Chapitre 1 : Les intercepteurs

Par Dworkin

La “Tour du Mal” était le plus haut bâtiment des quartiers abandonnés de la périphérie de la ville, c’était aussi la plus délabrée et on pouvait se demander chaque jour si elle n’allait pas finir par s'effondrer. Le groupe de braqueurs était en train d’y entreposer leur butin et d’en faire un inventaire. Pierre, le doyen du groupe, aiguisait sa dague assis dans un coin de la pièce. Il racontait en même temps à Sébastien, un jeune de douze ans, des légendes parlant de la création de la ville. Autour de lui, une quinzaine de personnes s’activaient à ranger rapidement les cartons de conserve. Jack, un jeune adolescent d’une quinzaine d’années, faisait le guet en grattant nerveusement les cordes de sa guitare. Ses longs cheveux noirs étaient toujours mal entretenue, et ses vêtements étaient tous grossièrement rapiécé. Jack n’avait que peu de considération pour sa mission de guetteur. Comme il existait un pacte de non agression entre leur groupe et les principaux autres clans du quartiers, il estimait que le danger était minime. Plutôt que de se concentrer sur ce qu’il se passait dans la rue, il préférait écouter Pierre qui démarrait une nouvelle histoire.

- Il était une fois un homme, nommé Yann, un scientifique de très haut niveau qui avait travaillé pour de grandes sociétés et était devenu extrêmement riche. Il avait une très belle vie et profitait de ses richesses sans se soucier du lendemain. Jusqu'au jour où il apprit qu'il était atteint d’un cancer incurable. Il réunit alors tous ses amis et avec eux il fonda  une société appelé Yagoft, avec pour ambition d’éradiquer toute forme de maladie sur terre. Pour mener à bien cette mission, il commença par engager les plus grands architectes et urbanistes et fit construire une ville, qu’il appela Bahal. Son but était d’en faire un gigantesque pôle de recherche. Il y invita des savants de nombreuses disciplines, et leur offrit les meilleures conditions possibles pour leurs recherches et un budget illimité. La ville devint très vite le plus grand pôle de recherche scientifique au monde. Les cerveaux les plus brillants de chaque discipline venaient échanger leurs idées, formant ainsi la plus grande équipe scientifique pluridisciplinaire que la terre ait jamais connu. Mais c'était aussi la ville dont la construction ultramoderne avait été la mieux pensée pour les habitants. Les gens y vivaient tellement bien qu'on la surnommait le paradis moderne.

Pierre avait arrêté d’aiguiser sa dague. Il racontait l’histoire avec de grands gestes, vivant chacune des étapes.

- Personne n'a jamais vraiment compris les motivations de Yann. Avait-il construit cette ville dans l'espoir qu'un remède y soit inventé et puisse le sauver ? Ou s'agissait-il d'une action altruiste qu'il voulait faire avant de mourir ? Toujours est-il que les recherches médicales avaient avancé trop lentement, et Yann finit par mourir de son cancer. Entre temps, la ville était devenue une référence mondiale en terme de qualité de vie. Des gens affluaient du monde entier pour vivre à Bahal. Yagoft fit des bénéfices gigantesque en y vendant immobilier et service. Ses gérants commencèrent alors à étendre le modèle en rachetant d’autres métropoles, et petit à petit, toutes les grandes villes du monde leur appartinrent. Ils les organisèrent pour ressembler le plus possible à Bahal. Chaque copie devait avoir la même taille, le même nombre d'habitants qui y occupaient le même métier et la même organisation que la cité originale. Ainsi, pour chaque métropole achetée, la plupart des quartiers étaient remodelés pour correspondre au modèle imposé par Yagoft, tandis que ceux qui ne rentraient pas dans le plan d’urbanisation étaient isolés et laissés à l’abandon. De ces quartiers abandonnés qu'ils croyaient mort sont nés des êtres humains libres du formatage imposé par Yagoft.

 L’histoire fut brutalement interrompue par un cri de Jack, qui signala qu’un Roux arrivait. Pierre se leva précipitamment et se dirigea rapidement vers l’escalier. Jack le suivi, curieux du motif de la venue du Roux. Les Roux étaient le clan le plus important du quartier. Certaines rumeurs disaient qu’ils étaient plus de mille, même si Jack n’avait jamais vu aucun rassemblement regrouper plus de deux cents personnes. Contrairement à la plupart des autres clans, les Roux avaient une religion : Ils priaient une déesse sans nom et des rumeurs disaient que la plupart de leurs possessions étaient des présents qu’elle leur faisait. Le surnom de Roux venait du fait que l’ensemble de leurs prêtres, membres les plus importants de leur clan, avaient des cheveux aux reflets oranges.

 

Pierre descendit à l’entrée de la tour. Son allure rapide et son visage fermé trahissaient une certaine nervosité. Le soleil finissait de se coucher et de la neige commençait à tomber. En face de lui se tenait un homme très calme qui semblait l’attendre. Il était grand et maigre, habillé chaudement d’habits étrangement neufs comparés à ceux des autres habitants du quartier. Il avait de longs cheveux bouclés blond vénitien. Sur son manteau était brodée une goutte de sang, symbole des prêtres de la déesse sans nom.

- Bonjour à toi, Pierre, chaman de la Tour du Mal.

- Je ne suis pas chaman. Qu’est-ce que tu nous veuxr?

- Je suis Lewis, prêtre de la déesse sans nom. Nous vous avons vus ramener de la nourriture en grande quantité dans votre tour et nous en manquons actuellement.

- Votre déesse n’en a plus en stockr ?

Autour d’eux, une petite foule commençait à se former. Pierre adoptait un ton assez désagréable. Il n’aimait pas la façon dont Lewis se comportait, avait toujours méprisé leur religion étrange. De plus, il était extrêmement contrarié que des personnes viennent s’intéresser à son stock de nourriture. De son côté, Lewis restait très calme, comme s’il ne se rendait absolument pas compte de l’animosité de Pierre.

- La déesse sans nom nous a apporté des vêtements. Nous avons un nombre très important de manteaux neufs, chauds et résistants. Nous pouvons te les échanger contre de la nourriture.

- Je n'ai pas besoin de manteaux. Nos vêtements tiendront bien un hiver de plus.

Jack et Malick observaient l’échange depuis l'entrebâillement de la porte. Alors que Malick écoutait calmement la conversation, Jack grattait compulsivement le mur avec sa main, comme pour extérioriser sa nervosité. Ils commentaient à voix basse la négociation.

- Pourquoi il refuse les manteaux ? Ça fait un mois qu’on se gèle toutes les nuits. Sébastien est en train de tomber malade.

- Il sait que l’hiver va être long et que la nourriture va être de plus en plus dure à obtenir.

Malick parlait toujours d’une voix posé. Jack, au contraire, commençait à prendre un ton agressif.  

- On attaquera un autre camion.

- Ça va être difficile. Après la perte de ce matin, Yagoft va être beaucoup plus prudent.

- À mon avis, tu surestimes le danger.

- Échapper aux intercepteurs, c’est toujours dangereux…

- Tu as peur ?

- C’est pas de la peur, juste du bon sens. On ne risque pas sa vie pour des manteaux neufs.

Soudain, un bruit de moteur fit sursauter les deux jeunes gens. Quatre voitures arrivèrent en trombe et s'arrêtèrent devant la tour. Douze intercepteurs en sortirent et s'approchèrent de Pierre, arme au poing. Ils portaient leur uniforme et leur ordinateur-casque. Un d’eux s'avança, cria “contrôle d’identité, personne ne bouge” et appuya sur un bouton à gauche de son casque. Une petite LED au-dessus se mit à briller. L’intercepteur semblait scruter toute la foule autour de lui. Tout le monde arrêta de bouger et de parler. La petite LED clignotait, indiquant que le casque était en cours d’analyse des personnes dans le champ de vision de sa caméra intégrée. Les habitants du quartier n’étaient normalement pas référencés chez Yagoft et n’avaient pas d’identité officielle. Ils ne pouvaient donc pas être reconnus. Toutefois, si une personne qui était dans la foule venait de chez Yagoft et avait décidé de les quitter, cela pouvait très vite mal tourner pour elle. Jack avait une fois vu des intercepteurs accuser une personne d’être en retard dans un remboursement, puis la tuer froidement en pleine rue. Il se souvenait clairement de l’intercepteur regardant le crâne éclaté de sa victime. L’odeur du sang qui se répandait sur le trottoir avait failli le faire vomir. Il fut pris de nausée en se remémorant la scène. En voyant le malaise de l’ensemble des personnes autour de l’intercepteur, il sut que tout le monde devait déjà avoir vécu une situation plus ou moins similaire. L’intercepteur avait fini de scanner la foule, mais personne n’avait été détecté. Il fit un petit signe à ses acolytes, puis se tourna à nouveau vers les habitants du quartier.

- Un transporteur d’une quarantaine d’années, qui serait arrivé par ici aujourd’hui, ça dit quelque chose à quelqu’un ?

Personne ne répondit.

- Et une cargaison d’environ deux milles boîtes de conserve, ça vous parle ?

Les personnes en face de lui se regardaient entre eux, ou fixaient leurs pieds.  

- Suivez-moi. On va fouiller la tour.

Les douze intercepteurs s’approchèrent de la tour. Jack et Malick, toujours dans l'entrebâillement, se poussèrent rapidement. L’ensemble des conserves avait été stocké au deuxième étage. Il n’y avait aucune chance que leurs amis aient eu le temps de tout cacher avant l’arrivée des intercepteurs. Jack se sentait mal. De grosses gouttes de sueur perlaient de son front. Il se demandait la raison de leur venue. Il ne les avait jamais vu se déplacer pour un braquage d’une si faible importance. Il avait peur de ce qu’il se passerait une fois qu’ils auraient trouvé les boîtes de conserve. Allaient-ils tuer l’ensemble des habitants de la tour ? Vu la taille de leurs voitures, il était évident que leur but n’était pas juste de récupérer les produits volés. Quoi qu’il arrive, il fallait s’attendre à une réaction violente. Six intercepteurs entrèrent dans le bâtiment, pendant que les autres se postèrent devant la porte. Une partie importante de la foule commença à s’éloigner lentement. Les bruits de bottes des intercepteurs résonnaient dans toute la tour. Jack vit Lewis chuchoter quelque chose à l’oreille de Pierre. Celui-ci fit un signe d'acquiescement. Les intercepteurs montèrent dans l’escalier. Lewis commença à taper un message sur un vieux téléphone portable. Jack était paralysé par la peur. Il n’osait pas monter dans les étages, ni essayer de sortir au risque de passer pour suspect auprès des intercepteurs qui gardaient la porte. Il jeta un coup d'œil à Malick. Celui-ci gardait son calme, au moins en apparence. Il semblait prêt à réagir rapidement si la situation évoluait, mais se contentait pour le moment d’observer. Aux changements dans les bruits de pas, Jack comprit que les intercepteurs venaient de traverser le premier étage et qu’ils s'apprêtaient à monter au deuxième. Jack pensa à tous ses amis présents au-dessus. Il ne pouvait s'empêcher d’imaginer tous leurs corps criblés de balles flotter dans une mer de sang. Il essaya de chasser sa vision, mais en était incapable, ce qui fit encore augmenter son état de panique. Jack pensa à son arme, cachée sous sa veste dans son dos. Bien qu'il s'agisse d'un des plus gros calibres trouvables dans le quartier, elle ne pourrait probablement pas transpercer l'armure des intercepteurs. A chaque fois qu'il avait vu quelqu'un tenter d'attaquer un intercepteur, les balles avaient ricoché sur l'armure, et l'assaillant avait été tué. Jack réfléchit à une autre idée lui permettant de les arrêter, mais aucune vint à l'esprit. Dans moins d’une minute, les intercepteurs arriveraient sur ses amis, et ils mourraient. Jack paniqua.  Il glissa sa main derrière son dos, pour essayer de saisir son arme, mais Malick lui attrapa la main et lui jeta un regard noir.

Les six intercepteurs qui étaient restés pour surveiller la porte commencèrent à s’approcher d’eux. Un d’eux sortit son arme, et son canon se pointa automatiquement sur Jack, détecté comme l’individu le plus dangereux par l’intelligence artificielle contenue dans l’arme. Jack baissa les yeux et se mordit la lèvre. En haut, le son des claquements de bottes devenait de plus en plus lointain, indiquant que le groupe devait s’approcher du deuxième étage. Jack retint son souffle. Tout son corps s’était crispé dans l’attente des premiers coups de feu. Soudain, les bruits de pas se stoppèrent net. La voix forte de celui qui semblait être le chef résonna.

- Ça y est, l’autre groupe l’a localisé. On redescend.

Jack entendit les intercepteur redescendre en courant. En les voyant s’approcher de lui, il se figea, mais ils lui passèrent devant lui sans lui prêter la moindre attention et partirent vers leurs voitures. Jack les suivit du regard. Tous les intercepteurs étaient déjà remontés dans leurs voitures et filaient vers un coin plus reculé du quartier. Jack expira longuement, puis regarda les quelques personnes restées dehors. Il vit Lewis regarder Pierre dans les yeux avec un petit sourire et déclarer avec un ton presque solennel.  

- La déesse sans nom vous a sauvé la vie. Un don en nourriture serait un geste de reconnaissance apprécié.  

Puis Lewis s’éloigna, sous le regard des habitants de la tour.

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Nana
Posté le 28/09/2018
Me revoilà !
J’ai bien aimé ce second chapitre, tu pose bien ton univers et on comprends mieux le background. On rencontre aussi les méchants intercepteurs qui n’ont pas l’air d’être des rigolos, et tes persos sont bien sympas (Jack, Pierre, et ce Lewis qui est déjà énervant xD )
Juste un petit truc : ce Malick arrive un peu comme un cheveu sur la soupe… Tu n’explique pas qui il est, quel âge il a, il s’incruste d’un coup dans la conversation, c’est un peu bizarre. Il manque une phrase ou deux pour l’introduire un peu en amont, je pense.
<br />Et pour la mise en page, mêmes remarques que dans le chapitre 1.
<br />Quelques coquilles :
<br />Le groupe de braqueurs était en train d’y entreposer leur butin > son butin
les cartons de conserve > conserveS
Ses longs cheveux noirs étaient toujours mal entretenue > entretenuS
et ses vêtements étaient tous grossièrement rapiécé. > rapiécéS
que la terre ait jamais connu > la Terre
De ces quartiers abandonnés qu'ils croyaient mort > mortS
Malick parlait toujours d’une voix posé. > poséE
Jack réfléchit à une autre idée lui permettant de les arrêter, mais aucune vint à l'esprit. > mais aucune NE LUI vint à l’esprit
Un d’eux > L’un d’eux (deux fois dans le texte)
mais ils lui passèrent devant lui sans lui prêter la moindre attention > un “lui” en trop : ils passèrent devant lui
<br />Toujours ce bug qui ajoute “r39;” avant les points d’interrogation
<br />Voila !
Bisouuu
Nana
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