Chapitre 1 - Morts-vivants

Notes de l’auteur : Ce roman contient des scènes difficiles. Àmes sensibles s'abstenir.

Lise lisait. À côté d’elle, Aleyna et Carda jouaient aux dés. Elles riaient bruyamment et s’insultaient régulièrement, en pure amitié évidemment. Le bruit ne dérangeait pas Lise. Vivre en communauté était une habitude depuis sa naissance. Aleyna et Carda étaient comme ses sœurs. Jamais elle n’aurait osé imaginer se plaindre et leur demander de faire moins de bruit.

Si elle voulait du silence, il lui suffisait de créer une bulle d’anti-son autour d’elle. Lise s’en abstint car elle ne cherchait pas réellement à lire. Elle leva les yeux vers Delphine. Sa collègue discutait avec Amina. Lise aurait aimé travailler avec Delphine mais elle ne dérangea pas l’échange en cours. Elle attendrait son tour.

- Je peux jouer avec vous ? proposa Valley.

- Euh… Non, lâcha Aleyna d’un ton peu aimable.

- Pourquoi ? chouina Valley.

- Tu peux voir le tirage de dés avant qu’il ne se produise ! rappela Aleyna.

- Rien ne prouve que tu n’as pas ensorcelé les dés, répliqua Valley.

- Ou que Carda ne manipule pas l’air ou le support pour dévier les dés, compléta Lise en souriant.

Comme attendu, Carda se redressa d’un bond, le visage rouge de rage, et s’exclama :

- Je ne suis pas une tricheuse ! Je joue à la régulière !

Aleyna, Valley et Lise rirent. Carda bouda et se rassit lourdement, comprenant que ses amies la titillaient gentiment.

- Delphine ? Ça va ? demanda soudain Amina.

Toutes les filles se tournèrent vers leur collègue. Delphine, les yeux dans le vague, ne disait plus rien. Elle s’ébroua et revint au présent.

- Je viens de recevoir un appel à l’aide. La ville de Brise-fer se dit attaquée.

- Attaquée ? répéta Amina. Par qui ?

- Le message n’était pas clair, très chaotique et brouillé. Ça avait l’air d’être la panique, indiqua Delphine.

- Je nous téléporte sur la place centrale, lança Aleyna en se levant.

Ses cinq amis entrèrent en contact physique avec elle, épaule, bras, main, tête, peu importait tant qu’elles la touchaient. Aleyna se mit à psalmodier une phrase compliquée. Lise ne parlait pas la magia verborum, le langage magique des sorciers, mais elle savait que la sorcière prenait ses précautions.

Il ne fallait pas se contenter de demander à la magie de les amener sur la place centrale de Brise-fer. La probabilité pour que les filles apparaissent dans un étal de fruits, un mouton, une charrette ou pire, un être humain ! était bien trop grande. Aleyna précisait « loin d’un humain ou d’un objet », d’où la longueur de la phrase.

Enfin, Aleyna se tut et la bibliothèque disparut du regard de Lise. L’instant suivant, ce fut le chaos.

Premier choc : Aleyna s’écroula. Ce n’était plus vraiment Aleyna. Son corps et celui d’une autre créature se confondaient. La téléportation les avait amenées à ne faire plus qu’un : deux têtes, trois bras, quatre jambes. Lise dut se retenir de vomir.

Deuxième choc : Carda s’écroula en hurlant, le corps remué de spasmes.

Troisième choc : Des cris partout, une odeur de putréfaction, de la poussière, de la fumée, des hurlements, un désordre total.

Lise regarda autour d’elle. Des cadavres ranimés - visages à moitié décomposés, mâchoire du bas manquante, bras sans mains ou mains sans doigts - fondaient sur les habitants pour les griffer, leur arracher le cœur, les mordre sauvagement, les tuer à coups de poings et de pieds.

Des morts-vivants reconnut Lise, des centaines, des milliers de décédés se relevaient. Voilà pour Carda tremblait au sol : la vie désertait les lieux. La pauvre druide souffrait le martyre.

Certains revenants portaient encore les attributs de leur fonction : masse pour le maréchal ferrant, rasoir pour le barbier, batte pour la lavandière. Ils s’en servaient comme d’armes de fortune pour massacrer leurs anciens voisins et amis.

- Mais combien de nécromanciens sont présents ? s’exclama Lise en regardant Amina.

- Un nécromancien peut contrôler un mort. S’il est doué, deux. S’il est excellent, trois. Il doit y en avoir des milliers. Comment une telle force a-t-elle pu nous échapper ? Nous devons rentrer et prévenir le roi.

- Nous n’avons plus de moyen de téléportation, gronda Delphine en évitant de regarder Aleyna la sorcière fusionnée avec le mort-vivant. Il va falloir sortir à la régulière.

- Comment ? s’exclama Lise.

Bien sûr, la magicienne avait été formée au combat mais cela dépassait largement tout ce qu’elle avait pu imaginer. Elle se sentit dépassée, barque fragile ballottée par un ouragan. Comment avait-elle pu passer de la tranquillité de la bibliothèque à ça en si peu de temps ? Son esprit peinait à s’activer correctement.

Ce n’était pas la première mission réelle du groupe féminin, mais habituellement, il fallait escorter un convoi de fleurs ou surveiller un tournoi amical. Ce n’était pas le premier mort que Lise voyait, puisqu’ils étaient presque quotidien à l’école, mais en mission, c’était nouveau.

Delphine désigna un mort-vivant et il tomba, ses os s’éparpillant sur le sol. L’ensorceleur venait d’en tuer un… sur des milliers. Super. Une goutte d’eau dans un océan.

Lise gronda puis secoua la tête. Mourir ici ? Jamais. Elle connaissait les risques mais décida de le faire quand même. Ça ne pouvait être pire que la mort, si ?

- Apprends-moi à désartibuler, ordonna Lise à sa collègue.

- Seuls les ensorceleurs ont la force mentale nécessaire à la réalisation d’un tel acte, rappela Delphine. C’est inutile.

- Seule, tu n’y arriveras pas. Montre-moi ! insista Lise.

- Je te répète que ça ne sert à rien ! gronda Delphine.

- Delphine ! Montre-moi ! hurla Lise.

- Oh très bien ! Toi et ta suffisance ! Magicienne arrogante ! insulta Delphine.

Lise perdit le contrôle de ses pouvoirs. La sensation était atroce. Elle ressentit une bouffée de haine pour l’ensorceleuse, et ce bien qu’elle vienne de réclamer cet acte. Delphine aurait quand même pu prévenir ou se montrer un peu plus douce. Un mort-vivant à côté de Lise s’écroula. Delphine quitta le sanctuaire de ses pensées.

- Là. Contente ? Et maintenant quoi ?

Lise désigna un mort-vivant de sa main, contacta ses pouvoirs, les modela pour qu’ils recopient ce que Delphine venait de faire et le mort s’écroula.

- C’est impossible, frémit Delphine. Seuls les ensorceleurs peuvent…

Lise ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.

- Maintenant, on fuit ! Même à deux, nous ne sommes pas de taille !

- Deux ? répéta Delphine en montrant leurs collègues du doigt.

- Valley, une vision intéressante ? ironisa Lise.

Blême, la voyante secoua négativement la tête. Lise poursuivit sur le même ton sarcastique.

- Amina ? Peux-tu voler un mort à ces nécromanciens ?

- J’essaye depuis notre arrivée. Impossible. Qui qu’ils soient, ils sont bien meilleurs que moi.

- Carda ? Carda ?

La druide prostrée au sol en position fœtale gémissait doucement.

- Je confirme, en conclut Lise. Nous sommes deux.

Delphine lui envoya un regard noir en retour.

- Valley et Amina, portez Carda. On bouge ! ordonna Lise.

- Tu n’es pas notre chef ! s’écria Delphine.

- Notre chef est morte, rappela Lise en évitant de regarder le cadavre du gémeau ignoble d’Aleyna la mutante mort-vivante.

- Donc tu prends sa place ? Où est ton humilité ? l’insulta Delphine.

Lise voulut répliquer mais Valley la prit de vitesse en chouinant :

- Ils arrivent…

Autour des cinq survivantes, les morts-vivants se regroupaient. Ils grouillaient et s’approchaient lentement. Lise sut que c’était fini. Aucune d’elles ne ressortirait d’ici vivante.

- Delphine ! Contacte la capitale ! Il faut qu’ils soient prévenus ! ordonna Lise.

- Je ne peux pas attaquer et discuter en même temps ! s’écria Delphine.

- Je sais, maugréa Lise.

Le moment n’était pas à dénigrer les pouvoirs de l’ensorceleuse. Lise garda le reste de sa remarque pour elle.

- Je les contacterai quand on sera sorties de cette merde ! insista Delphine.

- Nous ne sortirons jamais d’ici, assura Lise.

Lise comptait bien s’en sortir, mais sans les autres. Elle pourrait se protéger elle et peut-être même Delphine. Tant pis pour Amina, Valley et Carda.

- Non ! Non ! s’écria l’ensorceleuse en tremblant et en secouant la tête.

La nécromancienne, la voyante et la druide gardèrent le silence. Elles dégainèrent leurs lames, conscientes que cela ne changerait rien à l’issue finale. Donner du temps à Delphine, voilà tout ce qui importait.

- Préviens, insista Lise. Nous te protégerons aussi longtemps que nous le pourrons.

La gorge serrée, Delphine ferma les yeux et se concentra. Une larme fila et tomba sur le bout de sa botte.

Valley, Carda et Amina tranchèrent quelques adversaires. Elles se battirent avec courage mais leurs adversaires, dénués de peur et de volonté propre, marchaient sur les os éparpillés de leurs prédécesseurs sans frayeur. Leurs regards vides ne montraient rien, seulement le néant. Sans volonté propre, ils obéissaient à leurs maîtres, cachés, se terrant derrière leurs marionnettes.

Carda fut la première à tomber, puis Valley et enfin Amina. Lise resta concentrée, désartibulant chaque revenant s’approchant d’un peu trop près. La magicienne s’agenouilla et pria Baca, sa déesse, sans cesser de lancer ses sorts. Calme dans la tourmente, une bulle de sérénité l’entourait. Tous les morts qui s’approchaient tombaient, inexorablement. Pourtant, ils continuaient.

- Lise, c’est fait. Le roi est au courant, annonça Delphine en se collant à la magicienne pour profiter de ses pouvoirs. Comment fais-tu pour en tuer autant ? Tu as encore de l’énergie ?

- Oui, assura Lise. Plein.

- Prétentieuse, l’insulta Delphine. Tu as toujours cherché à faire la maline.

- Je ne fais que répondre à ta question, répliqua Lise, toujours très concentrée.

- Il faut bouger ! ordonna Delphine.

- Je doute de pouvoir conserver ma concentration tout en me déplaçant, indiqua Lise.

Delphine modela la magie présente dans l’air et fit léviter Lise avant de la pousser. Le duo creusa un trou dans la nuée de revenants, avançant lentement dans la ville. Un silence de plomb les entourait. Nul doute que tous les habitants étaient morts. Ne restait qu’elles, les spectres et leurs nécromanciens, toujours invisibles.

Pourtant, ils ne pouvaient pas se trouver bien loin. Le contrôle nécessitait une courte proximité.

- Ça va, Lise ? demanda Delphine au bout d’un moment.

- Très bien, dit Lise.

- Tu as encore de la réserve d’énergie ?

- Oui, beaucoup, indiqua Lise. C’est ma concentration qui commence à peiner, pas mon énergie.

- Tu ne te vantais vraiment pas alors.

Lise choisit de ne rien répondre. Nul ne l’avait crue à l’école. On la disait hautaine et présomptueuse là où elle se contentait de répondre aux questions. Elle avait frôlé l’exécution pour manque d’humilité. Delphine ne l’avait jamais beaucoup appréciée alors que Lise aurait adoré apprendre de sa compagne ensorceleuse, extrêmement douée en contrôle de la magie, et avec qui elle aurait pu apprendre tant.

- Pourquoi t’arrêtes-tu ? demanda Lise.

Elle constata que les morts s’éloignaient au lieu de tenter de l’attaquer comme ils le faisaient jusque-là. Ils restèrent à bonne distance et cessèrent de s’approcher d’elles.

Lise ouvrit les yeux, surprise, pour constater qu’une forme humaine en manteau noir se tenait devant les deux femmes. On ne voyait rien de son corps, masqué sous le lourd tissu noir. Un des nécromanciens, sans aucun doute.

Il exhalait de cet être une noirceur intense. Le chaos l’accompagnait. La mort vibrait près de lui. Homme ou femme ? Difficile à dire.

- Qui êtes-vous ? cracha Delphine.

- Laquelle de vous deux détruit mes petits ? demanda l’être.

Sa voix indiquait un homme, un son simple et clair, tinté d’une pointe d’amusement et de curiosité sincère. Comme aucune des deux femmes ne lui répondait, il poursuivit.

- Il faut être sacrément douée pour parvenir à un tel résultat.

Lise, toujours à genoux, se releva. Delphine cessa de la faire léviter, permettant à la magicienne de toucher le sol.

- Pourquoi avez-vous attaqué ces pauvres gens ? demanda Lise tout en lançant ses pouvoirs contre le nécromancien.

L’attaque rebondit avant de s’évanouir dans l’air. Le gars était entouré d’un puissant bouclier protecteur. Lise tenta une autre approche, en vain.

- Laquelle des deux ? répéta le nécromancien.

Il observa les deux femmes avec attention puis son regard se fixa sur Delphine.

- L’ensorceleuse, peut-être, murmura-t-il mais dans le silence ambiant, ses mots portèrent.

Lise se crispa en même temps que sa collègue. Comment avait-il pu déterminer sa nature magique d’un simple regard ? C’était impossible !

- Les ensorceleurs sont connus pour être doués en contrôle de l’esprit. Est-ce toi qui a détruit autant de mes petits ?

Il n’y avait aucune haine dans son ton, comme si la perte de ses marionnettes l’indifférait. Il ne semblait pas vouloir se venger, juste papoter.

Un mort fondit sur les filles et Lise le désartibula.

- C’est toi ! dit le nécromancien en transperçant Lise du regard.

Comment avait-il pu le savoir ? Nécromancien, il manipulait la magie noire, pas la magie blanche. Il n’aurait pas dû pouvoir savoir de laquelle des deux manipulatrices de la magie de la Perle venait l’attaque.

- Une magicienne possédant un tel pouvoir ! Tu es…

Il s’approcha et Delphine, terrifiée, recula. Lise aurait voulu faire de même mais la frayeur la clouait sur place. Sa vessie se vida sous elle et la magicienne se retrouva incapable de bouger ou de parler. Delphine parvint à désartibuler deux morts avant de se faire écorcher vive.

Lise se retrouva seule devant la capuche sous laquelle elle ne voyait rien. Le visage du nécromancien restait inaccessible. Il leva son bras droit et une main masculine hâlée apparut. Pas une main blanchâtre et pâle avec des ongles longs et pointus, comme la plupart des paysans s’imaginaient les nécromanciens. Cette main, chaude et pulsante de vie, se posa sur le cou de Lise sans que la magicienne, pourtant rompue à l’art du combat, ne s’oppose.

Une violente douleur irradia dans sa carotide et monta jusqu’à son cerveau. L’image du nécromancien se brouilla, remplacée par celle de la bibliothèque de l’école et Lise s’écroula.

Elle reprit connaissance alors qu’une chaleur l’envahissait par l’épaule. Un druide la secourait. Lise rouvrit les yeux, hagarde.

- Lise ! s’exclama une voix que la jeune femme connaissait mais ne remettait pas. Que s’est-il passé ?

La magicienne ne connectait plus rien.

- Lise ! Delphine m’a contacté pour me prévenir que Brise-fer était attaquée par des morts-vivants.

Lise replaça la voix : c’était celle du roi.

- Tout le monde est mort, pleura Lise. Il n’y a pas un seul survivant.

- Si, toi ! répliqua le roi.

- Elle a quoi au cou ? demanda le druide.

- Mon cou ? s’écria Lise en touchant l’endroit où le nécromancien l’avait caressée.

Elle ne sentait rien que sa peau fine mais les regards des personnes autour d’elle lui apprirent que quelque chose se trouvait là.

- J’ai quoi au cou ? hurla Lise.

- Un genre de tatouage, dit le druide. Je n’ai jamais vu ça de ma vie. Ce truc bouge comme s’il était vivant.

- Fais apparaître un miroir ! ordonna Lise au druide.

Il s’exécuta sans se formaliser du ton peu aimable de la magicienne. Lise put admirer les courbes sombres dansant de son épaule à son oreille gauche.

- Retirez-moi ça ! hurla Lise épouvantée.

- Nous ferons tout notre possible, promit le roi.

Il attrapa les mains de Lise et la regarda dans les yeux. Dans son regard brun apaisé, la magicienne parvint à se calmer.

- Les meilleurs êtres magiques du pays se pencheront dessus. En attendant, au rapport, magicienne !

Le roi venait d’ordonner. Lise hocha la tête et raconta l’appel à l’aide reçu par Delphine, leur téléportation immédiate pour Brise-Fer et la mort de la sorcière à l’arrivée.

- L’erreur d’Aleyna lui a malheureusement coûté la vie. Passez le mot : tous les sorciers devront rajouter « loin des morts-vivants » dans la phrase de téléportation, annonça le roi.

Un sorcier soupira. L’incantation était déjà sacrément longue et preneuse en énergie. Rajouter une condition la rendrait encore plus pénible à lancer.

Lise poursuivit son récit. Les êtres magiques ne la coupèrent plus mais elle sentit leur animosité grandir. Lorsqu’elle eut terminé, il était évident qu’ils ne la croyaient pas.

- Des nécromanciens envoient leurs marionnettes et déciment une ville. Mais pourquoi faire ? s’interrogea le roi sans s’intéresser le moins du monde à la performance magique de Lise.

Il avait entendu parler de cette mage ayant frôlé l’exécution. On l’avait prévenu qu’elle pouvait se montrer présomptueuse. À ses yeux, il ne faisait aucun doute qu’elle enjolivait son récit pour se donner de l’importance. Il décida d’adopter la meilleure réaction possible : l’ignorer. Elle cherchait à se faire féliciter. Elle pourrait attendre longtemps.

- Ils pillent peut-être la ville ensuite ?

- Ils s’y installent ?

- Ils cherchent quelque chose en particulier ?

- Ils s’ennuient et s’amusent ?

Les propositions fusèrent. Lise se sentit mal. Elle caressa son cou tout en observant les courbes sombres danser sur son reflet dans le miroir. Pourquoi l’avait-il marquée ? Il aurait tout aussi bien pu la tuer. Pourquoi la garder en vie ?

- Attendez… Je reçois le rapport du sixty partit observer Brise-fer de loin, dit le roi. Ils m’indiquent que l’endroit est désert. Aucune âme qui vive. Pas de morts-vivants non plus. Ils sont partis. Ah ! Il y a des survivants. Il semblerait que tu te sois trompée, magicienne, cingla le roi, visiblement ravi de cet état de fait. Une famille a survécu.

« Une famille », pensa Lise. « Une seule famille survivante. J’appelle ça anéantir une ville entière ». Elle se garda bien d’annoncer son commentaire à voix haute.

- Le village voisin a été balayé par une armée de morts-vivants, annonça le roi qui recevait toujours les messages du sixty sur place. Les revenants se dirigent droit sur Sacre-Vert.

- Il faut faire évacuer la ville, proposa Lise.

- Évacuer ? Non ! Je veux que vingt sixty soient déployés sur place et protègent les habitants. Zildar, tu es aux commandes.

- Bien, Majesté, répondit le sorcier désigné.

- Dépêche-toi. Ils avancent vite ! précisa le roi.

Zildar disparut en courant. L’assemblée se dispersa.

- Toi, Lise, tu restes ici. Nous verrons à te réassigner à autre sixty, annonça le roi avant de s’éloigner à son tour.

Il n’était pas rare qu’un sorcier débarque dans un sixty déjà formé, remplaçant son prédécesseur, mort d’avoir manqué d’humilité. Qu’un magicien entre dans un sixty pré-existant ne se produisait jamais. À la connaissance de Lise, ça serait une première. Les magiciens étant une rareté, assemblage instable impossible à prévoir, on en prenait soin, ce qui expliquait que Lise ait échappé à la mort. Elle aurait été sorcière qu’elle aurait été exécutée depuis longtemps.

Lise rejoignit sa chambre à l’école et s’assit sur son lit. Elle allait devoir rejoindre un nouveau sixty, découvrir ses nouvelles compagnes. Lise n’avait aucune envie d’intégrer un groupe. Elle pleura ses anciennes sœurs et resta seule toute la matinée.

En milieu de journée, un appel télépathique la prévint qu’elle était attendue dans le cinquième salon de l’aile nord. Elle s’y rendit pour y retrouver le roi entouré de nombreux êtres magiques dont Lise fut incapable de se souvenir des noms. Elle les avait déjà croisés à l’école, bien sûr, mais leurs identités lui échappaient. Son esprit peinait à se connecter au moment présent. La terreur suintait par tous ses pores.

- Tes nouveaux compagnons, indiqua le roi en désignant les cinq êtres magiques de la pièce.

Lise se figea de stupeur. Des hommes ? On l’intégrait à un groupe masculin ? Cela se faisait, bien sûr, surtout dans ce sens-là. Les magiciens étaient tellement rares et les femmes encore plus alors les magiciennes se retrouvaient souvent entourées de mâles.

Lise se sentit terriblement mal. Elle aurait voulu hurler, s’enfuir, pleurer. Pourquoi n’était-elle pas morte avec ses camarades ? Pourquoi le nécromancien l’avait-il épargnée, se contentant de la marquer ?

- Vous allez rejoindre Arc-Col pour y retrouver les autres sixty sur place. Je vous rappelle les consignes : aucun contact. Aucun rapprochement. Vous observez et vous rendez compte de vos observations. C’est tout.

- Arc-Col ? répéta Lise. Qu’est-ce qu’il y a là-bas ?

- L’armée de morts-vivants, répondit un des membres du groupe, probablement le sorcier vu sa posture de chef.

- Qu’est-il arrivé à Sacre-Vert ?

- Tout le monde est mort, annonça le roi.

- Vous n’avez pas évacué la ville, comprit Lise. Des pertes du côté des sixty ?

- Fort heureusement, tout le monde a pu se téléporter à temps, la rassura le roi.

- Les habitants, eux, ont été massacrés, siffla Lise.

Le roi lança sur elle un regard brûlant devant ce ton chargé de mépris.

- Votre mission est de recueillir un maximum d’informations afin que notre attaque soit la plus rapide et efficace possible. Maintenant ! cingla le roi.

Les hommes entrèrent en contact avec le sorcier. Lise ne bougea pas.

- Magicienne ! gronda le roi.

La simple idée de se retrouver proche du nécromancien vrilla les entrailles de Lise. Elle ne voulait plus jamais se tenir à proximité de cet homme. Elle recula en secouant négativement la tête. Le roi gronda. Le sorcier se montra plus bienveillant.

- Majesté ! Elle vient de voir son groupe se faire décimer par ces choses. Sa peur est compréhensible.

- La moindre information le sera aussi et vous serez peut-être les seuls à l’obtenir, rappela le roi. Une paire d’yeux en plus est une bénédiction. Six changera tout.

Le sorcier leva les yeux sur la magicienne. La pauvre tremblait comme une feuille. Ses longs cheveux bruns masquait à moitié son visage du fait de sa posture courbée et de sa tête baissée. Elle puait la peur à plein nez. S’il n’agissait pas, elle se ferait exécuter. C’était la dure loi du pays. Le peuple acceptait la présence des êtres magiques à condition qu’ils soient obéissants, très obéissants.

Le sorcier s’avança, prit la magicienne par le bras et l’amena au milieu du groupe. Comme il le pressentait, elle ne s’opposa pas. Terrifiée, elle ne parvenait plus à réagir correctement. Le chef du groupe jeta un œil à chacun de ses compagnons. Ils comprirent et le touchèrent.

Lise entendit le sorcier prononcer son incantation, plus longue que d’habitude afin d’exclure les morts-vivants de la zone d’arrivée. Le décor changea pour devenir une immense prairie de champs labourés striés de petits chemins. Du haut de cette petite colline, on voyait mal la ville. Le vent ne permettait pas d’entendre les hurlements mais Lise, grâce à la magie, améliora ses sens et elle put voir les morts-vivants entrer dans les maisons. Elle entendit les hurlements des habitants.

Ils étaient là pour observer, guetter la moindre information. Ils ne cherchaient même pas à aider ces pauvres gens. Lise pleura dans les bras du sorcier qui la maintenait contre lui dans un geste rassurant que la magicienne apprécia énormément.

Les sorciers étaient ceux qui mourraient le plus à l’école. Le chef du groupe avait vu les siens périr les uns après les autres. Logique qu’il soit le plus compatissant. Les voyants restaient très largement majoritaires car leur pouvoir, passif, leur permettait de passer les épreuves d’humilité avec brio. Lise n’attendit aucun soutien du voyant. Elle supposa qu’il s’agissait de celui qui observait la scène sans lui accorder le moindre regard.

Lise trouva aisément le nécromancien ennemi. Il se tenait à l’arrière et avançait en même temps que sa lente armée, bien à l’abri derrière son bouclier de protection.

- Comment fait-il pour contrôler autant de morts-vivants ? dit Lise à voix haute, davantage à elle-même que pour réellement échanger.

- Il n’y en a pas qu’un, répliqua l’homme à gauche du sorcier.

Probablement s’agissait-il du nécromancien du groupe.

- Les autres se cachent, continua ce dernier.

- Il est seul, murmura Lise, certaine que c’était la vérité.

Elle avait eu la malchance de le côtoyer de très près. Ils ne pouvaient pas comprendre. Cet homme contrôlait cette armée de revenants sans la moindre difficulté.

- Les autres sont cachés sous un rideau d’invisibilité, assura le sorcier à son oreille. Ne tires-tu aucune leçon du passé ? D’autres ont essayé de nous leurrer.

Le sorcier faisait probablement référence au très ancien conflit entre les habitants des neuf royaumes – qui n’étaient que huit à ce moment-là – et ceux du pays de Turiel, affrontement durant lequel la province de Tiers avait été cédée aux ennemis. Les sauvages avaient joué sur la foi des sorciers en leur faisant croire que leurs pouvoirs étaient sans effet. Le pire était que cela avait fonctionné… jusqu’à ce qu’un ensorceleur prisonnier chez l’ennemi découvre le pot-aux-roses et se sacrifie pour que l’information parvienne au camp allié.

Lise secoua la tête. Aujourd’hui, c’était différent. Il n’y avait pas d’ennemis cachés. Il était là, sous leurs yeux, en plein jour, intouchable. Il massacrait sans se soucier des êtres magiques qui n’osaient pas l’approcher.

- Le roi a dit qu’il y avait des survivants de Brise-fer, dit Lise.

Le sorcier confirma d’un simple hochement de tête.

- Qui sont ces gens ? poursuivit Lise.

- Aucune idée. Des chanceux ? proposa le sorcier.

Lise se dégagea des bras du chef de groupe pour poser sur lui un regard furieux.

- Tu veux dire que personne ne les a interrogés ?

- Pourquoi faire ? répliqua le sorcier.

- Ils ont été au cœur d’une ville pendant une attaque et nul n’a jugé bon de recueillir leur témoignage alors que la moindre information est bonne à prendre ?

- Ils étaient probablement sur la périphérie, intervint le nécromancien en haussant les épaules. Les morts-vivants sont passés sans les voir.

- J’aimerais leur parler, indiqua Lise.

- Notre mission est de… commença le sorcier.

- récupérer des informations, termina Lise à sa place. C’est exactement ce que je veux faire. Téléporte-moi auprès d’eux et fais-moi revenir quand l’attaque sera terminée. Ça me laissera le temps de les interroger.

- Non ! gronda le sorcier. On y va tous ensemble.

- Quoi ? s’exclama le nécromancien. Tu n’approuves quand même pas ?

- Si, cingla le sorcier. Maintenant !

Lise sourit de bonheur avant de toucher le biceps du sorcier tout en le remerciant du regard. Ils apparurent dans une rue marchande. Le sort, bien lancé, permit une arrivée sans dégât. Les passants sursautèrent de peur avant de grogner en constatant la présence d’un sixty. Des « Je déteste quand ils font ça » et des « Pourriez prévenir, merde » retentirent mais ce fut tout.

- Où sont-ils ? demanda Lise, perdue devant autant de monde.

- Bonjour, dit le sorcier. Nous cherchons les survivants de Brise-fer.

- En face, indiqua gentiment la vendeuse de sucreries.

Le sorcier la remercia puis le groupe le suivit dans la boutique de chapeaux. Une clochette tinta à leur entrée.

- Messieurs dame ! Que puis-je pour vous ? dit un grand homme au sourire avenant.

- La ville de Brise-fer a été attaquée à l’aube, commença le sorcier.

- Je le sais, gronda l’homme, son visage devenant sombre. J’y étais. Vous devez bien le savoir. Un sorcier nous a téléportés ici avec tout le contenu de notre boutique. Fantastique, d’ailleurs ! Rien à redire. Service impeccable !

- Nous servons le peuple, souffla le sorcier avec humilité.

- Où se situait votre boutique de chapeaux à Brise-fer ? demanda Lise.

- Sur la place centrale, madame, dit le survivant.

Lise lança un regard triomphant au nécromancien qui bouda en retour.

- Comment expliquez-vous que les revenants n’aient pas remarqué votre présence ? interrogea le sorcier.

- Que voulez-vous dire ? Les morts-vivants sont entrés ! Trois nous ont tournés autour pendant un long moment avant de repartir. Nous sommes restés à l’intérieur jusqu’à l’arrivée des sixty, pour découvrir la ville vide. C’était étrange, ce silence à l’heure où la ville s’éveille habituellement.

Le sorcier fronça les sourcils. Lise lui lança un regard disant « Alors, toujours pas convaincu qu’on devait venir ? ».

- Que faisiez-vous quand les morts-vivants vous tournaient autour ? interrogea Lise.

- Tout le monde se faisait massacrer par des revenants. Que vouliez-vous que ma femme, mes trois enfants et moi fassions ? Nous priions, bien évidement !

- Vos dieux ont entendu vos prières de survie, lança un être magique que Lise supposa être le druide, sans certitude.

- Survie ? cracha le chapelier qui se sentait clairement insulté. Nous ne demandions rien de tel. Nous ne souhaitions que le salut de notre âme en ce jour que nous pensions être notre dernier. Mourir aujourd’hui ou demain, qu’importe ? Que le dieu de la mort prenne soin de nos âmes, voilà l’essentiel.

- Vous vénérez le dieu de la mort, comprit Lise.

- Est-ce une critique ? gronda le survivant.

- C’est une information, parmi d’autres, indiqua Lise.

- Si vous n’avez pas d’autres questions… commença l’homme, mécontent.

- Où sommes-nous ? demanda Lise.

- Orvald, annonça celui que Lise supposait être le druide.

Lise plaça la ville sur sa carte mentale des lieux qu’elle connaissait très bien. L’armée de morts-vivants était apparue à Brise-fer, ville au nord-est du pays de Turiel. Elle avançait plein ouest. Orvald se trouvait au nord de Brise-fer.

- Pourquoi avoir choisi cette ville en particulier ? demanda Lise au chapelier.

- Parce que je suis né ici, indiqua ce dernier. Cette boutique était celle de mes parents. À la mort de mon père, d’une maladie pulmonaire, ma mère s’est retirée au temple pour y servir notre dieu.

- Votre femme vient elle-aussi de cette communauté, supposa Lise qui savait que les croyants se réunissaient souvent entre eux.

- Non, dit chapelier. Elle n’avait pas la foi. Je l’ai convertie.

- Hum, fut tout ce que Lise trouva à répondre.

- Je vous remercie pour votre temps, annonça le sorcier avant de sortir de la boutique.

Lise ne le suivit pas. Elle se tourna vers le chapelier.

- Je sais que vous venez seulement de revenir, mais auriez-vous eu vent de la présence d’autres survivants ?

- Oui, répondit le chapelier. La sœur du tanneur est fleuriste. Elle vend ses créations originales dans toute la région. Ça marche très bien. Elle est tout le temps sur les routes. Au déjeuner, elle est arrivée essoufflée et sans sa charrette. Elle dit avoir croisé l’armée de morts-vivants. Elle avançait sur la route. Le bœuf qui tirait sa charrette a été pris de folie et s’est emballé. Il est parti tellement vite qu’il a raté un virage. La carriole s’est renversée. L’animal meuglait et secouait si fort que Betty n’a pas osé s’en approcher pour l’aider à la redresser.

La clochette annonça le retour du sorcier, seul, le visage courroucé que la magicienne ne l’ait pas suivi dehors.

- C’est alors qu’un revenant est passé à sa droite. Betty s’est figée et d’autres sont apparus.

- L’armée s’est avancée sans la blesser ? interrogea Lise.

- Ils ne l’ont pas touchée, ni elle, ni sa bête ou son chargement. Au milieu des morts-vivants, Betty dit avoir vu un homme vêtu de noir. Il l’a presque frôlée et elle dit avoir ressenti…

Lise s’attendait à « une profonde terreur, une frayeur paralysante, un froid total ».

- une chaleur réconfortante, un bien-être total, termina le chapelier et Lise frémit. Il aurait même tourné la tête vers elle pour la saluer. Elle ne voyait pas son visage sous la capuche mais elle a dit qu’elle en mettrait sa main au feu qu’il lui souriait.

- Qui est Betty ? interrogea le sorcier.

- La sœur du tanneur de cette ville, lui apprit Lise. Vénère-t-elle aussi le dieu de la mort ?

- Oui, répondit le chapelier. Notre communauté est très largement implantée ici. Vous pensez que ça a un rapport ?

- Orvald est beaucoup plus proche de Brise-fer que Sacre-Vert. Pourtant, le nécromancien a ignoré cette ville plus grande et plus proche pour se diriger plein ouest.

- Comment ce nécromancien pourrait-il connaître la religion des gens devant lui ? siffla le sorcier agacé.

- Il serait un prophète ? trembla le chapelier. Le prophète !

Le survivant détala à toutes jambes hors de la boutique. Le sorcier eut un regard de braise pour Lise.

- Super ! Beau travail, magicienne ! Maintenant, ces gens vont vénérer ce putain de nécromancien !

- Je n’ai fait qu’obtenir des informations, répliqua Lise, c’est-à-dire exactement ce que le roi a demandé.

- Quelle insolence ! gronda le sorcier. Je risque ma peau pour toi et c’est comme ça que tu me remercies ? Tu aurais dû sortir avec moi.

- Qui savait qu’il existait d’autres survivants ?

- Affabulations d’une femme qui cherche à faire l’intéressante ! cracha le sorcier. Tu ne vas pas croire à cette histoire insensée tout de même ? C’est proprement ridicule. Maintenant, on retourne à Arc-col !

Lise le suivit sans discuter. Perdue dans ses pensées, elle cherchait à comprendre. Elle le toucha par habitude.

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Arnaud Descombe
Posté le 24/12/2023
Coucou, chouette début :)
Un petit conseil d'ordre rédactionnel, je trouve que tu enchaines énormément de courtes phrases, ce qui donne un rythme de lecture un peu haché. Essaie d'apporter du rythme dans l'écriture, c'est important. Le mieux pour s'en rendre compte est d'essayer de lire ton texte à voix haute, ou au moins de l'imaginer dans ta tête ^^
Bon courage !
Nathalie
Posté le 24/12/2023
Coucou

Je suis contente que tu aimes le début car je l'ai retravaillé il y a peu pour lui donner vie et corps.

Merci pour ton conseil que je vais me presser d'enregistrer afin de me surveiller de ce côté-là.

Bonne lecture !
Honey41
Posté le 06/10/2023
bonjour Nathalie,

je me demande pourquoi tout le monde refuse de croire Lise dès qu'elle ouvre la bouche ? parce que c'est une femme ? qu'elle a beaucoup de pouvoirs ?
Nathalie
Posté le 06/10/2023
Bonjour Honey41

Ce monde n'est pas tendre, c'est certain. J'espère que tu comprendras en lisant la suite. Bonne lecture !
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