Chapitre 1: Les deux frères

Notes de l’auteur : Histoire en cours de réécriture, n'hésitez pas à me faire parvenir vos retours. Ils me seront très précieux pour remanier et réécrire l'histoire. Bonne lecture !

L’air sifflait dans ses oreilles alors qu’il courait à travers la forêt. Les bourrasques secouaient les branches et lui fouettaient le visage, ralentissant sa course. Guigues sentait son cœur battre à tout rompre et ses muscles lui criaient de s’arrêter . Aucune lumière ne perçait à travers les arbres et l’obscurité le rendait aveugle. Il essaya tant bien que mal d’accélérer, mais à chaque pas, il trébuchait, se cognait, s’écorchait, sur la moindre racine, la moindre pierre, la moindre branche. Petit et chétif, son corps avait déjà atteint sa limite. L’air lui manquait. Son esprit était engourdi par la peur. Ses jambes fonctionnaient seules. Il avait perdu le contrôle de son propre corps et quand il quitta la voûte des arbres pour déboucher dans une clairière, les rayons de lune l’éclairaient comme en plein jour.

L’herbe se couchait sous l’assaut des rafales, mais durant les accalmies, il entendait des cris bestiaux provenant de la forêt. Derrière, l’homme se rapprochait, mais devant lui se dressait une immense falaise. Il était coincé. Il s’arrêta et essaya tant bien que mal de reprendre son souffle. Il entendait toujours plus prés le fracas que l’homme faisait en écrasant les feuillages et les buissons.

Soudain à quelques dizaines de mètres , un homme déboula si vite dans la clairière qu’il heurta un vieil arbre décharné de plein fouet. L’arbre émit un craquement sourd et tomba au sol éventré, mais l’homme ne sembla nullement affecté par le choc. Guigues s’immobilisa, tétanisé, incapable de respirer. L’homme faisait deux mètres de haut et il tournait la tête en tout sens à la recherche de sa proie, tel une bête enragée.

L’espace d’un instant, Guigues pu voir son visage. Ses traits étaient tellement déformés qu’ils n’avaient plus rien d’humain. Une rage animale animait tout son corps, sa peau noire et craquelée semblait nécrosée et pourrie. Sa bouche ensanglantée laissait apparaître d’énormes crocs qui luisaient dans la nuit et de l’écume jaunâtre lui coulait des lèvres. Détraqués, ses yeux étaient injectés de sang et tournoyaient dans leurs orbites. L’estomac de Guigues se souleva. Le regard de l’homme se planta soudain dans le sien. L’homme-bête poussa un rugissement terrible et se lança vers lui à toute vitesse.

Guigues retrouva ses esprits et reprit sa course folle. Il fuyait aussi vite qu’il le pouvait. Son cœur était sur le point d’exploser et l’odeur nauséabonde que dégageait le monstre devenait de plus en plus forte.

À bout de force, sa vison se troubla et il jeta un dernier regard désespéré vers la falaise. Dans sa confusion, il crut apercevoir deux silhouettes noires loin à son sommet. Il plissa les yeux pour mieux voir, mais à ce moment précis, son pied heurta une pierre. Il fût projeté en avant la tête la première et il s’écrasa lourdement au sol. Il fit volte face, mais déjà la gueule du monstre s’ouvrait à un mètre de son visage. A la vue de sa propre mort, Guigues ferma les yeux et poussa un cri strident. Il entendit un gros bruit sourd, puis plus rien.

 

Guigues discernait des voix autour de lui. IL sentit une main se poser sur son cou. Il était encore étourdi mais il entendit quelqu’un tout prés :

- Je crois que c’est une gamine.

Guigues était allongé par terre, et sa tunique était couverte de terre et de transpiration. Une odeur infâme stagnait dans l’air et de nouveau, il fut prit de nausée. Il se redressa d’un bond en se rappelant la course poursuite. Il se trouvait au pied de l’immense falaise, le cadavre de son poursuivant gisait au sol dans une mare de sang noirâtre et nauséabond, coupé en deux horizontalement au niveau de la ceinture. Un jeune garçon se tenait debout à coté du cadavre, un autre était accroupi prés de Guigues et le regardait attentivement. Celui-ci inclina légèrement la tête en guise de salut.

- Bonjour je me nomme Rafael et voici mon frère Reuel, annonça-t-il en faisait un geste de la main vers l’autre garçon.

Hébété, Guigues le fixa sans comprendre puis embrassa la scène du regard en silence.

- Je suis heureux de voir que tu vas bien, ajouta Rafael en souriant. Tu as eu de la chance que nous passions par ici.

Guigues avait perdu l’usage de la parole. Il dégagea ses cheveux blonds qui lui collaient au visage et il examina tour à tour les deux frères. Rafael avait le crâne pratiquement rasé à blanc, on apercevait seulement un duvet de cheveux blonds sur sa tête . Il avait de grands yeux noisettes et un sourire qui découvrait des dents blanches et bien alignées. De toute évidence, Reuel était le frère jumeau de Rafael. Ils avaient les même yeux et se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, mais, contrairement à Rafael, Reuel avait de longs cheveux bouclés qui lui arrivaient aux épaules. Une cicatrice parcourait sa joue droite, ajoutant à la dureté de ses traits. Impassible, il fixait le cadavre au sol sans faire attention à lui. Il portait une longue épée au côté dont le manche semblait fait de racines. Guigues compris que c’était précisément cette épée qui avait tranché l’homme-bête en deux. Il resta bouche bée. Il n’arrivait pas à détacher attention de Reuel et de son visage abîmé. Il éprouva tout de suite une grande peur à son égard.

Reuel s’aperçut que Guigues le dévisageait d’un air stupide. Il fronça les sourcils et lança un regard interrogateur à son frère.

- Elle s’est probablement cognée la tête, le rassura Rafael. Petite, te souviens-tu avoir été poursuivie par cet homme ? demanda Rafael en indiquant le cadavre.

Les yeux de Guigues étincelèrent, furieux. Bien souvent, on l’avait pris pour une fille à cause de sa petite taille et de son corps frêle. Ses frères lui avaient même donné tous un tas de sobriquet pour le lui rappeler, ce qui le mettait hors de lui. Tremblant de rage, il sentit le rouge lui monter aux joues.

- J’ai dix-sept ans et je suis un garçon, vociféra-t-il. Puis d’abord d’où vous sortez vous deux ? Je vous ai jamais vus dans le coin.

- Milles excuses, répondit précipitamment Rafael. Nous traversons le pays à la recherche d’informations sur une épidémie qui décime la population, expliqua Rafael.

Guigues était de plus en plus méfiant mais il écoutât sans rien dire.

- L’homme qui te poursuivait était de toute évidence atteint par cette maladie qu’on appelle la Rage noire. Connaissais tu cet homme mon ami ?demanda Rafael en souriant comme pour l’encourager.

- Un peu que je le connais , mais je suis pas ton ami, rétorqua Guigues irrité.

- Voilà une drôle de façon de répondre à ceux qui viennent de te sauver la vie, intervint Reuel d’un ton calme. N’as-tu donc aucune éducation ou es-tu simplement aussi stupide que tu en as l’air ?

Guigues bouillonnait. Il regarda Reuel droit dans les yeux, des pulsions meurtrières l’animaient, il aurait voulu le rouer de coup, lui sauter à la gorge et lui arracher la langue pour lui faire ravaler ses paroles. Il était partagé entre la haine qui le dévorait et la peur viscérale que lui inspirait Reuel.

La peur l’emporta. Guigues fit un gros effort pour mettre sa fierté de côté et raconta toute l’histoire les dents serrées :

- Moi c’est Guigues et le gars là c’est Edmond. C’est un paysan de mon village. Ça faisait plusieurs jours qu’il était malade comme un chien. Cet idiot s’est changé en monstre en plein milieu du village et il s’est mit à me courir après.

- Je vois, marmonna Rafael les yeux dans le vague. Sais-tu s’il vivait avec d’autres personnes ? Sais-tu si d’autres personnes se sont transformées dans ton village ?

- Pour le village j’en sais rien, répondit Guigues. Par contre lui, il vivait dans une ferme avec toute sa famille.

- Ils vont forcément être contaminés par la Rage noire eux aussi, déclara Reuel.

- Et leur transformation pourrait vite conduire à un carnage, ajouta Rafael dans un murmure.

- Qu’est-ce que vous en savez, de toute façon? Questionna vivement Guigues.

- Nous en savons pas mal sur cette maladie, révéla Rafael d’un ton grave. Heureusement nous savons aussi comment la guérir. Conduis nous vite à ton village, il n’est peut être pas trop tard.

Guigues avait du mal à croire ce que ces deux garçons racontaient. Mais, comme tout le monde, il avait déjà entendu parler de la Rage noire et il savait que son village était en danger. Il pensa à son ami Jean qui se trouvait la bas en ce moment-même. Il était l’une des rares personnes qu’il aimait réellement en ce monde, il ne pouvait pas prendre le risque de le perdre.

- Hum ça craint , grommela-t-il. Suivez moi !

 

Ils marchèrent une demi-heure dans la forêt d’un pas vif, Guigues en tête essayait de retrouver son chemin dans l’obscurité. Les deux frères le suivaient de près en silence. Rafael avait l’air fatigué, à moitié endormi, il baillait à s’en décrocher la mâchoire à intervalle régulier.

Imperturbable, Reuel ne semblait pas ressentir la fatigue. Il suivait Guigues sans broncher et celui-ci sentait son regard dans son dos. Guigues frissonna en imaginant les yeux de Reuel épiant ses moindre faits et gestes. La forêt autour d’eux se clairsema et quand il trouvèrent enfin le chemin menant au village, la nuit était déjà bien avancée. Ils le suivirent jusqu’à l’aube et peu après Guigues aperçût le clocher de l’église dans la lumière du matin. Les arbres devenaient de plus en plus rare à mesure que le chemin s’élargissait et bientôt, ils virent les premières masures.

Le village d’Oulmes comptait une trentaines de maisons faites de bois avec des potagers, entourées par des champs. La plupart des habitants étaient des paysans qui vivaient pauvrement du labeur qu’ils effectuaient du matin au soir. D’habitude à cette heure ci les villageois travaillaient déjà aux récoltes, la faux à la main, mais ce matin-là on entendait seulement le murmure de la rivière qui bordait le village. Tout était désert. Aucune lumière n’apparaissait par les fenêtres des maisons et il régnait un silence de mort.

Guigues sentit tout de suite que quelque chose n’allait pas et il se mit à trembler en pensant à ce qui avait bien pu arriver.

- Vite, pressa Guigues. Faut aller à l’église trouver mon ami Jean, c’est un clerc du village, il doit être au courant.

Ils traversèrent le village à pas prudent en guettant le moindre signe de vie mais ils ne rencontrèrent que quelques poules qui picoraient paresseusement.

- Il n’y a aucune trace de combat, dit Rafael, qui se voulait rassurant.

L’église se trouvait sur la place du village et était le seul bâtiment de pierre. L’imposant édifice trônait au milieu du hameau en projetant son ombre sur le toit des chaumières alentours. Guigues reconnut son ami Jean affalé sur le perron, la tête entre les mains. Jean portait une soutane noir avec des sandales de cuirs. Il avait les cheveux bruns et coupés courts, ce qui était inhabituel pour les gens de la région qui avaient souvent les cheveux blonds ou roux. Ses grand yeux d’un bleu pâle s’accordaient parfaitement avec sa peau très blanche et les taches de rousseurs dont son visage était couvert. Jean semblait exténué. Le regard perdu dans le vide, il ne les vit même pas arriver.

- Jean , cria Guigues en courant le rejoindre.

- Guigues! C’est toi ! Dieu merci, s’écria Jean et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. J’ai bien cru que tu étais mort, comment a tu fais pour échapper à ce monstre ?

- Ces types m’ont aidé, répondit Guigues en désignant Rafael et Reuel.

- Sauvé serait plus exacte, précisa froidement Reuel.

- Je suis Rafael et voici mon frère Reuel, se présenta Rafael. Enchanté de faire ta connaissance.

- Moi de même, lui répondit Jean en souriant. Heureusement que vous étiez là, je vous remercie infiniment d’avoir sauvé Guigues, j’ai bien cru c’était fini.

Reuel lança un regard en coin à Guigues avec un sourire satisfait, lequel ne put s’empêcher de grimacer.

- Guigues nous a dit qu’il connaissait l’homme qui le poursuivait, reprit Rafael. Il est fort probable qu’il ai contaminé toute sa famille. Nous devons à tout prix la retrouver avant qu’il ne soit trop tard.

Jean se rembrunit, il avait l’air grave et la douleur se lisait sur son visage.

- Nous connaissions tous le vieux Edmond, dit Jean effaré. Mais pour sa famille je crains qu’il ne soit déjà trop tard. Faute de mieux, nous les avons enfermés dans l’église et quand nous les avons laissés, ils étaient tous brûlants de fièvre et des marques noires apparaissaient déjà sur leurs corps.

Jean se tourna vers la porte de l’église, des larmes roulant sur ses joues.

- Les villageois m’ont aidé à les installer à l’intérieur et nous avons barricadé la porte. Depuis je monte la garde pendant que tout le monde se repose. J’ai prié toute la nuit pour leur salut, se lamenta-t-il.

- S’ils ne sont pas encore transformés, nous pouvons encore les sauver, déclara Rafael.

- Mais comment ? demanda Jean d’une voix désespérée.

- J’ai le pouvoir de guérir les gens de cette maladie et je vais vous le prouver, affirma Rafael d’un ton résolu. Reuel ouvre la porte s’il te plaît !

Reuel acquiesça et s’avança vers la grande porte en bois massif. Les villageois avaient entassés d’énormes troncs d’arbres destinés à la découpe devant la porte pour empêcher les contaminés de sortir de l’église en cas de transformation.

- Mais il a fallu tout le village pour la condamner, tout seul il ne pourra…

Avant que Jean n’ai put terminer sa phrase, Reuel s’était déjà mis au travail. Il soulevait les troncs et les balançait sur le coté comme si de rien n’était. Abasourdis, Guigues et Jean échangèrent un regard. Pour Reuel les énormes rondins de bois avaient l’air de simples branches.

- Comment-est ce possible ? balbutia Jean.

- Mon frère n’est pas comme les autres, il a une force exceptionnelle, expliqua Rafael d’un air amusé.

- C’est un foutu monstre, marmonna Guigues dans sa barbe.

Même s’il savait que Reuel était capable de couper un homme en deux d’un simple coup d’épée, cette démonstration de force renforçait la peur que Guigues éprouvait à son égard. En deux temps trois mouvements, la porte fut débarrassée et Reuel brisa à mains nues les chaînes en fer fixées aux poignées.

- Je vais vous demander de rester ici et de ne laisser personne enter, leur demanda Rafael. Ne vous inquiétez pas tout se passera bien, ajouta-t-il en voyant leurs mines angoissées.

- Je vais prier pour vous, souffla Jean en s’agenouillant.

- Pas la peine, Reuel est avec moi, l’apaisa Rafael en le relevant doucement par l’épaule.

Alors, Reuel dégaina son épée, ouvrit la porte puis entra suivit de Rafael et la porte se referma dans un grincement lugubre.

 

Guigues et Jean demeurèrent assis longtemps sur les grandes marches de pierre, trop fatigués pour parler et Guigues crût même voir Jean piquer du nez. Le jour était maintenant tout à fait levé mais le village restait désert, seul le gazouillis des oiseaux parvenait à ses oreilles. Songeur, il se demandât comment il avait bien pu faire confiance à ces deux inconnus sortis de nulle part et en particulier à ce monstre de Reuel. Guigues ne pouvait s’empêcher de le voir comme un prédateur mortel et de se voir lui-même comme sa proie. Cette pensée lui glaça le sang.

Des bruits de pas le tirèrent de ces pensées macabres et son cœur fit un bond quand il vit Lucie apparaître au coin de l’église. Guigues la contemplât dans toute sa beauté alors qu’elle s’avançait dans sa robe de lin. Sa simple vision lui faisait perdre tout ses moyens. Depuis l’enfance, il avait admiré Lucie, mais avec l’âge cette admiration s’était transformée en une passion dévorante qui le prenait aux tripes à chaque fois qu’il la voyait. Grande et musclée, son corps était celui d’une athlète et sa peau avait brunie à force de travailler aux champs toute la journée. Elle avait de grands yeux marrons clairs et de longs cheveux bouclés de la même couleur qu’elle couvrait le plus souvent sous une coiffe blanche.

Comme la plupart du temps, elle était accompagnée de Roland. Ils se considéraient l’un et l’autre comme de véritables frères et sœurs alors qu’ils ne partageaient pas le même sang. Roland avait les joues roses et dodues, un visage rond et la gentillesse émanait de ses yeux verts clairs. Il avait des cheveux mi-longs tirant sur le roux, comme beaucoup de gens du coin.

Les nouveaux venus coururent rejoindre Guigues dés qu’ils l’aperçurent et lui posèrent mille questions. Il du leur demander de parler moins fort pour laisser Jean dormir un peu, puis, à voix basse, leur raconta que deux garçons lui étaient venus en aide et qu’ils étaient actuellement à l’intérieur pour tenter de sauver les malades.

- Donc si j’ai bien compris, ils sont capables de stopper la Rage noire, résuma Lucie pleine d’espoir.

- C’est ce qu’ils racontent, rectifia Guigues d’un ton sceptique. Je le croirai quand je le verrai.

- Ce Reuel à tout de même l’air extraordinaire, commenta Roland impressionné.

- Oui et c’est en particulier de lui que je me méfie, avoua Guigues avec un rictus de dégoût.

Dans un sursaut, Jean se réveilla et s’étira, tout endormi :

- Si jamais ils parviennent à sauver la famille du vieil Edmond, c’est un miracle.

- Ou alors, ce sont des démons capables de sorcellerie et ils se moquent de nous, supposa Guigues plus méfiant que jamais.

- Guigues a raison, le soutint Roland. Comment savoir qui ils sont vraiment ?

- Pouvons-nous leur faire confiance, ajouta Lucie en tournant son regard vers Jean.

- Je ne sais pas, répondit Jean hésitant. Pour l’heure il faut prier et espérer qu’ils réussissent.

Cela faisait maintenant plus de deux heures que les deux frères étaient enfermés dans l’église et on n’entendait toujours pas le moindre son provenant de l’intérieur. Les villageois maintenant éveillés, s’étaient rassemblés devant les marches du bâtiment où Jean, Lucie et Roland essayaient tant bien que mal de leur expliquer la situation et de les empêcher d’entrer. Les gens du village aimaient particulièrement Jean et avaient un profond respect pour son rôle de clerc, c’est pourquoi il décidèrent de l’écouter et de prendre leur mal en patience.

Tout le village était présent sur la place , les hommes discutaient entre eux à voix basses en jetant des regards vers l’église, les femmes avaient amené des chaises et tricotaient en bavardant, les petits couraient autour d’elles et s’accrochaient à leurs jupons. Par petit groupes les jeunes débattaient à vive voix sur la possible réussite des deux frères. L’excitation était palpable sur la place et l’atmosphère était électrique, tendue. Personne n’était parti travailler, tout le monde attendait avec impatience devant l’église pour connaître le sort de leur camarades.

C’est dans toute cette agitation que la porte s’ouvrit sans que personne ne le remarque. Reuel franchit l’ouverture. Il soutenait son frère, un bras sous son épaule pour l’aider à marcher. Rafael était blanc comme un linge et il avait l’air souffrant. Ses yeux étaient mi-clos, si bien qu’on ne pouvait dire s’il était conscient ou non. Le silence se fit sur la place et tous les regards se braquèrent sur Reuel et Rafael. Les villageois retenaient leur souffle.

- Sont-ils guéris ? Demanda quelqu’un d’une voix forte.

Reuel s’immobilisa devant les marches, son frère titubant à ses cotés.

- Ils sont tous hors de danger, déclara-t-il. Mon frère les a guéris mais ils sont encore très faibles, il leur faudra plusieurs jours pour se remettre.

A ces mots les villageois se précipitèrent dans l’église d’où bientôt des cris de joie s’élevèrent. Les retrouvailles battaient leur plein, on entendait de nombreuses voix pleines d’espoir, des rires et des pleurs provenant de l’intérieur. Guigues, Jean, Lucie et Roland se précipitèrent vers les deux frères. Reuel assis Rafael dans la terre, le dos calé contre le mur de l’église.

- Que lui arrive-t-il ? S’enquit Jean, inquiet.

- Mon frère a la santé fragile, répondit Reuel. Il lui arrive souvent de se sentir mal quand il est très fatigué.

- On peut faire quelque chose ? Demanda gentiment Lucie.

- Il lui faudrait un endroit calme où il pourrait se reposer, de préférence dans un coin un peu isolé si c’est possible, dit Reuel en regardant son frère inconscient.

- Il y a une vielle grange en ruine près de la ferme de mes parents, proposa Lucie. C’est une ruine mais le toit tient toujours debout. Je peux vous y amener.

- C’est parfait, répondit Reuel.

Guigues se pencha discrètement vers Roland et lui glissa à l’oreille.

- Va avec elle je n’ai pas confiance en ces deux là.

Roland hocha discrètement la tête.

- Je vous accompagne, lança-t-il à l’adresse de Lucie et Reuel.

Reuel souleva son frère et le prit dans ses bras comme un bébé, puis il emboîta le pas à Lucie et Roland, qui lui montraient le chemin. Brièvement, Guigues croisa son regard. En une fraction de seconde, il comprit que Reuel l’avait vu chuchoter à l’oreille de Roland, il pouvait le dire rien qu’au regard assassin que celui-ci lui lançait. Mais Reuel ne dit rien et il tourna les talons.

Jean passa l’après midi dans l’église avec les villageois à participer à leurs joies et Guigues resta avec lui, même s’il ne partageait pas son enthousiasme. Il resta en retrait en écoutant les gens discuter et s’embrasser. Il y avait à peu près une dizaines de personnes allongées par terre et ils passèrent au chevet de chacune d’elle pour vérifier leur état. Pas une seule n’avait de fièvre et les tâches noires qui recouvraient leur corps avaient disparues. Ceux d’entre eux qui en avaient la force leurs racontèrent tous la même chose : Rafael avait posé sa main sur eux et au bout d’un court instant les symptômes et les marques de la Rage noire s’étaient envolés comme par enchantement. Rassurés, les deux amis s’assirent sur un banc tout prés de l’autel pour se reposer.

- C’est un miracle, s’émerveilla Jean les yeux fixant l’énorme croix en bois qui surplombait l’autel.

- J’en suis pas si sûr, pour moi ce sont des démons capables de magie, rétorqua Guigues.

- Un acte aussi noble et pur ne peut être que l’œuvre de Dieu, affirma Jean avec douceur.

Guigues se renfrogna, le fait que son ami voit les deux frère comme des héros le mettait en colère. Non seulement ils ne pouvaient pas être sur de leurs intentions, mais en plus de ça, Guigues éprouvait de la jalousie pour les deux garçons qui étaient tous deux dotés de pouvoirs exceptionnels.

- Tu es prêt à leur faire confiance alors qu’on ne les connaît même pas ? Lui reprocha Guigues, amer.

- Les vies qu’ils ont sauvées sont pour moi une preuve de bonté bien suffisante, assura Jean calmement.

- Quel naïf tu fais, s’écria Guigues hors de lui. Rafael a de tout évidence quelque chose qui cloche et Reuel est un vrai monstre sanguinaire tenu en laisse par son frère !

- Ces deux là sont peut-être une lueur d’espoir. A ma connaissance, aucune personne frappée par la maladie de la Rage noire n’a pu s’en sortir vivante avant aujourd’hui. Le don de Rafael est trop précieux, nous devons leur faire confiance.

Guigues avait l’impression que son ami ne le comprenait pas et qu’il était aveuglé par les prouesses des deux frères. Il se tourna vers les villageois et il se rendit compte que toute l’attention était tournée vers eux. Il sentit sur lui le poids de ces regards désapprobateurs qui le fixaient, ce qui le mit hors de lui.

Sans un regard à Jean, il traversa l’église en marchant le plus vite possible et se retrouva sur la place du village. Il continua sa route sans prêter la moindre attention aux festivités qu’avaient organisées les habitants. Les gens trinquaient, se prenaient dans les bras et chacun avait apporté un peu de nourriture qu’on avait étalée sur de grandes tables en bois. Tant de réjouissances le dégoûtait. Il n’avait jamais aimé les fêtes du village et très souvent, il préférait rester seul à se promener ça et la ou tenter de déchiffrer les écrits que lui prêtait Jean. La lecture les avaient grandement rapprochés et au fil du temps cela avait fait naître entre eux une grande amitié. Il considérait Jean comme son seul véritable ami et celui-ci essayait tant bien que mal de lui apprendre à lire.

Guigues était né et avait grandi au village d’ Oulmes, mais il avait toujours été considéré comme un moins que rien par les villageois et il le savait. Toute sa vie, on l’avait rejeté à cause de ses traits fins, de ses longs cheveux blonds et de son corps maigre. Il était faible et ne pouvait accomplir les mêmes tâches que les autres garçons de son âge. Ses parents l’avaient vite considéré comme une simple bouche de plus à nourrir. Ses propres frères le persécutaient. Depuis tout petit, ils s’amusaient à le faire souffrir, le harcelant sans cesse et le frappant s’il avait le malheur de répondre. Une fois, ses frères l’avaient battu si violemment qu’ils lui avait brisé plusieurs côtes mais ses parents ne s’en étaient même pas inquiétés et avaient fait comme si de rien n’était. Peu à peu, il s’était renfermé sur lui même et il était devenu une ombre à laquelle personne ne prêtait attention. Il déambulait seul dans le village et ses alentours, sans but, rongé par la solitude. L’arrivée de Jean au village l’avait sauvé, leur amitié avait changé la vie de Guigues, mais malgré cela il s’était jurer de quitter Oulmes le plus tôt possible.

Il arriva devant son foyer qu’il détestait tant. Il n’entra pas par peur de croiser ses frères ou ses parents. Il voulait à tout prix les éviter, en particulier si ses frères avaient bu. Il fit le tour de la piteuse maison et entra dans la grange qui se trouvait derrière. Il s’était accoutumé à l’odeur putride d’urine et d’excrément qui y régnait et il s’allongea dans la paille destinée au bêtes.

Machinalement, sa main se porta au collier qui pendait sur sa poitrine. C’était une simple ficelle au bout de laquelle pendait un petit cheval de bois sculpté à la main. Le père de Lucie l’avait fabriqué pour elle et elle le lui avait donné quand ils n’étaient encore que des gamins. Le pendentif ne le quittait jamais et c’était la seule trace restante de l’enfance qu’ils avaient passés ensemble. Ils avaient maintenant bien grandis et Lucie ne lui adressait plus la parole.

Il avait terriblement peur que Rafael et Reuel lui volent son seul ami et la fille qu’il aimait. Cela le mettait dans une colère noire, froide et dangereuse. Il n’en avait rien à faire que Rafael puisse stopper l’épidémie qui faisait trembler le pays tout entier, ils pouvaient bien tous mourir. Il était prêt à tout pour ne pas perdre Jean et Lucie, même à se débarrasser des deux frères dont il était terriblement jaloux. Il les haïssait d’êtres aussi forts et il se détestait d’être aussi faible. Mais pour tout ce qu’il avait enduré, il en voulait au monde entier.

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Gardar
Posté le 18/04/2024
Très bon chapitre ! J'aime beaucoup le concept de la Rage noire (un peu comme dans Labyrinthe avec la Braise). L'atmosphère médiéval est renforcé par les croyances du village. Je ne sais pas si tu l'as voulu, mais le fait que ton personnage principal soit un anti-héro (je ne sais pas si tu connais le concept) donne une pointe d'originalité mais aussi une bonne marge de progression pour le garçon. Les deux frères surnaturels semblent être providentiels et on s'attend à une quête quelconque avec le garçon, en tout cas, ils vont être lié. Quelques erreurs orthographique et de présentation qui n'enlevent rien au bon style d'écriture.
Merci beaucoup
Gardar
Alex3393
Posté le 18/04/2024
Bonjour Gardar,

Merci pour ton retour, je suis content que ce 1er chapitre t'ai plu. Je connais Labyrinthe de nom mais je ne connais pas l'œuvre en elle même, je vais peut être aller y jeter un petit coup d'œil.

Effectivement le personnage de Guigues est bien décrit comme un anti-héros car on va suivre le point de vues de plusieurs personnages dans les chapitres suivants. Mais tu as raison de penser que Guigues sera lié d'une manière ou d'une autre aux deux frères. ;)

Encore merci et à bientôt !
Gardar
Posté le 18/04/2024
OK, parfait pour moi.
À bientôt Alex
Gardar
Cléooo
Posté le 28/03/2024
Bonjour Alex!

Premier chapitre intéressant, bien développé. On sent un travail sur tes personnages, notamment sur ton personnage principal, même si je le trouve assez caractériel, il est tout de même travaillé ("Je suis un garçon, vociféra-t-il. Puis d’abord d’où vous sortez vous deux ?" -> ce n'est pas la gratitude qui l'étouffe, ils lui ont quand même sauvé la mise, non ? Je le trouve très agressif dès le début, et un peu buté peut-être).

J'aime bien l'ambiance du roman. J'aime la façon dont on découvre ce qu'est la Rage Noire, c'est un élément qui est très bien amené, en le voyant d'abord "en action" puis avec les précisions narratives et enfin avec l'histoire de la contamination de la famille du paysan.

Les deux frères sont intrigants, j'aurais pour le moment une préférence pour Rafael qui est plus calme, plus accessible. Reuel est un peu plus bourru, mais j'apprécie qu'il cultive un certain mystère.

Je te fais quelques remontées "techniques" maintenant, en espérant que ça t'apportera :

Au début du chapitre, tu décris un chêne qui tombe au contact avec l'homme contaminé... Un chêne c'est plutôt solide, non ? Parce que l'homme-bête qui poursuit Guigues doit vraiment être très fort pour le faire tomber net, juste comme ça en se cognant contre. Je comprends bien que la Rage Noire lui donne une force surhumaine, mais le chêne, d'autant plus un vieux chêne, c'est quand même un des arbres les plus solides.

Je note aussi des petits problèmes de mise en page, qui peuvent être facilement corrigés. (ex : - Je vois, marmonna Rafael les yeux dans le vague. Sais-tu s’il vivait avec d’autres personnes ? Sais-tu si d’autres personnes se sont transformées dans ton village ? - Pour le village j’en sais rien, répondit Guigues. Par contre lui, il vivait dans une ferme avec toute sa famille -> il manque un retour à la ligne, tout comme deux paragraphes plus haut).

"Jean se précipita et aida Reuel à faire descendre les marches restantes à Rafael" -> il peut déplacer des troncs d'arbres comme des brindilles, mais il a besoin d'aide pour soutenir son frère ?

Je ne comprends pas bien la dernière phrase : "Il leur en voulaient d’êtres aussi forts et il s’en voulait d’être aussi faible. Mais pour tout ce qu’il avait enduré il en voulait au monde entier." -> tu veux dire qu'il déteste le monde entier parce qu'il se trouve trop faible ?

Pour terminer, voici des petites coquilles / fautes d'orthographe ou de conjugaison que j'ai noté : "de ne laisser personne enter", "Guigues vit même voir Jean piquer du nez", "il se demandât", "Il du leur demander", "Ce Reuel à tout de même...", "qu’il ai contaminé", "Ou alors des ce sont des démons capables", "puis il l’assirent dans la terre", "une vielle grange", "ils ne pouvaient pas être sur ", "il leur en voulaient d’êtres"...

Au plaisir de te lire !
Alex3393
Posté le 29/03/2024
Bonjour Cléo,

Tout d'abord merci d'avoir pris le temps de lire ce premier chapitre, je suis content qu'il t'ait plu. Je suis sur le point de finir l'histoire et de commencer le travail de réécriture, ton commentaire tombe a pic et va m'être d'une aider précieuse pour ce long et fastidieux travail.

Je suis en particulier à la recherche des erreurs comme celles que tu as pointées avec Jean qui va aider Reuel à porter son frère ou celle du chêne dans la clairière. C'est le genre de choses que j'ai du mal à voir quand j'ai le nez dedans, ce sera corrigé très vite grâce à toi. =)

Pour ce qui est de la dernière phrase, j'ai eu du mal à choisir les mots, peut être que ce ne sont pas les bons si tu a eu un doute mais effectivement, Guigues en veut au monde entier pour sa propre faiblesse. =)


Alex3393
Posté le 29/03/2024
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de faire ce retour qui va beaucoup m'aider pour la suite, j'espère que la suite te plaira !
hellboy76
Posté le 25/07/2023
L'intrigue, l'univers mystérieux et la dynamique entre les personnages créent un récit intrigant et plein de potentiel pour se développer davantage. La présence de la "Rage noire" et les capacités mystiques de Rafael et Reuel laissent entrevoir des enjeux élevés pour le village et ses habitants.

En somme, le texte est bien construit avec des personnages intéressants et une intrigue qui suscite l'intérêt du lecteur. Il offre une base solide pour développer une histoire captivante et pleine de rebondissements.
Alex3393
Posté le 25/07/2023
Merci beaucoup pour ton retour qui me fait très plaisir. Tu as vu juste, de grandes choses sont prévus pour mon petit groupe de personnage!

J'espère réussir à créer une histoire qui tient sur la longueur et qui n'ennuie pas le lecteur. Encore merci pour ton message qui me redonne confiance et me motive à fond!
Alma9633
Posté le 25/06/2023
Bonjour Alex3393
C'est un chouette premier chapitre ! En revanche il y a des éléments de la temporalité que je ne trouve pas clairs (entre la course poursuite et l'arrivée au village par exemple, techniquement ils marchent longtemps mais ce n'est pas vraiment retranscrit). Aussi, je pense que, personnellement, je prendrai du plaisir à lire des descriptions du décor plus complètes, pourquoi pas adopter un point de vue plus omniscient pour décrire la forêt, les alentours d'oulmes (est-ce qu'on est à la montagne, au bord de l'océan, à la campagne ?) ou même oulmes en tant que tel (l'atmosphère du village etc), ne pas tjs rester dans le présent de l'action et faire des petites pauses dans le déroulement ? qu'en penses tu ? J'ai hâte de lire la suite en tout cas ☺️
Alex3393
Posté le 26/06/2023
Bonjour Alma,
Effectivement il faudrait peut être que je revois la temporalité entre le moment ou Guigues est poursuivi et celui ou ils arrivent au village.
Pour ce qui est des descriptions du décor, je partage ton point de vue et je suis conscient que mon texte manque cruellement d'images. Je ne peux pas me permettre de prendre un point de vu omniscient care j'ai décidé de suivre le point de vue de plusieurs personnages différents ( enfin je pense qu'ayant fait ce choix, le Pdv omniscient ne m'est pas permis.) Néanmoins je souhaite avancer rapidement dans l'écriture des chapitres et je me dis peut être à tort que le rajout de description pourra se faire plus tard lors de la réécriture. J'essaie de me concentrer sur l'histoire en elle même et d'écrire le plus possible quitte à ne pas trop développer ce côté la pour l'instant, ce qui est peut être une erreur de ma part.
Merci pour ton message, je compte bien corriger tout ca lors de la réécriture et j'espère que la suite te plairas ;)
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