La tribu fut agitée de murmures en voyant la magnifique panthère. C’était un totem puissant et de surcroît extrêmement rare. Moïa se leva tandis que Keira s’agenouillait face à elle. L’Arsalaï l’enveloppa de nouveau dans sa cape de lin, puis posa sur sa tête un diadème de bois orné de trois plumes de couleurs différentes, blanche, bleue, jaune.
— L’Esprit de la Panthère Noire t’a choisie, dit-elle d’une voix solennelle. C’est Lui qui t’accompagnera jusqu’à la Source. Toute ta vie durant, Il sera ton protecteur. Il symbolise la force, la discrétion mais aussi les ténèbres et la colère. Prends garde à Ses caprices mais suit Ses préceptes. Choie cet esprit aussi rare que gracieux. Demain, tu ne seras plus fille, tu seras femme.
Elle fit un geste de la main vers Aedan qui se leva. Le visage étrangement doux, il retira de son cou le collier de Maturité, une corde au bout de laquelle pendait une pierre ronde et blanche.
— Moi, Aedan de l’Aigle Royal, fils de Brenna du Corbeau et Deren du Hibou Maître-bois, je te transmets la Vie et la Maturité, puisse-tu perpétrer mon héritage.
Il passa le collier autour du cou de sa fille qui le reçut avec déférence. Il en portait deux autres, destinés à Asha et Kurtis.
— Que la célébration commence, annonça Moïa avec un sourire bienveillant, en l’honneur de Keira de la Panthère Noire !
Aussitôt, les cercles s’élevèrent et se brisèrent alors que toute la tribu venait féliciter la nouvelle adulte. La foule dense et joyeuse se déplaça avec sa vedette jusqu’au grand feu où un assemblage de mets avaient été semés un peu partout. Heureusement pour Keira qui menaçait d’étouffer, le groupe se dispersa bien vite pour profiter de la fête. La jeune fille s’assit en tailleur sur le sol à la place qui lui était désignée.
— Tu ne manges pas ? s’enquit Asha.
— Je… j’essaie… mais je n’ai pas très faim.
— Tu as jeuné ces derniers jours, pourtant.
— Oui, je sais…
Asha s’assit près de sa sœur et l’entoura de ses bras. Il lui restait encore une épreuve à passer pour devenir une véritable femme, une épreuve d’amour et de sang. Oèn faisait mine de ne pas regarder dans la direction de Keira et partit même danser, mais chacun de ses mouvements était irrésistiblement tourné vers elle. Il exhibait fièrement sa musculature et le sanglier courant sur son biceps gauche. Ses yeux fébriles papillonnaient autour de sa bien-aimée.
— Essaie de manger un peu quand même, tu vas avoir besoin de forces, souffla gentiment Asha.
Sa sœur attrapa un pain fourré au coulis de myrtilles et le mâchonna sans conviction.
— Tu as peur ?
Keira déglutit.
— Un peu, mais je suis excitée aussi, enfin bref je ne sais pas trop quoi penser.
— Prends ton temps, surtout, tu as jusqu’au levé du jour, inutile d’être pressée.
— Oèn a l’air impatient…
— Il l’est, mais c’est toi à de décider quand tu veux le faire, et pas à lui. Il a déjà eu son heure de gloire, après tout.
Le regard de Keira dériva vers Haelia, celle qu’Oèn avait choisie lors de sa propre cérémonie. Même s’il n’aurait pas pu la choisir elle, puisqu’elle n’avait pas encore son totem à ce moment-là, elle était un peu jalouse. Surtout qu’elle savait qu’ils avaient recommencé depuis. Elle devrait bientôt s’accorder avec son compagnon sur les règles de fidélité à établir. Certains couples étaient totalement libres, mais elle ne voulait pas fonctionner ainsi.
— Je ne pense pas que ce soit le moment de réfléchir à ça, remarqua Asha qui parvenait, grâce à leur Lien, à percevoir ses pensées.
— Tu… as sans doute raison… mais je suis très anxieuse alors ça m’aide de penser à des choses que je peux gérer.
— Ça va bien se passer, répondit sa sœur d’une voix douce, et si ce n’est pas le cas, je me chargerai personnellement d’infliger une correction à Oèn.
Keira pouffa, plus par nervosité que parce qu’elle trouvait ça drôle.
— Tu te battrais, toi ? Mais tu détestes ça.
— Il y a bien d’autres manières de vaincre, souffla cette dernière d’un air mystérieux.
Leur regard furent attirés par le mur de flammes qui se dressait face à elles. L’ombre d’Oèn s’y déhanchait au plus près du feu. Elles passèrent plusieurs minutes à contempler cette vision, Asha perdue dans la danse du foyer et Keira dans celle du jeune homme. Ses yeux brillaient et renvoyaient une lumière rougeoyante.
Un peu raide, elle se leva. Elle n’eut pas besoin de l’appeler, Oèn s’immobilisa pour la fixer. Il perçut le message silencieux de son regard et s’approcha. Keira hocha la tête en rougissant. Elle lui prit la main et l’entraîna vers la petite hutte aménagée spécialement pour l’occasion.
Asha les regarda s’éloigner, l’air pensif.
Personne ne la vit se lever et se glisser hors du village. Elle appela Flaé qui accourut immédiatement, le jeune cheval savait que quand la demi-lune brillait, il avait droit à une balade nocturne.
Il galopa avec joie sous les feuilles argentées des arbres. Asha s’amusait à fouiller la pénombre de la forêt. L’atmosphère estivale faisait chanter les insectes. Flaé s’arrêta en face du tronc large du Grand Arbre et laissa sa cavalière descendre. Il la regarda disparaître dans les broussailles et lui envoya un hennissement joyeux comme pour lui souhaiter un bon moment.
Asha frissonna quand ses pieds nus effleurèrent la pierre froide. Elle repéra vite la silhouette solitaire de Conan qui l’attendait, assis sur un rocher près de l’autel. Elle se glissa dans son dos et le fit sursauter en lui touchant l’épaule.
— Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-il.
Elle rigola.
— Comment ça va ? demanda-t-elle.
— Ça va, comme d’habitude. Et toi ?
— Je vais très bien, aujourd’hui est un grand jour.
— Ah oui pourquoi ?
— Ma sœur est devenue adulte, il y a une grande fête au village.
— Ta sœur ? Mais, et toi ? Tu n’es pas plus âgée ?
— Si, mais les Esprits l’ont choisie avant moi.
— J’avoue que j’ai du mal à comprendre.
Elle rit encore.
— Les Esprits nous choisissent une fois que nous sommes devenus assez grands, Ils nous protègent pendant notre vie et nous accompagnent vers la Source lorsque nous mourrons. En échange nous Les vénérons. Nous faisons ça car il n’existe pas de totem de l’Homme.
— Vous avez décidément des coutumes bien étranges. On ne vénère pas les Trois chez toi ?
— Non…
Asha se perdit dans la contemplation du ciel. Elle fut tentée de lui avouer que les Trois était un mensonge inventé il y a bien longtemps, mais se retint.
— Une fois que l’Esprit t’a choisi, il faut faire la cérémonie pour établir une connexion avec Lui, à ce moment Il marque ton corps de son empreinte.
— Il marque le corps… comme la Marque ?
Le sourire d’Asha vacilla.
— Non, c’est totalement différent…
Il lui semblait qu’elle mentait. Elle secoua la tête et se reprit.
— Je vais te montrer la danse du totem, tu vas voir, elle est magnifique !
Elle bondit sur ses jambes et ferma un instant les yeux pour se concentrer. Elle avait assisté de nombreuses fois à la cérémonie et la connaissait presque par cœur. Elle dansa comme elle avait vu sa sœur le faire. Normalement il était interdit de reproduire des gestes rituels hors des cérémonies, mais elle voulait absolument montrer un peu de son monde à son ami secret.
*
Conan admira ses gestes pleins de grâce et ce corps souple qui se mouvait au rythme d’une mélodie inaudible. Il chassa, empressé, les mèches brunes qui s’obstinaient à masquer sa vision. Plusieurs fois, la robe blanche et courte de la jeune fille se souleva et ses larges manches s’ouvrirent, il put apercevoir le galbe de ses seins et celui de ses fesses. Il rougit et tenta de ne pas regarder.
Asha devrait s’habiller un peu plus, songea-t-il, confus.
Le cliquètement des bracelets de la danseuse cessa, elle était essoufflée. Elle se rassit près de Conan qui détourna le regard.
— C’est… très beau, bredouilla-t-il.
Elle sourit et lui posa un baiser sur la joue. Celle-ci prit la couleur d’une tomate bien mûre.
— Quand j’aurai mon totem, c’est toi que je choisirai, annonça-t-elle.
Il cligna des yeux, ne sachant que répondre.
— Heu… merci… hasarda-t-il, ce qui la fit rire encore.
Elle fit reposer sa tête contre son épaule avec tendresse. Il passa un bras timide autour d’elle.
— Dis, c’est bientôt ton anniversaire, non ? s’enquit-il.
— Hein ? Heu… oui je crois. J’aurai bientôt dix-sept ans. Pourquoi ?
— Pour rien.
Elle le fixa de ses yeux clairs, elle savait bien qu’il avait une idée derrière la tête. Et ce n’était pas peu dire. On n’offrait pas de cadeaux d’anniversaire, dans la forêt, mais lui était bien décidé à rendre ce jour inoubliable.
Elle colla sa joue contre la sienne en émettant un son qui ressemblait à un ronronnement.
— Je t’adore ! s’exclama-t-elle.
Il s’empourpra.
— Moi aussi, répondit-il avec un sourire gêné.
*
Tout le village de Guéron était réuni dans le temple pyramidal. La voûte triangulaire s’ouvrait en son sommet pour déverser un peu de lumière sur la pierre pâle et sur le bassin de purification. Les prêtres aux masques de tissu se tenaient face aux fidèles, chacun portait une bougie. Conan aurait aimé avoir leur voile pour cacher ses larmes.
— Chers frères, chères sœur, aujourd’hui nous commémorons nos défunts, commença un sans-visage. Il y a neuf ans, une terrible épidémie a frappé nos demeures et a emporté nombre de nos enfants. Trois cycles divins ont passé depuis. Dans le premier, le Sinistre les a accueillis dans son au-delà, récoltant leurs âmes perdus sur cette terre. Dans le second, le Souverain les a jugés pour leurs actes passés et leur humanité. Nul doute que nos pures enfants étaient bons, aussi dans ce dernier cycle, nous célébrons leur passage dans le ventre de la Mère qui s’apprête à les renvoyer parmi nous. Quelque part en ce monde, leurs âmes naitront de nouveau et pourront recommencer leur vie. Puisses la Mère accompagner leur renaissance !
— Puisses la Mère leur donner une nouvelle chance, murmurèrent les fidèles. Puisses la Mère leur offrir une vie paisible dans la foi des Trois.
Près de Conan, ses parents affichaient un air grave. Il remarqua d’ailleurs qu’ils ne répétaient pas les formules rituelles. Lui non plus, cela dit, sa voix était bien trop faible pour ça.
Les villageois s’avancèrent ensuite vers le bassin qui scintillait doucement sous la lueur du soleil. Ils posèrent des bougies flottant dans des écuelles sur l’eau calme. Chacune représentait une âme en voix de réincarnation. Conan en portait une, ses parents aussi. Les bougies se tournaient autour, semblant se jauger, se pavaner sur la surface plus troublée. De nombreux fidèles restèrent agenouillés autour du bassin pour prier la Mère. Mais la famille de Conan s’éclipsa vite. Sur le chemin du retour, il observa les profils congestionnés de ses parents. Il devinait qu’ils refusaient de penser à leurs enfants perdus. Lui ne pouvait pas ignorer qu’il était le seul survivant de sa fratrie. Il avait peu de souvenir de ses frères et sœur, mais ceux qu’il avait étaient douloureusement vivaces.
Une fois rentrés chez eux, ils prirent leur repas dans un silence lourd. Le jeune homme n’en pouvait plus. Il se força à penser à autre chose, et cet autre chose alla naturellement vers Asha. Il devait lui trouver un cadeau. Il mâchonnait son pain sec en réfléchissant. C’était toujours une affaire compliquée. Elle s’émerveillait de tout sans qu’il ne sache vraiment si chaque cadeau la touchait. Il soupira.
— Comment as-tu trouver la cérémonie ? demanda soudain Ottia, sa mère.
Il haussa les épaules, ne voulait pas repenser à ses adelphes.
— C’était émouvant, lâcha-t-il.
Elle le fixait sans qu’il ne puisse déchiffrer son regard.
— Mais… je préfère pas en parler…
— Pourquoi ?
Il rentra la tête dans les épaules.
— Vous savez très bien pour quoi.
Bion, son père, posa sur son bras une main rassurante.
— Nous essayons simplement de te comprendre et de te soutenir. Nous savons que ce jour est particulier pour nous tous.
Il lança un regard vers l’étagère au dessus du drapeau de la Trinité que chaque maison possédait. Trois petites statuettes de bois représentant des enfants y jouaient, immobiles mais pourtant expressives. Conan détourna le regard.
— Je sais mais là j’ai pas envie. Je préfère penser à autre chose.
— À quoi ? fit Ottia.
Il eut un instant d’hésitation.
— À un cadeau d’anniversaire, lâcha-t-il.
Bion écarquilla les yeux.
— Pour qui ?
— Une amie…
— Une amie ?
— Oui, une amie.
— Tu t’es trouvé une copine ?! s’exclama Ottia dans un mélange de surprise, d’indignation e d’enthousiasme.
Il eut un mouvement de recul.
— Mais non, c’est juste une amie !
Elle le considéra, les yeux plissés.
— Qui est-ce ?
— On peut peut-être t’aider à lui trouver un cadeau, ajouta Bion.
Conan avait tenu ce secret pendant des années. Pourquoi ressentait-il l’envie pressante de le briser maintenant ? Il n’eut pas le temps d’y réfléchir, il lança :
— Bon… elle s’appelle Asha.
— Asha ? C’est étrange, comme nom.
— Oui, je n’ai pas entendu de nom pareil dans le village.
— Vous voulez bien m’écouter et arrêter de m’interrompre ? C’est normal qu’elle ait un nom bizarre, elle ne fait pas partie du village.
Ils se hérissèrent.
— Tu t’es amouraché d’une étrangère ? gronda Ottia.
— Non ! Elle habite tout près d’ici… c’est une sorte de fée, vous voyez.
— Une fée ? Il me semble que tu as passé l’âge de croire en ce genre de chose.
— C’est pas une historie de croire ou non, elle existe ! Elle habite dans la forêt des dieux et parle la « langue verte » !
Ses parents s’immobilisèrent, soudain silencieux.
— Comment elle s’habille ? demanda Bion.
— Heu… elle a souvent des robes blanches, assez légères. Elle porte tout le temps plein de bracelets aux bras et aux jambes, et beaucoup de colliers. C’est souvent des tendons d’animaux et des cordes de lin auxquelles sont attaché des pierres gravées. Mais pourquoi ça vous intéresse ?
Ils échangèrent un regard lourd.
— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Conan d’une voix inquiète.
— Rien, on se disait juste qu’on avait déjà entendu une histoire comme ça, donc on te croit, déclara sa mère.
— Ah… du coup vous m’aiderez pour le cadeau ?
— Bien sûr mon chéri, elle ne va pas en croire ses yeux, ta copine, répondit son père d’une voix plus chaude.
*
— Asha ! Descends de là !
La jeune fille baissa la tête vers le sol.
— Je n’ai pas encore fini ! s’exclama-t-elle.
— C’est gentil, mais ton père t’appelle, je finirai.
Asha se pinça les lèvres. Elle prit son grand panier d’osier rempli de fruits et descendit de l’arbre où elle était perchée.
Primela, que son ventre rond rendait pataude, attrapa le panier avec gratitude.
— Tu es sûre que tu vas te débrouiller ? s’enquit Asha.
— J’enverrai un des gamins, ne t’inquiète pas.
— Je reviens vite, promit la jeune fille.
— Ce n’est pas la peine, je t’ai dit que je me débrouillais.
— Bon, d’accord. Salut !
— Salut !
La jeune revint au point de rendez-vous des cueilleurs.
— Il parait que mon père m’appelle ! lança-t-elle aux enfants qui s’affairaient près de leurs parents.
Un petit blond nommé Poban s’avança vers elle.
— Il t’attend à la cascade, lui indiqua-t-il, fier d’avoir été désigné pour porter un message.
— Très bien, merci.
Elle siffla Flaé et le talonna en direction de la rivière qu’elle longea jusqu’à la cascade. Elle aperçut son père et un groupe de Hekaours qui nouaient un grand filet.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle à Aedan une fois arrivée à sa hauteur.
Il lui jeta un regard sévère.
— Tu es de corvée de pêche aujourd’hui, tu as oublié ? siffla-t-il.
— Ah oui, c’est vrai, désolée. Je pensais que c’était mon jour de repos.
Il soupira.
— Arrête d’être aussi distraite et va aider les autres.
Elle hocha la tête et rejoignit le groupe. En cette saison les saumons remontaient les rivières. Ils étaient alors faciles à attraper si on s’y prenait bien. Le filet terminé, les Hekaours l’étendirent en travers de la cascade. Les saumons sautaient et retombaient dedans tandis que les hommes devaient fournir quelques efforts pour le retenir. Ils se relayèrent deux fois pour épargner leurs bras fatigués. Lorsque ce fut son tour, Asha se perdit dans la contemplation des écailles argentés des animaux frétillants. Les pauvres ouvraient et fermaient la bouche, les yeux exorbités et les branchies palpitantes. Elle aurait bien aimé les rassurer.
Lorsque le filet fut plein à craquer et que les bras qui le tenaient tremblaient, on le sortit de la cascade. Les saumons furent assommés un à un au son des formules rituelles tandis que d’autres bondissaient toujours dans le torrent pour atteindre la source qui les avaient vus naître. Les prises furent ensuite chargées dans des paniers et transportées vers le village.
— Asha, lança Aedan, exaspéré, toi tu es de corvée aujourd’hui.
— Ah oui. Qu’est-ce que je dois faire ?
— Occupe-toi des tout-petits pendant le repos des reines.
Elle sourit, elle adorait s’occuper de bambins.
— Il y a Artis avec moi, c’est ça ?
— C’est exact.
— Je vais la chercher.
Asha s’élança vers le village sans prendre garde à son chargement. Elle entendit son père râler et ralentit sa course pour ne pas faire tomber les précieux saumons. Artis n’était pas encore rentrée de sa patrouille de chasse, aussi Asha l’attendit-elle en aidant les reines qui préparaient le repas pour toute la tribu.
— Vous croyez que je peux les emmenez à la rivière ? demanda-t-elle. Avec cette chaleur, ça leur ferait du bien de se baigner.
— Oui, pourquoi pas. Mais prends quelqu’un d’autre avec toi alors, ils sont difficiles à gérer dans l’eau.
— D’accord.
Elle avisa Kurtis.
— Hé !
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Tu veux bien nous accompagner, avec Artis, on va baigner les petits ?
— Oui, pourquoi pas.
— Super ! Ah, voilà Artis justement.
Il y avait en tout huit enfants dont l’âge était inférieur à sept ans et qui par conséquent n’étaient pas encore devenus apprentis. C’était les reines — des femmes enceintes ou allaitantes — qui s’occupaient d’eux, la majorité du temps. Mais elles aussi avaient droit au repos.
— Super idée, la baignade ! commenta Artis. Je meurs de chaud.
Le groupe babillant se rendit à l’endroit où la rivière bordant le village était peu profonde et le courant faible. Les bambins se précipitèrent vers l’eau dès qu’ils l’aperçurent et furent retenus in extremis par leurs nounous.
— On se déshabille d’abord !
Asha enleva aussi sa robe et un certain nombre de ses bracelets pour plonger dans l’onde fraîche.
— Elle est super bonne !
Artis eut un sourire malicieux et après avoir retiré ses vêtements se précipita vers un rocher qui dominait la rivière. De là, elle plongea avec un grand cri et éclaboussa tout le groupe.
— Attention, s’exclama Kurtis, tu vas noyer les enfants !
— C’est bon, je sais ce que je fais
— Moi aussi je veux faire ça ! s’exclama une voix aiguë.
— Désolée, lui répondit Asha, tu es trop petit.
— Mais heu…
Ils jouèrent dans l’eau au milieu des rires et des gouttes qui volaient. Kurtis restait sur la berge pour avoir une vue d’ensemble. Il vit avant les autres un serpent qui nageait. Il poussa un cri d’alarme. Asha repéra le reptile et sortit de l’eau tous les enfants sur son chemin. Elle plongea et après quelques essais attrapa l’animal au niveau du cou. Elle sortit, dégoulinante tandis qu’il se débattait et alla le bloquer dans une petite cage aménagée pour ce genre de cas. Les enfants, excités, se rassemblèrent autour.
— On peut toucher ?
— Il est tout bizarre !
— Est-ce qu’il est venimeux ?
— C’est un serpent quoi ?
— Ne vous approchez pas, gronda Artis. C’est dangereux.
Sa voix grave suffit à les dissuader de tendre leurs doigts dans les fissures de la cage aux mailles serrées. Ils se rappelaient confusément qu’un des leurs s’était fait mordre, deux ans auparavant, et n’avait pas pu être sauvé.
— On s’amuse, par ici ? lança Oèn qui chevauchait en compagnie de Keira sur la rive opposée.
— Oui, venez, elle est bonne !
Ils échangèrent un regard et acceptèrent l’invitation, la rivière fut encore plus agitée de cris et de jeux. Même Ealys, avant son office du soir, vint s’amuser avec eux. Elle avait eu son totem à l’âge de quinze ans et était désormais une Arsalaï à part entière. L’Esprit du Papillon Ephyre s’était délicatement posé au coin de son œil droit. Pourtant, elle continuait de travailler d’arrache-pieds dans la hutte des Arsalaïs, refusant souvent les distractions. Sa chevelure roux roux pâle et ses yeux ambrés la faisait ressembler de plus en plus à Séla, sans pour autant qu’elle partage sa douceur. Depuis la mort de cette dernière, elle était devenue trop sérieuse.
Ils rentrèrent, frigorifiés mais heureux, à la tombée de la nuit. Ils rejoignirent le centre du village –Munüt – où l’on s’était dispersé en petits groupe pour manger. Asha chercha son père du regard sans le trouver. En tant que chef des Hekaours, il travaillait jusque tard et prendrait probablement son dîner dans les derniers. La jeune fille mangea avec Kurtis et Ealys. Ils étaient les enfants biologiques de Séla, leur père était décédé la même lune que la véritable mère d’Asha. Ainsi, Séla et Aedan avaient décidé de s’unir pour élever ensemble ces quatre orphelins. La fratrie réunie par les circonstances possédait des liens très forts.
Asha s’éclipsa à la fin du repas. Une lune était passée depuis sa dernière entrevue avec Conan et un demi rond pâle régnait dans la nuit chaude. Elle appela Flaé.
*
Conan triturait le sac de lin sur le chemin qui le menait aux abords de la forêt. Il doutait. Est-ce qu’Asha allait aimer ? Sans doute, mais si ce n’était pas le cas ? Elle avait un côté imprévisible qu’il n’appréciait pas du tout dans ce genre de situation. Et comment aborder le sujet ? Il avait peur de se sentir bête. Parce qu’il ne s’agissait pas seulement d’un cadeau d’anniversaire, il voulait aussi lui déclarer sa flamme de manière officielle.
De grosses gouttes de sueur roulaient sur la nuque, et ce n’était pas seulement à cause de la chaleur. Ses doigts fébriles recoiffèrent ses cheveux qui n’en avaient pas besoin. Ses yeux bruns n’arrivaient pas se poser et tournaient dans tous les sens. Lorsqu’il parvint à destination, il s’assit sur les marches menant à l’autel et commença à se dandiner sans pouvoir s’arrêter.
— Salut ! fit une voix joyeuse derrière lui.
Il se retourna et eut un sourire incertain.
— Salut.
— Ça ne va pas ?
— Si, si.
— C’est quoi, ça ?
Elle pointa le petit sac qu’il martyrisait dans ses mains nerveuses.
— Ça, c’est… heu… un cadeau… pour toi.
Un large sourire illumina le visage doux d’Asha.
— C’est vrai ? Je peux le prendre ?
— Bien sûr, tiens.
Le sac cessa de trembler en rejoignant les paumes de la jeune fille.
— C’est pour ton anniversaire… continua-t-il alors qu’elle l’ouvrait, et aussi parce que j’ai quelque chose à te dire…
Il sursauta soudain et le reste de sa phrase mourut dans sa gorge. Asha s’était dressée d’un geste vif et fixait la pénombre environnante tel un fauve à l’affût. Ses sourcils se rapprochèrent sur son front comme il les avait rarement vus faire.
— Q… qu’est-ce qu’il y a… ?
— Quelqu’un nous observe, souffla-t-elle sans cesser de guetter les alentours.
Il se mit à tourner la tête en tous sens.
— Qui ça ?
— Je ne sais pas. Une présence menaçante.
Elle avait légèrement fléchi les genoux et tout son corps était tendu comme une corde d’arc, prêt à bondir. Un silence pesant s’étira pendant plusieurs secondes. Conan fixait l’obscurité, le cœur battant, il n’osait plus prononcer un mot.
Soudain, Asha fondit sur lui pour le pousser en arrière.
— Attention, une arbalète ! entendit-il alors que le monde se mettait à tourner.
Il dégringola sur les marches dures et atterrit, sonné, en bas des escaliers. Lorsqu’il releva la tête pour voir un carreau déchirer la cuisse d’Asha, toujours postée sur l’autel. Il poussa un cri tandis qu’elle faisait volte-face en ignorant sa blessure. Il se leva précipitamment quand elle disparut de sa vision et remonta en clopinant. Au moment où il parvenait en haut il entendit le son d’un corps qui s’affaissait sur le sol. Il la vit, allongée par terre, remuant vaguement. Son regard brumeux fut bientôt enseveli par ses paupières.
En face de lui émergea des broussailles l’arbalétrier. Ou plutôt l’arbalétrière.
Ottia jeta un regard sombre à son fils qui s’était figé. Bion sortit lui-aussi de sa cachette et saisit le corps inconscient d’Asha.
— Allez, on doit se dépêcher, grogna-t-il.
Sur le sol gisait, abandonnée, une statuette de bois représentant une danseuse.
L'histoire est toujours aussi bien, toujours pas grand chose à dire. Comme je le craignais un peu, il ne faut pas interrompre sa lecture trop longtemps sous peine de peiner à se souvenir des nombreux personnages. Pour les principaux, ça va encore, mais les secondaires, j'ai un peu plus de mal, mais ça va toujours!
Si je peux avoir un petit reproche, c'est une sorte de souci de rythme dans les dialogues avec plusieurs "mini-répliques" un peu parasites: des "Salut! - Salut!", "Mais euh..."
Plus concrètement, ce dialogue : "— Asha, lança Aedan, exaspéré, toi tu es de corvée aujourd’hui. — Ah oui. Qu’est-ce que je dois faire ? — Occupe-toi des tout-petits pendant le repos des reines. " A mon avis (toujours à mon avis, tu commences à me connaître), qu'on pourrait fluidifier avec quelque chose du genre: " "Asha, lança Aedan, exaspéré, tu es de corvée aujourd’hui. Va t'occuper des tout-petits pendant le repos des reines" Asha sourit, c'était le genre de corvées qu'elle adorait."
Oui c'est l'inconvénient avec DE, quand on fait une pause c'est difficile de s'y remettre...
Je note ya remarque, merci beaucoup !
Je trouve que le fait que cette fausse religion ne soit pas un secret génial et ca change beaucoup de ce que j’ai l’habitude de lire.
Et ce twist pendant la conversation entre Conan et ses parents! J’ai adoré ce sentiment de savoir que ca aller mal tourner et de lire de plus en plus vite, la boule au ventre de savoir ce qui allait se passer.
J’ai vraiment hâte de lire la suite 😁
J'en étais sûre ! Ca pouvait être que les parents de Conan 😭 Bon au début ils m'ont bien fait rire xD Mais là non !! Kesskiva arriver à Asha ?? 😢
L'histoire des quatre enfants et de leurs parents est hyper touchante <3
Conan et Asha sont juste adorables ensemble 🥺 Et je serais curieuse de voir comment va réagir Conan :(
Encore un très bon chapitre, j'adore ton univers et je suis très curieuse et impatiente d'en apprendre plus <3
Mes petites remarques 😝
• "C’était un totem puissant et surcroît extrêmement rare." → "de surcroît", non ? ^^
• "se déplaça avec sa vedette jusqu’au grand feu ou un assemblages de mets avaient été semés" → où un assemblage / j'aurais dit "semé" (l'assemblage) 😄
• "tu croyais qu’on ne savait pas que tu te carapatais une fois par moi ?" → mois
• "Les prises furent ensuite chargés dans des panier et transportés vers le village" → chargées / paniers / transportées
• "De là, elle plongea avec un grand cris et éclaboussa tout le groupe." → cri
• "alla le bloquer dans une petite cage aménagée pour se genre de cas" → ce genre
<3
Encore merci pour ta lecture, ton commentaire et ton relevage de coquilles !
Qu'est-ce que t'as chiffonné dans ce passage ?
Merciiiiiiiiiiiiiiiiiiii <3
Je suis toujours prise par ton histoire fluide et poétique mais j'aurais juste quelques petits trucs à ajouter :
Il faudrait que tu décrives plus la fête en honneur de Keira (je suis friande des descriptions, faut pas m'en vouloir!)
le monologue 'tu es prête, tu es sûre?" n'est pas super bien tourné
Et comme je suis TOUJOURS friande des descriptions, j'attends celle des parents de Conan, qui m'ont d'ailleurs fait bien rire.
Qu'une continuelle cascade d'imagination coule sur toi !
Pluma.
Mais je ne t'en veux pas^^ par contre je ne vois pas comment décrire plus la fête de Keira, j'ai déjà écrit par mal de mots dessus ^^' Pour ce qui est des parents de Conan, tu parles d'une description du physique ?
Quant au monologue, je ne comprends pas trop ce que tu veux dire, tu trouves que ce n'est pas subtile ?
Merci pour ta lecture et ton com' ! <3
Que tes pensées te portent vers les étoiles ~
Pour la fête, je parlais du comportement des gens.
Pour les parents de Conan, je parlais bel et bien d'une description physique.
Et pour le monologue... Je ne trouvais pas cela subtile car dans la même phrase, il y a deux fois le même verbe et le même pronom. Mais t'inquiètes, ce n'est pas flagrant.
Que tu escalades éternellement les arc-en-ciels !
Pluma.
Ah, c'est vrai que je n'ai pas détaillé, ils dansent et ils mangent x) mais étant donné qu'on va voir pas mal de fête dans ce genre, je pense que ça se précisera au fur et à mesure, pour l'instant je ne veux pas trop surcharger les infos.
Le physique des parents de Conan... ils sont banals, du coup je ne vais pas les décrire.
Ok, je note pour la subtilité.
Puisse-tu te perdre dans les chemins de l'inspiration ~
Il y a encore quelques fautes qui traînent ici ou là, mais rien qu'un bon correcteur orthographique ne saurait corriger rapidement (et j'avoue, là, j'ai pas le courage de te les relever précisément, désoléééée ! T_T ). À très vite !
En fait c’est la première saga que je fais où je connais déjà toute l’histoire jusqu’au dernier tome^^ du coup c’est sympa que tu l’ai ressenti
^^
Ah les coquilles ! J’en vendrai jamais à bout x)
Merci pour ta lecture et ton com, ça fait super plaisir
CA A ENCORE DERAPE !
Les parents de Conan me faisaient trop rire, jusqu'au "elle va pas en croire ses yeux ta copine" qui m'a foutu des frissons.
j'ai été trop choquée par Oen qui a couché avec une autre parce que sa copine avait pas l'age ! il pouvait pas attendre ce gros sanglier ? Je dis ça mais j'ai bien compris que ça avait à voir avec la tradition... n'empêche, c'est moche è.é
mais pas aussi moche que la fin du chapitre T.T T'as déconné Conan T.T il va falloir rattraper ta connerie maintenant
Oui je voulais un contraste entre le moment drôle avec les parents et la suite^^
"Il pouvait pas attendre ce gros sanglier ?" mon dieu tu me fais trop rire XD Alors pour sa première fois il était obligé, mais après c'est vrai il aurait pu attendre (enfin lui il pensait qu'elle pourrait seulement dans un an ou deux). Et puis la fidélité est quelque chose d'assez flou et peu répandu dans cette culture donc... (mais "gros sanglier" XD) D'ailleurs si tu n'as pas compris ça il faudrait que je modifie un peu. Y a tellement d'us et coutumes différentes de chez nous, je ressens le besoin de tout expliqer >_<
...
Je te rappelle que je suis incapable de faire une histoire joyeuse. (d'ailleurs en parlant d'histoire joyeuse je sens que tu vas pas aimé le nouveau chap du Baroudeur)
Bon, question : est-ce que ce chapitre ne t'as pas paru trop long ou avec des parties inutiles (genre le moment où ils s'occupent des enfants) ?
Merci pour la lecture et le com, comme d'hab', et bisouille !