Chapitre 1: Le présent des possibles

Le bruit, ici, n'est pas aussi naturel que dans d'autres lieux. Au-dehors de ses apparences de forêt urbaine, il est plutôt bien venu de ne pas s'appesantir sur les chemins et ne pas se débarrasser de l'inquiétude par des habitudes toutes usées. Ici, un bruit en particulier a bien trop de droits. Il vous oppresse ou vous mords la moelle si vous ne faites pas attention. C'est un bruit de feuilles dans le vent, de poursuivants si aisés de plein droit. De ceux qui nous heurtent en plein visage sans honte. En passant le seuil de cette forêt, toute personne inspire à sa chance puis perd toutes ses illusions une fois passée la moitié. À Neva Yorsk, la ruée vers l'or ou vers la perte, c'était ainsi.


Dans ces moments-là, il y a de quoi de rire ou pleurer pour Aref. Podisglav le scie alors du regard, avec l'air méchant d'un vieux chien battu par le temps. Nerveux par le dehors mais n'abandonnant pas pour autant. Il n'aime pas son dédain envers ces petites gens et le sermonne avec une âpre rengaine : ''Ne souris pas avec tes crocs. Tu pourrais leur faire perdre tout espoir en l'humanité.'' Cette réplique est la fausseté incarnée. Les yeux des personnes le dévisageant à peine glissent sur lui de bon matin comme s'il était fait de papier glacé. L'air fâché de l'avoir vu, ils finissent toujours par s'éloigner sur un autre chemin.


Par cet instant-là, je me demande si je devrais être heureux de pouvoir sortir et de vaquer à mes occupations comme je le veux. Bell m'assure toujours que le dehors n'a d'autre intérêt que sa mocheté grandissante. ''Pourquoi regarder des façades de verre, des murs en béton alors qu'on peut le faire, enfermé en soi-même ou dans une maison. Au moins, c'est à notre taille tandis que le monde rapetisse de plus en plus par sa petitesse et ne changera jamais.''
Il m'exaspère mes fonds de tiroir remplis d'espoirs à être aussi pessimiste envers les autres. Il a eu beau avoir le temps d'une éternité. Il n'a toujours rien compris à la vraie réalité.


– Allez ! Ne traîne pas dans ton allure. Le soleil se lève. On n'a pas de temps à perdre.
Hazwell Park est d'une beauté si verdoyante, entre ses chênes centenaires et ses champs de fleurs colorées. Scruté avec attention, l'ensemble est splendide, avec les brins d'herbe perlés de rosée et dorées par le soleil. Je tourne le torse vers notre leader Podisglav. La bonne quarantaine lui va si bien dans sa blondeur et ses yeux gris azuréens que je suis fort troublé. Il s'aperçut de mon regard et je coule vers d'autres hémisphères, mon intention était cousue de fils blancs.


Je tire sur les rênes, faisant trotter ma monture de cheval mécanique, et je m'avance au devant de lui, étant trop habitué par ce parcours. Je me fais rappeler à l'ordre par un sifflement suraigu. Tournant la tête en arrière, je faillis me déséquilibrer et tomber de haut, loin de mes certitudes. Je reconnais ce son discordant, produit comme d'habitude par le ténébreux Aref à la peau couleur d’albâtre. Ses yeux vert sombre sont tellement perçants. On dirait qu'il vous sonde jusqu'aux tréfonds de l'âme. Me sentant tout penaud d'avoir fait le fiérot et de m'être avancé plus que de raison, je rejoins de nouveau les rangs. Les particules dorées du lever du sol emplissent l'air et se font de plus en plus nombreuses, et comme à chaque fois, j'ai le ventre qui se fait vide et qui se creuse.
– Oui, bien sûr. Excusez-moi ! Je sais. Nous devons rester groupés.
Aref me regarde à peine et, m'en retournant vers Podisglav, je le regarde sans qu'il en fasse autant. Il reprit la tête du convoi. Personne ne me regarde plus et cela agrandit le creux au fond de moi.
Sans y accorder la tristesse qu'il me faut, je me noie dans une rêverie pour effacer un instant la dure réalité et j'ai soudain une sensation plus légère, comme si j'étais une plume au gré du vent. Une partie de ma conscience s'est enfui pour un petit temps.


– Medgardt ! Medgardt ! Eh ! Tu m'entends... Nous sommes arrivés.
Je reviens à moi. Le bruit en cet endroit m'inonde et je crois m'y noyer. Comme si mes poumons se remplissaient de bruits et de mots au fur et à mesure. J'ai l'impression de frôler l'air du temps, ma paume droite contre ma face, la quittant progressivement, et ma gauche, ayant tenu la bride, faisant autant. J'ôte une poussière invisible de mon épaule et descend de mon canasson. De guingois, je vacille le temps d'un battement de cils. Je me rétablis sur mes pieds, dans l'espèce d'écurie qu'on a aménagé vers la grange.
– Ça va ? Tu es dans la Lune ou dans les nuages. Si c'est le cas, tu sais que tu as le vertige.
– En effet. Qui pourrait me retenir si je chois ?


Un mince sourire éclot sur le visage d'Aref et je pressens qu'il va faire une répartie à ma réplique. Qu'il ne sourit pas trop avec ses crocs. Il pourrait me faire perdre tout espoir en l'humanité.
– Si seulement. Cela pourrait te faire taire. Cela serait un avantage.
– Je regrette, la maison ne prête pas de main-d’œuvre.
Aref se redresse, fier comme un paon qui a trop fait de roues. Il fait glisser ses yeux sur ma gueule de travers et jusqu'aux tripes de mon intérieur. Faisant un départ du tonnerre, il prend le commencement d'une suite de bons mots. Rentrant le cheval dans son box, Podisglav flagelle :
– Arrêtez avec vos conneries ! Medgardt ! Il est temps de rentrer à la maison !!
Surpris par tant de rudesse, nos yeux s'agrandissent de surprise. Ces derniers temps, notre chef était de bien mauvaise humeur. En tout cas, plus qu'à l'accoutumée. Aref et moi, nous nous regardons dans le blanc des yeux. Puis, notre peau se défroisse et notre corps se détend, notre mécanique habituelle reprend. Nous rentrons nos montures aux belles jointures bien coulissantes et chromées dans leurs box et suivons la marche.


 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
RubenSaïdFaneen
Posté le 12/10/2024
Bonjour Loup Pourpre. J'aime beaucoup votre style. Les descriptions nous immergent immédiatement dans l'univers. On se laisse aspirer par l'histoire. J'ai hâte de lire la suite. A bientôt !
hellboy76
Posté le 24/08/2023
Ton texte m'a plongé dans un monde sonore intriguant. Tu réussis à créer une atmosphère unique où le bruit devient une force oppressante. Les personnages, en particulier Aref et Podisglav, sont intrigants et leur dynamique est captivante.

J'apprécie comment tu utilises la nature pour refléter les émotions des personnages, mais j'aimerais en savoir plus sur cet univers. Les détails sont encore flous.

En somme, ton texte promet une histoire intrigante. Je suis curieux de voir comment tu développeras cette histoire et ses personnages.
Loup pourpre
Posté le 25/08/2023
Merci pour ton commentaire élogieux. Bienvenue dans cet univers. A bientôt.
Adela Rune
Posté le 18/08/2023
Salut,
C'est un début d'histoire très mystérieux avec une ambiance que je trouve sombre et lourde. J'avais parfois du ma à respirer, comme angoissée. J'ai eu un peu de mal à me représenter la scène, les environs et les passants. On apprend un peu tard qu'ils sont à chevaux, il y a des arbres, mais des chemins aussi, on croise d'autres personnes. Je n'aurais pas été contre une description plus concrète, mais c'est personnel.
Sur la forme, j'ai noté :
- Il est plutôt bien venu (bienvenu)
- il y a de quoi de rire (de en trop)
-Par cet instant-là, je (En cet instant ? A cet instant-là ? le passage au "je" m'a troublée, avec le paragraphe précédent, je n'avais pas compris que le narrateur était dans la scène)
-Il y a beaucoup de (regarde) parfois trois dans un paragraphe.

Merci du partage.
A bientôt
Loup pourpre
Posté le 21/08/2023
Salut,

En effet, c'est un début mystérieux avec peu de description. C'est voulu d'un point de vue stylistique. Très vague au début puis un peu plus précis et détaillé au fur et à mesure.
Ambiance ténébreuse et froide pour la partie de Ogrisha et, lumineuse et chaude pour la partie de Medgardt.
C'est une petite explication qui t'aidera peut-être dans ta lecture.

A bientôt.
Vous lisez