CHAPITRE 1 - Lili

CHAPITRE 1
- Lili -

Marco creusait un trou dans le sable, machinalement, sans trop savoir pourquoi. Pour le simple plaisir de creuser sans doute ; il aimait le crissement de sa pelle en plastique frottant contre ce mélange de grains fins et de petit gravier, il aimait la chaleur du soleil sur sa peau et le sentiment d’être lancé dans un chantier plus important que tout au monde.

Et puis honnêtement, il n’avait pas grand-chose d’autre à faire. Il avait déjà construit un château, l’avait déjà détruit sous l’attaque fulgurante d’une armée d’orcs-coquillage, l’avait reconstruit, puis de nouveau détruit, puis s’était lassé à l’idée de recommencer encore une fois toute l’histoire. 

Dans les dessins animés et les livres, Marco voyait les enfants construire leur château tout près de l’eau dans l’espoir qu’il soit détruit par une grande vague et de faire mine d’en être déconfis. Mais c’était peine perdue ici, car il n’y a pas de vagues sur un lac. Son château ne pouvait être détruit que par lui-même, ou par le temps.

Alors maintenant Marco creusait, histoire de changer un peu d’activité. Cela faisait bien longtemps qu’il ne cherchait plus à profiter du paysage, car il fallait bien le dire, c’était tout de même chaque année sacrément pareil. Le lac était le même qu’aux vacances précédentes et toujours entouré des mêmes collines que les vacances d’encore avant. C’était la même chose, tous les étés. Tous. Les. Étés. Ses parents l’emmenaient ici, à la base de loisir du Lac de la Tortue, pour se poser, bronzer, arrêter de penser. Et Marco faisait des châteaux et creusait.

Le plastique de sa pelle cogna contre un gros caillou bien rond dans un crac désagréable. Alors tout bascula. Marco se précipita pour prendre dans son seau la petite brosse que son père lui avait offerte et se mit à retirer délicatement le sable autour de ce qu’il avait décidé de prendre pour un crâne enseveli qu’il lui fallait maintenant dégager sans l’abîmer. Trouverait-il un squelette entier, faisant de lui le plus jeune archéologue de l’Histoire ?

Le jeu fut drôle tant qu’il en était à dépoussiérer minutieusement sa trouvaille. Mais une fois qu’il l’eût en main, l’amusement, déjà, retomba. Il posa à côté de lui ce qui n’était de nouveau plus qu’un gros galet commun, rangea sa brosse, repris sa pelle et recommença à creuser ; histoire de creuser, histoire de mettre du sable malgré lui dans chaque pli de son bermuda, histoire de faire de ce trou une tranchée de la première guerre mondiale s’il arrivait à le faire assez grand pour y tenir tout entier. Histoire de passer du temps sur la plage, plutôt qu’au bungalow où sa mère était restée parce qu’elle ne se sentait pas bien.

Marco n’en arriva pas jusqu’à la tranchée. Le trou ne lui arrivait qu’au-dessus du genoux lorsqu'une silhouette en contre-jour vint lui faire de l’ombre. Il vit une paire de petits pieds nus contourner tranquillement son chantier pour se placer juste en face de lui.

Il leva la tête et ses yeux parcoururent deux jambes au teint aussi hâlé que le sien, un short bleu, un chemisier blanc à pois, bleus aussi, de très longues mèches de cheveux presque aussi foncés que les siens, un visage. Celui d’une petite fille que Marco n’avait encore jamais vue au Lac de la Tortue.

— Tu fais quoi ? lui demanda-t-elle.
— Je creuse.
— Pourquoi ?
Marco n’eût pas envie de lui dire “parce que j’aime le crissement de la pelle en plastique contre le sable”, ni “pour jouer à l’archéologue avec des galets” et encore moins “je creuse pour creuser parce que j’ai fini de jouer au château-fort et que je n’ai pas encore eu d’autre idée”. Alors il réfléchit très vite, et se décida pour autre chose : 
— Je vais cacher un trésor.
— Oh ! 
Marco fut ravi de son effet. La petite fille avait ouvert des yeux ronds et avides d’en savoir plus.
— Et c’est quoi ton trésor ? demanda-t-elle en se mettant à genoux pour regarder s’il n’était pas déjà entreposé dans le trou.
Marco n’avait pas encore eu le temps de réfléchir à cela.
— C’est un secret, dit-il. 
— Oh. 

Marco recommença à creuser.

— En tout cas il est petit ce trésor, reprit l’inconnue qui se contorsionnait pour essayer de deviner dans quelle poche Marco avait bien pu l’apporter. 
— Je l’ai pas sur moi, sinon tout le monde me verrait le cacher, ça servirait à rien. Je creuse d’avance en faisant semblant que c’est juste pour m’amuser et ce soir, quand il n’y aura plus personne pour voir, je mettrai le trésor dans le trou et je le refermerai, ni vu ni connu.
— Oh !
La petite fille était de nouveau éblouie.
— Comment tu t’appelles ? demanda-t-elle.
— Marco, répondit Marco.

Puis il se remit à creuser. 

Mais il n’arrivait plus à se concentrer. Le crissement de la pelle contre le sable n’avait plus la même saveur avec deux yeux posés sur lui qui ne semblaient pas vouloir se détacher.

— Moi c’est Lili, dit finalement la petite fille.

Marco stoppa son geste.

— Ok, dit-il.