Jean avait passé la nuit sur le sol de pierre froid de l’église. Il n’avait réussi à dormir que quelques heures, recroquevillé sur lui-même, rêvant de formes inhumaines dévastant le village. Quand il s’était réveillé, il était resté au chevet des malades, faisant des allées et retour au puits derrière le bâtiment pour leur apporter de l’eau. La plupart des villageois étaient rentrés chez eux après la fête et le village avait retrouvé son calme.
Sa dispute avec Guigues la veille au soir le tourmentait. Cela faisait cinq ans que Jean était arrivé au village d’Oulmes en tant que clerc. Il s’entendait bien avec tout le monde, mais Guigues était vite devenu son ami le plus précieux. Ils étaient radicalement différents. Jean avait seulement un an de plus que Guigues, mais parfois il avait l’impression d’en avoir six de plus. Jean était cultivé, poli, calme et serviable alors que Guigues était vulgaire, impulsif et ne savait pas lire. Malgré cela, Jean le considérait comme un frère.
« Je vais aller le voir pour calmer les choses », pensa-t-il.
Il jeta un regard aux malades autour de lui et fut soulagé, ils semblaient tous dormir à poings fermés. Il sortit sans faire de bruit pour ne pas les réveiller, traversa la place du village dans la lumière de l’aube et il croisa quelques villageois qui partaient travailler aux champs en baillant. Certains lui demandèrent des nouvelles des convalescents, mais il les rassura gentiment avant de reprendre sa route.
Jean arriva devant la maison de Guigues. C’était une vielle maison de bois en très mauvais état et il était évident que ceux qui vivaient là étaient très pauvres. Le toit était parsemé de trous recouverts à la hâte et les murs semblaient prêts à céder à tout instant. D’habitude, Jean aurait eu pitié d’une famille vivant dans une maison si délabrée. Malheureusement, il connaissait bien la famille de Guigues et les traitements qu’ils faisaient subir à celui-ci, il pensait qu’ils méritaient leur sort. Il avait reçu un enseignement qui lui dictait d’être bienveillant même envers les gens comme la famille de Guigues, mais il n’ y arrivait tout simplement pas et cela l’avait souvent tourmenté.
Jean n’entra pas et fit directement le tour en direction de la grange où Guigues avait pris l’habitude de dormir. Tout comme la maison, la grange était en piteux état mais ici, au moins, Guigues était au sec et il n’avait pas à croiser ses parents et ses frères qu’il détestait tant. Comme c’était le mois d’août, les bêtes restaient dormir dehors et Guigues avait la grange pour lui tout seul.
Jean poussa la porte et s’avança au milieu du grand espace vide. Il y régnait une odeur très forte et Jean se demanda comment son ami pouvait bien passer toutes ses nuits ici. Il se dirigea vers le fond de la grange où Guigues s’était installé. Il le trouva allongé dans la paille, dormant comme un bébé en émettant de légers ronflements réguliers. Jean s’agenouilla à coté de lui, et secoua doucement l’épaule de son ami.
- Guigues ! Guigues ! Réveilles toi !
- Quoi ? Ha c’est toi Jean, marmonna Guigues en se mettant sur son séant.
- Je suis venu m’excuser, confia Jean gêné. J’aurais du t’écouter hier soir, c’est vrai qu’on ne connaît pas bien Rafael et Reuel, et malgré leurs prouesses nous devons rester vigilant.
Jean le regarda avec un regard penaud et attendit la réaction de Guigues avec appréhension. A son grand soulagement, le visage de Guigues s’illumina. Il se remit debout en secouant la paille qu’il avait dans les cheveux, n’arrivant pas à dissimuler son sourire.
- Ha j’suis content que tu t’en rendes compte, se réjouit-il en souriant franchement cette fois-ci.
Il était assez rare de voir Guigues sourire et Jean fut soulagé de la réaction de son ami. Il donna une tape dans le dos de son compagnon et Guigues la lui rendit, semblant de très bonne humeur.
- Allez viens, on va allez voir si Rafael va mieux.
Jean savait pertinemment que Guigues était responsable de leur dispute et que c’était lui qui était parti de l’église sans rien dire. C’était sûrement lui qui aurait du s’excuser d’avoir crié mais il s’en fichait. Même si Guigues était d’un an son aîné, il se montrait souvent puéril et colérique et Jean faisait toujours preuve de patience avec lui. Il préférait mettre son orgueil de côté, car il savait que Guigues ne le ferait pas. Mais il n’arrivait pas à en vouloir à son ami. Il était comme ça, voilà tout et il fallait l’accepter tel qu’il était. Jean avait appris à être indulgent envers lui car il souhaitait avant tout préserver leur relation.. Il pensait que si il avait eu la même vie que Guigues il aurait sans doute lui-même été encore pire.
Ils quittèrent la grange et marchèrent tous les deux sous le soleil qui promettait une belle journée d’été. Ils suivirent un chemin qui serpentait entre les différentes fermes des villageois et en quelques minutes à peine, ils arrivèrent chez Lucie. Ils la trouvèrent en train de discuter avec Roland prés d’un grand potager où poussaient toutes sortes de légumes. Les parents de Lucie étaient les gens les plus riches du village. Ils possédaient beaucoup de terres et employaient certains autres villageois pour travailler dans leur champs. Depuis près de huit ans, Roland, qui était l’aîné d’une famille pauvre d’un village voisin, vivait chez les parents de Lucie et travaillait pour eux. Il envoyait tout l’argent qu’il gagnait à sa mère pour l’aider à nourrir ses nombreux frères et sœurs. Lucie et Roland partagaient donc sous le même toit depuis qu’ils avaient dix ans et ils étaient vite devenus inséparables.
- Vous avez de drôles de têtes, lança Jean à ses deux amis qui avaient l’air épuisés.
- J’ai pas fermé l’œil de la nuit, grommela Roland en se frottant les yeux.
- Moi non plus, rajouta Lucie. J’ai entendu des bruits étranges qui venaient de la vielle grange.
- Quel genre de bruits ? interrogea Guigues, très intéressé.
- Comme des grognements, on aurait vraiment dit un animal, expliqua Lucie en baillant à s’en décrocher la mâchoire.
- Tu vois ils sont pas net ! s’écria Guigues, triomphant, en se tournant vers Jean.
- Tu as entendu la même chose ? demanda Jean à Roland.
- Ouais, c’était vraiment bizarre et ça a duré toute la nuit. Ça c’est calmé un peu avant l’aube.
Il y eut un long silence et Jean réfléchit à ce qui pouvait être à l’origine de ces bruits :
- Vous êtes sûrs que ça venait de la grange où se trouve Rafael et Reuel ?
Lucie et Roland acquiescèrent tous deux sans dire un mot.
- Nous ne devons pas imaginer quoi que ce soit, préconisa Jean. Gardons cela pour nous pour le moment, il y a forcément une explication, mais il est claire que nous devons leur poser quelques questions.
Guigues parut déçu mais il garda le silence. Lucie demanda des nouvelles des malades et Jean la rassura, ils étaient tous miraculeusement tirés d’affaire. Néanmoins, il ne parla pas de sa dispute avec Guigues. Comme ils avaient du temps Guigues leur raconta plus en détail sa course poursuite dans la forêt et comment les deux frères étaient intervenus.
- Ces deux-là sont vraiment incroyable, s’enthousiasma Roland.
- Comment est-il possible de couper en deux un homme transformé en bête enragée ? murmura Lucie pensive.
- C’est des mages noires ou un truc comme ça, coupa Guigues visiblement irrité.
- Si c’était le cas, nous serions déjà probablement tous morts, commenta Jean en essayant de les rassurer.
- On n’en sait rien, on ne sait pas de quoi ils sont vraiment capables, s’entêta Guigues le visage tourné vers la vielle grange. Et si ça se trouve, cette nuit, les bruits que vous avez entendus étaient des incantations ou je ne sais quoi.
Ses trois amis continuèrent à débattre au sujet des deux frères, mais Jean ne les écoutait plus. Il était perdu dans ses pensées. Et si c’était vrai, si Rafael et Reuel étaient vraiment habités par des forces obscures, jusqu’où pouvaient bien aller leurs pouvoirs déjà si exceptionnels ? Jean était persuadé de leur bonne foi, il sentait au fond de lui qu’il pouvait faire confiance à Rafael et cela lui suffisait. Il devait réussir à convaincre les autres que les deux frères agissaient par bonté, mais il risquait d’avoir du mal à le faire, en particulier avec Guigues.
Jean fut tiré de sa réflexion par des bruits de sabots qui approchaient et les quatre amis se turent pour écouter. Au bout de quelques instants, un cavalier apparut au grand galop et s’arrêta à leur hauteur. Jean le connaissait, c’était un homme d’une vingtaines d’années grand et roux qui habitait le même village que Roland. A son visage, Jean su tout de suite qu’il n’était pas porteur de bonnes nouvelles. Le cavalier descendit de cheval et s’avança vers eux. Roland alla à sa rencontre l’air surpris.
- Louis, mais qu’est-ce que tu fais la ?
- Je suis venu te prévenir, déclara le cavalier la mine sombre. La moitié du village est contaminé par la Rage noire et je crains que ça ne se propage très vite.
Roland écarquilla les yeux et devint livide.
- Et ma famille ? balbutia-t-il.
- Tous malades, répondit Louis d’une voix triste. Ta mère te demande, c’est elle qui m’a supplié de venir t’avertir.
Louis baissa les yeux avant de reprendre :
- Je suis désolé Roland, mes parents sont avec eux, ils essaient de prendre soin d’eux.
Roland ne répondit pas. Il semblait complètement abattu et il resta là, immobile, les bras tombants en regardant dans le vide. Lucie essayait de retenir ses larmes, tremblant de la tête aux pieds. Guigues, abasourdi par la nouvelle, observait Roland qui tomba dans les bras de Louis. Jean pensa tout de suite aux deux frères, ils étaient le seul moyen de sauver la famille de Roland.
- Lucie va vite chercher Rafael et Reuel s’il te plaît. Avec leur aide nous pouvons peut être encore faire quelque chose.
Le visage de Lucie s’illumina et elle partie en courant vers la vielle grange tandis que Guigues et Jean essayait de consoler Roland qui était maintenant à genoux dans l’herbe, secoué d’énormes sanglots.
- Allez Roland, relèves toi, tout n’est pas encore perdu, le consola Jean en essayant de le relever.
- C’est vrai, avec l’aide des deux autres, on pourra sauver ta famille, rajouta Guigues.
Jean se doutait que Guigues n’en pensait pas un mot, mais il lui était reconnaissant d’essayer lui aussi de réconforter Roland. Ce dernier les dévisagea tour à tour comme frappé par cette pensée. On pouvait lire la détresse dans ses yeux verts noyés de larmes et qui roulaient sur ses joues rondes.
- Vous avez raison, nous devons partir au plus vite. Pars devant et prévient le village que j’arrive, ajouta-il en s’adressant à Louis entre deux sanglots. Nous allons venir avec quelqu’un capable de guérir la Rage noire.
Louis ne parut pas comprendre ce que Roland était en train de raconter.
- Mais c’est impossible Roland, tu le sais bien, souffla-t-il embrassé. Ta mère veut te voir, tu devrais partir sur le champ.
- C’est ce que nous allons faire, assura Roland qui faisait son possible pour sécher ses larmes. Toi, remonte à cheval et dis-leur que j’arrive.
Louis le fixa l’air perplexe pendant un long moment puis il remonta en scelle.
- Dans ce cas, faites vite, dit il simplement, puis il tourna la bride de son cheval et repartit au galop.
Lucie revint quelques instants plus tard, accompagnée de Reuel et Rafael. Ce dernier avait repris des couleurs et affichait un large sourire visiblement en plein forme. Reuel suivait son frère, impassible, la cicatrice qui lui barrait la joue accentuant encore un peu plus sa rigidité. Jean nota tout de suite le changement sur le visage de Guigues, qui s’était crispé à ses côtés.
- Comment vas-tu ? demanda Jean directement à Rafael.
- Beaucoup mieux, merci, répondit celui-ci. Je suis très heureux d’avoir pu sauver les villageois. Lucie m’a raconté qu’ils étaient tous guéris.
- Oui, et pour cela nous te sommes infiniment reconnaissants, commença Jean mais Roland tomba à genoux devant Rafael le visage implorant.
Il était blanc comme un linge et ses yeux étaient rouges ce qui lui donnait l’air un peu fou.
- ON A PAS LE TEMPS POUR CA ! S’écria-il. Un ami de mon village vient de repartir à cheval, il est venu me prévenir que la Rage noire se propage chez moi. Si on ne fait rien, ils vont tous mourir, mes amis, ma famille.
Des grosses gouttes se remirent à rouler sur son visage rond, la tête dans les mains, il n’arrivait plus à retenir ses sanglots.
- Je vous en supplie, venez avec moi et sauvez ma famille par pitié, supplia-t-il en pleurant.
Lucie s’était approché de Roland et lui prit la main, elle aussi dévastée par la nouvelle. Rafael ne souriait plus du tout. Il s’agenouilla et pris le visage de Roland dans ses mains puis l’approcha du sien.
- Roland, je te promet que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver les tiens, promit-il les yeux étincelants.
Jean fut frappé par la détermination qui émanait du regard de Rafael. Comment pouvait-il être aussi concerné par la vie de personnes qu’il ne connaissait même pas ? Comment pouvait-il faire une telle promesse à quelqu’un qu’il venait tout juste de rencontrer ? Quoi qu’en dise Guigues, Rafael était sans aucun doute quelqu’un de bien.
- Je viens avec vous, s’exclama Lucie en se relevant d’un bond. Je vais chercher de quoi manger et je reviens.
- Je viens aussi, annonça Jean. Si je peux être utile de n’importe quelle manière, je viens.
- Alors moi aussi, s’empressa d’ajouter Guigues toujours aussi tendu.
Jean savait très bien pourquoi Guigues voulait les accompagner.Il ne faisait absolument pas confiance aux deux frères, mais Jean fut content que son ami l’accompagne qu’elle qu’en soit la raison.
- Très bien, alors accompagnez-moi tous les deux, on va avoir besoin de plus de nourriture, ordonna Lucie en leur faisant signe de la suivre. Et vous prenez des légumes dans le potager, cria-t-elle à Roland, Reuel et Rafael alors qu’elle partait en courant, Guigues et Jean sur les talons.
Jean et Guigues suivirent Lucie chez elle et ils entrèrent dans une grande maison en bois par une petite porte située derrière. La porte donnait directement sur la cuisine et ils arrivèrent devant une table recouverte d’ustensiles et de denrées en tout genre. Des casseroles et des marmites de toute taille étaient accrochées au plafond par des crochets en métal et au sol se trouvait d’innombrables sac de toile qui semblaient contenir des pommes de terre, des poireaux, des carottes et bien d’autres légumes. Lucie attrapa deux sacs posés sur un meuble près de la porte d’entrée de l’autre côté de la pièce et les lança à Guigues et Jean par dessus la grande table.
- Prenez des œufs et des fruits. Il y a aussi du fromage et du pain dans les placards. Prenez en autant que vous pouvez, dit elle en fouillant dans un meuble.
Elle en sortit un autre sac et plusieurs gourdes en cuir qu’elle fourra à l’intérieur.
- Je vais remplir les gourdes au puits et prévenir mes parents, dépêchez-vous ! On se retrouve au potager, lança-t-elle avant de disparaître par la porte d’entrée.
- Elle est vraiment pas comme les autres Lucie, marmonna Guigues en fixant la porte d’un regard envoûté.
Jean était bien d’accord avec lui, mais comme il était au courant des sentiments qu’éprouvait son ami envers Lucie, il garda le silence. Lui aussi aimait Lucie, mais sa position au sein de l’église lui interdisait formellement toute relation et de toute façon il doutait fort qu’une fille aussi belle que Lucie puisse lui montrer le moindre intérêt. Jean n’avait jamais parlé de ce sujet à qui que ce soit et il était persuadé que c’était mieux ainsi. Il se contentait de l’admirer de loin ou de la contempler discrètement quand ils étaient ensemble.
Une fois leurs sacs pleins à ras-bord, Jean et Guigues sortirent à leur tour et trottinèrent aussi vite que le poids des sacs le leur permettait pour rejoindre les autres. Roland avait l’air de s’être remis durant leur absence, mais il trépignait d’impatience et ne cessait de faire les cents pas, les poings serrés. Lucie discutait avec Rafael et Reuel à côté du potager et Jean l’entendit :
- Ma mère va s’occuper des malades et mon père viendra nous rejoindre dans deux jours avec assez des vivres pour ton village, Roland.
Roland ne parut pas entendre la remarque et continua son manège comme un lion en cage.
- C’est bon on a rempli les sacs, déclara Jean en s’approchant d’eux.
Guigues haletait à ses côtés, les joues rouges, il avait beaucoup de mal à rependre sa respiration.
- Je vais pas pouvoir porter ça longtemps, avoua-t-il à bout de souffle.
- Je vais le prendre, proposa Roland, survolté.
Roland prit le sac de Guigues et le mit en bandoulière dans son dos. Reuel fit de même avec le sac de Jean qui le remercia en souriant, mais il promit de le reprendre a mi-chemin. Le visage de Guigues prit un teint violacé et il se mit en marche en lançant des regards assassins dans la direction de Reuel.
Lucie et Roland prirent la tête du groupe, Rafael et Reuel marchaient derrière eux et Guigues et Jean fermaient la marche. Guigues dardait fixement le dos de Reuel, une haine à peine voilée sur le visage, mais Jean décida de ne pas y prêter attention.
- Si on se dépêche on y sera dans la soirée, lança Roland sans se retourner.
Ils partirent d’un bon pas et bientôt ils sortirent du village et suivirent un chemin qui longeait la rivière à travers les champs.
Ils étaient partis en milieu de matinée et le soleil les frappait ardemment de ses rayons puissants en cette belle journée d’été. Jean était trempé de sueur et sa soutane lui collait désagréablement à la peau. Il remonta ses manches et jeta un coup d’œil à Roland. Ce dernier avançait d’un pas vif en regardant droit devant lui, il avait le teint pâle et l’inquiétude se lisait clairement sur son visage. Jean le surveillait depuis leur départ et Lucie ne l’avait pas quitté d’une semelle, elle était probablement très inquiète pour lui et sa famille. Guigues avait raconté à Jean l’histoire qui liait Lucie et Roland. Il savait qu’elle considérait Roland comme son propre frère et qu’elle devait souffrir de ce que leur avait dit le cavalier presque autant que lui. A entendre Guigues, ils étaient tellement proches qu’elle l’avait souvent accompagné rendre visite à sa famille dans son village natal et la mère de Roland ainsi que ses frères et sœurs avaient finis par considérer Lucie comme un membre de la famille à part entière. Jean imagina les visages des frères et sœurs de Roland qu’il n’avait jamais vu. Il les voyait malades, couverts de marques noirâtres leur dévorant la peau et il éprouva une grand compassion pour Roland. Il vivait un moment terrible, mais ne semblait pas se laisser aller au désespoir. Jean aussi se devait de garder espoir, la présence des deux frères avec eux pouvait tout changer.
Après plusieurs heures de marche, le sentier s’engouffra dans une forêt et l’ombre qu’elle apportait les préserva du soleil bien que la chaleur resta étouffante. Ils marchèrent à une cadence soutenue jusqu’en début d’après midi sans échanger le moindre mot à par pour se faire passer les gourdes de cuirs qui se vidaient les une après les autres. De temps en temps, Jean jetait des regards à ses camarades. Tous semblaient aussi fatigués que lui par la chaleur et l’effort. Seul Reuel ne paraissait pas ressentir la fatigue. Guigues et Rafael étaient visiblement les plus affectés par le trajet. Les deux avaient du mal à suivre la cadence et ralentissaient régulièrement, obligeant les autres à les attendre. Jean finit par demander une pause et le groupe s’arrêta malgré les protestations de Roland.
- On doit continuer, protesta-t-il. Je ne peux pas rester là, les bras croisés, alors que ma famille est en train de mourir.
- Si nous ne mangeons rien nous allons perdre des forces et nous serons obligés de ralentir, objecta Jean pour tenter de le raisonner.
- Allez calme-toi, dit Lucie en lui prenant les mains. On ne va pas s’arrêter longtemps, mais Jean a raison, nous devons souffler un moment.
Roland fit la grimace, visiblement partagé entre l’envie de continuer ou d’écouter ses camarades. Il finit par s’asseoir à côté de Lucie, ce qui ne l’empêcha pas de refuser le pain et le fromage qu’elle lui tendit. Ils formèrent un cercle sous un grand chêne le long du chemin et commencèrent à manger en silence.
- Tu sais Roland, tu devrais garder espoir, dit soudain Rafael. Le cavalier est arrivé pour te prévenir que ta famille était malade seulement ce matin et ton village et à moins d’un jour de marche. La Rage noire se propage vite mais la fièvre et les marques noires apparaissent toujours quelques jours avant que la transformation n’ait lieu. En imaginant qu’ils soient tombés malade hier, je pense qu’ils ne se transformeront pas avant demain ou après demain, ce qui nous laissent largement le temps d’arriver.
- Et si, quand on arrive, la maladie est déjà trop avancée et que tu ne peux pas les soigner ? demanda Roland la mine sombre.
- Du moment que la transformation n’a pas commencée, je peux encore intervenir et guérir les malades, expliqua Rafael en souriant. Je pense vraiment que nous allons arriver à temps pour sauver les tiens.
Le visage de Roland s’illumina, mais il resta silencieux comme si ce qu’il venait d’entendre le rendait incapable de prononcer le moindre mot.
- C’est super, se réjouit Lucie en lui secouant l’épaule. On va pouvoir sauver tout le monde !
Roland se tourna vers elle et tomba dans ses bras le sourire aux lèvres. Lucie le serra contre elle et sourit à son tour en posant une main affectueuse sur ses cheveux roux et bouclés. Guigues observait la scène impassible mais Jean accueillit les paroles de Rafael avec enthousiasme. Ils pouvaient réellement arriver à temps et cette idée lui redonna des forces, il en oublia même la douleur de ses jambes ankylosées. L’atmosphère se détendit légèrement et Roland réclama à Guigues de lui passer une miche de pain, dans laquelle il croqua à belles dents.
- J’aimerais savoir une chose, demanda Jean poliment. Comment fais-tu pour guérir les gens de la maladie ?
A cette question, Guigues leva la tête de son déjeuner qu’il avait commencé à mâchonner et dévora Rafael d’un regard envieux.
- Pour être franc avec vous, je ne sais même pas pourquoi je suis capable de guérir cette maladie, avoua tranquillement Rafael. Il y a quelques semaines Reuel et moi avons rencontré un homme contaminé, couvert de marques noires. Il avait l’air sur le point de mourir, mais il a réussi tant bien que mal à nous parler de la Rage noire et nous a implorés de mettre fin à ses jours pour l’empêcher de se transformer. C’était la première fois que nous rencontrions quelqu’un d’affecté par cette maladie et nous n’avions aucune information sur le sujet. Alors, comme mué par une volonté qui n’était pas la mienne, j’ai su ce qu’il fallait faire. Je me suis agenouillé prés de l’homme et j’ai tout simplement posé la main sur lui. Mon corps a agi tout seul, un peu comme si il avait toujours su quoi faire. La paume de ma main est devenu brûlante l’espace de quelques secondes, et les marques sur le corps de l’homme se sont mises à disparaître à vue d’œil. Quand j’ai enlevé ma main, j’ai su qu’il était guéri. Nous sommes restés à son chevet quelques jours et il était remis sur pied. Le plus surprenant dans tout ça, c’est qu’il semblerait qu’une fois que j’ai annulé l’effet de la Rage noire sur quelqu’un, il devient comme immunisé. Il ne peut plus contracter la maladie. C’est comme ça que nous avons découvert que j’étais capable de stopper la Rage noire, mais à ma connaissance, il n’existe aucun autre moyen de s’en débarrasser.
- Et pourquoi avoir décidé de courir le pays pour guérir les gens, interrogea Guigues de toute évidence très intéressé. Avec ce pouvoir, tu pourrais faire payer tes services et te faire beaucoup d’argent. Vu que t’es le seul à pouvoir guérir ce truc, les gens n’auraient pas d’autres choix et tu serais riche en un rien de temps.
- Contrairement à certains, mon frère agit avec bonté et bienveillance et son souhait le plus cher et de débarrasser le monde de cette abomination, rétorqua Reuel en jetant à Guigues un regard plein de mépris.
- Ouais un foutu héros, cracha Guigues en ricanant.
- Rafael a toujours eu les intentions les plus nobles et il se soucie toujours du sort des autres même si ceux-ci sont d’immondes ordures. En ce qui me concerne, je ne suis pas aussi ému quand quelqu’un vient à perdre la vie, en particulier quand il s’agit de crétins dans ton genre, lança sèchement Reuel.
Il s’était levé et menaçait Guigues de toute sa taille, une main sur le manche de son épée. Guigues aussi s’était levé, les poings serrés et le visage déformé par la haine. Mais très vite, en voyant le regard brûlant que Reuel lui lançait, Guigues parut prendre peur et devint livide, se recroquevillant sur place. Il tremblait de tous ses membres et l’expression de haine qui l’animait quelques instants plut tôt fut remplacée par la terreur. Guigues ouvrit la bouche puis la referma comme paralysé par le regard de Reuel. Jean n’avait jamais vu Guigues dans un état pareil. Maintes et maintes fois il avait assisté à des querelles dont Guigues faisait l’objet, mais jamais il ne l’avait vu tremblant de peur comme il l’était à présent. Jean se précipita entre les deux garçons et prit Guigues par les épaules.
- Guigues tu devrais t’excuser tout de suite, ordonna Jean précipitamment.
Jean tenait à tout prix à éviter une dispute entre le groupe. Ils avaient absolument besoin des deux frères pour sauver la famille de Roland. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi Guigues et Reuel se détestaient autant. Reuel avait sûrement dépassé les bornes, mais Guigues l’avait bien cherché. Il pressa le bras de Guigues pour l’inviter à se rasseoir à ses cotés mais le teint de celui-ci devint rouge et on pouvait maintenant lire la colère et la vexation dans ses yeux.
- M’excuser ? M’EXCUSER MOI ? IL VIENT DE M’INSULTER ET TOI TU VEUX QUE JE ….
- Mais c’est toi qui a commencé ! le coupa Jean. Tu as provoqué Rafael alors qu’il a sauvé notre village. Tu devrais lui montrer un peu plus de respect et tu devrais même le remercier.
- Je vais remercier personne, et surtout pas lui ! cria Guigues en pointant Reuel du doigt.
Jean tenta tant bien que mal de raisonner Guigues, qui était fou de rage, mais il continuait de fixer ardemment Reuel. Jean remarqua que Rafael dévisageait son frère le regard plein de reproche. Reuel s’en rendit compte lui aussi et soudain il tourna le dos à Guigues et s’éloigna sans même leur jeter un regard.
- Je comprends que tu sois énervé, dit Rafael sur un ton d’excuse. Mon frère ne sait pas trop s’y prendre avec les autres, mais il n’aurait pas du te parler comme ça. Je ne te demande pas de nous faire confiance, mais je te prie quand même de l’excuser.
Guigues parut stupéfait par les paroles de Rafael et se calma un peu. Jean et lui se rassirent, mais ses traits restèrent crispés, tendus.
- Comment juger si tout ce que tu dis est vrai ? questionna Roland qui avait écouté la dispute sans rien dire.
- Je ne vous demande pas de me croire sur parole, répondit Rafael. Je vous demande juste de me laisser l’occasion de vous le prouver. Libre à vous de me faire confiance, mais comme l’a dit Reuel, je ne souhaite rien d’autre que d’éradiquer cette maladie de la surface de la Terre.
- Moi je te fais confiance, souffla Lucie en regardant Rafael droit dans les yeux. J’espère de tout cœur que nous arriverons à sauver la famille de Roland, et si on y arrive nous te serons éternellement reconnaissant.
- Je suis sûr que nous allons y arriver, ajouta Jean en rangeant le pain restant dans son sac. Nous devrions repartir, plus vite nous y serons, plus vite ils seront tirés d’affaires.
Rafael hocha la tête et se leva, bientôt imité par le reste du groupe. Reuel les attendait un peu plus loin, les bras croisés, adossé à un arbre au bord du sentier.
Ils progressèrent durant tout l’après midi à travers une épaisse forêt où le silence était aussi suffoquant que la chaleur du sous-bois. Ils ne s’arrêtèrent qu’une seule fois pour remplir les gourdes dans l’eau d’une rivière qui coulait lentement parmi les arbres. Ils en profitèrent pour s’asperger le visage et se rafraîchir avant de reprendre leur route.
Quand ils quittèrent l’ombre apaisante de la forêt, de gros nuages se formèrent doucement au dessus de leur têtes. L’herbe de la plaine était jaunie sous leur pieds fatigués. Quand la nuit tomba sur eux, elle apporta avec elle une ambiance encore plus angoissante que celle qui régnait déjà sur le groupe. Ils cheminaient péniblement et la brise qu’amenait le crépuscule procura à Jean une sensation de fraîcheur bienvenue. Ils dépassèrent un énorme rocher qui avait une drôle de forme, ressemblant un peu à un champignon.
- A partir de ce rocher nous ne sommes plus très loin, dit Roland en plissant les yeux vers le rocher dans l’obscurité.
Jean se demanda dans quel état allaient-ils trouver la famille de Roland en arrivant au village et il suivit les autres dans la nuit en priant à voix basse.
Je rejoins Cléooo sur le point de vue. Tu maîtrises bien le principe, on découvre Guigues à travers le regard de Jean et c'est très bien. Tu racontes très bien l'histoire qui avance correctement. Je trouve simplement que le chapitre est un peu long 4800 caractères par rapport à l'autre.
Deux erreurs :
"C’était une vielle maison de bois en très mauvais état et il était évident ceux qui vivaient là étaient très pauvres."
->il était évident QUE ceux
"- Tu sais Roland, tu devrais garder espoir. dit soudain Rafael."
->il faudrait mettre une virgule au lieu d'un point.
J'ai beaucoup apprécié la dispute entre les deux, Guigues et Reuel. On voit aussi le côté bon de Rafael et on le sens comme un homme doux qui contraste bien avec la grosse carrure de son frère. À nouveau je trouve que ton style s'allie bien à l'histoire, on sent que tu écris dans ton genre littéraire. Le caractère médiéval classique est troublé par les pouvoirs des deux frères et ça rend très bien.
Merci beaucoup et mes félicitations
Gardar
Merci d'avoir lu ce second chapitre, je suis très heureux que les différents points de vus fonctionne. Je dois avouer que c'est un peu un casse-tête à certains moments mais j'aime beaucoup écrire comme ca alors j'essaie.
Merci pour les corrections, je vais bientôt m'attaquer à la réécriture et je corrigerais ca à ce moment la.
Malheureusement la dispute entre Guigues et Reuel est loin d'être terminé mais je n'en dis pas plus. =)
Encore merci pour ton retour qui me fait très plaisir !
A bientôt.
Gardar
Alors !
J'aime bien le fait que tu écrives de différent points de vue. C'est une méthode d'écriture que je trouve assez compliquée, comme il faut adopter un ton différent pour chacun de tes personnages, mais je trouve pour le moment que c'est assez réussi.
Ensuite, voici quelques petites choses à te faire remonter sur ce chapitre :
- "- Je vais aller le voir pour calmer les choses, pensa-t-il." -> pas de tiret, s'il pense !
- J'ai un peu de mal à donner un âge à Guigues, et aussi à Jean, même si j'ai le sentiment que Jean est plus âgé que lui. Ça vaudrait peut-être le coup de le préciser dans ton premier chapitre. Ce sont des adolescents ? De jeunes adultes ?
- "Ils la trouvèrent en train de discuter avec Roland prés d’un grand potager où poussaient toutes sortes de légumes. Les parents de Lucie étaient les gens les plus riches du village. Ils possédaient beaucoup de terres et employaient certains autres villageois pour travailler dans leur champs" -> j'aime beaucoup ce passage, qui fait découvrir un peu mieux le village et son fonctionnement ! Très bien.
"La moitié du village est malade et je crains que ça ne se propage très vite." -> ils ne précisent pas quelle maladie ? C'est forcément la Rage Noire ? Il n'existe aucune autre maladie dans ce monde ?
- "- Vous avez raison, nous devons partir au plus vite. Pars devant et prévient le village que j’arrive, ajouta-il en s’adressant à Louis entre deux sanglots. Nous allons venir avec quelqu’un capable de guérir la Rage noire.
Louis ne parut pas comprendre de quelle aide Roland voulait parler." -> Moi non plus, quand a-t-il parlé d'aide ? ^^
- "- Très bien, alors accompagnez-moi tous les deux, on va avoir besoin de plus de nourriture, ordonna Lucie en leur faisant signe de la suivre.
- Et vous prenez des légumes dans le potager, cria-t-elle à Roland, Reuel et Rafael alors qu’elle partait en courant, Guigues et Jean sur les talons." -> il faudrait réunir ces deux lignes en une seule.
- "Ils partirent d’un bon pas et bientôt ils sortirent du village et suivirent un chemin qui longeait la rivière à travers les champs." -> ils partent comme ça, sans prévenir personne ? En laissant les malades dans l'église sans surveillance ? Sans prévenir leur parent (je suppose qu'ils sont jeunes).
Et enfin quelques coquilles :
"une vielle maison de bois", "il était évident ceux qui vivaient", "Réveilles toi", "nous devons rester vigilant.", "relèves toi", "avaient finis", "le moindre mots", "Je ne peux pas rester la"...
Voilà ! Bonne journée :)
Bon encore une fois je tiens à te remercier pour ton temps et ton message qui me font vraiment chaud au cœur !
Je suis vraiment content que les différents points de vues fonctionne et j'espère que cela tiendra sur la longueur durant toute l'histoire. Je me suis vraiment donné du mal pour que chaque personnage ait une personnalité bien à lui.
La question de l'âge des personnages et du fait qu'ils partent sans prévenir leur parents ect est un problème que j'avais déjà noté et je n'étais pas sur de devoir le prendre en compte. Je sais maintenant que cela peut poser problème et je vais m'y atteler de ce pas.
Pareil pour le passage avec Louis qui n'est pas clair, il va falloir que je me penche dessus pour que ce soit plus compréhensible.
Pour ce qui est de la mise en page et de l'orthographe comme tu as pu le constater ce n'est clairement pas mon fort et tes remarques vont vraiment me donner un coup de pouce précieux. =)
Merci infiniment pour tes lectures et tes conseils qui me sont d'une grande aide !
Passes une excellente journée. =D