Chapitre 1 : Le château des murmures

Notes de l’auteur : Par Solamades

     — Un… deux… trois… ensuite délicatement à droite…

 

Elle souffla sur une mèche de cheveux bruns qui lui glissait devant les yeux et qui retomba aussitôt. En la repoussant, elle macula son visage de poussière de craie au soufre.

 

— Un angle parfait…

 

Elle prit un peu de recul pour contempler son œuvre. Six cercles s’entremêlaient, traversés d’une infinie quantité d’étoiles. Chaque interstice était rempli d’une rune complexe, et chaque angle était surmonté d’une pierre, d’une bougie ou d’un charme. Les flammes dansaient au milieu des symboles, les faisant vibrer et danser. Il en résultait une impression de chaos méthodique, extrêmement précis, vibrant d’énergie magique. 

 

— Je suis géniale, tout simplement géniale, constata-t-elle.

 

Avec quelques pas de danse, elle navigua entre les cierges et les pierres de toutes les couleurs. Elle se jucha sur la table juste à côté, essuya ses mains sur sa robe et d’une voix forte, prononça les mots rituels.

 

— Vassago, je t’invoque ! 

 

Court, simple, efficace. Parfois, ça ne servait à rien de se fatiguer. Une fumée d’un vert inquiétant se répandit au milieu des bougies, elle déborda du cercle central, complètement vide, roula sur les runes et les colifichets mais bloqu contre le cercle extérieur. Une silhouette d’abord évanescente puis de plus en plus réelle apparut au centre du cercle, celle d’une bête musclée, mi homme mi bouc, à la peau grise marquée de cicatrices. Une énorme hache était posée sur son épaule, prête au combat. 

 

— Vous qui m’avez invoquée, dit-il d’une voi caverneuse. Apprenez que je suis Vassago, démon des enfers, général des armées maudites. Que désirez-vous, mortelle ?

 

La reconnaissant, il grimaça et roula des yeux.

 

— Pas encore ?

— Et si.

 

Elle souriait, nonchalante, sûre d’elle. Ne jamais baisser les yeux face à un démon. 

 

— On ne pratique pas une invocation de sixième niveau juste pour…

— Je fais ce que je veux. Mais pour ma part, je préfère largement passer quatre heures à calculer des angles et à placer des bougies qu’à faire le ménage. 

 

Enfin quatre heure… un peu plus en fait. Elle s’en était bien sortie sur ce coup là, mieux que les fois précédentes, mais moins bien que les suivantes. L’entrainement portrait ses fruits, elle devenait une véritable experte dans cet art. Au point que les démons commençaient à la tutoyer. Presque. 

 

— Allez ! Le château tout entier doit être impeccable.

— À vos ordres, dit-il d’une voix lasse.

 

Un vent rapide et brutal s’engouffra dans le domaine. Edna ferma les yeux, satisfaite. Elle pouvait sentir l’énergie maléfique se répandre dans chaque pièce et elle avait toujours adoré sentir ces pouvoirs néfastes agir pour quelque chose de bien, de gratifiant, de positif. Ils tourbillonnaient autour d’elle et mine de rien, elle en absorbait une petite part pour se remettre de la fatigue accumulée pendant le rituel. 

 

Vivre isolée dans ce château était un luxe qu’elle s’offrait et qui nécessitait quelques aménagements. Toute la partie ouest tombait en ruine, la toiture cumulait les fuites… Lorsqu’elle était arrivée, c’était le royaume des champignons et de la pestilence. Elle en avait fait un endroit confortable et même chaleureux et reconnaissait que Vassago y était pour beaucoup. Elle le regarda se dissoudre, dans ses vapeurs verdâtres qui à leur tour se dissipaient. Sa simple présence avait consommé presque tout le sel et le soufre, le cercle était fichu, mais il avait bien servi. 

 

Pieds nus, elle quitta sa salle d’invocation pour vérifier que tout avait été remis en état. La dernière tempête avait laissé beaucoup de débris, mais tout était impeccable. Elle y comprit ! Son élégante robe de velours rouge était presque neuve alors qu’elle venait de passer plusieurs heures à tracer, à genou sur les dalles. Dans la cheminée, l’œuf de dragon continuait de diffuser des flammes constantes. C’était grâce à lui qu’elle pouvait aller et venir sans frissonner dans le château des murmures. Il lui avait coûté cher, elle avait voyagé longtemps, combattu trop souvent pour récupérer une telle merveille mais elle ne regrettait pas.

 

— Les filles de la lune, fredonna-t-elle. N’ont pas peur de la nuit. Les filles de la lune… sont celles que l’on fuit. 

 

Un coup d’œil aux ombres la poussa à se dépêcher. Il allait bientôt faire nuit, son messager n’attendrait pas. Elle monta dans la tour où elle avait installé sa chambre. Elle se planta devant le miroir et commença les préparatifs. Ceinture outil, fioles de poison, collier ensorcelé, dagues chargées, amulettes, bagues creuses, rien n’était de trop pour pouvoir traverser les bois en toute sécurité. Elle compléta sa panoplie d’un filet d’argent alchimique dans ses cheveux. Le rouge à lèvres et le noir sur les yeux n’étaient pas magiques, par contre, c’était juste pour son plaisir personnel.

 

— Impeccable. Irrésistible, plaisanta-t-elle en s’amusant des courbes divines que cette robe lui offrait. 

 

Le velour lui allait à merveille, il mettait en valeur son teint pâle et ses yeux argentés. Elle se sentait plus audacieuse, aussi, en rouge. 

 

Apprêtée, elle quitta la chambre pour rejoindre l’atelier alchimique à l’autre bout du château. Pas pratique, mais… c’est ça le luxe d’avoir de grandes pièces. Elle sortit de ses étagères une petite boîte en bois de magnolia, gravée de sigils dorés. Elle poussa le loquet légèrement rouillé et l’ouvrit, une odeur d’encens s’en dégagea, relents d’un rituel dont il avait été le centre. L’intérieur était séparé en huit petits compartiments de bois tapissés de mousse grise et usée. Dans chacun, elle logea une fiole colorée. Elle avait passé plusieurs jours à les préparer.  

 

Elle glissa ensuite la boite dans sa besace qu’elle cala contre sa hanche et passa une longue cape noire par-dessus. Ne manquaient plus que des bas tissés de brins ensorcelés Aux pieds, elle enfila des bas qu’elle avait patiemment tissés elle-même à partir de fibres ensorcelées pour faciliter la marche, et des bottines qui n’avaient d’autre effet que d’êtres confortables. Cette fois, elle pouvait sortir.

 

Si chez elle, elle jouait les grandes dames, dans la forêt, elle était un fantôme. La longue cape la recouvrait en entier, elle esquivait les sentiers trop évidents et prenait des détours qu’à force elle connaissait mieux. Une brume légère dissimulait les pièges, le bruissement du feuillage des arbres atténuait le son de ses pas.

 

Elle ralentit en vue d’une ancienne ville en ruine. La moiteur ouatée du soir s’invitait entre les pierres moussues. Ses pas tâchaient d’être discrets, mais chacun d’entre eux était répercuté par l’écho des souvenirs de ces ruelles abandonnées depuis des siècles.

 

Elle progressa jusqu’à une fontaine effondrée, surmontée d’une statue d’un ange représentant la liberté, aujourd’hui mutilée. Sur la margelle, elle déposa le coffret en silence. Puis elle recula précipitamment pour se mettre à l’abri sous les anciennes arcades. Invisible dans l’ombre, elle attendit.

 

D’autres pas, plus ténus que les siens, brisèrent l’immobilité des lieux. Un homme en tenue de chasse s’approcha du coffret, jeta quelques coups d’œil autour de lui, puis s’agenouilla à côté. Il l’ouvrit délicatement, dévoilant huit petites fioles colorées, dont deux pulsaient d’une lumière douce. Elle retint son souffle tandis qu’il les manipulait. Et s’il essayait de la voler ? Et s’il partait sans la payer ? Elle serait obligée de l’arrêter. Elle détestait s’en prendre aux humains. Mais… non. Il était sage et il se doutait sûrement qu’il n’en sortirait pas indemne. Il referma le coffret, tira de son sac à dos un épais ouvrage relié en cuir qu’il déposa juste à côté, avant de mettre le coffret dans son sac, à la place. Il allait partir, mais il hésita un instant. Sa voix ne fut qu’un murmure.

 

— Nos familles vous remercient, Grande Dame.

 

Elle se crispa légèrement. Des nuées de corbeaux s’envolèrent, dérangées par cette intrusion. Il se précipita dehors et s’esquiva de son côté. Elle secoua la tête, tendue, et posa la main sur une des dagues. Déjà deux créatures entraient sur la place de la fontaine pour observer le livre, tourner autour, alertés par la présence humaine.

 

Elle retint son souffle et glissa comme une ombre. Le poignard se planta dans la nuque de la première gargouille qui s’étrangla dans un jet de sang noirâtre. L’autre hurla et se jeta sur elle toutes griffes dehors. Plus le temps de faire dans la dentelle. Elle arracha son collier et le jeta en l’air. Un flash lumineux inonda les lieux. Elle s’empara du livre et fuit vers les arbres les plus proches, profitant de l’aveuglement des créatures.

 

La forêt forma une chape de sécurité autour d’elle, renforcée par la brume qui s’alourdissait au fil des minutes. Elle vit néanmoins des ombres dans son champ de vision. Elle pressa le pas. Une strige planait dans le ciel et volait en cercles, avide d’une proie. Ne pas courir, ne pas paniquer. Elle ne ferait qu’empirer les choses. Elle devait à tout pris éviter de rameuter d’autres créatures plus dangereuses encore. Si un vampire venait à s’en mêler…

 

Elle posa une main rassurante sur le livre tout contre elle, dans la besace. Non… ce trésor représentait tant de recherches, tant d’efforts, tant de travail, qu’elle ne se le laisserait pas voler par ses ennemis.

 

Elle se figea en entendant un souffle. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle prépara son couteau. La nuit courait de plus en plus vite. Elle se força à avancer. Soudain, une petite créature jaillit et la griffa. Elle la poignarda à mort en retour, mais trop tard, le mal était fait, son bras saignait. Elle souleva sa robe et fonça. Chaque ronce semblait désormais au service de l’ennemi. Chaque branche basse avait l’air de doigts avides de la retenir. La capuche glissa, le filet d’argent capta les rayons de la lune, lui transmettant une énergie bienvenue, mais attirant plus de monstres encore. Est-ce qu’elle se rapprochait ? À cause du brouillard, elle ne percevait pas les hautes tours. Elle força sur ses muscles, poussa un cri en sentant qu’on courait à sa droite et jaillit dans l’espace libre et protecteur de son sanctuaire. Elle s’arrêta et souffla. Ici elle était en paix. Ici elle était en sécurité.

 

Elle leva les yeux vers les pierres rassurantes de son chez elle et s’autorisa un soupir de soulagement. Lui aussi, elle avait eut du mal à l’avoir. Le vampire qui l’habitait avait chèrement défendu sa tanière. Il en avait fait une ruine puante pleine de cadavres. Aujourd’hui, cet endroit respirait le calme et le confort. Enfin… un confort pour sorcière, évidemment.

 

Elle laissa tomber sa cape dans l’entrée, retira ses bottes et descendit dans son atelier, au sous-sol. Elle avait réhabilité la prison et sa salle de torture de sorte à en faire un vaste lieu de travail. Les cellules abritaient désormais ses livres, le chemin de garde était illuminé de cristaux de lune, et la table funeste sur laquelle tant de victimes avaient été enchainées, c’était son bureau. On utilise l’énergie là où elle est.

 

Elle sortit délicatement sa nouvelle trouvaille. Il était magnifique, et délicieusement ancien. Des runes gravées dans le cuir assuraient sa longévité. Elle tourna quelques pages et confirma ce quelle savait déjà. Il était crypté. Peu importait, elle était capable de déchiffrer ce genre de langage, ça prendrait juste du temps.

 

Elle attrapa un petit pot sur une étagère, un onguent poisseux à l’odeur doucereuse glougloutait à l’intérieur. Elle en préleva un peu du bout du doigt et l’étala sur la blessure sur son bras. La douleur la fit crisser des dents, mais la curiosité était telle qu’elle continuait de parcourir les symboles du regard, tout en massant la plaie qui s’effaçait de plus en plus. Quand les lésions eurent totalement disparu, elle poussa un nouveau soupir de soulagement. La tension de l’extérieur se dissipait. Elle rassembla ses outils de travail, encre révélatrice, plume de sage, loupe enchantée… tout cela entoura le vieux grimoire. Elle traça ensuite de nombreux sigils sur sa peau. Elle était prête.

 

— Bienvenue à la maison, murmura-t-elle en caressant la première page. Toi et moi, nous avons beaucoup de choses à nous dire.

 

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Edouard PArle
Posté le 07/11/2024
Coucou Lucinda et Solamades !
Après avoir découvert votre projet sur le discord, je suis venu ici intrigué. C'est super intéressant de faire l'écriture à 4 mains. Dans ce premier chapitre, on sent une certaine "unité", je veux dire que l'on ne voit pas forcément qu'il y a deux plumes différentes derrière le texte.
Le personnage de la sorcière est assez sympathique. C'est intéressant cette idée de faire du bien avec des créatures foncièrement mauvaises. Je me demande quand même si cette idée ne va pas trouver ses limites par la suite...
Mes remarques :
"et les pierres de toutes les couleurs." -> multicolores ?
"mais bloqu contre le cercle" -> bloqua
"dit-il d’une voi caverneuse." -> voix
"Elle y comprit !" pas sûr de cette tournure
"— Les filles de la lune, fredonna-t-elle. N’ont pas peur de la nuit. Les filles de la lune… sont celles que l’on fuit." j'aime bien, très joli !
"tant de travail, qu’elle ne se le laisserait pas voler par ses ennemis." petite suggestion : mettre un point après travail puis ->Elle ne laisserait pas ses ennemis le voler
"Lui aussi, elle avait eut du mal à l’avoir." -> eu
"Aujourd’hui, cet endroit respirait le calme et le confort. Enfin… un confort pour sorcière, évidemment." moyen intelligent de faire l'exposition, bravo !
"et confirma ce quelle savait déjà" -> qu'elle
"l’étala sur la blessure sur son bras." -> sur son bras blessé ? (pour éviter la répétition de sur)
Un plaisir,
A bientôt !
Lucinda
Posté le 07/11/2024
Coucou ^^

Je laisserais parler Sola, pour ce chapitre, car effectivement, c'est elle qui l'a écrit, nos plumes se rencontrerons un peu plus tard :)

En tout cas merci de ton passage parmi nous au plaisir de te voir plus loin au fil de l'histoire :)
Edouard PArle
Posté le 07/11/2024
Ahh ok, vous faites un chapitre tour à tour ^^ Intéressant, curieux de la suite !
Lucinda
Posté le 07/11/2024
Oui pour le début ^^ tout en essayant d'être cohérentes bien sur :)
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