lui confia qu’elle se montrait aussi douée qu’il l’avait imaginé. 

— Son totem sera puissant, c’est sûr !

L’excitation était palpable dans sa voix. Asha se laissa contaminer, tout comme la plupart des membres de la tribu. 

La demi-lune se leva ce soir-là, et les préparatifs furent achevés. On invita la tribu à se rassembler en cercles concentriques. Les enfants occupaient la périphérie, mais Asha, en tant que proche, eut le droit de s’installer au premier rang. Tous n’étaient vêtus que d’un pagne, révélant un panel de totems inscrits sur leur peau. Griffes, sabots et gueules se tendaient en tous sens entre plumes, poils et écailles bariolés, figures toujours uniques à l’image de leur porteur. Derrière eux un grand feu grondait. Peu à peu le silence s’installa.

Moïa avança jusqu’au centre du cercle. Elle agita son bâton et prononça des formules dans l’ancienne langue, traçant un cercle avec une poudre ocre. Quelques tambours furent frappés dans les premiers rangs. La vieille femme fit un geste vers Keira qui la rejoignit. Ses cheveux lâchés étaient huilés, sa démarche légère soulevait la cape qui l’entourait. Arrivée à l’épicentre, elle s’immobilisa, tremblante. Son regard accrocha celui de sa sœur. Asha lui envoya tout le courage qu’elle trouva en elle, hochant imperceptiblement la tête. Moïa marmonna les dernières formules et alluma des feux tout autour d’elle puis s’assit au premier rang. Les tambours accélérèrent. Près d’elle, Asha sentit son père se tendre. L’aigle sur son dos semblait prêt à prendre son envol. 

Convergence des regards, Keira fit tomber sa cape à ses pieds, révélant son corps totalement nu. La tribu baissa les yeux respectueusement, mais les releva vite pour assister à la danse. La jeune fille avait la chair de poule, la tache couvrait l’entièreté de son dos et semblait pulser au rythme des tambours. Asha prit le bras de son père et celui d’Ealys de l’autre côté, tout le monde l’imita et ils commencèrent à se balancer.

Keira avança un pied, leva une main et tourna sur elle-même. Ses muscles bougeaient sous sa peau rendue lumineuse par les braseros. Ses cheveux volaient et se noyaient dans la nuit, rejoignant parfois les ombres qui se formaient sur son corps. Celles-ci se tordaient et refluaient sous les assauts des flammes, courant et se percutant sur sa peau, toujours plus vite, toujours plus brusquement. Les contours de la jeune fille se perdirent dans l’air. Elle n’était plus qu’un corps indéfini secoué de vague, agité d’ombres qui s’affrontaient. Mains aux doigts écartés, genoux qui roulaient, hanches prises de folie, tétons écarlates, semblaient se détacher puis se réunir avec violence. Les spectateurs se balançaient, convulsés par des frissons qui traversaient tous les cercles. La chaleur se mêlait à leurs sens déjà emplis et leurs yeux écarquillés étaient fixés sur la tache qui semblait posséder sa propre vie. Les flammes se dessinaient sur elle, repoussées puis attirées par les ombres, la tache prenait forme sur l’échine, se nourrissant des mouvements déliés de sa porteuse, charriant des formes sombres en vagues sauvages. Le rythme des tambours allait croissant et l’air vibrait de plus en plus fort. Keira n’avait plus de limite physique, chaque partie de son corps volait, tournoyait, se noyait dans l’ombre puis surgissait dans la lumière, s’agitait et se perdait dans une ambiance toujours plus extatique. 

Le chant de Moïa s’éleva, ressemblant à cri de faucon. Il jaillit vers la danseuse qui eut un regain d’énergie avant de voler vers le ciel pour exploser dans les nuages. Keira se tordit alors qu’un grondement déchirait l’air. Les cercles furent couchés les uns après les autres, le silence s’écrasa et engloutit la scène.

Asha releva lentement la tête en clignant des yeux. Sa sœur était debout, immobile bien qu’essoufflée et tremblante. Sur son corps frémissant, une panthère noire étendait ses griffes, sa tête reposait sur son épaule et son corps bondissant couvrait tout son dos tandis que sa queue s’enroulait autour de sa cuisse droite. 

Après un temps de contemplation béate, la tribu s’agita. Une grande clameur s’éleva vers le ciel étoilé.

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Bleumer
Posté le 05/05/2024
Bien que long, le chapitre se lit très bien (tu sais que c'est mon point faible la longueur^^).
Je dois encore rester concentré pour me souvenir qui est qui, mais ça passe bien. J'ai été surpris de l'inspiration clairement amérindienne de l'histoire que je ne soupçonnais pas dans le prologue car il me semblait que le lieu du Sacrifice était pavé ce qui n'est pas vraiment en accord avec cette culture telle qu'on la connait dans notre monde, mais nous ne sommes pas dans notre monde!
Le côté tribal et caché d'Asha représenterait-il les Indiens? Alors que Conan hors de ce monde mystique serait du côté de l'homme blanc? Peut-être veux-je trouver trop d'analogies avec la culture américaine alors que ce n'est pas vraiment le propos!^^
J'avoue que jusqu'au bout, cette tache prématurée sur le corps de Keira, je m'attendais à ce qu'elle "dégénère" en Marque du Sinistre! Je suis surpris et en même temps un peu déçu que ce ne fut pas le cas!^^
AudreyLys
Posté le 05/05/2024
Tant mieux si tu arrives à supporter la longueur !
Les Sylviens sont des chasseurs-cueilleurs, comme les natifs américains du nord, effectivement. Ce n'est pas ma seule inspiration, mais c'est une analogie tout à fait valable ^^
Ce n'est sans pas encore très clair pour toi, et c'est normal, mais seuls les "humains" (le peuple de Conan) peuvent développer la Marque.
Merci pour ta lecture et ton nom' !
EmelineDony
Posté le 02/09/2021
Je suis vraiment charmée par ta plume, j'adore la poésie qui en ressort. Tes mots sont justement choisis et ont beaucoup d'impact dans tes descriptions. J'aime beaucoup ce chapitre, on est directement glissé dans les traditions et les rituels de ce peuple. (D'ailleurs, ça m'a fait pensé aux rites indiens, un peu comme dans le Disney "Frères des ourses") A chaque paragraphe, on ressent tout le travail de recherche que tu as sans doute dû réaliser avant de tout écrire. Ton univers semble parfaitement réfléchi / pensé, j'apprécie déjà la place que la musique et la danse à dans ton histoire. La fluidité de tes lignes et le rythme qui tu y poses rendent la lecture vraiment agréable !
AudreyLys
Posté le 02/09/2021
Effectivement, je me suis inspirée des cultures nord-amérindiennes (entre autres) pour créer celles des Sylviens, mais je n'ai pas eu l'impression de faire tant de recherches, c'était très intuitif^^
Merci pour ce com' très encourageant !
Rienthal
Posté le 05/08/2021
On se laisse emporter par le rythme. Tu as toute mon admiration pour le choix des mots qui fait glisser le texte comme une vague.

J'ai envie d'en savoir plus sur les totems du coup. Mais du coup les porteurs de la marque sont des gens qui n'ont pas fait la cérémonie ou c'est complètement différent ?
AudreyLys
Posté le 06/08/2021
Merci !
Je ne peux pas répondre à cette question, puisque les liens entre Porteurs et Sylviens font partie des révélations tardives. C'est différent sans l'être...
csbeambong
Posté le 19/05/2021
Un chapitre magnifique ! J'aime beaucoup tes choix de mots, qui sont très précis et qui transportent le lecteur dans ton univers. Et tes phrases sont tellement bien écrites, j'en suis presque jalouse : ) As-tu l'intention de faire publier ce livre ? Je serai la première à l'acheter si c'est le cas. Bonne continuation.
AudreyLys
Posté le 19/05/2021
Ooow merci beaucoup <3
Oui, il va participer si tout se passe bien à l’AT Atalante, mais sinon j’attends d’avoir écrit la suite pour faire des vagues d’envois^^
_HP_
Posté le 21/06/2020
Heyy !

Encore un très beau chapitre !
Je trouve qu'il y a toujours un côté très poétique lors des danses !
La relation des deux soeurs est très belle, je m'attendais à ce que Keira soit une peste, orgueilleuse etc, et Asha très jalouse, mais pôdutou ! (perso je sais qu'à la place d'Asha, comme Artis je crèverais de jalousie xDDD)
J'admire comment tu arrives à bien écrire dans différents genres. Dans le sens où les danses sont parfaitement bien décrites, très douces, belles et poétiques, et où les passages plus "durs" (meurtre, chasse aussi) sont très "réels", bien décrits etc ^^ (je suis pas sûre que ce soit très clair 😅)
Encore un chapitre très prenant (et je suis d'ores et déjà sûre que ce sera le cas pour chaque xD) et super à lire ! ♥

Des petites choses :p

• Dans la première partie, (c'est un détail), parfois tu écris "des demi-lunes" et parfois "des demi-lune" ^^
• "Ils hurlaient frappaient les flancs des aurochs à leur portée avec leur akkash." → Peut-être une virgule, entre "hurlaient" et "frappaient" ^^
• "le temps que sa proie rende l’âme, puis remonta prestement en scelle." → selle
• "Elle vit que le bord de la joue de Keira devenir écarlate" → "que le bord de...devint" ou "le bord de...devenir", je pense ^^
• "Tu n’aurai pas vu mon père ?" → "aurais", il me semble 😄
• "Que pense-tu que je vais avoir ? demanda la cadette." → penses-tu ^^
• "C’est peu probable, et ça ne t’irais pas. Tu le découvriras dans une semaine" → t'irait
• "Il partit sans attendre de réponse, ses larges foulés dévoraient le sol" → foulées, non ? ^^
• "De deux ans sont aîné, il avait eu son totem, le Sanglier, seulement" → son aîné
• "Elle piqua un fard à son contacte, ses yeux se baissèrent" → contact
• "Elle est drôlement précoce, ta frangine, commenta celle-ci entre deux bouchés" → bouchées
• "Elle retira le haut de son habits, ne laissait que son pagne de feuilles" → habit (j'aurais dit "ne laissant" ^^)

• Les incises, même après un point d'interrogation ou d'exclamation, ne prennent pas de majuscule ^^
AudreyLys
Posté le 21/06/2020
Hey !
Contente que ça te plaise <3
C’est marrant pour la relation des deux sœurs Sorryf m’a dit exactement la même chose à tel point que j’ai vérifié si je m’étais pas trompée de com XD
Merci pour les coquilles ! Ah ces incises ! En fait moi je mets pas de maj mais le correcteur me les rajoute c’est trop chiant x)
Merci pour ta lecture et ton commentaire !
Jinane
Posté le 10/05/2020
Hello !

Je suis tombée un peu par hasard sur ton histoire et ai commencé à lire, très attirée par ton résumé :) Je suis d'accord avec un commentaire qui a déjà été écrit : au niveau des descriptions du "gore" (sacrifice, chasse etc), tu fais peser une atmosphère… euh… angoissante ? Je trouve que c'est super bien fait (malgré la répulsion que ça me fait ressentir parfois ! Ne prends surtout pas ça comme un mauvais point, c'est au contraire très positif car sans doute ce que tu cherchais à faire éprouver :)

Seules petites remarques pour ce chapitre : la répétition de "demi-lune" au début m'a paru un poil trop lourde à la lecture, et certains dialogues font un peu "enfantins" (ce n'est que mon avis bien sûr, et peut-être que tu fais ça exprès :) Autrement, bravo pour ton imagination et le travail apporté, je lirai la suite avec plaisir !
AudreyLys
Posté le 10/05/2020
Hello !
Merci pour ton com' je note tes remarques ! <3
Alice_Lath
Posté le 06/05/2020
Oooh, c'était vraiment un chapitre splendide, je me suis régalée. Ta plume est splendide là-dedans, je n'ai vraiment rien à y redire. Je me suis contentée de savourer avec délice ce très bel univers que tu nous offres. Le vocabulaire est précis et maitrisé, la syntaxe excellente, bref je vais prendre des cours de grammaire auprès de toi aussi hahaha, parce que le niveau est clairement excellent
AudreyLys
Posté le 06/05/2020
Merci <3
Je pense pas que t'aies besoin de ces cours x)
Alice_Lath
Posté le 06/05/2020
Wesh, t'as pas lu mes tentatives dans l'Apocalypse toi mdr
GaelleLuciole
Posté le 22/09/2019
comme Sorrif, la description de Asha est remise en question quand tu évoques sa soeur. Du coup, on ne sait plus de qui tu parles.

C'est un chapitre qui amène toutes les traditions de cette tribus. C'est bien amené, fluide et on se laisse prendre.

note personnelle: depuis le prologue, j'ai du mal avec les relations entre tous ces personnages. j'essaie de me concentrer pour les prochains chapitres.
AudreyLys
Posté le 22/09/2019
Merci de me la rappeler, je vais faire une liste de chose à changer !
^^
Ah oui c'est vrai qu'il y en a beaucoup. Ne te casse pas la tête, normalement c'est plus développé dans la suite. Je n'attends pas qu'on retienne toutes les relations dès le chapitre 1, je les ai nommé parce que la première scène se passe en groupe, mais je ne les introduis réellement que plus tard
Merci pour ta lecture et tes com' !
El
Posté le 19/08/2019
C'est officiel, j'adore ! La forêt, les étoiles, les coutumes, amenées toute en douceur, comme si elle était habituelles pour nous.... J'aime beaucoup la manière dont, au début, tu as fait passer les années. C'est très fluide comme ellipse, et en plus c'est pouétique :3
AudreyLys
Posté le 19/08/2019
Merci ça fait super plaisir <3
El
Posté le 19/08/2019
Keur keur <3
Sorryf
Posté le 30/07/2019
woooh ! je trouve ce chapitre excellent !
le premier paragraphe est superbe.
la relation entre les soeurs est très jolie ! je trouve super qu'elles s'entendent bien, qu'il n'y ait pas de jalousie entre elle, je m'attendais à ce que la petite soeur soit une peste, lol, mais elles ont vraiment une super relation !
J'ai aussi beaucoup aimé le rituel, la fete, tous les moments de danse... visuellement ça doit être méga beau !J'ai eu un peu
deux 3 remarques :
bourlés -> bourrelets. juste en dessous : "maternel" (au lieu de "maternelle"
et pas loin, "jeune"-> jeûne
J'ai eu un peu de difficultés avec ce passage là :
"Comme ses filles, ses cheveux noirs assombrissait son visage, ses traits en étaient d’autant plus durs, renforçant son caractère.  Asha ne lui ressemblait pas. Sa chevelure n’était pas lisse, mais bouclée et ébouriffée. Elle avait les joues rondes mouchetées de quelques taches de rousseur et un petit nez rosé, là où le sien, élancé, projetait une grande ombre sur ses lèves minces. Ses yeux était bleus aussi, mais d’un azur clair pailleté d’or. Elle avait de doux tout ce qu’il avait de dur, et Keira, entre tout ça, n’en était que plus belle."
On est d'accord que c'est Asha qui est décrite, en comparaison avec son père ? Mais du coup, que vient faire Keira là-dedans à la fin ? Ce serait plus judicieux de décrire les soeurs l'une par rapport à l'autre, ou bien de rajouter au moins une petite ligne pour dire si Keira ressemble plutôt à sa soeur ou à son père, comme ça on aurait une idée, et la dernière phrase aurait un rôle plus logique.
En tout cas, bravo pour ce chap, il m'a emportée !
AudreyLys
Posté le 30/07/2019
whooooo ça me fait super plaisir (je te fais une repdecom sur KEM juste après) on s'émule réciproquement XD !
^^
Ah oui la relation des sœurs ! C'est cool que tu aies aimé^^ Pour l'instant on voit que les bons côtés, mais je voulais faire quelque chose de complexe (j'ai un parfait sujet d'étude IRL XD)
Justement, c'est visuellement que je l'ai imaginé^^avec un jeu de lumière sur les corps et tout... Tu as eu un peu quoi (ta phrase est pas finie) ?
Coquilles :
Ah ! Bourrelets je savais plus comment ça s'écrit XD merci ! (et merci pour les autres fautes!)
Je note pour la description, j'avais beacoup de mal à caser celle d'Asha mais je voulais pas balancer un pavé hors sujet... je vais retravailler ça !
Deux questions : Est-ce que tu as bien compris la situation familiale (ça fait ultra sérieux XD) d'Asha ? J'ai peur de ne pas être assez clair et c'est compliqué
Et est-ce que tu ne te sens pas trop perdu au niveau de la profusion de personnages dès le prologue ?
Waw merci, ça me touche <3 j'espère que le prochain te plaira tout autant ! 
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