J’avais déjà remarqué que me maintenir en tension, concentré sur un sujet – comme au moment de notre excursion pour pirater les affectations – me permettait de mettre de côté mes questionnements plus profond. Ainsi qu’amoindrir mes cauchemars la nuit. Il me semblait donc que j’aurais du pouvoir décider de mettre tout ça de côté. M’insérer dans le crâne qu’il fallait que j’aille de l’avant, que je ne me retourne pas.
Mais une fois de nouveau au calme, tout m’était revenu. La capitaine ETRON nous avait pourtant concocté un programme intense, et nous avions parfois à peine le temps de nous retrouver avec nos camarades – je m’étais retrouvé par je ne sais quel hasard dans une chambre seul. Nous n’avions plus un dortoir en commun, mais des chambres de deux à trois. Nous avions perdu notre cocon bien à nous. Il y avait bien le mess, mais comme la capitaine, et les autres instructeurs y passaient parfois, ce ne nous donnait pas l’impression d’une zone à nous.
Lors de nos moments de pause chacun rentrait donc rapidement dans sa chambre – en tous cas je le faisais – espérant profiter des rares heures de sommeil qu’on nous accordait. Mais pour ma part, je ne dormais pas souvent. Mes nuits étaient peuplées d’éclair vert, de crânes défoncés, de corps froid flottants. Je dormais peu, allongé sur ma couchette j’attendais la fin de ma période de repos.
Plus d’une fois, je vis quelqu’un rentrer dans ma chambre, en plein pénombre, et jeter un coup d’œil vers moi. S’assurait-il que je dormais ? ou bien au contraire que je n’arrivais pas à dormir ? Je m’imaginais parfois que c’était M. Wearek, qui venait m’annoncer que tout était fini, que tout serait plus simple désormais. Ou au contraire il venait me lancer une nouvelle devinette, un nouveau défi. Je me forçais à m’imaginer que c’était Cynthia, qui avait traversé les mers pour que je puisse me blottir dans ses bras. Où j’imaginais Xian, hanté lui aussi, qui venait partager la peine et les cauchemars. Je ne sus jamais qui venait me voir ainsi. Mais souvent je ne trouvais le sommeil qu’une fois cet inconnu passé, comme pour me rassurer.
Dans ces nuits froides, je n’avais pas instant imaginé mes parents. On nous avait tellement coupé d’eux. D’une coupure brutale, juste sans nous en reparler. Parfois j’avais peur. Je n’arrivais plus à me souvenir tout à fait du visage de ma mère, de son sourire ou de ses yeux pétillants. J’étais terrifié qu’on m’annonce leurs morts, et qu’au moment de pleurer je ne trouve qu’un trou d’indifférence froide. Nous avait-on à ce point coupé de nos attaches ? Ma mère m’avait parlé – alors qu’elle étudiait un projet de loi dessus – de comment fonctionnait les sectes. Quels stratagèmes ils mettaient en place pour couper les gens de leurs repères, de leurs liens, de leurs vies. Etions-nous donc tous aussi malléables que ça ? N’étais-je moi-même qu’une page blanche où d’autres pouvaient écrire ? De simples marionnettes aux mains de généraux assoiffés de sang.
* * *
J’avais reçu en arrivant un cadeau de la part de Wearek, transmis par Etron.
« Tu ne vas pas de battre avec ça ?! me lança en colère Matt. Balance ça de suite. T’es un homme ou pas. Moi je ne te suis pas pour se battre avec ça. »
Je venais de terminer mon premier entrainement avec, et avais prévu de montrer ces capacités à ma brigade. Mais Matt ne m’avait pas laissé lancer un seul mot, que déjà il s’était lancé dans une tirade sur les guerres déshumanisantes. J’avais eu la même réaction quand j’avais ouvert la boite qu’Etron m’avait tendu.
« Il est entièrement contrôlé par un code inscrit dans votre œil bionique, m’avait-elle informé. Personne à part vous ne pourra le contrôler. »
J’étais resté indécis devant le drone, toujours éteint. Devais-je m’en servir ? Le mot de Wearek qui l’accompagnait m’assurait qu’il n’était pas armé, et ne pouvait pas l’être. Il répondait à un tout un tas de norme galactique qui l’autorisait à être utiliser en condition de combat.
Et même là, le nombre de drone de surveillance était limité, ils sortaient au compte-goutte des usines. Personne ne voulait revivre la guerre des cent jours, et le sac de Bételgeuse. Les drones armés avaient été bannis, et l’armée qui en utiliseraient feraient l’objet d’une riposte immédiate de l’ensemble des planètes habitées. Ça avait été le cas des Trialles. Il ne restait plus rien de ces trois planètes, qui avait voulu dominer la voie lactée.
J’avais donc le droit à un drone de surveillance, à intelligence limité. Il pouvait voler, suivre un objet ou une personne, ainsi qu’éviter des tirs. Il était doté d’un petit réservoir d’énergie pour un bouclier actif – qui lui permettrait de tenir quelques secondes au mieux. Wearek m’avait également fourni toute une panoplie de caméra connectée. Statiques, elles me permettraient néanmoins de surveiller depuis de nombreux endroits.
Nous discutâmes longtemps toutes la brigade sur ce drone. Était-il, selon nous, une rupture des conventions de guerres ? Pouvait-il être qualifié de ‘machine automatique de guerre’, ou encore de ‘service artificiel d’intelligence guerrière’ ? Etron voulut s’incruster dans les débats, pour nous ordonner de les arrêter. Je lui signalais que c’était mon drone, et que j’avais le droit de ne pas l’utiliser. Je me conformerais à l’avis du groupe.
Seuls Paul et Maro s’intéressaient plus au drone lui-même que par le débat, tentant de le contrôler en vain ou de le démonter.
Finalement nous conclûmes que son niveau de programmation le rapprochait – quoiqu’en moins évolué – des services fonctionnels que fournissait les Interfaces Numériques Dépendantes – IND – des vaisseaux de guerre. Assez intelligent pour fournir des informations. Assez limité pour ne pas tenter de se préserver. Et surtout dépourvu de moyen de donner une mort intentionnelle.
Je gardais mon drone. Je le contrôlais de mon term, mais c’est dans mon œil gauche, en sur-impression, qu’il me renvoyait principalement les images. Il me fallait me concentrer sur la vision du drone pour la voir, et comprendre ce qu’il regardait.
Je passais de nombreuses séances d’entrainement en extérieur, faisant voler le drone le long de l’île. Les premières séances je les passais seuls pour maitriser les commandes de vols, et la gestion des ordres donnés à l’Interface Informatique. Peu à peu on complexifia mon entrainement, je devenais capable de marcher le long d’un chemin, tandis qu’avec mon drone je suivais un membre de mon groupe sur un autre chemin.
Puis nous simulâmes des combats. Le drone, dont la caméra s’affichait dans mon œil gauche, pouvait être un atout formidable. Placé en hauteur, la caméra pouvait me renseigner sur l’emplacement de mes adversaires, avant que je puisse les voir de moi-même. Mais c’était également une source de distraction.
Les premiers temps il m’arriva souvent de regarder, à travers mon drone, me faire attaquer, comme si c’était quelqu’un d’autre. Mes adversaires en profitaient pour me donnaient un bon coup, qui me rappelait à la réalité – mais trop tardivement pour moi.
J’appris ainsi à voir le plan d’un combat suivant deux directions croisées : la mienne, et celle de mon drone. Doté d’une caméra bien plus performante que mes yeux, il m’arriva en pleine nuit de ne me battre qu’en fonction de ce que me renvoyait la caméra. Cela donnait l’impression d’un jeu vidéo – jusqu’au premier échange de coups, qui eux étaient bien réels.
* * *
Nous avions volé le pinson, et nous étions posés sur un des terrains d’entrainements pas loin de la zone de récréation, sur le continent. L’air frais d’une nuit à peine commencée peinait à remplacer la chaleur émise par les bâtiments. Je pianotais tranquillement sur mon term, échangeant quelques mots avec Cynthia, pour s’assurer qu’elle nous rejoigne.
C’est Xian, qui menait la route – à sa façon de marcher, c’était déjà une danse qu’il menait. Nous le laissions tous choisir les lieux. Il aurait pu se renseigner sur le réseau – maintenant que nous y avions accès – mais préférait s’en remettre à l’instinct. En passant devant la foule qui s’amassait à l’entrée du Zwing, il fit la moue, fit semblant de s’étaler par terre. Il accrocha les deux mains de Swann, et par un pas aérien, il nous mena vers le Major.
A l’intérieur je fus pris d’un haut le cœur devant l’odeur d’alcool qui s’en dégageait déjà. Les gens buvaient-ils plus ? ou était-ce mes souvenirs qui me trompaient ? Je décidai d’attendre que Cynthia arrivât avant d’aller danser, tandis que mes autres compagnons plongeaient vers la piste – où d’une main Xian s’était déjà hissé.
Je profitais de la musique assourdissante, de la fumée envahissante et des lumières psychédéliques. J’ignorais que cette atmosphère m’avait à ce point manquée. Je me laissais pénétrer par ces changements trop rapides pour les suivre, me laissant aller à l’abandon. J’aimais ces bruits, ces flash colorés. Il facilitait ma prise de recul par rapport à l’armée. J’y voyais mieux en regardant ces corps danser, se déchainer.
Je pensais à nos missions d’entrainements, que la capitaine Etron nous donnait. Deux jours auparavant lors d’une mission d’insertion dans le bâtiment de l’amirauté navale, j’avais surpris Joanne en train d’insérer des logiciels espions dans le terminal d’une secrétaire de l’amiral. Elle m’avait alors dit que cela faisait partie de sa mission – cette dernière précisant qu’elle ne devait se faire voir de personne y compris dans l’équipe. Elle m’avait demandé d’une voix toute douce, à peine un chuchotement, de n’en rien dire à notre capitaine.
Déjà que je n’étais pas au courant de tous les entraînements que demandait la capitaine à notre équipe – enfin je pensais plus ‘MON’ équipe – mais voilà que j’apprenais qu’elle donnait des missions en douce. Je décidai que le lendemain j’irai mettre les choses au clair avec notre capitaine.
Tout à mes idées, je n’avais pas aperçu le temps passé, et m’inquiétais tout d’un coup de l’absence de Cynthia. D’après les messages de mon term, elle aurait dû arriver depuis plusieurs minutes.
« Tu cherches Cynthia ? me demanda Lou tandis que je l’accostai. Avec Xian. Il parait que tu l’as à peine remarqué quand elle t’a dit bonjour. »
Je ne la laissai pas s’attarder sur son reproche – très certainement justifié au vu des choses qui trottaient dans ma tête. Je couru en plein dans la piste, profitant d’un changement de musique, pour ravir la belle à mon ami.
Elle fût surprise d’être enlevée par un inconnu. Enervée, elle voulu frapper l’importun – moi en l’occurrence – d’une méchante claque, me reconnut, voulu arrêter sa giffle, glissa sur la piste. Elle tomba dans mes bras – et malgré toute ma fierté – je ne tint pas. Nous tombâmes tous les deux à terre – moi dans une posture particulièrement ridicule – tandis que Xian tentait de respirer entre les crises de rire qu’il avait.
Il mit trois bonnes minutes à se calmer avant de nous aider à nous relever. Nous reprîmes alors la musique où elle en était. Nous nous perdîmes dans les mouvements, dans les corps. Quelque part entre la musique de bal, et celle de sauvage. Entre les danses sensuelles, et le total abandon. Je voyais ses regards, je voyais son sourire. Entre deux pas de danse, je tentais de les ravir. Pour les graver en moi, qu’elle ne me quitte pas.
Elle jouait de moi, je le savais, mais j’aimais ça. A picorer nos attentions entre Xian en moi, elle volait de l’un à l’autre au gré du rythme de la samba, ou du rock. Elle venait vers moi pour des spins ou des marillons, et partait dans les bras de Xian pour des aérobics. Nous étions dans une amicale compétition, nous donnant Xian et moi, le meilleur de nous-mêmes, espérant ainsi ravir quelques grâces à notre belle. Lui par ses pas de danse, de plus en plus spectaculaires, moi par quelques jeux de mots ou de tendres regards.
Aucun n’avait la faveur – ou peut-être ne m’en rendais-je pas compte. Il s’agissait de tout donner, et laisser à l’autre le temps d’en faire de même. La compétition ne vaut que quand l’adversaire est bon. Sinon, il n’y a aucun mérite à la victoire. Nous tenions donc à ce que l’autre puisse briller, pour qu’à notre tour nous puissions éblouir. Et à la fin de la soirée, au retour sur le pinson, nous le savions d’avance, nous nous féliciterions de nos exploits. J’admirais Xian pour son talent et sa maitrise. Il jalousait parfois un peu mes mots, et leurs pouvoirs.
La seule inconnue était les faveurs que Cynthia distribuait. J’eu le droit parfois à des baisers. Passionnés. J’en perdais alors ma voix – sous son rire discret qui se déclenchait. Xian en eu surement, je ne sais pas. En amour on ne compte pas. En amitié non plus.