Chapitre 1 - Le Cercle

Par Fanzy

 

C’était l’aube un matin d’hiver, un vent froid mordant du nord soufflait à travers une grande plaine. Le ciel iridescent annonçait les premiers rayons du soleil, un homme emmitouflé des pieds à la tête marchait face au vent, une carabine à la main et un chien à ses côtés.

Il s’arrêta dans sa progression rendue laborieuse par une couche de neige d’une trentaine de centimètre.  Ce n’était plus une poudreuse mais une neige compacte et solide, le gel qui perdurait depuis plus de trois semaines la rendait plus dure chaque nuit. La neige glacée craquait et crissait sous ses pieds, cédant parfois par son poids et il trébuchait sans préavis. L’homme releva son bonnet qui lui tombait sur les yeux et mis sa main en visière pour lutter contre le vent qui lui desséchait les lèvres et les yeux. Il scrutait la ligne de l’horizon, à la recherche d’un cervidé ou d’un quelconque animal à prendre en chasse. Rien. L’horizon était vide.

Le chien qui l’accompagnait, un épagneul à la robe orange et blanche jeta à son maître un regard triste, il avait froid et ses coussinets le brulaient d’un feu froid après plusieurs heures à marcher sur la neige et la glace. C’était un excellent chien de chasse d’ordinaire, mais cet hiver rude l’éprouvait plus que jamais. Sur sa douzième année, l’animal n’était plus aussi vaillant que par le passé. L’homme ouvrit la culasse de la carabine et retira les munitions de l’arme. Il la glissa dans un fourreau sur son dos et s’accroupit près du chien.

A sa taille il avait noué un sac en tissu, il en sorti un morceau de viande séchée et la donna à son chien, non sans en déchirer un morceau au préalable avec les dents.

« Tu as bien raison, on ne verra rien par ce vent d’enfer, on rentre loulou ». Sur ce, il saisit les quatre pattes du chien à la manière d’un gibier le hissa sur ses épaules, tenant les coussinets endoloris dans ses gants afin de les réchauffer. La glace coupante avait fait saigner l’animal à plusieurs endroits. Il reprit sa marche, rendue un peu plus laborieuse encore par le poids du chien. Après une vingtaine de minutes, ils arrivèrent à une haie broussailleuse qui coupait la plaine, l’homme la longea sur environ deux kilomètres avant de s’engouffrer dans une ouverture, les ronces s’agrippant dans ses vêtements.

L’épagneul sur ses épaules gronda soudain et la truffe frémissante dans le vent, pour mieux capter les effluves d’un gibier. L’homme s’accroupit aussitôt et se colla le long de la haie touffue, les sens aux aguets. Quelques minutes s’écoulèrent sans un mouvement mais le chien tremblait toujours, d’excitation et non de froid maintenant. Les estomacs vides du chien et du maître les motivaient à patienter, quand enfin une silhouette se découpa en face d’eux, à environ une cinquantaine de mètres.

Un daim avec des bois magnifiques et sa robe tachetée longeait la haie, dans le sens contraire du vent, il n’avait pas senti le danger qui guettait. Le cervidé glanait des baies gelées sur les arbrisseaux, reniflait le sol gelé en quête de mousses ou de lichens ; il jetait des regards furtifs régulièrement autour de lui mais sans paraître trop méfiant. L’homme, toujours accroupi se laissa doucement basculer sur le côté, déposant le chien dans la neige sans un bruit. L’épagneul chercha à se redresser aussitôt et amorça un bond vers le gibier qui n’était plus qu’à une trentaine de mètres. Il suffit d’un doigt levé devant la truffe du chien pour que celui-ci s’immobilise, stoppé net dans son entrain de chasseur. Il gratifia son maître d’un regard triste mais s’assit, tremblant toujours d’excitation devant le daim.

L’homme, avec des gestes d’une extrême lenteur attrapa la crosse de la carabine dans son dos, il la sortie délicatement de son étui, en prenant garde de ne pas effleurer les branchages, ce qui mettrais aussitôt la proie en alerte. Il y parvint sans que le daim ne remarque rien.

L’arme mise en joue, l’homme attendit que l’animal soit en position idéale pour tirer. La détonation déchira le silence du matin, des nuées d’oiseaux s’envolèrent des alentours, brutalement réveillés par le tir impromptu. Le daim s’effondra doucement, le tir précis n’avait laissé aucune possibilité de fuite.

Les jappements du chien surexcité se mêlèrent aux célébrations du tireur qui s’extasiait de sa prise. Ils avaient de quoi manger pendant plusieurs semaines. La faim les tiraillait depuis des jours, le froid mordant qui persistait rendait la chasse difficile, et le gibier ne se montrait peu voire pas du tout. La nourriture en conserve s’étiolait déjà depuis un an, et les munitions également. Une balle pour un daim c’était une vraie aubaine !

L’homme contemplait sa prise, un magnifique mâle dans l’apogée de l’âge, des bois magnifiques. La peau ferait une fourrure de choix une fois tannée. Il se renfrogna en pensant aux heures de travail qu’il allait devoir fournir pour exploiter au mieux toute les ressources de la bête. Il ne tuait jamais un animal à la légère, il toucha le museau de la bête et la remercia, il s’excusa également de lui avoir ôter la vie. La beauté de l’animal lui fit ressentir une vague de tristesse, il était celui qui avait mis fin à sa vie… C’était le daim ou lui, cette époque n’était pas faite pour être végétarien, le froid et la neige ne laissait rien d’autres à se mettre sous la dent que du lichen ou de la mousse.

L’épagneul tournait tout autour du gibier en sautillant et en aboyant joyeusement, il savait qu’il mangerait à sa faim ce soir. Son maître soupesa la tête du daim, et tenta de le tirer par les bois mais l’animal était lourd, il ne le fit bouger que de vingt centimètres. Les heures de marche l’avaient fatigué, et le froid engourdissait ses membres. Il lui restait une bonne demi-heure de marche avant d’arriver chez lui. Il ne pouvait pas porter l’animal ni même le tirer sur une distance aussi longue.

L’homme étudia les alentours et les jeunes arbres et taillis qui composaient la haie, à une trentaine de mettre il y avait un frêne, jeune mais avec un tronc fort. Il sorti une corde de sa besace et lia les pattes arrière de l’animal, avant d’entreprendre de hisser l’animal mort dans l’arbre. Il était si lourd qu’après dix minutes d’essai il abandonna. Il était quasiment sûr que s’il laissait l’animal sur place avant de revenir avec le matériel adéquat, les chiens sauvages serait attirés par l’odeur du sang et ravageraient la carcasse.

Il se resigna donc et commença à vider l’animal pour l’alléger, il retira les viscères et les laissa pour les charognards, scia à l’aide d’un couteau suisse les bois du daim, retira la tête qui ne se mangeait pas et il finit par découper les deux cuissots. Il ferait plusieurs tours pour récupérer la viande, voilà tout. Avant de repartir avec les deux cuissots et les bois, il ficela le reste comme un rôti, et parvint cette fois, non sans efforts à hisser la carcasse dans l’arbre, suffisamment haut pour décourager la plupart des carnivores. Les viscères et la tête devraient les occuper un moment.

Les deux cuissots liés l’un à l’autre, il repartit en les portant sur les épaules, le chien revigoré par la prise gambadant à ses côtés.

Après une longue demi-heure, l’homme arriva devant un manoir bourgeois, en partie couvert de vigne vierge et de lierre. La bâtisse vieille de plusieurs siècles avait dû connaitre son époque de gloire et refléter l’aisance et la noblesse de ses propriétaires, mais aujourd’hui le manque d’entretien et le temps reflétaient davantage le déclin du bâtiment et lui conféraient une ambiance presque oppressante et effrayante. Des hauts murs en pierre, eux aussi couverts de lierre entouraient la propriété, et trois grands portails en fer forgé, surmontés de piques ouvragées ouvraient la vue sur le petit château bourgeois. Le large perron de la demeure était couvert d’un préau tout en long, presque sur dix mètres. Les grandes fenêtres étaient presque toutes condamnées, sauf au rez-de-chaussée où elles étaient protégées par des grilles.

L’homme et son chien entrèrent dans la cour par une petite porte de service, dissimulée sous un enchevêtrement de lierre, de ronces et de fusains qui n’avais pas vus de sécateur depuis plusieurs années. Deux grands tilleuls nus occupaient la cour, peut-être aussi vieux que le manoir, et la neige s’amoncelait sur les branches larges et alourdissait les rameaux. Le chien pris les devant et s’engouffra sous le porche, attendant avec une impatience que son maître lui ouvre la porte d’une pièce qui s’apparentait à un cellier. Une grande table en bois massif occupait le milieu de la pièce, l’homme se libera de son fardeau et il posa les deux cuissots, son arme et sa besace. Il souffla un grand coup et s’étira en grognant : le froid et l’effort l’avait rendu gourd et il était endolori des pieds à la tête.

Un petit couloir sombre permettait d’accéder aux cuisines de la bâtisse, l’homme y amena la viande et la laissa sur un grand plan de travail en faïence rustique, la cuisine était faite pour une équipe de marmitons capables d’y préparer de véritables festins. Des collections de casseroles en cuivres de toutes tailles étaient suspendues aux murs, ainsi que divers ustensiles de cuisines, des bouquets d’herbes aromatiques, d’ails, d’oignons et d’échalottes pendaient du plafond. Et de grands bacs remplis de terreau servaient de supports de culture à divers champignons. L’endroit était malgré tout bien entretenu, propre et accueillant.  Quelques parts dans le château, une pendule sonna les neuf heures du matin. Le chien dardait sur son maître un regard insistant, attendant la récompense de son labeur et de sa chasse. Celui-ci s’affairait dans la cuisine et il avait déjà commencé à retirer la peau des cuissots, les sabots du cervidé pour préparer la viande. Le chien jappa d’impatience pour le faire réagir et cette fois cela décida l’homme.

-Aaaah tu es un estomac sur patte ! Heureusement que tu es efficace, hein ! Grogna-t ’il.

 Il ramassa une écuelle au sol et commença à découper des dés de viande de daim pour nourrir son chien, ensuite il ouvrit une armoire qui servait visiblement de garde-manger et en dénicha un pot en verre rempli de courgette en conserve. Il mélangea la viande et les légumes et donna sa pitance au chien qui trépignait.

L’animal nourri, l’homme termina de préparer le cuissot et le posa dans un grand plat en aluminium, un torchon posé dessus. Il se lava les mains au savon dans une grande bassine d’eau. Il soupira de soulagement, sa tâche terminée et il ouvrit une porte de la cuisine qui menait sur un petit salon.

La pièce était deux fois plus petite que la cuisine, une cheminée ornait le centre du mur face à la porte et au-dessus trônait un grand serpentaire empaillé. Vieux trophée de chasse d’une partie de chasse africaine d’un noble qui s’offrait des voyages exotiques. L’oiseau était naturalisé dans une posture agressive et sauvage. Les murs étaient couverts de tapisseries à motifs, des moulures dorés encadraient les ouvertures et le plafond, l’aspect baroque de la pièce et le mobilier d’époque étaient typique d’un petit château noble du 19ème siècle.

Soudain, un bruit sourd se fit entendre depuis l’étage et une voix héla :

  • Solal ! Solal ! SOLAL !

Reconnaissant son prénom, le jeune homme bondit sur ses pieds et se dirigea vers un couloir bordé de grandes fenêtres, tout au bout se trouvait un escalier pour atteindre les étages du manoir. Il monta les marches quatre à quatre et déboula sur un palier en parquet, plongé dans une demi-obscurité. La voix venait du grand salon :

  • Viens m’aider nom de Dieu ! Je n’arrive pas à…

Solal ouvrit à la volée la porte du grand salon, analysant rapidement la pièce du regard afin de trouver l’origine du problème.

Une vieille dame se tenait au bout du grand salon, devant la cheminée. C’était une femme avoisinant les quatre-vingt ans, bien que légèrement voutée et s’aidant d’une canne, elle semblait néanmoins vigoureuse et assurée. Ses cheveux teints étaient tirés en un chignon étroit et ses vêtements lui conféraient une certaine élégance. A ses pieds, une desserte en métal sur roulettes était renversée sur le sol, le service à thé qui devait s’y trouver éparpillé sur un tapis de style marocain.

  • Qu’est-ce qui s’est passé ? S’enquit Solal, un petit sourire sur les lèvres.

La vieille dame envoya une tasse volée à travers la pièce en ronchonnant :

  • Je me suis pris les pieds dans ce foutu tapis ! On ne peut pas dire que le service soit fait avec soins ici ! Des jours que tu m’as laissée seule !

Elle tourna le dos à Solal et s’installa dans un fauteuil près de la cheminée. Tout en regardant le jeune homme ramasser les débris de vaisselle, elle lui lança :

  • Où diable étais-tu ? Je t’ai appelé au moins trois fois depuis l’aube, pas moyen d’avoir de l’aide ici ! Tu es pourtant bien contant de vivre ici, non ? Ça fait trois jours que tu aurais dû rentrer !

Le ton de la vieille femme était sec et cassant, son visage hautain. Solal la regarda froidement dans les yeux, sans un mot. Il posa lourdement un pichet en céramique encore intact sur le plateau. Il soupira profondément en se retenant de répondre de manière acerbe à la vieille femme.

  • J’étais à la chasse, il faut bien que quelqu’un s’y colle si on ne veut pas manger des racines et du riz tous les jours. Le froid m’a retardé et je n’ai rien trouvé à chasser avant ce matin. Peut-être que madame peut se faire à manger seule quelques matins, non ?

La voix de Solal, calme et neutre ne laissait trahir aucunes émotions. Bien que le tempérament de la vieille l’insupportait, il ne lui manquait jamais de respect.

  • Quant à ma présence ici, elle peut vite changer. Ce ne sont pas les habitations abandonnées qui manquent de nos jours. Voulez-vous que je parte ? Cela peut être fait d’ici ce soir.

La vieille lui jeta un regard froid, sans un mot. Puis elle baissa les yeux et entrepris de grignoter un biscuit qui se trouvait sur la desserte. Solal tourna les talons sans attendre de réponse. Il s’apprêtait à sortir de la pièce lorsque la vieille dame, Françoise lui dit :

  • Je ne veux pas que tu partes.

La vieille dame ne le regardait pas, elle aurait tout aussi bien s’adresser au coussin sur ses genoux. Elle dégustait un autre biscuit et ne semblait pas décider à regarder Solal. Celui-ci sourit et quitta le grand salon. La vieille dame était ici chez elle, mais sans lui elle n’aurait pas survécu bien longtemps. Le monde était devenu rude et inadapté aux vieilles personnes.

Le jeune homme retourna à la cuisine, où son chien profitait d’un repos bien mérité après avoir mangé. L’estomac du jeune homme se mis alors à gronder, lui aussi avait faim. Il ouvrit un placard où se trouvait les provisions non périssables qu’il avait pu glaner aux alentours. Il y avait des conserves industrielles de toutes sortes, des paquets de riz et de pâtes. Il sorti une boîte de cassoulet. Cela faisait trois ans que le monde d’avant s’était effondré sans explications, et les denrées alimentaires commençaient à se faire rares. Depuis environ 6 mois Solal avait commencé à rationner les provisions et à chasser avec plus d’entrain pour manger à sa faim, et nourrir la maîtresse des lieux, Françoise.

Sa vie d’avant, sa vie « normale » lui semblait tellement loin qu’aujourd’hui il commençait presque à l’oublier. Son cerveau semblait s’être mis en pilotage automatique : après le choc des évènements inexplicables qui avaient irrémédiablement modifier la planète en un temps record, Solal s’était sentis comme un animal traqué, une proie pour des prédateurs inconnus, des dangers invisibles.

Parfois, sa quasi solitude était ponctuée de baisses de moral fulgurante : tout lui revenait d’un bloc. Ses parents, ses frères, son compagnon… Il avait déjà vécu des deuils auparavant. Mais en affronter plusieurs d’un coup, y compris ceux des personnes les plus chères à son cœur l’avait rendu quasi fou à lier pendant des mois. Il ne lui restait plus que son chien, et il avait été un animal comme lui pour survivre à la douleur des pertes qui l’accablais. Il avait chassé ensemble, c’était cachés, abrités, voyagés pendant de longs mois, contemplant un monde vide d’êtres humain -ou presque-. Il avait cherché à comprendre les raisons de ce cauchemar éveillé, et cherché des personnes de son entourage qui auraient put survivre, comme lui…

Il n’avait croisé personne, en dehors d’une dizaine de personnes en l’espace d’un an à sillonné le pays devenu une terre fantôme. La première était une femme, Louise. D’une quarantaine d’année, Solal l’avait « rencontré » en Provence, celle-ci l’avait assommé par surprise alors qu’il fouillait une ferme à la recherche de vivre. Elle l’avait attaché et menacé d’un fusil de chasse pour savoir d’où il venait et pourquoi il fouillait sa ferme. Ils avaient fini par sympathiser une fois quelle Louise eut compris que Solal ne lui voulait pas de mal. Sans trop de surprise, Solal appris par Louise que la plupart des gens qu’elle avait croisé avaient cherché à la voler, ou pire… Celle-ci avait parlé à Solal d’un rassemblement de survivants, proche de Genève, elle refusait de bouger de sa ferme et Solal pris donc congé d’elle quelques mois plus tard, se promettant de revenir un jour après avoir liés des liens forts avec Louise.

Il avait donc repris sa route de la Provence vers Genève, à pied et à vélo, son chien à ses côtés. Une chose qui le stupéfia fut le nombre d’animaux sauvages, errants, chiens, chats, chevaux, vaches et autres bétails qui peuplaient les villes, campagnes, forêts et landes, terres agricoles à l’abandon. Il croisa quelques étrangers qu’il préféra éviter après les avoir observés et il faut le dire -juger-. Certains parlaient tout seul, d’autres étaient si sales et négligés que Solal ne voulait même pas les approcher. Lui-même avait porté une barbe drue pendant des mois, celle-ci poussant jusqu’à la base du pectoral, mais il se lavait fréquemment, se peignait et se coupait les cheveux quand il pouvait.

Le malaise de l’incompréhension et la solitude avaient rongé Solal à mesure que son périple s’accomplissait. Il n’avait cessé de se torturer l’esprit pour tenter de comprendre ce qui avait pu provoquer ces évènements sans précédent : cela avait commencer en Etats-Unis selon les informations télévisées. Des personnes avaient commencé à disparaître en masse, en même temps que d’autres décédaient sans explications dans leur sommeil. En l’espace de six semaines, les phénomènes inexplicables s’étaient répandus dans le monde entier. Au bout de dix semaines le monde moderne n’était plus. Deux mois après avoir quitté Louise, Solal était au bout de ses forces. Un hiver rude et long s’était installé et un soir de novembre il était tombé sur un manoir éclairé dans le noir. La faim et le froid ne lui laissant plus le choix, Solal s’était approché et avait observé la soirée entière les occupants du manoir : un homme d’une cinquantaine d’année, grisonnant et au visage dur, une femme plus jeune, maigre et au teint gris de fumeuse ainsi qu’une vieille dame bourgeoise, le chignon tiré à l’épingle : Françoise.

Solal avait fini par frapper aux carreaux d’une fenêtre, les bras levés en signe de paix. L’accueil avait été très froid et les deux inconnus, l’homme et la femme l’avait trainé de force à l’intérieur. C’était la vieille femme qui avait exigé avec véhémence que Solal puisse se joindre à eux.

La femme trentenaire s’appelait Malika et avait autrefois été l’aide-ménagère de Françoise, Marlon était son compagnon depuis la fin du monde. Après quelques jours, la vieille dame avait confié à Solal que ces deux-là s’étaient incrustés chez elle et profitaient allègrement de ses ressources depuis des mois. Elle avait supplié Solal de l’aider à se débarrasser des malfrats.

Solal alluma le feu sous un réchaud à gaz et y posa une casserole en cuivre, il répandit le contenu d’une boîte de cassoulet industriel et son visage s’assombrit au souvenir des actes qu’il avait commis un soir de février, quelques mois après son arrivé. Bien que la cohabitation avec Malika et Marlon fût froide et distante ceux-ci le toléraient grâce au gibier qu’il chassait régulièrement.

Un coup de feu avait retenti dans le grand salon pendant que Solal préparait un cygne sauvage pour le repas du soir. Il s’était précipité au salon, Malika se tenait l’aine, une balle de revolver dans la chair. Françoise tenait l’arme à la main et sa joue portait les marques de griffure d’ongles.

La vieille dame avait descendu Malika après que celle-ci l’ai giflée.

Marlon s’était rué à son tour dans la pièce, les yeux analysant la scène à toute vitesse pour comprendre. Les traits déformés par la rage, il s’était jeté sur la vieille.

Avant que Solal ne l’intercepte d’un croche-pied bien placé. Puis tout s’était accéléré… Solal avait roulé au sol, Marlon inhumain cherchant à l’étrangler avec une détermination de tueur. Ses mains avaient cherché n’importe quoi dans le capharnaüm de coups et de lutte. Il avait attrapé le tisonnier qui se trouvait sur leur chemin et l’avait abattu un seul coup sur le crâne de l’assaillant. La mort de Marlon avait fait hurler Malika de douleur avant qu’elle ne parte en courant et en tressautant de douleur à l’extérieur, Solal avait entendu le moteur du pick-up démarrer et filer dans la nuit. C’était la première fois qu’il avait pris une vie humaine, et cela le hantait encore.

Françoise lui avait montré par la suite les stigmates des maltraitance régulières que les deux énergumènes lui avait fait subir : bleus, griffures, pinçons et d’autres invisibles. Chaque fois que la vieille dame se rebellait contre Malika et Marlon, ceux-ci la frappaient ou la dégradait, l’ayant parfois même enfermée plusieurs jours de suite dans sa chambre avant l’arrivée de Solal. Le caractère affable de Françoise avait accentué les mauvais traitements et celle-ci ne se laissait pas impressionnée. Solal s’en était voulu de ne pas avoir compris l’ampleur des mauvais traitements. La vieille dame avait fini par craquer et se munir d’un revolver en cas de danger. Seul avec Françoise depuis maintenant un an, Solal avait vite compris que laisser la vieille dame seule revenait à la condamner à plus ou moins long terme. La vieille bâtisse nécessitait des tâches quotidiennes pour y vivre avec un minimum de confort : approvisionner du bois pour le feu, tirer de l’eau dans le puit, maintenir une propreté relative, et bien sûr assurer des ressources alimentaires pour Solal et la vieille dame.

Solal avait retrouvé un semblant de normalité et d’humanité auprès de la vieille dame, bien que son caractère difficile l’eût souvent fait sortir de ses gonds. Il savait que Françoise l’appréciait et avait besoin de sa présence pour vivre. Solal était donc resté, cette région à la lisière des Alpes Suisse offrant un paysage magnifique, du gibier abondant et la proximité de forêts pour le bois de chauffage.

Perdu dans ses réflexions, Solal lâcha un juron quand il sentit l’odeur de brûlé, son cassoulet était en train d’accrocher au fond de la casserole. Il déversa le contenu mangeable dans une assiette et s’assis sur un tabouret haut, attaquant avec ferveur son repas pour calmer son estomac qui grondait. Son chien, Vaillant était assis à ses pieds, dans l’espoir de restes à finir. Après son repas du matin tout droit venu d’une boîte, Solal s’autorisa avec plaisir à imaginer son prochain repas de viande de daim grillée.

La marche de plusieurs jours à travers les paysages enneigés l’avait épuisé et affamé, il résista à l’envie de manger autre chose pour rassasier sa faim. Il ouvrit une porte basse et poussa les volets sur un jardin clos de murs, un tapis de neige couvrait les murs, arbustes, bosquets et pelouse. Le soleil était désormais bien levé mais le gel perdurerais toute la journée encore songea Solal.

Des colonnes de vapeurs s’échappaient d’une eau qui bouillait sur le feu, Solal versa l’eau dans une cafetière à piston et laissa infuser quelques instants avant de sortir avec une tasse de café fumant dans le parc, Vaillant sur les talons. Réprimant un frisson, le jeune homme entreprit un tour du parc arboré, un jardin clos entourait l’arrière du manoir mais le parc s’étendait lui sur plusieurs hectares autour du domaine. La neige était un révélateur de l’activité nocturne dans le parc, et Solal aimait identifier les traces d’animaux autour du manoir, c’était sa routine depuis que la neige recouvrait le sol. Le chien, le nez au sol zigzaguait dans tous les sens, marquant parfois des arrêts brefs sur les places chaudes, là où le gibier laissait son odeur récente. Il fit s’envoler un magnifique coq faisan qui monta en chandelle, dans un concert de cris métalliques. Le café chaud réchauffait agréablement Solal, le froid était tel qu’il sentait le liquide jusque dans son estomac.

Soudain, Solal s’arrêta net. Des traces fraîches de la nuit sur la neige le stupéfia : de la taille d’empreintes de pieds humains, Solal n’avait jamais vu cela auparavant. A première vue, le trace ressemblait à un pied humain, à ceci prêt que celui-ci ne semblait pas posséder d’orteils séparés. Le pied semblait être fait d’un bloc, et se terminait en pointe. La trace laissait deviner que son auteur ne portait pas de chaussures, la forme de la voûte plantaire étant très visible.

Solal se mit accroupi pour observer de plus prêt l’empreinte, cherchant des explications supplémentaires à cette bizarrerie. Solal pensa à une mise en scène, un survivant délirant déguisé en créature ? Il ne voyait pas d’autres explications. Quoi qu’il en soit, cette trace était une menace aussi prête du manoir. Françoise et Solal n’avait pas vu âme qui vive en dehors de René, un vieil homme qui vivait seul à environ cinq kilomètres. N’étant pas armé, Solal siffla son chien et retourna vers le château.

Il se rendit au grand salon y trouver Françoise. La vieille dame lisait dans un fauteuil à haut dossier, les jambes croisées. Elle leva les yeux par-dessus ses lunettes et la tranche du livre, observant Solal de ses yeux perçants.

Solal n’eut rien à dire pour qu’elle lui demande :

-  Quelque chose ne va pas ?

-  Il a des traces dans le parc, mais pas d’animaux. Répondit Solal.

- Pas d’animaux ? De quoi alors ? La vieille dame levait un sourcil haut, et le ton de sa voix était cinglant comme si le jeune homme avait perdu l’esprit.

- Je ne sais pas comment l’expliquer, répondis Solal en haussant les épaules. A moins qu’une personne ne rode dans le coin pieds-nus et que cette personne n’a pas d’orteils.

- Montre-moi ! Le bouquin de la vieille dame claqua en se refermant, celle-ci se releva prestement du fauteuil.

Solal ignorait l’âge exact de la vieille dame, et il s’était bien gardé de lui demander. Il était toujours stupéfait des ressources de sa colocataire. Jeune, cette femme avait dû être un ouragan et imposer sa volonté à son entourage. Il suivit Françoise jusqu’au vestibule où elle enfila un manteau de fourrure sombre, elle s’assit ensuite sur un banc pour enfiler des après-skis.

  • Allons voir tes empreintes de BIGFOOT dit-elle avec un rictus.

Solal lui emboita le pas dans le parc, il décrocha sa carabine pendue au mur de la cuisine et vérifia le cran de sureté. Vaillant jappa, excité à l’idée de courir dans le parc.

  • Tu restes au pied ! lui ordonna Solal d’un ton ferme. Peut-importe à qui ou à quoi appartenait les empreintes, il ne voulait pas mettre son chien en danger.

Solal guida Françoise jusqu’à sa découverte, prenant le temps afin d’attendre la vieille dame qui peinait dans la neige meuble. Elle refusa son aide lorsqu’il lui proposa un bras.

  • ‘Ne suis pas encore morte ! Souffla-t-elle.

Solal leva les yeux au ciel et poursuivis jusqu’aux traces. Une fois devant, il les désigna du menton et la vieille s’approcha, penchée pour mieux voir. Solal vis la surprise arrondir ses yeux l’espace d’un instant.

  • Où vont-elles ? S’enquit Françoise.
  • Je ne les ai pas suivis avoua Solal, je voulais aller chercher la carabine.

Le jeune homme s’avança, ses yeux verts scrutant les marques au sol, il entreprit de les suivre. Il désigna les empreintes à son chien et lui donna l’ordre de les suivre. Le chien le mena une cinquantaine de mètres plus loin, à l’orée d’un bois de résineux. Les traces suivaient ensuite la lisière, sans entrer dans le bois. Le parc à l’arrière du manoir était constitué d’une sapinière qui entourait une large clairière circulaire, aujourd’hui un champ de neige immaculée. Au centre de la clairière, un cercle parfait d’une dizaine de mètre de diamètre laissait apparaître le sol enherbé. L’étonnement passé, Solal eu l’impression que quelque chose avait fait fondre la neige, à l’aide d’une source de chaleur, peut-être ?

Après un coup d’œil silencieux à Françoise, Solal s’avança vers le cercle dénué de neige, la vieille femme sur les talons. Debout à un mètre du cercle, Solal constata que les traces n’étaient plus visibles, comme évaporées… Le chien humait le sol tout autour du cercle, relevant parfois la tête d’un air inquiet et refusant d’approcher du périmètre du cercle. Le sol fumait légèrement, une vapeur semblait s’échapper du sol tiède dans l’environnement gelé.

  • Qu’est-ce que c’est que ça encore ? Dis Solal, plus perplexe que jamais. Décidemment le monde n’avait pas fini de se jouer de la logique.
  • Cela mon garçon, sa signifie qu’il va nous falloir ouvrir les deux yeux si on veut finir l’hiver.

 

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PinkyLuna974
Posté le 27/03/2025
Salut,
Ce premier chapitre commence fort, on a beaucoup d'interrogation et ça nous donnes vraiment envie de découvrir la suite. Qu'est ce qui à pu arriver à l'humanité? A qui appartienne ces traces?
Ta plume est plutôt immersive sans être lourde, ce qui rend la lecture fluide.
En tout cas j'ai hâte de lire la suite
Fanzy
Posté le 31/03/2025
Salut à toi,
Je te remercie pour ton commentaire super encourageant !
J'ai longtemps hésité avant de publier donc ça me fait plaisir de lire du positif ;)
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