chapitre 1 l'affectation

1/ L’affectation

Lentement la lumière envahie l’espace. Je me retourne mais elle me rattrape. Il est l’heure de se lever. Un nouveau jour qui commence, un jour comme les autres. Non, un jour qui peut tout changer.

Je m’habille machinalement, perdue dans mes pensées qui dès le réveil m’assaillent. A croire qu’elles attendent, tapies dans un coin de ma tête, le moment où je sors de l’obscurité et paf ! Me sautent à la gorge, enfin au cerveau plutôt. Je dois admettre que je suis déjà nerveuse. J’enfile mes gants sur mes mains qui tremblent, attache mes cheveux en une longue tresse serrée et revêts mon masque. Je chausse mes lunettes de métal et me voilà fin prête. N’est-on jamais prête pour la rencontre avec soi ? Dans le miroir mes yeux trahissent mes doutes.

Je m’appelle Agnès et je fais partie de la caste des recycleurs. On est un peu les MacGyver du futur et notre boulot c’est de réparer ce qui déconne. Et soyons honnête l’obsolescence est toujours à la fête. Alors on récolte ici et là les boulons qui nous manquent pour continuer à faire tourner le système. Notre maison à tous c’est la bulle : une verrière semi enterrée qui nous protège du dehors. Il faut dire que dehors ce n’est plus comme avant. Enfin il parait car moi je ne suis jamais sortie. Ce sont les anciens qui vont à l’extérieur pour le ravitaillement, moi je ne connais que le bleu du firmament.

Aujourd’hui est un jour un peu spécial, c’est le jour des affectations.  Je ne suis pas vraiment pressée. J’ai peur, peur de ce que l’on va dire de moi. Et si je n’étais pas à ma place ici ? Les mêmes questions tournent en boucle dans mon crane. La migraine grignote ce qui me reste de cerveau.  Un dernier regard dans le miroir, il est déjà l’heure d’y aller.

Je sors dans les couloirs. Tout est calme. Je passe chercher Gérald dans sa cellule. Je frappe mais personne ne répond. Je finis par ouvrir doucement mais c’est vide. Tout a été parfaitement rangé. Personne. Je souris en voyant ce lieu si familier. Sur un mur plusieurs de mes dessins sont affichés. Je referme discrètement la porte. Subitement je m’en veux d’avoir pénétré cet endroit sans autorisation. Je retourne dans le grand couloir mais ne croise personne. Tous ont l’air d’être déjà partis. Suis-je encore la dernière à me lever ?  Je décide de passer par les ateliers, Gérald est un incorrigible bosseur. J’arrive dans la zone de travail et passe le portique sans ralentir. C’est un labyrinthe de pièces plus ou moins grandes, surplombées de poutres de bois et d’un plafond très ajouré qui laisse apercevoir, très loin au-dessus de nous, la grande verrière de la bulle. Je vais directement à la section des forges. L’odeur piquante du métal annonce mon arrivée à bon port. J’ai toujours détesté ce relent aigre qui me donne mal à la tête. Ici il fait vraiment chaud et la visibilité est impactée par les poussières de suie et de métal qui se déposent inlassablement. Les établis sont vides et la plupart des salles fermées. Au détour d’un couloir je m’étonne de croiser Arthur les bras encombrés de dossiers et de rouleaux de dessins. Je le surprends et il manque me percuter.

- Hé Arthur ! As-tu croisé Gérald par hasard ?

- Dans le fond à gauche là-bas lance-t-il d’une voix sèche sans même lever les yeux vers moi.

Il me bouscule pour partir tout en bredouillant un « aurevoirbonnejournée » les dents serrées, visiblement pressé de me quitter. Arthur a toujours été bizarre avec moi. Il faut dire qu’on fait le même travail aux ateliers mais quand lui élabore de magnifiques esquisses techniques je gribouille des machines extravagantes. Dès les premiers temps de mon apprentissage il m’a lancé que je déshonorais sa profession rien de moins. Je suis toujours vexée par son jugement et m’arrange d’habitude pour le croiser le moins possible. Je n’ai vraiment pas besoin de ça pour me faire douter encore plus de moi.

Encore un peu boudeuse à l’évocation de ce souvenir, je suis ses indications et découvre la silhouette de Gérald penché sur son établi. Très concentré il ne m’a pas encore entendue. Son application me fait sourire. Gérald c’est mon petit génie. Il adore mes dessins et s’emploie à les rendre réels et utiles. Et pour ça il a vraiment beaucoup de talent ! Nous sommes amis depuis l’enfance et il est un des seuls à avoir toujours cru en moi. Pour ma part je suis très admirative de ses talents et chérie son amitié sans faille.

 Il est en train de bricoler sur son dernier projet. Je m’approche doucement et il sursaute à mon salut.

- Ah c’est toi Agnès ! Tu m’as fait peur ! Que viens-tu faire par ici de si bon matin ? Bredouille-t-il en mettant précipitamment son travail à l’abri de ma maladresse.

- Gérald tu dois être le seul à avoir oublié que c’est le jour aujourd’hui. Tu sais les affectations !

- Oui tu as raison. Je finirais ça plus tard.

- Qu’est-ce que c’est au fait ?

Il me regarde malicieusement et ponctue d’un clin d’œil :

- Une surprise.

Il range rapidement ses travaux et verrouille sa salle de travail. Gérald n’est pas nerveux car son avenir est tout tracé ! C’est un brillant inventeur même s’il est trop modeste pour le reconnaître… Je l’envie beaucoup, moi qui suis si peu agile avec mes dix doigts…

Nous allons ensemble vers la grande salle commune. Je me tords nerveusement les mains.

- Tu crois que je vais pouvoir rester avec toi ? Je veux dire dans la famille ? Je ne veux pas me retrouver bonne à tout faire chez les Passeurs !

Gérald sourit. Ce n’est pas la première fois que je panique complètement en songeant à l’affectation mais cette fois la réalité c’est pour dans quelques minutes. J’ai fait et refait le scénario dans ma tête des centaines de fois. Quelle que soit la décision rendue c’était une catastrophe. Comment peut-on se sentir si différente, si inadaptée dans sa propre famille ? Je ne sais même plus ce que je me souhaite…

Gérald tente de me réconforter :

- Ne t’inquiète pas Agnès tu as vraiment un don pour ce que tu fais ! Une imagination débordante ! je suis sûr que tout va bien se passer.

Avec un masque vous pouvez toujours essayer de sourire pour sauver les apparences, personne ne le voit. Il ne reste que vos yeux écarquillés de panique soulignés par le tissu.  Je rêve d’un masque assez grand pour me cacher toute entière. Une cape qui me permettrait de disparaître quand le monde devient trop effrayant.

Nous arrivons aux portes de notre caste. Il nous faut passer chacun par une chambre de désinfection. L’énorme portique de métal se dresse devant moi, presque menaçant. Le sigle de notre caste, un rouage couleur de feu, brille au centre de chacune des portes d’accès. Après un dernier regard à Gérald, je rentre par celle qui me fait face avec l’impression d’entrer dans une nouvelle phase de ma vie. Perdue dans mes pensées, mes pieds butent sur les marches de l’entrée et je m’étale à l’intérieur. Aïe ! Cette nouvelle vie commence de façon douloureuse ! Je me relève et constate que mes gants sont déchirés. Je les retire et oui, j’ai du sang sur les mains. Le sas se verrouille. Je dois ressortir et me voilà bonne pour aller faire un détour par les soins. Je vais être en retard ! Gérald est déjà passé de l’autre côté. Grâce au microphone du sas je le contacte et le rassure : ce n’est pas grave juste quelques coupures. Je le pousse à continuer sans moi mais il tient à m’accompagner jusque chez le Géniteur. Je dois faire vite ! On court, chacun de notre côté de la paroi transparente du couloir d’urgence. Il y a toujours quelqu’un ici en cas de blessures. Je compose le numéro d’urgence sur l’écran de contrôle et quelques minutes plus tard je suis autorisée à entrer dans le sas de soin. Gérald doit me laisser seule. Après un dernier regard la porte se verrouille derrière moi.

 

Je pénètre dans une petite pièce.  Je regarde autour de moi : tout n’est que blancheur immaculée. Je m’avance un peu. D’un côté, une vaste banquette robotisée et de l’autre, séparée par une vitre épaisse, une salle de contrôle bourdonnante d’appareils électroniques. Je m’assois sur la banquette et attends. Une grande jeune femme entre en combinaison intégrale. Je ne vois que ses grands yeux sombres et son front piqueté de petites taches brunes. Elle ne doit pas être bien plus vieille que moi. Sans un mot elle désinfecte consciencieusement mes plaies et me fait toute une batterie de tests de routine. Il faut constamment vérifier notre santé et tous les prétextes sont bons pour s’assurer de notre bon état sanitaire.  Heureusement tout est en ordre, je vais pouvoir partir. Elle a tellement l’air sûre d’elle et à sa place que je ne peux m’empêcher de l’envier un peu. De toute façon aujourd’hui moi aussi je vais savoir. Aujourd’hui je saurais enfin qui je suis. N’est-ce pas ?

Je quitte le sas sanitaire, les couloirs sont vides et je parviens rapidement à l’entrée de la salle du peuple. Le hall, immense est au centre de la bulle. Le plafond n’est qu’une gigantesque étendue de verre enchâssé dans du métal à la manière d’un vitrail géant. Le motif, coloré, représente un pentagone convexe. Cela symbolise les castes, nimbant la zone réservée à chacun, de sa couleur traversée par le soleil. Cinq zones séparées par une étoile argentée qui rayonne dans toutes les castes et représente celle des Tuteurs. Ils peuvent ainsi patrouiller d’un bout à l’autre de la pièce. Leur zone est fermée par une barrière de verre rétractable en cas de besoin. Je ne l’ai vu fonctionner qu’une seule fois, lorsqu’une personne avait fait un malaise lors d’une réunion. L’étoile s’est soudain ouverte et les Tuteurs ont immédiatement lancé la procédure d’évacuation. Le hall est desservie par 5 portes géantes par zone permettant de remplir ou vider la salle rapidement en évitant un mouvement de foule et donc une trop grande proximité. Au centre enfin, un dernier pentagone qui figure notre maître à tous, doré à l’or le plus fin. A l’aplomb de ce cercle de verre trône une grande estrade circulaire. La scène centrale surélevée est protégée par un écran de verre et on y accède par une trappe automatique qui jaillit du plancher.

La plupart des gens sont déjà installés. Gérald n’est pas en vue mais j’espère qu’il a pu me garder une place ! Chacun rejoint son rang. Un millier de personnes, chacun aux couleurs de sa caste, remplissent le hall dans une harmonie parfaite. Nous les Recycleurs, formons un joyeux groupe orangé. C’est notre tenue réglementaire : une salopette de couleur ambre. Bon on nous reconnaît aussi à nos gants abimés mais notre vraie caractéristique c’est la sociabilité. Notez que pour ça je détonne un peu dans la famille…

Toute cette foule commence à me rendre fébrile même si nous respectons tous les distances de sécurité. J’aimerais me fondre dans la masse : peut-être que si je ne bougeais plus je ne me ferais pas trop remarquer ? Je rejoins la zone réservée aux aspirants citoyens mais ne parviens pas à retrouver Gérald. C’est le bras autoritaire de Constance qui m’intercepte : elle m’a gardée une place à côté d’elle. Elle m’entraine dans son sillage et nous arrivons en bonne place sur le devant de la salle. Génial…  Radieuse elle s’installe sur son siège. Cette année nous sommes plusieurs à être convoqués pour l’affectation. Dans ma génération il y a eu des enfants et nous sommes bien une dizaine à attendre, tendus à nos places, le verdict du Grand Ordinateur.  Les brouhahas diminuent et soudain s’arrêtent, les tuteurs viennent de monter sur l’estrade. Le silence d’un coup nous enveloppe. L’instant se veut solennel. Certains trépignent déjà d’impatience. Moi je voudrais être ailleurs et pourtant je ne voudrais pas rater ce moment unique. Et voilà Constance qui me secoue, me fait signe que ça va commencer. Elle est penchée en avant pour ne pas en perdre une miette. Cette petite brune pétillante est mon amie depuis l’enfance. Elle porte toujours ses cheveux en deux couettes hautes perchées et un masque zébré comme sa peau. Toujours joyeuse et optimiste c’est parfois fatiguant d’être avec elle.

- Tu as vu ce monde !

- Euh oui c’est normal tout le monde a été appelé.

- Non mais tu vois ce que je veux dire !

- …

- Olalalala !!! que je suis nerveuse je ne tiens plus en place ! j’espère que je vais être affectée aux Passeurs !!! j’adore les enfants !

- Pff

- Rô toi tu n’es jamais contente de toute façon…

- Mais je…

- Chut ça y est ça commence !!!

 

Le grand Ordinateur s’avance à son tour dans un concert de chuintement et de grincement.  Entièrement recouvert d’une cape dorée, il est immense et inaccessible. Personne, à part les tuteurs, n’a affaire avec lui. C’est la seule occasion de l’année pour l’apercevoir. Constance garde les yeux écarquillés, fascinée.

« Mes très chers habitant de la bulle voici les affectations pour nos nouveaux citoyens qui ont eu 25 ans cette année… ».

La voix égraine les noms des différentes affectations avec une lenteur exaspérante. La plupart des annonces sont accueillis avec des cris de joie, parfois avec un soupir, un silence ou des pleurs. S’en suivent des applaudissements réglementaires puis un autre nom.

Pendant que la voix métallique du Grand Ordinateur résonne dans le grand hall mon esprit vagabonde. Je prends de la hauteur et me perds dans mes pensées. Loin de tout il y a aucune douleur.

 

Une oasis de vie dans un monde désert. Je survole la grande verrière. Elle s’étale, immense, sur plus d’un kilomètre de diamètre. D’en haut on ne distingue que cette carapace de verre qui nous isole et nous protège. Rien ne semble vivre à l’intérieur et pourtant c’est ici que vivent près d’un millier d’êtres humains dans un bunker immaculé.  L’éclat du soleil m’aveugle et je plonge. D’en haut nous avons l’air de fourmi : minuscules et anonymes dans un ballet synchronisé. Où allez-vous petites fourmis ? Avez-vous conscience de la grandeur du monde ? 

Nous, les habitants de la bulle, vivons hors du monde. Nous avons créé une société parfaite scindée en 6 castes génétiques. Il y a bien sûr les Recycleurs de couleur ambre dont je fais partie : on répare, recycle et évacue les déchets. Les Nourrisseurs, vert émeraude, qui produisent les aliments. Les Passeurs, violet améthyste, qui s’occupent des enfants, de l’éducation et des vieux en fin de vie. Les Régulateurs qui assurent la sécurité et la justice et portent la couleur bleu saphir. Les Géniteurs qui soignent mais surtout fabriquent les bébés, de couleur rouge rubis. Et enfin les Tuteurs, ceints d’argent. Ces derniers sont nos gouvernants. Ces grands sages sont au service du Grand Ordinateur. Ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Leur mission est de retranscrire les messages du Grand Ordinateur et de veiller à la bonne marche de notre société. Le Grand Ordinateur… Personnage mystérieux et immortel, qui pourvoit à tous nos besoins et qui nous maintient en sécurité ici, dans la bulle. Afin d’éviter les problèmes de dégénérescence en milieu clos il se charge de mixer les génomes entre eux afin d’en éliminer les tares. C’est ainsi que se sont construites les castes. Notre code génétique est aussi unique concernant nos talents et aptitude. Le grand Ordinateur détermine ainsi la caste où nous serons les plus efficaces et heureux. Ici chacun à une place, un rôle afin de maintenir cette société parfaite en fonctionnement. Il est temps pour moi de connaitre la mienne. L’affectation va me permettre d’être un maillon essentiel de notre belle cité.

 

Je dois m’assoupir car soudain je me réveille en sursaut : Constance me serre le poignet à me faire mal. Mes lunettes ont glissé sur mon nez, le monde est flou. Elle hurle dans mes oreilles mais je n’entends rien. Je regarde juste incrédule sa main qui enserre mon bras. Elle me parle, me secoue. Elle a l’air … Horrifiée ? Gênée ? Je ne sais pas, je ne suis pas encore tout à fait là. Puis soudain le son revient avec ma conscience. Comme la tête sortie de l’eau tous les sons m’assaillent à nouveau intensément.

 Tu as été nommée !

Ces mots reviennent encore et encore sans pour autant avoir plus de sens. Autour de moi les gens me font un sourire gêné et s’éclipsent rapidement, détournent les yeux.

- Quoi ? qui ?

- Euh tu as reçu une affectation de procréa... riage !

- Procréariage ?

- Euh oui ! c’est fantastique non ?

Procréation.  Oui c’est certainement fantastique. Inattendu surtout. Très peu de personnes sont affectées à la procréation de nos jours. Il faut vraiment avoir un code génétique particulier. Un autre mot pour dire bizarre hein ! Enfin il y a peu d’appelés ça doit être un certain honneur non ? Je me raccroche aux branches mais même moi je vois que quelque chose cloche.

Chacun vient me féliciter et je réponds distraitement d’un signe de tête. Clarissa ne peut s’empêcher de me congratuler avec sa langue de vipère mais je me moque éperdument de son regard réjouit, moi aussi je vais être débarrassée de cette peste : elle a été affectée aux régulateurs ! Constance fait barrage et répond aux curieux comme aux sympathisants. Je la laisse faire. Elle répond à ma place, s’enorgueillit et accepte les félicitations comme les siennes. Je ne réagis pas. Je ne veux plus ni entendre ni comprendre. Juste attendre que mon pouvoir revienne et me permette de fuir sous ma cape d’invisibilité !

Enfin dans la foule je l’aperçois. Gérald mon ami de toujours me fait signe. Je le rejoins petit à petit en essayant de ne pas le perdre de vue. En chemin ce n’est encore que félicitations et accolades amicales : et pourquoi pas des condoléances tant que vous y êtes ! Parvenue à l’extrémité de la salle je pousse Constance en avant et plonge dans une des portes de sortie. Le sas se verrouille derrière moi et lance le processus de nettoyage. A la sortie je tombe littéralement sur Gérald. Nous continuons un peu dans les couloirs et nous cachons dans une salle de stockage de matériel. Nous voici à l’abri de tous les opportuns.

- Mais qu’est-ce que tu fichais ?

- Moi ?

- Oui ! tu as entendu ou quoi ?

- Euh oui enfin non pas vraiment. C’est Constance qui me l’a dit !

- C’est que tu as été affectée au… euh

- Procréation oui je sais !!!

- Mariage mais… oui. Mais tu as entendu que …

- Mais non à la fin QUOI !?

- …

- Désolé

- Bon et bien clairement ce n’était pas clair ! « Affectation de procréation à la caste des Nourrisseurs » franchement ça ne veut rien dire ! c’est surement une erreur !

Les Nourrisseurs … je ne l’écoute plus. L’air semble tout à coup me manquer. Aux Nourrisseurs ? Je comprends alors tous ces regards gênés. Je suis mariée à un Nourrisseur ! La caste la plus tabou du monde ! Gérald tente de me réconforter mais je vois ses yeux qui me fuient. Un déshonneur dans l’honneur.

- Tu sais ils ne sont peut-être pas comme on dit hein ! je suis sûr que tout le monde en rajoute. C’est un style qu’ils se donnent pour se la péter !

- Je ne suis pas sûr que cela soit rassurant…

- Oui désolé... on est amis hein c’est ce qui compte ! Et puis on est ensemble là, maintenant ! Je ne vais pas te laisser tomber aussi vite, nous trouverons une solution !

Son regard ennuyé me déride et il m’arrache un sourire inattendu. Oui j’ai un véritable ami et c’est vraiment ce dont j’ai besoin à ce moment-là.

 

Nous vivons dans un monde clos et la démographie est strictement régulée afin de maintenir le système efficace sur le long terme. Le Grand ordinateur par le biais des Géniteurs, décide des accouplements de code génétique afin de maintenir une bonne santé des enfants. Depuis notre entrée dans la bulle la capacité maximum a presque été atteinte et de moins en moins d’enfants voient le jour. Les liens du sang ont été remplacés par les castes et chacun appartient à cette grande famille. Ici toutes sortes d’amour sont possible (au sein de la caste évidemment) car la procréation n’est qu’un rôle comme un autre et n’engage pas sentimentalement. Mais c’est un processus exigeant dont je ne mesure pas encore la réalité.

Les affectations ont pour but de décider au mieux de notre rôle au sein de la société en fonction de qui nous sommes et de ce dont nous sommes capables. L’affectation majeure a lieu le jour de nos 25 ans afin de déterminer notre rôle premier et éventuellement notre caste. Peu d’entre elles néanmoins permettent un mélange inter-caste. Puis après 60 ans certains peuvent être admis comme Tuteurs mais c’est très rare. Enfin les affectations secondaires peuvent être décidées pour monter en grade dans son métier d’origine. Ainsi chez les Recycleurs on peut commencer comme moi au dessin d’exploration puis au dessin technique jusqu’à l’atelier de conception et le service de prototype et de développement. Ces affectations saluent les compétences et les progrès de chacun. Cependant ces évolutions se font à partir de l’affectation majeure qui elle détermine le monde dans lequel on va devoir évoluer.

Je ne me sens pas à l’aise dans mon rôle d’apprentie chez les recycleurs ingénieur et j’ai mis tant d’espérance dans ce jour d’affectation. Cette envie profonde qu’enfin me soit révéler mon destin, mon rôle, ma place et enfin me sentir moi. Me sentir pleinement sur mon chemin. Et pourtant ce jour est venu et je me sens encore plus perdue. Moi une procréatrice ? Je n’ai même pas assez les pieds sur terre pour marcher sans embûches dans nos couloirs aseptisés alors faire un enfant ? Et en plus voilà que je dois quitter ma caste. Cette affectation de procréation est un double déracinement pour moi : je dois endosser mon rôle de procréatrice dans une nouvelle caste et également apprendre à m’y rendre utile. Le Grand Ordinateur a calculé qui devra être le Procréateur mais je vais devoir faire mes preuves dans ma nouvelle famille. Je me suis fait une petite place douillette et confortable chez les Recycleurs. J’ai des amis. Deux pour le moins. Et un grand père qui a veillé sur moi. Je réalise que je risque demain de perdre tout ce que je connais, tout ce à quoi je tiens pour assumer un destin qui semble n’être vraiment pas le mien.

 

Plus tard, nous rentrons par les ateliers en silence. J’ai préféré attendre d’être sûr de ne croiser personne en chemin pour profiter de ces moments d’amitié. Je ne saisis pas encore ce qui vient de m’arriver.  C’est sûr que grand père va en tomber à la renverse ! Je ne l’ai même pas vu ce matin. Il travaille toujours très tôt et me laisse prendre le temps de faire la grasse matinée. Je n’ai jamais été une lève tôt…

Nous marchons chacun dans nos ruminations intérieures quand nous atteignons les sas de décontamination qui donne sur notre salle commune. Cette fois je regarde où je mets les pieds et entre dans le noir sans catastrophe. Le processus s’enclenche et s’arrête. La porte ne s’ouvre pas et le voyant reste au rouge. Que se passe-t-il encore ? C’est la porte par laquelle je suis entrée qui s’ouvre alors violement et une escouade de régulateurs m’encercle rapidement. Après un scan de mon iris afin de confirmer mon identité, l’agent me signifie que mon affectation prend acte dès à présent. Tout va bien trop vite pour moi et je ne saisis pas encore la portée de cette information. Pourtant la vérité va très vite se rappeler à moi. Les Régulateurs me demandent de les suivre et nous ressortons par là ou je suis entrée il y a quelques minutes. Gérald doit m’attendre encore une fois de l’autre côté sans comprendre ! Je suis escortée jusqu’à ma nouvelle caste.

Ma nouvelle caste … celle des Nourrisseurs. Je n’aurais jamais le temps de rentrer chez moi pour trouver du réconfort auprès de ma famille. La porte de mon passé vient de se refermer brutalement. Je voulais savoir quelle était ma destinée et bien me voilà servie. La suite du programme n’est pas réjouissante. Je repasse par la désinfection mais version ultra poussée. J’ai la peau comme du papier de verre. On m’assigne une nouvelle tenue et je repasse tout une série de tests médicaux. Personne ne me parle et j’ai l’impression d’être un objet, une marionnette que l’on fait se lever, tirer la langue ou tousser à son gré. Des gens entrent, sortent, notent des choses sur leur tablette. Puis le verdict tombe : Quarantaine.

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Lucyie
Posté le 05/02/2022
« On est un peu les MacGyver du futur et notre boulot c’est de réparer ce qui déconne. » Ça sonne super bien comme ça xD

J'aime beaucoup le début lent de ce chapitre.
Les descriptions ne sont pas trop lourdes, on comprend bien l'univers et il y a pourtant pas mal de mystère.
J'aime bien la narration et Agnès est super attachante !


Juste mini correction :

« - dans le fond à gauche là-bas. Lance-t-il d’une voix sèche sans même lever les yeux vers moi. »

→ Il manque la majuscule à « Dans » et le « »lance » de « Lance-t-il » n'a pas besoin de majuscule.


«  - tu crois que je vais pouvoir rester avec toi ? Je veux dire dans la famille ? Je ne veux pas me retrouver bonne à tout faire chez les Passeurs ! »
→ Pareil il manque la majuscule


Aussi, il y a pas mal de dialogue qui commencent par un point au lieu de commencer par tiret.
louvemeraude
Posté le 05/02/2022
merci beaucoup pour tes commentaires !
louvemeraude
Posté le 05/02/2022
j'ai fais les corrections merci ;)
Pamiel
Posté le 28/12/2021
Bonjour Louvemeraude !

Je passe partager un bout de ton histoire, avec ce premier chapitre qui commence assez lentement mais termine en fanfare. Ce n'est qu'un avis subjectif, tu en feras ce que tu voudras mais - pourquoi ne pas commencer directement par nous introduire ton personnage ? Le reste ressemble à un prologue, peut-être un peu flou. Alors que le début après "1/ L'affectation", là, m'a plongée dans sa tête - et dans ton récit !

Il y a beaucoup d'idées que j'aime beaucoup. J'allais te demander pourquoi elle n'a l'affectation de sa vie qu'après avoir suivi un long apprentissage - Tu réponds cependant à cette question plus tard, en précisant qu'ils ne reçoivent leur rôle définitif qu'à 25 ans. J'aurai apprécié d'entendre parler de son grand-père un peu plus tôt, je crois. Ça m'attache à elle de savoir qu'elle a une famille ! Et je trouve le fonctionnement de la bulle très intriguant - ce tabou envers les Nourrisseurs aussi. En somme, ton chapitre fonctionne très bien !

Tu feras gaffe, il y a quelques tiret de dialogues qui se sont transformés en points. J'ai aussi noté :
Lentement la lumière envahie l’espace. --> envahit.
Pour ma part je suis très admirative de ses talents et chérie son amitié sans faille. --> (je) chéris.

Je te dis à bientôt au détour des lignes,
Pamiel
louvemeraude
Posté le 29/12/2021
merci pour ton message ! en effet le début est assez en décalage peut être ne devrais je pas le garder en fin de compte. a bientôt !
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