La forêt s’ouvrait à cet endroit pour révéler une rivière large auréolée de la lumière tendre du soleil. Le cours scintillant ruisselait nonchalamment, survolé par des insectes et des oiseaux affairés dont certains guettaient patiemment les silhouettes argentés des poissons. Le ciel était bleu, intensément bleu, et immensément vide.
Asha s’avança jusqu’à ce que ses pieds effleurent l’onde froide. Elle frissonna, se tendit. Elle la trouvait glacée, presque agressive. Lentement, elle retira ses vêtements raidis par le sang séché. La cape de Lohan se détacha difficilement de son torse, elle était en lambeaux. Quant à la robe que lui avait prêtée Clervie, irrécupérable. Certains morceaux de tissus se déchirèrent et restèrent accrochés à la peau recouverte d’hémoglobine brune. Asha les retira un à un en grimaçant.
Après avoir jeté la dernière étoffes salie, elle pénétra dans l’eau. Le froid se fit incisif, elle se mit à trembler. Elle attrapa un chiffon et commença à frotter son torse. La friction lui arracha un frisson de douleur. Le sang daigna se détacher de la peau, mais pas sans avoir résisté. Il formait des volutes rougeâtres qui se languissaient en arabesques tortueuses avant d’être emportées par le courant. Un filet sombre semblait suivre la jeune femme, ondulant comme un serpent. Elle frotta encore, ses lèvres se tordirent. Ça faisait mal, terriblement. Pourtant, c’était peu face aux coups de couteau qui avait fait jaillir ce sang. À vrai dire, elle ne gardait qu’un vague souvenir de cette douleur-là, elle avait été trop choquée par le regard fou de son ami, cette haine pure qu’il jetait sur elle, et qui l’avait fait saigner plus sûrement que sa lame. Elle était restée pantelante face à ce sentiment si féroce, si dense, si lourd. Elle avait été incapable de réagir, elle n’avait pas levé les mains pour se défendre. Son corps était devenu une prison et son cœur un condamné à mort.
Pour chasser toute trace de sang de son torse, Asha dut se pencher sur ses cicatrices, les frictionner, les gratter. Il y en avait tant, elle en était couverte. C’était étrange, à chaque résurrection, ses blessures normales disparaissait. La coupure qu’elle s’était faite en taillant une flèche, disparue, la croûte laissée par une branche sur laquelle elle s’était griffée, envolée, les vergetures laissées par son allaitement, évaporées, en tout cas de ce qu’elle pouvait en voir. Mais pas les plaies infligées lors de ses morts. À l’image de la croix qui parait toujours son cou, les coups de poignard demeuraient. Les cicatrices inégales et boursoufflées qu’avaient laissé Conan mouchetaient sa peau d’un rose âcre qui dévorait la vision. Son corps n’était pas seulement marqué, il était englouti, labouré. Asha fut soulagée de constater que son mamelon droit était intacte, elle pourrait nourrir Eryn. L’autre n’avait pas eu cette chance, on peinait à reconnaître un téton dans cet amas de chair tourmentée. Une autre marque masquait le nombril qu’on ne distinguait que par un léger renflement. Chacune était unique dans sa forme. On pouvait presque ressentir le bras fatigué de Conan sur les derniers coups. Asha prit une inspiration difficile, elle se rendit compte qu’elle pleurait. Ses larmes rejoignirent les dernières gouttes de sang séché qui se diluèrent dans la rivière.
Elle posa une main tremblante sur son cou, percevant les reliefs légers de la cicatrices de croix. Puis, elle descendit lentement sa paume, palpant cette chair malmenée. Les creux, les vagues, les endroits fripés, lisses, râpeux se succédaient dans un désordre affolant. La main descendit difficilement jusqu’au bas-ventre où la peau retrouva enfin sa douceur. Ce torse meurtri était bien différent de ses doigts délicats qui semblaient n’avoir jamais travaillé. Quelques jours auparavant, ils étaient calleux et piqués de griffures.
La jeune femme ne réprima pas le sanglot qui lui venait. Elle serra ses bras autour d’elle, tentant de conjurer les images passées comme présentes. Son corps était détruit, creusé jusqu’à son âme. Elle ne s’était jamais préoccupé de son enveloppe charnelle. Elle la trouvait désormais affreuse. Personne ne devait la voir, personne ne devait observer la marque de la haine qui s’étalait sur sa peau.
Elle sursauta. Ses doits enserrèrent ses épaules jusqu’à les griffer.
— Lohan ! cria-t-elle.
Elle avait voulu paraitre assurée, mais sa voix s’était déchirée comme le tissu de ses vêtements souillés. Elle se mordit les lèvres.
Elle n’eut pas à attendre longtemps avant que Lohan n’accourt. Elle était dos à la rive, dos à lui, mais elle perçut nettement le temps d’arrêt qui le traversa en la voyant nue. Elle avait prévenu qu’elle allait se laver, mais il ne s’attendait sans doute pas à ce qu’elle l’appelle alors qu’elle ne s’était pas encore rhabillée.
— Il y a un problème ? lança-t-il, inquiet.
— Lohan, je vais te demander quelque chose.
— Oui ?
— Ne bouge pas, et regarde-moi.
Elle se retourna lentement, dévoilant entre ses épaules contractée sa poitrine honteuse. Lohan eut un mouvement de recul, ses yeux cherchèrent la fuite.
— Mais pourq…
— Lohan, regarde-moi ! Fais-le pour moi. S’il te plaît.
Il se tendit, se pinça les lèvres. Il obéit néanmoins, les paupières plissés et les poings serrés. Son regard la brûla aussi sûrement qu’un brasier. Ses cicatrices semblèrent rougirent, gonfler, se consumer. Ses pleurs redoublèrent, mais elle resta immobile. Elle devait affronter, sinon elle ne se relèverait pas. Elle devait affronter.
Lohan avait le visage congestionné. Cette vision semblait être une réelle souffrance pour lui. Elle eut envie de mettre fin à son calvaire, mais se remémora les évènements des jours précédents. C’était lui qui l’avait abandonnée aux mains de Conan. Elle parvint à chasser son empathie. Elle se concentra uniquement sur la brûlure qui cisaillait sa peau. Son cœur pulsait violemment dans ses tempes, des larmes acides dévalaient ses joues, et ses lèvres compressés commençaient à saigner. Alors qu’un goût ferreux envahissait sa bouche, Asha sentit la douleur dans son torse décroître peu à peu. Le regard porté sur elle se fit moins incandescent, sa peau moins sensible. Lohan avait accepté cette vision inacceptable.
Elle finit par pousser un soupir saccadé.
— Merci. Merci pour ton aide. Tu peux arrêter maintenant.
Il hocha raidement la tête, semblant renoncer à sa question. Il déposa sa nouvelle cape pour qu’elle puisse se confectionner des vêtements de fortune et retourna au campement. Heureusement, la saison chaude naissante permettait une tenue plus légère.
Asha émergea de l’onde sous la caresse douce du soleil. Les perles d’eau sur son torse scintillaient comme de petites étoiles, l’habillant d’une beauté incongrue. Les larmes de la jeune femme disparurent. Elle étendit les bras pour embrasser pleinement les rayons solaires. Elle accueillit leur chaleur avec délice. Ils n’effaçaient pas ses cicatrices, mais ils les nimbaient de lumière.
*
Aelig était là, entre les volutes de brume. Ses cheveux s’écoulaient librement sur ses épaules. Les courbes parfaites de son corps musclé se déroulaient avec la même nonchalance. Sa main légère effleurait la joue de Daïré, éprise d’une douceur infinie.
Aelig était là, elle en était persuadé. Elle accueillait ses caresses avec déférence. Elle aurait aimé que cet instant irréel ne s’arrête jamais, mais bientôt le brouillard de l’inconscience fut chassé, révélant une réalité tranchante. Daïré grogna, remua, ouvrit les yeux. Elle eut envie d’hurler.
Aelig n’était plus là.
Le vide béant laissé par son Lien coupé l’attaqua, elle se courba, secouée de sanglot. Elle crut un instant apercevoir la silhouette de la guerrière et se releva brusquement, mais ce n’était qu’une arabesque brumeuse qui se déployait sous le soleil matinal. L’Arsalaï gémit, et leva ses yeux embués vers la canopée découpée de lumière. Elle enfouit la tête dans ses mains.
Où trouva-t-elle la force de se relever ? Elle ne le savait pas. Elle avança, fiévreuse, titubante. Une croûte épaisse recouvrait son torse, sa blessure pulsait sur son épaules. Sa démarche balbutiante la mena vers une clairière qu’elle ne connaissait que trop bien.
Des silhouettes affairées se pressaient autour de corps étendus, plus ou moins remuants. L’air puait le sang et la suie. Au nord, la forêt n’était plus verdoyante, mais charbonneuse. La mort s’y épanouissait dans son insolence cruelle.
— Daïré ! s’exclama Saoirse. Je n’arrivais pas à te trouver.
Elle se précipita sur la blessée pour l’étreindre. Hagarde, cette dernière ne réagit pas.
— Tout ce sang ! Baharn m’a dit que tu avais défié les instructions et combattu !
Ah voilà, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Il fallait toujours qu’elle la gronde.
— Viens t’asseoir que je t’examine !
Daïré obéit mollement, son regard parcourait la clairière semée de blessés ou de cadavres. Saoirse lança quelques ordres à Kaëm qui ne savait visiblement pas quoi faire de son panier de feuilles de soucis.
— Là, doucement, reprit-elle pour sa nièce, laisse-moi voir ça.
Daïré ressentit le touché de sa tante comme une brûlure, elle grimaça.
— Mmmh, ça n’a pas l’air très profond, mais tu as perdu beaucoup de sang. Enfin, tu devrais t’en sortir. Laisse-moi nettoyer ça.
Sa patiente se raidit. Elle avait vu, là-bas, le corps rachitique de Moïa. Paisiblement allongé, elle souriait sous ses paupières closes.
La respiration de Daïré se bloqua. Elle prit violemment conscience d’un autre Lien brisé. Ce vide, en elle, n’était pas seulement celui d’Aelig. Son cœur figé s’emballa sans retenu, les larmes revinrent galoper sur ses joues craquelées. Elle émit un étrange crissement, à mi-chemin entre le sanglot et le gémissement.
Puis elle tomba en arrière.
Plus rien n’avait de sens.
*
Kurtis ouvrit les yeux dans un sursaut douloureux. Le toit de la hutte des Arsalaïs s’étala devant lui, enrobé d’une obscurité ouatée. Il eut immédiatement l’impression de se trouver au bord d’un précipice. Un puissant vertige le prit, faisant tourner le décor dans un dégradé agressif. Il eut un hoquet alors que la tête de Maig apparaissait au-dessus de lui.
— Kurtis, je suis là, reste avec moi !
Il sentit sa main agripper la sienne et parvint à calmer la valse furieuse de son regard. Néanmoins, quelque part, une faille demeurait.
— Qu’est-ce que… bredouilla-t-il.
— Entre le drainage du Silh par Hênora et le rupture des Liens, tu t’es évanoui, souffla doucement son amie.
L’affreuse soirée qu’il venait de passer lui revint en mémoire aussi violemment qu’un coup de massue. Des larmes acides dévalèrent ses joues.
— Mo… Moïa…
— Moïa est morte, trancha la voix d’Ealys.
Il tourna la tête vers sa silhouette recroquevillée contre le mur. Ses cils humides entouraient des yeux rougeâtre qui fixaient le foyer central avec haine.
— Je savais qu’on aurait dû en finir avec ces humains, siffla-t-elle. On a trop traîné et voilà le résultat.
Prise d’un sanglot, elle enfouit sa tête dans ses bras.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? gémit-elle.
Kurtis savait où était le vide. En lui. On avait creusé son cœur à la hache.
Maig le couvait d’un air compatissant. Il aperçut un peu plus loin Isbail et Oanell qui somnolaient, serrées l’un contre l’autre. Du reste, la triple hutte des Ardyens était déserte.
— Où… où sont tous les autres ?
— Hênora a commandé une assemblée exceptionnelle pour discuter de ce qu’il s’est passé, expliqua Maig. Apparemment, elle a reçu une prophétie. Tout le monde y est convié. Je n’y suis pas car je suis chargée de veiller sur vous.
Kurtis se redressa, les yeux grands ouverts.
— Une prophétie, c’est-à-dire ?
Son amie haussa les épaules.
— Je n’en sais pas plus.
— Je veux y aller.
Une étincelle d’inquiétude brilla dans les yeux de son interlocutrice.
— Dans ton état ? Mais…
Elle jeta un œil anxieux à Isbail et Oanell.
— Et puis je dois veiller sur vous tous…
— Je vais avec lui, coupa Ealys.
Elle se leva difficilement.
— Il ne va rien nous arriver, t’inquiète, ajouta-t-elle.
Ses iris acérées étaient partiellement masquées par ses mèches désordonnées, mais cela n’empêcha pas Kurtis de sentir son cœur se serrer lorsqu’il croisa son regard. Une tristesse abyssale l’envahit, il dut fournir un effort immense pour se mettre debout à son tour.
— Oui, c’est bon, je vais mieux. Enfin, physiquement.
— D’accord, souffla Maig. Vous me raconterez ?
Ils hochèrent la tête et se dirigèrent vers le rideau de fourrure qui barrait l’entrée de la hutte.
L’air extérieur sembla glacé, Kurtis eut l’impression que ses larmes se cristallisaient sur ses joues. Pourtant, la saison chaude battait son plein. Le paysage de la plaine était baigné dans une brume bleuâtre et incisive qui empêchait de voir à quelques pas. Néanmoins ils n’eurent aucun mal à se diriger : la concentration étonnante d’âmes en direction de la prairie aux poulains les guidaient dans cette pénombre cotonneuse.
Alors qu’il marchait d’un pas lourd, Ealys attrapa la main de son frère et la pressa. Une vibration douce le traversa, il lui offrit un pâle sourire.
La prairie avait totalement disparue sous les corps et les vêtements de plusieurs milliers de Sylviens. Malgré la foule, un silence presque parfait régnait. Tous les yeux étaient fixés sur la haute silhouette d’Hênora qui se dressait au sommet d’une bute. Cette dernière paraissait aussi impassible qu’à l’ordinaire, mais une légère flexion de son genou droit indiqua à Kurtis qu’elle peinait à se maintenir debout. Après l’extraordinaire miracle qu’elle avait créé, cela n’avait rien d’étonnant. Il ne lui serait jamais assez reconnaissant pour toute l’aide qu’elle avait apportée à sa tribu.
— … par la suite les humains ont pris la fuite vers le nord… détaillait-t-elle comme si elle avait assisté personnellement à la scène.
La foule se scinda à leur approche, sans doute reconnaissait-on leur bracelet tribal. Kurtis pressa le pas malgré ses vertiges pour atteindre le premier rang sous la corniche, composé d’Arsalaïs, de chefs Hekaours et de Laevis. Il se glissa jusqu’à Keira qui l’étreignit brièvement, les jambes flageolantes. Elle était en compagnie d’un Rauraque sur lequel elle s’appuyait, curieusement Oèn se trouvait beaucoup plus loin, en compagnie d’Aïfé. Autre chose étrange, le jeune garçon ne voyait pas son père, et il eut beau se concentrer, il ne sentit même pas sa présence aux alentours.
Il n’eut pas le temps de s’en préoccuper, Hênora se tut soudain. Son regard d’acier tomba sur lui sans qu’il ne sache pourquoi. La pression qu’elle faisait peser sur ses épaules lui arracha un frisson peu rassuré.
— Voici le résumé des évènements, continua-t-elle néanmoins en détournant les yeux. Au total, soixante-trois guerriers ont perdus la vie, soit environ la moitié des effectifs. L’autre perte à déplorer est bien sûr celle de la moïa de la tribu, Mosha. La cérémonie de succession se déroulera dans les prochains jours, la tribu n’ayant pas le temps d’attendre le retour de ceux qui nous ont rejoins.
Kurtis le ressentait aussi sûrement qu’un bras tranché, mais l’entendre dire de la bouche d’Hênora lui asséna un nouveau coup. Moïa n’était plus. Sa vision fut de nouveau embourbée de larmes.
— La Frontière entourant Munüt a malheureusement été gravement altérée par le passage de nombreux Maudits. Ça et le fait que ces humains semblent pouvoir la franchir sans risque et connaissent la route qui mène au camp, il est sans doute nécessaire que les Laevis quittent leur terres.
Un brouhaha s’empara de la foule. Kurtis, lui, avait surtout l’impression que son cœur s’était arrêté. Il chancela et fut rattrapé par le Rauraque qui accompagnait Keira. Cette dernière fixait Hênora d’un air atterré, il ne l’avait jamais vu si livide. La main d’Ealys, quant à elle, s’était crispée jusqu’à lui broyer les doigts.
La voix d’Hênora résonna par-dessus les exclamations qui se turent presque aussitôt.
— Les Laevis ont bien sûr leur place à Caracal s’ils veulent rester ensembles. Si certains préfèrent rester au plus proches de leur terre natale, les tribus des Reïs, des Salyens, des Adanates et des Astures peuvent en accueillirent chacune quelques dizaines. Dans tous les cas, la décision finale du départ reviendra à la nouvelle moïa.
La foule était figée, comme emprisonnée dans une glace acide. En particuliers le premiers rangs qui lançaient leur regard comme des appels à l’aide. Hênora prit une profonde inspiration avant de reprendre.
— Mais ce n’est pas tout. Je dois m’entretenir avec vous d’un autre sujet ô combien important. Depuis quelques temps, une menace au sud, nous guette. Il s’agit du Pilier.
Kurtis vit des sourcils circonspect se froncer tout autour de lui. Le Pilier. Seuls les Arsalaïs étaient censés connaître son existence.
— Le Pilier est un autel religieux à la gloire d’Aktzal.
À l’évocation de ce nom, l’assemblée s’ébroua. Kurtis vi Keira porter la main à sa bouche, les yeux écarquillés.
— Il date de l’époque où Aktzatii régnait et détruisait les nôtres. Il est recouvert de runes tetza qui explique la création du monde par Aktzal. Il représente une preuve de l’existence de cette religion, aussi les rebelles humains ont pour projet de recopier ses écritures et de les déchiffrer. Cela pourrait marquer le début du chaos.
Elle laissa filer quelques secondes pour que l’assistance choquée puisse digérer la nouvelle.
— Il est donc impératif que nous trouvions et détruisions le Pilier, reprit-elle d’une voix plus forte. Nous devrons pour cela traverser le Voile, c’est pourquoi nous ne pouvons envoyer que des guerriers favoris des Esprits. J’ai ainsi choisi les sept vainqueurs des Jeux comme nouvel espoir de notre peuple.
Kurtis se tourna vers sa sœur alors qu’un puissant murmure se répandait dans les rangs.
— De la tribu des Unelles, Gala du Tétras-Lyre.
Une jeune femme aux bras épais s’avança timidement.
— De la tribu des Orobiens, Haul du Varan.
Le désigné s’approcha, Kurtis le reconnut à son crâne rasé typique de sa tribu.
— De la tribu des Ambiens, Calybrid du Thalassin.
Kurtis sursauta quand l’intéressée l’effleura avec sa crinière bouclée pour rejoindre ses camarades.
— De la tribu des Ardyens, Cadfael du Condor.
Un jeune homme s’avança, le menton haut. Il portait sur lui plus de parures que Kurtis ne pouvait en compter.
— De la tribu des Rauraques, Rhun du Coyote.
Le compagnon de Keira se plaça près des autre vainqueurs.
— De la tribu des Adanates, Idris du Fossa.
La seconde marcha d’un pas raide jusque’à la corniche, ses muscles jouaient sous chaque parcelle de sa peau.
— De la tribu des Laevis, Keira de la Panthère Noire, Grande Cavalière.
Cette dernière fit quelques pas en avant, solennelle bien que bouleversée. Son jeune frère déglutit difficilement quand il remarqua qu’elle luttait pour ne pas montrer ses tremblements.
— Ils seront guidés par une personne qui s’est déjà rendue dans le sud : Mádha du Ratel, de la tribu des Rauraques.
La désignée se raidit, bien visible sur les épaules de son céil, Andraz, à quelques pas de Kurtis. Elle était exactement comme les rumeurs la décrivait : aussi petite qu’une enfant, légèrement difforme. Et au moins aussi musclée qu’Idris. Le jeune Arsalaï savait qu’elle avait failli remporter le titre de Grand Cavalier à la place d’Aedan, quatorze ans auparavant. Une ancienne vainqueure des Jeux, elle aussi.
Mais elle ne semblait pas se réjouir de la nouvelle.
— Je serai le guide, plutôt, fit la voix puissante d’Andraz.
Hênora ne manifesta pas la moindre émotion.
— Tu as pourtant des responsabilités de chef, objecta-t-elle posément.
— Que ma femme pourra très bien remplir à ma place, répondit-il sur le même ton.
— Bien sûr, souffla l’Élue comme si elle venait de se rappeler de quelque chose.
Mádha laissa filer un soupir de soulagement.
— Il faudra aussi une Arsalaï, continua la moïa des Ardyens.
— Moi ! cria une voix.
Kurtis se retourna vivement vers sa sœur.
Ealys, malgré ses cheveux emmêlés, ses yeux bouffis et les larmes qui séchaient à peine sur ses joues, s’approcha dignement de la corniche.
— Mon pouvoir est idéal pour ce genre de voyage.
Aussitôt, elle frotta son visage à l’endroit où se trouvait la marque de son totem. Puis elle joignit ses mains qu’elle ouvrit d’un coup. Un papillon aux ailes irisées en sortit et voleta jusqu’à Hênora dans un silence attentif. Cette dernière tendit sa paume sur laquelle il se posa. Elle le scruta de son regard intense.
— Je vois, dit-elle en refermant brusquement son poing, faisant sursauter Kurtis.
Lorsqu’elle le rouvrit, tous virent qu’un tatouage de papillon, pareil à celui qui ornait la joue d’Ealys, y était apposé.
— Vous partirez dans trois jours à l’aub…
— Attendez !
L’assemblée eut comme un sursaut, tous les regards convergèrent vers la ridicule silhouette qui avait osé couper la parole à l’Élue. Kurtis pâlit en reconnaissant Oèn.
— Je veux faire partie de l’expédition ! clama-t-il malgré ses appuis incertains.
Hênora resta muette quelques instants. Elle le disséqua de ses prunelles pâles, il sembla fournir un effort monstrueux pour rester debout.
— C’est d’accord, déclara-t-elle finalement.
Un silence interrogateur suivit pesamment le jeune homme qui rejoignit le groupe.
— Vous partirez dans trois jours à l’aube, accompagnés d’une expédition de secours des Laevis.
Ils hochèrent la tête, l’air déterminé.
La silhouette rigide d’Hênora parut s’affaisser légèrement. Elle ferma brièvement les yeux. Lorsque ses paupières s’écartèrent, elles révélèrent des iris à la fois mélancoliques et tranchants, déchirant son masque d’impassibilité.
— Vous l’aurez compris, je pense, mais désormais il va falloir vaincre. Car nous sommes en guerre pour la première fois depuis mille ans.
L’assistance reçut comme un coup. Kurtis sentit de nouveaux les larmes couler.
Cette annonce sonnait comme la fin de son monde. Elle l’était probablement.
*
La salle résonnait de murmures et de commérages empressés. Elle s’étirait toute en longueur, exhibant ses colonnades de marbre blanc agrémentées d’or, jusqu’au TriTrône. Ce triangle d’ivoire et de métal précieux contenait trois sièges, dont celui, entouré d’une gigantesque auréole, de la Grande Prêtresse. Cette dernière s’épanouissait fièrement dans sa robes aux mille détails solaires, épousant son trône comme si elle ne faisait qu’un avec lui. En bas, à sa droite, l’Artrê Julius s’appuyait nonchalamment sur son accoudoir et observait la foule de hauts prêtres d’un air amusé sous son voile de tissu. Le trône de gauche, lui, était vide.
Les bavardages cessèrent vite lorsqu’il pénétra dans la pièce. Ses habits noirs frappèrent probablement les pupilles fragiles de l’assistance. Sa longue cape ornée du symbole de la Trinité glissa derrière avec un chuintement apréciateur. Il marcha sans un mot jusqu’au TriTrône puis stoppa net face à la volée de marches qui y menait.
La Grande Prêtresse se leva avec une lenteur calculée, il pouvait presque la voir sourire sous son voile doré.
— Mes chers amis, les couleurs que portent l’Artrê Valerius vous semblent peut-être étranges. Peut-être mêmes vous rappellent-elles l’étendard des terroristes qui ébranlent les nobles fondations de notre civilisation. Et justement. Je vous présente celui qui sera chargé d’éradiquer tous ceux qui menacent notre prospérité. Il commandera l’Ordre des Prêtres Noirs et prendra ses fonctions dès demain. Avec l’armée qu’il dirigera, nous pourrons enfin conquérir les hérétiques de Heddish et exterminer les nuisibles rebelles.
Sa dernière syllabe claqua dans l’air rêche et résonna en écho jusqu’au lointain plafond. Valerius se hissa alors jusqu’à son trône tandis que des applaudissements venaient chasser le silence épais de l’annonce. La Grande Prêtresse se rassit, sa satisfaction suintait par tous les pores de sa peau.
Derrière son voile sombre, le nouvel Artrê était le seul qui ne souriait pas.
Je trouve le redémarrage très bon car on va directement dans le vif du sujet.
J’ai vu qu’il n’y avait que 6 chapitres pour l’instant. Je sais déjà que je vais être frustrée de ne pas connaître la fin rapidement.
Et oui il est en cours de publication^^ et d’écriture ! Je poste un nouveau chapitre une fois toutes les deux semaines
La découverte qu'Asha fait de son corps est très touchante et la fin avec le tri trône et les voiles et les nominations est vraiment super intrigante, je suis curieuse d'en découvrir plus, et surtout j'espère que ma mémoire ne m'a pas trop fait oublier de trucs importants pour saisir ce passage
Par rapport à l'expédition, je croise les doigts pour que ça se passe bien haha, juste que j'ai remarqué que y'a beaucoup de personnage regroupés avec plus ou moins le même nom : Kurtis et ses soeurs, ce qui parfois rend le boulot un peu difficile pour le lecteur
En dehors de ça, très bonne reprise !
C'est vrai que ça se ressemble, mais pour ce qui est de ces trois-là, je ne pense pas manger leur nom à ce stade, par contre si tu repères le problème pour d'autres dis moi.
À propos des personnages et des noms n'hésite pas à me dire si tu ne rappelles pas d'un, j'ai du mal à me rendre compte. Il y en a beaucoup et je ne les re-présente pas, du coup je me demande si les lecteurs vont se souvenir de tous (les perso peu développés notamment)
Encore merci, tes com' me font toujours très plaisir