Après une nuit de fêtes, la ville était redevenue tranquille éclairée par un doux ciel rose. Saint-Flore, malgré son nom, n'était pas une ville sainte. Ses rues vides révélatrices des réjouissances qui avaient eu lieu la veille. Le décor était constitué de fragments de verre brisé, d’alcool renversé qui s’infiltrait dans les crevasses du trottoir et de restes de cigarettes négligemment jetés dans un pot de fleurs. Le calme du moment était rompu lorsque des personnages en bleu se précipitèrent pour ranger les environs en toute hâte, anticipaient l'arrivée des jeunes venus se réjouir de la nuit. Avec ses nombreuses discothèques et sa population principalement employée dans le milieu de la nuit, elle se distinguait des autres villes. On disait des habitants de Saint-Flore qui ne sont pas ce qu’ils semblaient être. Des histoires sur de terribles assassins ou des grands héros oubliés qui vivaient sous une nouvelle identité font partie de son folklore. C’était sans doute ainsi que personne ne s’était intéressé, depuis un mois à l’arrivée d’une nouvelle habitante. On ne s’avait pas d’où elle venait, s’était établie à l’auberge locale et commençait à travailler à Gilliane, la boulangerie. À l’arrivée des premiers clients de la journée, l’éclairage jaune de la devanture s’était allumé et c’était elle qui avait ouvert les portes. Debout, derrière un solide comptoir en chêne, vêtu d’un tablier blanc taché, elle accueillait chaque client avec un sourire chaleureux. Ses cheveux, soigneusement noués en deux nattes brunes. Elle servait à tour de bras les pains et les viennoiseries préparées par la boutique, une parfaite vendeuse. Seul un client attentif pourrait remarquer que son sourire chaleureux était plutôt crispé. Deux heures passaient, quand la sonnette retentissait annonçant l’arrivée de sa patronne, Giliane, une petite femme aux cheveux blonds étroitement attachés en chignon, le visage ridé.
- Bonjour Poppy, s'égosilla telle.
- Bonjour Madame Gilliane, répondait Poppy poliment.
- Je prends le relais avec les clients, tu veux bien me décharger les livraisons lui disait la boulangère.
Poppy sortait du comptoir et se dirigeait vers l’arrière-boutique. Tout au fond une porte menait à une ruelle facile d'accès pour les livreurs. Elle l'ouvrait, un peu fort d’ailleurs, puisque la porte émettait un fort craquement. Le livreur, adossé sur la porte du camion, leva la tête les yeux écarquillés, surpris par le bruit. Sa salopette d’un bleu de travail était tellement grande qu'il flottait dedans, doté d’une masse de cheveux roux en bataille coiffé d’une casquette brodée des initiales PJ, Paul Jones. Quand il l’avait reconnue, ses yeux avait pétillent, tandis que ses joues rosissaient légèrement, il bafouillait une brève salutation avant de lui indiquer deux grandes caisses. Elle lui adressait un regard amusé avant de se saisir des caisses, les empilaient l’une sur l’autre. Les pupilles de Paul s'écarquillaient à nouveau. Il savait de source sûre que ces caisses étaient lourdes, ils avaient pour l’habitude de les porter uniquement avec un autre livreur.
- Bonne journée Paul, lui disait-elle en franchissant la porte
- Au revoir Poppy, bredouilla Paul
Il la regarda partir, fixait encore le vide quelques instants après son départ et puis remonta dans son camion reprenais le fils de ses livraisons. Depuis son arrivée, elle avait su charmer certains clients et livreurs, elle était plutôt jolie dans son style.
Le soir à la table des bars, on aimait parler ragots.
- Elle est un peu musclée pour une femme, disait un client.
- Je crois qu’elle travaillait dans une ferme dans le grand Nord, c’est une brave petite, lui répondait la boulangère.
- Il parait qu’un fiancé l’attend dans le Nord, clamait un autre.
- Elle est très gentille avec moi, murmurait Paul d’un air béat.
Personne ne savait vraiment d'où elle venait, ni pourquoi elle s’était installée en ville, il fallait dire qu’elle n’était point bavarde. Mais bon, on était à Saint Flore, donc à part pour les commérages le soir à l'auberge personne ne s’en souciait vraiment.
L'après-midi passait laissant place à la nuit, la fin du travail pour certains et le début pour d’autres. Le ciel s'assombrit tandis que les ruelles s'éclairent de projecteurs multicolores, les bars lancent la musique et des jeunes vêtues de couleurs chatoyantes se déhanchent aux rythmes des pulsations. La Gilliane baissait les stores, annonçais une fin de journée, Poppy ôtait son tablier et après avoir salué tout le monde s'éclipsait par la porte du personnel. Elle remontait par la rue du Cotonniers, la rue principale, slalomant entre les fêtards alcoolisés et surveillait ses chaussures à l’affut de morceaux de verres. De la musique assourdissante, se diffusait dans toute la rue, les divers établissements ne s’était apparemment pas coordonnée, ce qui créait un étrange mélange de sonorité. Dans ses oreilles se côtoyait, les rocks du Monk bar, ou des petits vieux se dandinaient en vestes en cuir usées, le disco du Tity Twister avec leurs habituées en pantalon à paillettes, de la techno du Bonce qui possèdait une population plus éclectique ou encore des rythmes de samba qui émanait d’un bar local. Les pulsations rythmaient les coups que lui assénait la boule au fond de son ventre, l’angoisse, la première fois depuis un mois. Tout en bas de la rue, vêtue d’une façade en pierre de roche, se trouvait l’auberge locale, un toit en pente envahis par le lierre, les blocs de ses murs se séparaient en crevasse par endroit laissant le vent s'engouffrer. Si bien qu’en hiver la cheminée était ravivée en permanence et quand les temps chauds arrivent, on distribuait de grands éventails à toute la clientèle. Clientèles majoritairement pauvres mais fêtarde, l’auberge peu coûteuse, se déroulait régulièrement dans sa salle commune des jeux d’argent ou concours alcoolisés de toute sorte. On la déconseillait d'ailleurs aux jeunes filles, surtout si elle voyageait seule. Bien des fois Giliane s’était inquiétée pour Poppy lui rappelait sans cesse que ce lieu était mal famé, mais à chaque fois la jeune fille lui souriait et lui disait de ne pas s’en soucier. Malgré qu’il soit encore tôt dans la soirée, s’y dégageait déjà une forte odeur d'alcool. Un parfum de rhum ambré dilué au nectar de poire monta aux narines de Poppy et elle savourait cette odeur devenue familière. Une après-midi d'automne, le ferry de Saint Flore qui arrivait tous les jours déposer de nouveaux fêtards, était venu comme à son habitude et avec lui Poppy. Elle y était descendue, un sac à dos en cuir marron comme seul bagage, avait poussé la porte de l’auberge, louée une petite chambre sous les toits. Ses premiers jours à l’auberge, sa présence attirée l’attention, quand elle prenait son petit déjeuner à une table de la salle commune elle sentait des regards qui pointait en sa direction, le soir durant son passage à travers la salle, le volume de la pièce baissait drastiquement. Les premiers temps à Saint-Flore, elle s’en fichait pas mal et se contentait de suivre les ordres qui lui avaient été adressés, récupérer les puces et d’attendre les prochaines instructions. Mais le soir, assise sur son lit, pelotonnée dans des draps miteux, l’angoisse creusait petit à petit en elle, ce sentiment nouveau était arrivé avec un flot d’émotion comme si son départ du pôle avait brisé une façade. Elle n’en voulait pas de ces émotions. Les jours passaient, tandis que les puces n’étaient toujours pas prêtes, l'angoisse venait plus profonde. Elle avait déjà quitté le pôle, mainte fois pour diverses missions, mais jamais Poppy n’avait manifesté ce qu’elle interprétait comme un mal du pays. Puis, le déclic arriva, pour la première fois son retour au Nord a été retardé. Si les nouvelles ne venaient pas cela voulait dire qu’elle n’avait pas de responsabilité plus d’ordre. Peu à peu le quotidien débridé des gens de Saint-Flore, devenait à son goût, elle prenait même plaisir à jouer quelques parties avec les habitants de l’auberge. Poppy s'était créé son confort dans son auberge, désormais sa maison. Elle avait enchaîné les soirées à boire avec les habituées, à danser, criée, chantée, des heures durant et savourée cette liberté qu’elle venait d'acquérir. Puis le matin la tête lourde elle retournait au travail et le soir venue festoyait de nouveau. L’angoisse avait disparus, mais aujourd’hui, un verre ou deux lui feraient le plus grand bien. Elle poussait la porte de l’auberge et manqua de se planter une écharde, tellement celle-ci était criblée de copeaux de bois. Le lieu dégageait une atmosphère chaleureuse et festive, les rires fusaient autant que les verres, qui s'amassaient à chaque table. Les clients la saluaient à son entrée, elle leur adressa un rapide signe de main, il ne l’intéressait pas ce soir. Son cœur battait de plus en plus vite tandis que l'angoisse lui pilonnait le ventre. Donc ce soir elle avait bien besoin de relâcher, vivre une dernière nuit d’insouciance. Ses jambes la menèrent aux bars, ou le barman était occupé à préparer des verres, les remplis d’un liquide bleu turquoise. Elle s’asseyait sur un des tabourets, s’y accoudait et lançait des regards insistants en sa direction. Il faisait mine de l'ignorer, posait un des verres au liquide bleu devant elle, et en profitait pour lui chuchoter qu’il arrivait, parfait. Il se dirigea à l'autre bout du part afin de s’en servir un puis la rejoignais sur le tabouret d'à côté.
- Tu m'empêches encore de travailler, je vais perdre des clients à force, la taquina-t-il.
- Je ne te force pas, et tes clients sont tellement sous qu’il finisse par se servir eux même, répliqua-t-elle.
- Pas faux, mais ce n’est pas très gentil pour eux, il s’esclaffa.
Ils enchaînaient les verres, tentait des mixtures de plus en plus originales, passant par des simples cocktails, à mélanger de la liqueur et du café.
- C'est une occasion spéciale aujourd'hui ?
- J’ai besoin d’une occasion pour venir te voir ?
- À toi de me le dire, tu viens me voir, on passe un bon moment, puis tu passes des jours à m'ignorer encore et encore, insista-t-il
- J'étais occupé répondait elle froidement.
- Tu n’es pas obligée d'être désagréable, comprends-moi un peu, tu me plais, mais je ne connais rien de toi.
- Je ne peux pas te plaire si tu ne me connais pas, riait Poppy.
- Pas faux si tu ne me laisses pas.
- Tu n’aurais pas reçu du courrier pour moi ?
- Les courriers de l’auberge, c’est dans la réserve, répondait – il, suis-moi.
Brent fouilla longuement dans un coffre de la remise avant de mettre la main sur le sac à courrier. Il régla une fréquence sur la radio, pendant qu’ils fouillaient parmi les centaines de lettres apportées dans la semaine. Une musique entraînante de jazz s'échappa de l’enceinte.
- Qui aurait cru que l’auberge recevait autant de courrier.
- Nous sommes un établissement sérieux, répliqua Brent, et c’est pourquoi Mademoiselle Poppy j’ai l’honneur de vous remettre votre premier courrier.
Il lui tend une enveloppe sans destinataire, un nom, Poppy, et l’adresse de l’auberge.
- Merci, Brent, lui murmura-t-elle à l’oreille avant de poser ses lèvres sur les siennes.
- Tu ne l’ouvres pas ? Demanda-t-il avant de lui rendre son baiser.
- Pas maintenant, réponda Poppy, tu veux monter avant que je n'aille dormir ?
Sa chambre était propre et soignée, les meubles minimalistes, un lit et une commode contre un mur, un toit penche ornée de poutre. Une fenêtre en demi-lune sans rideau offre une vue imparable sur les toits. Au fond de la pièce, le petit sac en cuir brun. Posée à côté du lit, l’enceinte diffusait du jazz de plus en plus entrainant. Un rayon de lune éclairait le dos de Poppy, remplit de cicatrices, tandis qu’elle se retirait des bras de Brent. Elle enfilait sa chemise jetée négligemment au sol. Terminée, Poppy se rhabillait en vitesse, et s'asseyait sur le bord du lit. Il la regardait se rhabiller avant de lui proposer de passer la nuit ici, ce qu’elle refusait. Il soupirait avant de se lever, remit son espèce de chemise en flanelle, reboutonna son pantalon et rattacha sa ceinture.
– Passe une bonne soirée Poppy, reviens me voir quand tu auras le temps.
Elle lui souriait mais ne l'écoutait déjà plus, satisfaite la pression était redescendue. Dans les cartons de la boulangerie, caché dans un gros pain, les puces s’y trouvait finalement. Après des semaines sans nouvelles, à démembrer des pains en cachette de Gillette. Forcer à travailler dans une boulangerie, sa mission arrivait à sa fin, tout ça était trop facile. Sa mission habituelle consistait à éliminer des cibles, voler des objets de grandes valeurs, ou protéger quelqu’un menacé. Pas à récupérer un simple colis. Les Norvka sont des mercenaires, pas de livreurs. Mais Harvard l’avait choisi pour cette mission, deux éléments le colis de puces et la lettre, sa dette ne se paillerais pas toute seule. Alors Poppy a accepté, comme toujours. La lettre lui était adressée. Elle n’hésitait pas et déchira l’enveloppe avant d’en lire le contenu. Là aussi, la lettre était minimaliste, Mademoiselle Poppy est convié à Duktig centre du groupe et une date, demain. Le lieu donnait des indices sur l’expéditeur, le groupe, un opposant politique notoires. La mission n’était donc pas terminée.