Chapitre 1 : L’Éveil des Ténèbres

                 Sous la lumière blafarde des deux lunes, la forêt de Tormel se dressait, menaçante et silencieuse, comme un monstre endormi. Les arbres centenaires, leurs troncs noueux et recouverts de mousse noire, formaient un labyrinthe sinistre, où même la lumière du jour avait du mal à pénétrer. Un murmure de vent s'élevait dans les branches, porteur de secrets anciens et de chuchotements sinistres, comme si la forêt elle-même chantait une berceuse macabre. Dans cette obscurité oppressante, les légendaires ghoul rôdaient, des créatures à moitié humaines, à moitié bêtes, hantant les cauchemars des habitants de Tormel. Leur appétit insatiable pour la chair des vivants était connu de tous, et ceux qui s’aventuraient trop loin dans la forêt disparaissaient sans laisser de trace. Pourtant, ce soir-là, une présence encore plus sombre menaçait d’émerger des ombres.

Léora, une jeune femme de dix-huit ans, se tenait immobile au bord de la clairière sacrée, cachée derrière un rocher couvert de lierre. Sa respiration était haletante, son cœur battait si fort qu’elle craignait qu’il ne trahisse sa présence. Mesurant environ un mètre soixante-dix, elle possédait une silhouette gracieuse qui se distinguait par une certaine délicatesse. Ses cheveux, longs et noirs comme l’ébène, tombaient en ondulations désordonnées autour de son visage, atteignant la moitié de son dos. En général, elle les attachait en une tresse lâche qui se défaisait facilement, donnant à son apparence un air rêveur et distrait. Le manque de coiffure soignée soulignait une certaine négligence, mais aussi une beauté naturelle qui lui était propre. Ses yeux, d'un vert profond, presque émeraude, brillaient d'une curiosité insatiable. Parfois cerclés de cernes, ils trahissaient ses nuits agitées ou ses préoccupations. Malgré cela, leur éclat vif et doux conférait à son regard une qualité à la fois intense et vulnérable. Elle sentit ses mains trembler légèrement, agrippées aux plis de sa cape grise, qui la dissimulait dans la pénombre. L’odeur terreuse et humide de la forêt l’enveloppait, mêlée à une pointe d’angoisse.

Elle savait qu’elle n’aurait jamais dû s’aventurer ici, mais une force mystérieuse, presque irrésistible, l’avait attirée hors du village ce soir-là. Les légendes murmurées par les anciens résonnaient dans son esprit, des avertissements que Léora avait souvent ignorés, persuadée que le danger était une invention des adultes pour effrayer les jeunes. Pourtant, ces derniers jours, une étrange sensation l’envahissait, un sentiment d’inconfort qui grandissait à chaque crépuscule. Elle avait remarqué des signes, des détails que les autres semblaient ignorer : le vent qui chuchotait des mots indistincts, les ombres qui dansaient plus longuement autour des arbres à la lisière du village. Quelque chose, ou quelqu’un, semblait vouloir l’appeler, lui promettant des réponses qu’elle cherchait depuis toujours, mais qu’elle n’avait jamais su formuler.

Malgré la peur qui grandissait en elle, un désir de comprendre ce qui se cachait derrière ces légendes, derrière ces voix, l’avait poussée à suivre ce chemin interdit. Chaque pas la rapprochait un peu plus de la clairière où, selon les histoires, des secrets anciens étaient enfouis.

Au centre de la clairière, un cercle de pierres anciennes, couvertes de symboles mystérieux, émettait une lueur bleutée, spectrale, qui semblait respirer comme une chose vivante. Léora sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine, ses yeux verts rivés sur les symboles qui dansaient à la lumière. Son instinct en elle lui criait de fuir, mais ses pieds restaient ancrés au sol, comme ensorcelés. Elle se sentait comme une proie immobilisée, prise dans les filets d'un prédateur invisible. Soudain, un grondement sourd se fit entendre, comme si la terre elle-même avait parlé. Une voix grave, froide, jaillit de nulle part, résonnant dans l’air comme le tonnerre.

« Ainsi vient l'Élue, celle qui brisera le lien des âmes et mettra fin aux ténèbres. »

Le sang de Léora se glaça. Elle se figea sur place, son souffle coupé par la terreur. Elle tourna lentement la tête, cherchant désespérément l’origine de cette voix. Mais tout ce qu’elle pouvait voir, c’était les ombres mouvantes des arbres, dansant au rythme d’un vent inexistant, leurs branches tendues comme des griffes prêtes à l’attraper.

— Qui... qui est là ? balbutia-t-elle, sa voix brisée par la peur, à peine plus qu’un murmure étouffé. La forêt semblait retenir son souffle, suspendue dans l'attente d'une réponse.

Puis, des ténèbres, une silhouette émergea, flottant au-dessus du sol comme un fantôme. C’était un vieil homme, vêtu d’une robe noire si sombre qu’elle absorbait la faible lumière de la clairière. Ses yeux, blancs et opaques, dénués de vie, semblaient pourtant percer l’âme de Léora, comme si lui seul pouvait voir la vérité cachée en elle.

“L’Élue,” murmura-t-il de nouveau, sa voix s’insinuant dans l’esprit de Léora comme une lame froide. “Celle qui sauvera notre monde... ou le condamnera à jamais.”

Le visage de Léora se décomposa sous le coup de la peur. Elle recula d’un pas, sentant son dos heurter violemment le rocher.

— Je... je ne suis pas celle que vous cherchez. Vous faites erreur. Ses mots résonnaient d’une fragilité désespérée, tandis que son esprit s’emplissait de panique, une lutte pour croire en sa propre insignifiance.

Le vieil homme esquissa un sourire triste, presque compatissant.

“La prophétie ne se trompe jamais. Les ghouls se sont réveillées, et tu es la clé.”

Avant qu’elle ne puisse comprendre ce que cela signifiait, une douleur fulgurante transperça sa poitrine, comme si une lame de glace s’y enfonçait. Elle cria, s’effondrant au sol, incapable de bouger, tandis qu’une vision horrifique envahissait son esprit.

     Elle se voyait, debout au milieu d’une armée de créatures ténébreuses, brandissant une épée d’argent qui brillait d’une lumière aveuglante, comme un phare dans l’obscurité. Devant elle, une immense silhouette se dressait, un ghoul d’une taille terrifiante, la fixant avec des yeux rouges, brûlants de haine et de faim. Les cris de guerre déchirants résonnaient autour d’eux, et le sol tremblait sous les pas des créatures enragées, une marée de malice et de désespoir qui menaçait de l'engloutir. Puis, aussi vite que la vision était venue, tout s’assombrit.

Quand Léora rouvrit les yeux, elle se retrouva allongée sur le sol froid de la clairière, son corps secoué de tremblements incontrôlables. Le vieil homme avait disparu, et le cercle de pierres avait perdu sa lueur fantomatique, laissant l’obscurité s’épaissir autour d’elle. Le silence était total, oppressant, comme si la forêt retenait son souffle après le passage d’une tempête, chaque brin d’herbe, chaque feuille suspendue dans l’immobilité, attendant le prochain mouvement. Léora se redressa difficilement, le cœur battant à tout rompre, ses pensées encore embrouillées par ce qu’elle venait de voir et d’entendre. La prophétie… elle n’avait jamais cru aux légendes, aux histoires qu’on racontait pour effrayer les enfants, mais ce qu’elle avait ressenti était réel. Trop réel. Elle devait en savoir plus, comprendre ce qui venait de se passer. Sans perdre une seconde, elle se mit en route pour retourner au village, ses jambes encore flageolantes, comme si chaque pas la tirait vers un destin qu’elle n’avait jamais souhaité. Mais une chose était certaine : elle ne pouvait pas garder le silence. Les ombres se déplaçaient, les ghoules se réveillaient, et la prophétie s’était enclenchée. Que cela soit une bénédiction ou une malédiction, Léora savait que sa vie venait de changer à jamais.