Nevra courait sur les toits, ses pas légers et agiles effleurant à peine les tuiles. En contrebas, deux brownies rouges de colère et de fatigue le menaçaient du poing. Le jeune vampire s'arrêta un instant, ce qui permit aux deux hommes de reprendre leur souffle. Dans un acte de pure provocation, il ouvrit son sac pour sortir une des pommes à la peau fine et dorée du Verger d’Eel ; des fruits particulièrement juteux et nourrissants, très coûteux aussi, qu'il avait chipés au marché. Il croqua à pleines dents dans le fruit défendu, sous le regard outré de ses poursuivants, puis leur balança le reste de la pomme tout juste grignotée, le précieux mets rattrapé de justesse par un des brownies. Cet ultime affront lui valut une salve de jurons auxquels le vampire répondit par un joli pied de nez avant de reprendre sa course effrénée.
Quelques centaines de mètres plus loin, il se laissa tomber lestement du toit pour atterrir dans une petite ruelle. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Ses adversaires semblaient avoir abandonné la course. Quittant le quartier des Halles pour entrer dans celui des Sargousets, il reprit son chemin d'un pas plus tranquille, s'engouffrant dans un dédale de rues étroites qui longeaient une rangée de façades à croisillons. Les maisons biscornues, collées les unes contre les autres, s'élevaient de trois ou quatre étages, bloquant une bonne partie de la lumière du soleil. Le temps était particulièrement maussade ce jour-là, ce qui donnait un air fantomatique aux ruelles sombres et étroites.
Nevra connaissait tous les raccourcis du quartier : les murs à escalader, les grillages sous lesquels ramper et les bouches d'égout par lesquelles se glisser pour disparaître en quelques secondes. Il émergeait d'un de ces nombreux passages secrets, lorsqu'il entendit des éclats de voix. Curieux, il longea silencieusement le mur, jusqu'à apercevoir trois hommes armés qui entouraient une petite fille à peine plus jeune que lui. Vêtue d’un kimono blanc décoré de motifs brodés au fil d’argent, sa tenue était sale, tachée de sang, et déchirée au niveau des manches et des genoux. En larmes, le dos au mur, elle avait l'air terrorisée.
Le jeune vampire reporta son attention sur les trois hommes. Il reconnut immédiatement l’insigne qu'ils portaient : un corbeau noir aux ailes déployées, une gemme améthyste dans ses serres, et un fin croissant de lune. Le symbole de la Garde de l'Ombre. Pourquoi des gardiens d'Eel s'en prenaient-ils à une enfant sans défense ? L'un des hommes empoigna la petite fille par les cheveux et la gifla avec violence. Elle chancela, mais ne tomba pas, retenue par le mur dans son dos. Elle tentait d’étouffer ses sanglots et n’osait pas lever les yeux vers ses agresseurs.
— Sale monstre ! cracha l'homme avec haine en sortant un poignard. Comment as-tu pu faire une chose aussi atroce ? Tu mérites de mourir ici et maintenant.
Nevra fut plus rapide que lui. Il bondit hors de sa cachette et se jeta sur l'homme. Il attrapa son bras qu'il mordit jusqu'à l'os. Son adversaire hurla de surprise et de douleur en se débattant pour lui faire lâcher prise. Ses coéquipiers volèrent à son secours. L'un d'eux saisit le garçon par le col et l'envoya valser à travers la rue. Nevra se releva en essuyant sa bouche d'un revers de manche après avoir recraché le sang infect. Poings levés et babines retroussées, il était prêt à en découdre.
— D'où est-ce que tu sors, sale mioche ? lança un des gardiens.
— Laissez-la tranquille ! Vous n'avez pas honte d'embêter une enfant dix fois plus petite que vous ?
— Ce ne sont pas tes affaires. Fiche-moi le camp !
— Vous, fichez le camp ! Vous êtes sur mon territoire, ici. C'est moi qui fais la loi !
Les trois hommes échangèrent un regard incrédule, puis éclatèrent de rire.
— T'es marrant toi. On ne te veut pas de mal, donc laisse-nous faire notre travail. Cette petite a fait quelque chose de très mal. Elle est très dangereuse. On est venu l'arrêter avant qu’elle sème le chaos dans la cité.
— Je ne vous crois pas. Vous mentez. Vous voulez la tuer. C'est vous les méchants !
— Écoute, gamin. Je ne sais pas ce que tu as vu ou entendu exactement, mais je vais être sympa avec toi. Je te laisse une dernière chance de débarrasser le plancher, si tu ne veux pas que je te fasse la peau.
Nevra émit un refus catégorique. Il ne négociait pas avec les malfrats. Il poussa un cri pour se donner du courage, puis fonça sur ses adversaires qui n'eurent aucun mal à le repousser. Ils étaient plus grands, plus forts et plus expérimentés que lui. Un des gardiens le saisit par le col pour le plaquer contre un mur. D'une main, il entoura le cou frêle du jeune vampire qui vint rapidement à manquer d'air.
— Arrêtez ! s'écria alors la petite fille en martelant l'homme de ses petits poings. Lâchez-le !
— Ferme-la ! aboya son acolyte en lui assénant un coup de poing dans l’estomac. Ton tour viendra assez vite, sale monstre.
— C'est vous les monstres, siffla Nevra avec colère.
L'homme lâcha un rire guttural. Il tira la dague qu'il portait à la ceinture, mais avant qu'il ne puisse poignarder le garçon en plein cœur, le gardien se figea. Gelé jusqu'à l'os, il était recouvert d'une épaisse couche de givre. Nevra se tortilla pour se défaire de la poigne glaciale du gardien statufié. Tout autour de lui, l'air s'était brusquement refroidi et de la buée s'échappait de sa bouche. C'est alors qu'il remarqua l'expression de la petite fille. Ses cheveux blancs, coupés au carré, flottaient autour de sa tête comme des filets de brume et ses yeux avaient viré au blanc.
Paniqué, un gardien se précipita vers elle en tendant la main pour éviter la catastrophe, mais il était trop tard. Il était déjà prisonnier de la glace mortelle qui progressait rapidement jusqu'à l'engloutir complètement, insensible à ses cris d'effroi. Le troisième gardien prit ses jambes à son cou, mais la fille leva une main dans sa direction. La poitrine transpercée par un pique de glace, l'homme tomba à genoux. Son cœur gelé ne lui permettait pas de se régénérer et il exhala un dernier souffle glacé avant de s'effondrer face contre terre.
La fille se tourna alors vers Nevra qu'elle fixa longuement de son regard blanc et vide. Le garçon ne détourna pas les yeux. Il tremblait de froid et d’effroi, mais il ne voulait pas céder à la peur. Puis, d'un coup, les iris de la jeune fille retrouvèrent leur couleur grise. L'air hagard, elle contemplait la scène macabre avec crainte et sidération, jusqu'à ce qu'elle réalise avec horreur qu'elle était l'auteur de ce massacre. Le vampire s'approcha d'elle pour la rassurer, mais elle recula.
— Ne t'approche pas ! cria-t-elle en sanglotant. Va-t'en !
— N'aie pas peur. Je ne te veux aucun mal. Je veux juste t'aider.
— Laisse-moi... Je… Je ne veux pas te faire de mal…
— Tu ne vas pas me faire de mal. Regarde, je vais bien. Je n'ai rien. Comment tu t'appelles ? Moi, c'est Nevra. Nevra Dragoman.
La fille leva ses yeux embués de larmes où se mêlaient incrédulité et méfiance. Elle avait tout d'un animal sauvage, blessé et acculé. Nevra devinait que ce ne devait pas être la première fois qu'elle se faisait agresser de la sorte. Elle devait penser que tout le monde lui voulait du mal. Il s'avança encore un peu, ce qui la fit reculer un peu plus.
— Va-t'en, je t'ai dit ! Si tu restes avec moi, tu vas mourir...
Elle enfouit son visage dans ses mains en pleurant de plus belle. Le garçon la regarda tristement. Ce n'était pas de sa faute. Ces hommes essayaient de la tuer, elle n'avait fait que se défendre. Pourquoi se sentait-elle aussi coupable ? Ils avaient eu ce qu'ils méritaient.
— Je n'ai pas peur de toi, lui assura le vampire. Ce n'était pas de ta faute, tu ne l'as pas fait exprès. Tu essayais juste de me protéger, n'est-ce pas ?
La fille releva la tête, mais malgré les paroles encourageantes du garçon, elle restait sur ses gardes. Nevra fouilla dans son sac pour lui offrir une pomme, accompagnée de son plus beau sourire. Le regard de sa camarade s'illumina à la vue du fruit. Elle tendit une main hésitante pour la prendre avant de se raviser. Le vampire attrapa fermement sa main pour l’obliger à prendre la pomme.
— Mange. Tu as l'air affamée.
La fille hocha timidement la tête, puis croqua dans le fruit juteux et sucré avec avidité.
— Rena, murmura-t-elle entre deux bouchées.
— Hein ?
— Je m'appelle Rena, répéta-t-elle un peu plus fort. Rena Yukihira.
— Tu es toute seule, n'est-ce pas ?
Elle acquiesça.
— Je suis comme toi, lui confia-t-il avec compassion. Je n'ai plus de parents non plus. Mais je connais un endroit où tu ne seras plus seule. Viens avec moi !
***
Le jeune vampire glissa sa main dans celle, froide et menue, de la jeune fille qui le suivit sans broncher. Après quelques tournants, ils arrivèrent au pied d'une vieille maison de ville à colombages. Ils firent le tour du bâtiment et Nevra poussa un petit portail en fer rouillé qui donnait sur une arrière-cour étriquée. Il savait que pour la discrétion c'était raté, mais il préférait quand même passer par la porte de derrière qui permettait d'accéder directement à la cuisine.
— Nevra ! Où étais-tu pass-
Sa marraine marqua une pause stupéfaite en voyant la fille que son protégé tenait toujours par la main.
— Par la Sainte Trinité ! s'exclama-t-elle en portant une main à sa bouche. Que lui est-il arrivé ?
Lundiva se précipita vers eux. Elle examina Rena de la tête aux pieds pour vérifier qu'elle n'était pas gravement blessée, puis questionna Nevra qui lui fit un résumé de ses dernières aventures. D'abord choquée et attristée par le sort de la malheureuse yôkai, la matriarche prit un air plus sévère lorsqu'elle aperçut le sac que le vampire portait en bandoulière.
— Tu es encore allé voler de la nourriture au marché ! constata-t-elle avec colère. Je t'avais pourtant formellement interdit de recommencer !
— C'est juste quelques vivres, ça ne manquera à personne ! protesta le garçon en se renfrognant.
— Ne me réponds pas sur ce ton ! Je t'ai déjà expliqué pourquoi tu ne devais pas voler. Tu n'apprends donc jamais rien ? Je te jure, Nevra, la prochaine fois que tu fais ça, je te livrerai à la Garde d’Eel et je leur demanderai de te t'enfermer une semaine aux cachots ! Tu vas me montrer où tu as pris tout ça, et on ira s'excuser ensemble.
— Jamais de la vie ! s'écria le garçon rebelle en prenant la fuite, sourd au sermon de Lundiva.
***
Le jeune vampire, vexé par les remontrances de sa marraine, s'était réfugié sur les toits. Dans les escaliers, il avait bousculé Emilia qui descendait les marches à l'aveugle, une énorme pile de draps dans les bras, ce qui lui avait – encore – valu des reproches. Ce n'est qu'une fois à l'air libre, loin de ces femmes moralisatrices qui lui empoisonnaient la vie, qu’il put souffler un bon coup et laisser sa frustration s'envoler.
De son poste d'observation, il pouvait voir le grand beffroi du QG d'Eel, sa blancheur immaculée contrastant avec les bâtiments tristes et grisâtres du quartier des Sargousets. L'air était saturé par le bruit et les odeurs qui émanaient des forges, des tanneries, des fileries, et des laboratoires de bouilleurs de cru et de brasseurs de potions clandestins.
Les fumées qui s'échappaient des cheminées avaient noirci les façades des maisons, et, au petit matin, il n'était pas rare qu'un brouillard épais et malodorant envahisse les rues. Les jours de mauvais temps, il devenait tellement dense qu'on ne voyait plus rien à plus de six pieds. Ce n’était pas le quartier le plus miséreux ni le plus dangereux de la Cité, mais les habitants des Sargousets menaient une vie modeste d’artisans, de travailleurs manuels ou de domestiques. On devait se contenter de peu et tout le monde faisait de son mieux pour joindre les deux bouts.
Nevra, le regard perdu dans le lointain, contemplait ce QG où la vie semblait si parfaite. Il pensait à ses parents, Aloysius et Adelheid Dragoman. Gardiens tous les deux, ils étaient la raison de son admiration pour la garde d'Eel. C'était une vie dont il ne se souvenait presque plus. Autrefois, il avait vécu dans une des petites maisons de fonction, proprette et coquette, qui bordaient le QG. Il mangeait à sa faim, s'amusait, riait, pleurait et se nourrissait de l'amour de ses parents qui le gâtaient à l'excès. Quand ils s'absentaient pour une mission, c'était Lundiva et Emilia qui s'occupaient de lui.
La fortune des Dragoman n'était pas grande, mais son père venait d'une famille aristocratique très ancienne et tenait à préserver les traditions et les valeurs propres à sa lignée. Il n'y avait donc que des vampires dans leur petite maisonnée. Lundiva, sa marraine et gouvernante, était sévère et intransigeante, tandis qu'Emilia, malgré sa maladresse légendaire, débordait d'enthousiasme et de gentillesse. Nevra les aimait toutes les deux énormément.
Puis, un jour, tout avait basculé. Des collègues de ses parents étaient venus sonner à leur porte pour leur annoncer solennellement le décès d'Aloysius et d'Adelheid. Ils avaient trouvé la mort au cours d’une mission qui avait mal tourné. Pour la première fois depuis qu'il était né, Nevra avait vu Lundiva perdre son sang-froid et lancer des jurons et, pour la énième fois, il avait vu Emilia fondre en larmes. Il n'avait que quatre ans, et même si les adultes avaient tout fait pour le ménager et le tenir à l'écart, il avait compris que quelque chose de terrible était arrivé à ses parents et qu'il ne les reverrait plus jamais.
***
Cette funeste nouvelle avait eu de lourdes conséquences. Le logement appartenait à la garde d'Eel, ils avaient donc été sommés de déménager avant la fin du mois. Selon les lois de la cité, ils s’étaient rendus au tribunal où un juge avait procédé à la lecture du testament. Dans le cas où Aloysius décéderait le premier, il léguait tout à sa femme qui prendrait la tête de la famille Dragoman, en tant que Lady Dragoman, jusqu'à ce que leur fils soit en âge de lui succéder.
Si par malheur, ils décédaient tous les deux, leur héritage revenait à leur fils, avec quelques restrictions. Lundiva avait été désignée comme responsable légale du jeune vampire jusqu'à ses seize ans. Une partie des fonds avait été bloquée. Il ne pourrait toucher cet argent que le jour suivant son seizième anniversaire. Le reste de la fortune des Dragoman avait été confié à Lundiva, elle pouvait en faire ce qu'elle voulait aussi longtemps que cet héritage servait à subvenir en priorité aux besoins du garçon.
Quelques semaines après les funérailles, le grand-père paternel de Nevra s'était présenté à la famille endeuillée. Il voulait procéder à l'adoption de son petit-fils et le ramener avec lui dans les Terres du Crépuscule pour en faire son héritier direct. Il avait proposé une généreuse somme d'argent à Lundiva pour qu'elle lui transfère ses droits de garde, mais cette dernière avait fermement refusé l'offre du patriarche, sans même y accorder la moindre réflexion. Avant de devenir la gouvernante de Nevra, elle avait été la confidente et la meilleure amie d'Adelheid, et cela bien avant que cette dernière ne rencontre Aloysius. Elle ne devait rien aux Dragoman, en particulier à cet homme-là.
Lord Allister Vorigan Dragoman était un homme cruel, obsédé par la pureté du sang. Il avait un destin tout tracé pour son fils, mais lorsqu'Aloysius avait épousé Adelheid, une vampire de second rang aux origines incertaines, et benjamine d'une famille de vulgaires chasseurs de primes, il avait déshérité son fils, lui interdisant de remettre les pieds dans le domaine familial. Il pensait qu'une telle menace suffirait à faire plier son rejeton, mais il n'en fut rien. Aloysius avait épousé celle qu’il jugeait être la femme de sa vie envers et contre tout.
Après le mariage, le couple avait rejoint la garde d'Eel, car le métier de chasseur de primes comportait trop de risques. À l'instar des mercenaires, les chasseurs de primes accomplissaient des missions pour leur propre profit : éliminer une créature qui terrorisait un village, traquer un esclave en fuite, poursuivre un criminel en cavale. Parfois, ils acceptaient même les missions d'assassinats.Tant qu'ils étaient suffisamment payés, ils n'y avaient aucune besogne trop basse pour eux. Ils exécutaient le travail sans poser de questions.
Leurs pratiques étant à la limite de la légalité, ils étaient dans le collimateur des autorités qui n'hésitaient pas à arrêter et faire condamner les chasseurs de primes qui transgressaient un peu trop la loi. En outre, les conflits entre chasseurs n’étaient pas rares, et le prédateur pouvait devenir une proie dans cette dangereuse course à la prime où l’appât du gain passait avant la vie de son prochain. De ce fait, beaucoup d'entre eux menaient une existence semi-sédentaire, se déplaçant de planque en planque, sans jamais rester trop longtemps au même endroit. La famille d'Adelheid avait son propre code moral et un sens de la justice assez personnel, ce qui n'était pas toujours en accord avec les lois du royaume. Ils étaient donc considérés comme des hors-la-loi et une cible à abattre par les inspecteurs royaux et les gardiens d'Eel.
Aloysius avait convaincu Adelheid de rejoindre la Garde avec lui, persuadé qu'elle y serait plus en sécurité. Maintenant qu'il ne pouvait plus compter sur la fortune familiale, il devait gagner sa vie par ses propres moyens, mais il connaissait le caractère tempétueux de sa femme. Elle ne se satisferait pas d'une vie de mère au foyer, à rester toute la journée à la maison pendant qu'il risquait sa vie en mission. Devenir gardiens d'Eel était un bon compromis. Son épouse pourrait avoir sa dose de frissons et d'aventure en toute légalité, tout en s'assurant un revenu stable, un logement durable et une vie honorable.
***
À la naissance de Nevra, Adelheid avait fait venir Lundiva pour lui proposer de vivre avec eux et de devenir la gouvernante de leur fils. Celle-ci avait accepté avec joie. Elle aimait Adelheid comme une sœur et avait beaucoup d'estime pour Aloysius, lui qui avait renoncé à son titre et ses biens par amour pour sa meilleure amie. Elle admirait son courage et sa dévotion envers sa famille.
Par honneur et par respect pour la mémoire de ses deux plus tendres amis, Lundiva avait donc envoyé paître Lord Dragoman qui, n'ayant pas le pouvoir de s'opposer à la loi, avait renoncé à ses prérogatives. Quand il avait déshérité son fils, il avait été naturellement écarté de son testament. Il n'avait aucun droit sur Nevra, et Lundiva lui avait promis de s'assurer qu'il ne puisse jamais le voir. Lord Dragoman lui avait répondu par des menaces de mort que la gouvernante prenait très au sérieux. Elle ne savait que trop bien de quoi était capable le vieux vampire à la réputation de tyran sanguinaire, mais elle gardait la tête haute et refusait de vivre dans la peur. Si représailles il devait y avoir, elle était prête à défendre son petit Nevra bec et ongles, quitte à y laisser la vie.
Lundiva avait utilisé l'argent dont elle avait hérité pour fonder un orphelinat qu'elle gérait avec l'aide d'Emilia. Elle y accueillait les enfants de gardiens qui, comme Nevra, avaient perdu leurs parents au cours d'une mission, et qui n'avaient aucune autre famille. La Garde se contentait de leur verser une maigre indemnité, à peine de quoi se nourrir pendant quelques semaines, puis ils étaient confiés à un proche.
Ceux qui n'avaient pas cette chance étaient placés dans des foyers – pour les plus jeunes – ou en apprentissage dans des ateliers où ils cumulaient les tâches ingrates et exténuantes, pour ne toucher guère plus que quelques pièces de bronze à la fin de la journée. Beaucoup se retrouvaient dans la rue, sans logement et affamés, livrés à eux-mêmes, dans l'attente de leur seizième anniversaire, âge auquel ils pouvaient réclamer leur héritage.
Révoltée par cette situation, Lundiva s'était rendue au QG d'Eel pour demander une audience avec le général de la Garde, un loup-garou peu commode du nom d'Algéon Aetherwülf. Après une longue entrevue, elle avait réussi à établir un contrat avec la Garde d'Eel. Les orphelins de parents gardiens seraient directement envoyés dans son établissement, où elle s'occuperait d'eux jusqu'à ce qu'ils soient en âge d'hériter et de travailler pour gagner leur vie.
Le général Aetherwülf avait validé la proposition de la gouvernante qu'il trouvait honorable. En échange, il avait exigé qu'elle envoie les enfants les plus prometteurs se faire former en tant que nouvelles recrues. Le projet avait été validé par le Conseil de la Garde d’Eel qui lui avait octroyé une subvention qui lui permettrait de couvrir une partie des frais. Lundiva touchait également une prime pour chaque nouveau gardien recruté. La gouvernante avait accepté l'offre. Cet argent ne serait pas de trop, car même avec la somme dont elle avait hérité, à laquelle s'ajoutaient ses économies personnelles et les petits services qu'elle et Emilia rendaient aux habitants du quartier contre quelques pièces de bronze, elle avait tout juste de quoi assurer une vie correcte aux enfants dont elle avait la charge.
Six ans s'étaient écoulés depuis l'ouverture de l'orphelinat, six années durant lesquelles Nevra avait rêvé d'intégrer la Garde pour suivre les traces de ses parents, mais après ce qu'il avait vu aujourd'hui, il n'était plus aussi sûr de son choix de carrière.
***
Le vampire mordait rageusement dans une miche de pain insipide lorsqu'il entendit un bruit derrière lui. C'était Rena qui venait de passer la tête par le battant de la fenêtre. Elle se hissa maladroitement sur le toit, puis rampa prudemment jusqu'à lui. Il crut qu'elle allait dégringoler et s'écraser dix mètres plus bas, mais elle réussit à gravir la pente sans décrocher une seule tuile. Lundiva lui avait donné de nouveaux vêtements à la mode élinoise. Ils étaient usés et délavés, mais c'était toujours mieux que son kimono blanc, déchiré et taché de sang.
— C'est Lundiva qui t'envoie ?
— Oui. Elle veut que tu descendes.
— Je n'ai pas envie de descendre.
Rena ne dit rien de plus. Elle se contenta de serrer ses genoux contre elle, le regard perdu dans l'horizon. Tous les orphelins avaient cet air-là la première fois qu'ils arrivaient ici. La petite fille semblait avoir passé des moments plus difficiles que la plupart, ce qui inquiétait un peu le vampire. La yôkai tourna la tête vers lui en lorgnant sa miche de pain que Nevra rompit en souriant, attendrit par son appétit vorace. Il tendit la moitié de sa miche à la petite fille qui s’en saisit avec prudence en le remerciant d’un signe de tête.
— T'as quel âge ? lui demanda-t-il en la dévisageant avec une curiosité non déguisée.
— Neuf ans, fit la fillette, la bouche à moitié pleine.
— J'ai un an de plus que toi, ça veut dire que je suis ton grand frère et que tu dois faire tout ce que je te dis ! exulta-t-il, tout sourire, en lui ébouriffant les cheveux.
— Tu es plus petit que moi.
— C'est parce que je n'ai pas fini de grandir ! répliqua Nevra vexé. Tu verras, bientôt je serai super grand et fort alors que toi, tu resteras petite pour toujours !
Il pinça gentiment ses joues rondes pour la punir de son effronterie. Rena se laissa mollement faire sans broncher. Elle était étrangement inexpressive. On aurait dit une poupée de son inarticulée entre les mains d’un garçon turbulent. Le vampire ne se l'avouait qu'à moitié, mais il était content d'avoir trouvé une petite sœur aussi mignonne. De tous les orphelins qu'il côtoyait quotidiennement, elle était déjà devenue sa préférée.
Chapitre assez intéressant, même si je me demande quand-est-ce qu'on retournera à l'histoire principale. J'imagine bien que le grand méchant pas très gentil peut arriver dans ce tome. Après tout, il est le cousin présumé de la mort de Rena.
Sinon je me demande bien pourquoi les gardien étaient prêt à tuer Rena. J'imagine qu'elle a dû tuer un gardien vraiment pas nette pour se défendre et ses potes l'ont poursuivit. Du coup elle les as trucidés aussi.
Je ne m'attendais à voit Rena buter des gens de sang froid alors qu'elle est si jeune. D'ailleurs les nobles vampiriques semblent être des gros élitistes eugéniste fascinés par la pureté du sang. Un truc bien horrible mais bien réaliste.
Leurs univers est vraiment archaïque niveau droit social. Travail des enfants, abandon des orphelins de guerre, violence policière sur des enfa
Sinon j'ai bien envie d'avoir la suite de leurs flash back, mais aussi d'avoir la suite de l'histoire laissé en suspens.
Pas tous les nobles vampires, c'est surtout le grand-père de Nevra qui est un peu extrême. x)
Le concept d'enfance / adolescence existe pas vraiment chez eux du fait que ce sont des créatures magiques qui ont un développement psychologique, physique et surtout magique différent des humains. Ils évoluent pas pareil, ni à la même vitesse, et deviennent matures beaucoup plus vite. C'est pour ça la majorité chez eux, c'est 15 ans, c'est la fin de ce qu'ils appellent l'âge de la Tendresse. Jusque-là ils grandissent au même rythme que les humains, et après ça, ils entre dans l'âge de la Paresse, la croissance physique ralentit, pour permettre à la maturité émotionnelle, mentale et magique de se développer.
Donc à partir de 15 ans, ils peuvent commencer à travailler.
Et la violence policière, là c'est juste trois mecs isolés qui agissent de leur propre chef, donc c'est pas la faute de l'institution en elle-même, mais de quelques mauvaises graines seulement. x) Leur monde est pas parfait, mais les problèmes sont liés aux individus, et non pas au système. Leur but c'est d'éviter des guerres et des grosses catastrophes, après ils peuvent pas contrôler les déviances des individus, à moins de devenir une dictature extrême, et de priver les gens de liberté et de vie privée, ce qui serait pas mieux en vrai. x)
Alors juste pour prévenir mais tout le T3 c'est que l'arc du passé, donc l'histoire en suspense ne revient qu'au T4, va falloir s'accrocher, faut vraiment lire ça comme une histoire à part entière. Mais ça met en lumière beaucoup de choses concernant l'univers, les personnages et les bases du scénario.
Merci pour ton commentaire. As-tu lu les tomes 1 (La Chute) et 2 (L'Ancien Monde) avant de commencer celui-ci ?
Ce n'est pas une histoire horrifique, on est dans un univers de fantasy axé plutôt romance/aventure, et les vampires dans mon monde ont des caractéristiques très différentes de celles qu'on leur connaît habituellement. C'est une race de créature surnaturelle comme une autre, qui peut a parfois mauvaise réputation, mais dont les individus ne sont pas tous foncièrement mauvais.
L'histoire est beaucoup tournée vers l'action, il faut en général du temps pour accrocher aux personnages, mais comme je ne sais pas si tu as tout lu ou pas, ou si tu n'as lu que ce chapitre, c'est difficile pour moi de te répondre.
Puis ça dépend ce que tu entends par "accrocher" aux personnages. Je ne suis pas très sensible non plus, je ne me sens pas facilement touchée par ce qui arrive aux personnages, mais je peux apprécier leur personnalité, leur façon d'agir, ou les trouver intéressants pour d'autres raisons.
Tu me diras du coup, mais comme tu peux le constater, c'est une histoire assez longue qui se déroule sur plusieurs tomes, donc les personnages ont un développement assez lent au fil des intrigues et des chapitres. ^^
J'ai un peu la sensation que Rena a peut-être tué ses parents à cause de son don. Ca m'étonnerait pas : elle vient de tuer plusieurs gardiens sans même s'en rendre compte ! C'est assez dingue de la voir comme ça finalement, parce que même si la Rena du présent ne maîtrise pas totalement ses pouvoirs, elle ne tue pas comme ça. Et ça expliquerait aussi pourquoi les gardiens voulaient emprisonner Rena (voire la tabasser, aussi) ; ils avaient vraiment peur d'elle (et à raison).
Par contre, trop chou le p'tit Nevra qui se bat contre les Ombres ! J'imagine la scène d'une manière ultra drôle ahah : un gamin, sans arme, contre des élites... Il a de la chance de pas y être passé !
C'est quand même assez drôle, l'ironie de ce début de vie pour les deux protagonistes : ils commencent par défier la garde d'Ombre (et à tuer des membres de cette garde),, pour plus tard devenir les dirigeants de la garde d'Ombre. Le destin fait bien les choses ahah !
Ludinva me paraît trop gentille pour survivre bien longtemps ;-;-;-; j'espère me tromper !
Très mignon, en tout cas, ce début de tome 3 ! Nevra et Rena sont choupis, Ludinva est déjà un personnage extrêmement appréciable, et je me méfie du grand-père de Nevra... Je serais pas surpris de le voir débarquer un beau jour !
On retrouve bien la promesse d'une histoire passionnante héhé ! Seul bémol : les Rena et Nevra du présent sont quand même dans le mal ahah
Ils sont dans le mal, mais ils vont s'en sortir, ils font juste un gros dodo un peu délirant. x)
Nevra et la garde de l'Ombre, une grande histoire d'amour et de haine. x)
Le scénario fait bien les choses ! x) Mais j'avais envie justement de montrer qu'au final ce n'est pas forcément un choix qui été facile à faire pour eux ou qui s'est imposé de lui-même. Après je veux pas spoiler, mais clairement ce tome montre que pour Rena aussi bien que pour Nevra, ça a été un peu le roller coaster du choix d'orientation. xD
Ben j'espère que tu es bien accroché, parce que tu vas être servi, y a 32 chapitres pour ce tome + l'épilogue, donc on va vraiment bien bien exploré le passé de Rena et Nevra, et tu auras toutes les réponses à tes questions (ou presque). ^^