Chapitre 2: Le possible du présent

        On sortait de l'écurie. Passant devant la grange, je faisais face à notre demeure de maigre valeur. Son bardage usé par la pluie à la peinture écaillé. Ses fenêtres branlantes tels des ailes arrachées de vitres pourtant si nettes. Et le toit commençait des trous qui inonderaient bientôt notre intérieur de tristesse. À la suite de mes compagnons, je me faufilais dans le porche, seule constituante qui voulait encore tenir jusqu'au bout. Podisglav enfonçait la porte souvent coincée et nous passions le seuil de notre domicile. Nous sommes rentrés !! pensais-je sans le formuler, me trouvant trop ridicule de le faire alors que c'était l'évidence même, vu le bruit qu'on faisait en rentrant.


        Bell, étant sur le canapé, nous dévisageait et haussait les épaules. Ses membres rachitiques donnaient l'illusion de longues branches craquant autour d'un tronc trop abîmé par le temps.
– Salut ! Vous vous êtes pas faits tout crus par l'extérieur ?!
– Ce n'était pas une sinécure. Il fallait ne surtout pas attraper de coups de soleil, plaisantais-je.

       Descendant l’escalier, une jolie rousse aux yeux flamboyants s'avançait vers nous. Bell grognait quelque chose dans sa barbe juvénile. De toute façon, dès le début, il ne l'avait pas aimé car c'était une femme. Tentatrice. Il ne la voulait pas avec nous. Pourtant, à force de négociations, on l'avait convaincu de l'accepter dans notre groupe. Il avait été contraint par notre insistance et par le regard noir de Podisglav. Il en avait gardé une rancune tenace pour ce dernier et surtout pour Cassy.


       Chacun, en général, a autant de valeur l'un que l'autre. L'unicité prévaut sur la particularité. Tous les rappels de ces moments où on oublie le moi-même au profit du collectif. Toutes ces valeurs devaient être importantes. Mon cœur se mettait à palpiter, comme pour jaillir dans ma poitrine.
– Bien. Nous pouvons reposer maintenant.
– Ah ouais...? Pour moi, je trouve que notre expédition a été courte.
Aref avait été étonné de me voir me rebeller et ça le faisait sourire. Un grand sourire qui élargissait ses fossettes creusées et fronçait son nez quelque peu allongé. Podisglav reprenait ma parole en détachant ses mots avec soin, comme pour savourer l'instant de remise en ordre.
– Comment ?! Tu sais que tu ne peux pas faire autrement ! C'est de ta vie qu'on parle !! Alors...
Ce fut un jeu de regards.


       L'air trouble et sombre, il se pencha vers moi. Son visage si proche du mien que je pouvais sentir son haleine poivrée et distinguer la finesse de ses rides au coin des yeux. Des yeux d'un gris étincelant, comme le ciel d'orage après la pluie. Il pourrait être vraiment jolie, et il l'était, s'il n'avait été entrain de le foudroyer du regard. Je contemplais un instant le galbé délicat de sa bouche, un rictus un peu sévère cognant sur ses dents parfaitement alignées et blanchâtres. Je respirais son parfum musqué de bois sauvage, très mâle, entêtant. Dessinant en adéquation son être. Ses yeux s'étrécissaient, et je me disais que ce sera facile, de lui voler un baiser. Il cillait, se demandant certainement ce que je pensais à l'instant, s’égrainant sa longue barbe de ses milliers de poils. Je sentais alors que ce qui compte en cet instant précis. Replier les amarres pour ne pas le froisser plus que de raison. Ce qui comptait, c'était de respecter les valeurs instaurées.
– Bon ! Allez tout le monde ! Dispersez-vous mais restez à la maison !

       Celui-ci ne riait pas. Aref m'observa du coin de l’œil, dans le silence, et je lui en voulais. Podisglav avait le front figé par la droiture et la complétude, les vilaines ouillères de celui qui ne sourit pas souvent. Abandonnant, je détournais mon regard pour le coller au sol, regardant ses jambes musclées. Je comptais alors les larges marches beiges le long de l'escalier à la rampe anthracite, soldats fidèles d'une armée de souvenirs. Soigneusement, m'étant retourné, je m'en allais vers mes quartiers. J'étais en haut, vers ma chambre. Le silence était parfait pour entendre le temps.
– Bien.


       Je poussais la porte de mon antre et je m'affalais sur mon lit comme un adolescent. Je chancelais quelque peu sous la mollesse de ma couche, faillis m'étaler sur le parquet clair et me rattrapais, me calant au mur. Tandis que je me tortillais pour être complètement dessus, je me rapprochais de la paroi vert pomme. Bien avachi et relâché que j'étais, mon corps élancé se détendait, le souffle léger. Je me sentais un peu mieux et la mauvais moment passé se noyait dans la quiétude.
– Aaaah ! soupirais-je.

       Je regardais le mur en face et je me sentais presque tomber dans un vide d'esprit. Le soleil matinal brillait dessus en milliers d'éclats scintillants sur ce vert à la texture glacée. Je voulais être loin des préoccupations de l'homme et je n'étais pas tout à fait satisfait par cette protection que je subissais tous les jours ainsi que mes camarades. Celui qui ne savait que dire non aux choses qu'on lui demandait commençait à m'exaspérer. Son air de Monsieur me tapait sur le système.
Je détestais ce Monsieur. Ogrisha me manquait... Combien de temps encore allait-il rester ici ?

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