Chapitre 2 - Enlèvement

Ils observèrent l’armée quitter la ville. Le nécromancien avançait au milieu de ses troupes, grossies grâce à ce massacre. Lise secoua la tête de dépit. Ils étaient censés prendre soin du peuple. Au lieu de cela, ils observaient, les bras ballants.

- Le roi demande un compte-rendu, annonça celui qui devait être l’ensorceleur.

- Fais, répondit Lise en haussant les épaules, indiquant qu’elle s’en fichait totalement.

Le sorcier gronda de rage devant cette marque d’insolence.

- Et je dis quoi ? grogna l’ensorceleur. Qu’on n’a rien vu parce qu’on n’était pas là où on nous avait dit d’être ?

- Je vais m’en charger, indiqua le sorcier. C’est moi qui ait choisi de nous téléporter ailleurs. Je prends ma responsabilité. Je vais parler moi-même au roi. En attendant, vous restez là !

Lise s’assit sur l’herbe, utilisant ce temps pour réfléchir. Le sorcier disparut après une longue incantation.

- T’es vraiment aussi insolente qu’on le dit ! cracha l’ensorceleur.

- T’es jaloux que j’ai réussi à obtenir des informations et pas toi, le contra Lise.

- Des informations ? siffla l’ensorceleur. Quelles informations ? Le fait que les morts-vivants aiment les chapeaux et les fleurs ?

Lise ricana.

- C’est aussi plausible que le fait que leur religion les ait sauvés ! cracha l’ensorceleur.

Lise ne prit pas la peine de lui répondre. Les quatre hommes s’éloignèrent un peu pour discuter entre eux et Lise n’écouta pas. Ils déversaient leur venin. Elle avait l’habitude. Personne ne la croyait jamais. Le sorcier revint un peu plus tard.

- On va à Vent-Debout, annonça-t-il à peine arrivé.

- Pourquoi ? demanda Lise.

- L’armée se dirige droit sur cette bourgade.

- Il a changé de direction, constata Lise. Pourquoi ?

Le sorcier lui envoya un regard noir. Lise toucha son épaule en soupirant. Ils arrivèrent avant l’armée. Les morts avançaient très vite, sans se fatiguer, mais la téléportation restait plus rapide. Ils purent voir s’avancer les morts.

- Vous ne comptez toujours pas évacuer la ville ?

- Nous cherchons à recueillir des informations, rappela le sorcier. Ce sont nos ordres. Cesse de vouloir faire du zèle.

- Vous êtes des lâches, en conclut Lise.

- Nous ne sommes pas suicidaires, la contra le nécromancien d’une voix calme. Si nous évacuons la ville, il y aura simplement deux fois plus de gens dans la suivante. Quatre villes sont tombées depuis l’aube. Ils sont trop rapides. Nous avons besoin d’informations.

- Certains sixty sont allés au contact, précisa le sorcier. Ils recherchaient les autres nécromanciens dissimulés.

- Il est seul et bien visible, répliqua Lise.

Le sorcier grimaça.

- Ils n’ont rien trouvé, fut-il forcé d’admettre.

Lise secoua la tête. Que de temps et d’énergie perdus.

- Le roi demande qu’on aille au contact du nécromancien, indiqua l’ensorceleur.

- Qui ça, on ? demanda le sorcier.

- Tout le monde, précisa l’ensorceleur.

Lise se recula en tremblant.

- Non ! Non ! Je ne m’approche pas de ce gars-là ! On avait dit « de loin » !

Lise sentit ses pouvoirs et ses mouvements lui échapper. L’ensorceleur venait de la priver de son libre-arbitre.

- On réglera ça après, gronda le sorcier qui fusillait son compagnon des yeux.

- Elle va nous amener avec elle sur l’échafaud ! siffla l’ensorceleur.

Lise, impuissante, se vit toucher l’épaule du sorcier. Le décor changea et ils apparurent sur la place centrale. Lise retrouva sa liberté. Alors que la centaine d’êtres magiques lançaient leurs pouvoirs sur le bouclier du nécromancien sans lui infliger le moindre dégât, Lise s’avança vers l’ennemi.

- Lise ? Tu fais quoi ? s’exclama le sorcier. Fred ! Empêche-la !

- Tu viens de me reprocher de l’avoir contrôlée, répondit l’ensorceleur, et maintenant, tu veux que je recommence ? Faudrait savoir, vieux !

Le sorcier lui aurait volontiers arraché les yeux. Il observa Lise qui contournait le bouclier pour se placer à côté du nécromancien, à une dizaine de pas sur sa gauche. Il tournait le dos aux êtres magiques, n’accordant aucune attention aux pouvoirs rebondissants sur sa protection invincible.

Le sorcier observa qu’aucun mort-vivant ne s’attaquait à Lise. Elle se tenait au milieu d’eux, stoïque et tranquille. Il remarqua qu’elle tremblait de la terre aux pieds.

Lise peinait à se tenir là, si près du mal personnifié. Elle avait choisi de l’approcher afin d’obtenir des informations. Elle s’était souvenue qu’il avait volontiers échangé avec Delphine et elle lors de leur première rencontre. Qui à être forcée de se trouver là, autant en profiter.

- Ça se passe comme vous voulez ? demanda Lise d’un ton qu’elle voulut neutre.

- À merveilles, je te remercie, Lise, répondit-il en se tournant vers elle.

Elle aurait juré qu’il lui souriait. Il parlait d’un ton léger, presque espiègle et ce alors que des centaines de gens se faisaient égorger avant de se relever, augmentant la taille de l’armée disponible. De plus, il venait de la nommer, prouvant qu’il la connaissait bien mieux qu’elle ne le pensait.

- Vous êtes attaqué, fit-elle remarquer. Vous ne répliquez pas ?

- Belle perspicacité, se moqua-t-il en retour.

Lise frémit devant ce sarcasme. Elle voulait s’enfuir, partir loin de cet homme qui puait la mort. Elle se contint. Il acceptait de discuter avec elle. Pourrait-elle tirer d’autres informations ? Parviendrait-elle à être assez subtile pour cela malgré la nausée qui ne la quittait pas ?

Il avança en même temps que son armée. Lise le suivit. Les sixty en arrière aussi. Ils avaient arrêté d’attaquer, constata Lise. Ils avaient enfin compris l’inutilité de cet acte.

- Pourquoi ne vous en prenez-vous pas aux êtres magiques qui vous attaquent ?

- La magie est une chose rare et précieuse. Je préfère m’abstenir de l’anéantir si possible. Seuls les êtres sur mon chemin seront balayés. Restez en dehors de ma route et vous serez épargnés.

- Pourquoi m’avez-vous marquée ?

- Pour pouvoir te retrouver, Lise ! s’exclama-t-il d’un ton enjoué. Un trésor tel que toi, aucune chance que je le laisse passer ! Quand j’aurai atteint mon objectif, je reviendrai vers toi. Cela ne saurait tarder. Étonnamment, le résultat est bien meilleur que prévu.

Parce que Lise avait permis au peuple de comprendre la nature réelle du nécromancien qui n’en était pas un ?

- Vous cherchez à convertir un pourcent, dix pourcents de la population ?

- Ce n’est pas un nombre que je cherche mais une supériorité.

Il voulait que son dieu soit davantage vénéré que les autres, comprit Lise.

- Dans ce cas, vous vous y prenez très mal car les Aar’myth ont la majorité, indiqua Lise. Ce sont les dieux des…

- êtres magiques et des habitants de neuf royaumes, je sais, finit le nécromancien en ricanant. Sauf que ce ne sont pas des dieux alors je m’en fiche.

Lise frémit. Elle vénérait Baca, une dragonne de nacre, celle ayant appris aux humains à manier la magie blanche, devenant la mère des magiciens et des ensorceleurs. Les occidentaux nommaient Aar’myth ceux que les êtres magiques du pays de Turiel appelaient dragons. Le nécromancien venait de se moquer ouvertement de sa religion. La magicienne le prit extrêmement mal.

Lise estima qu’elle en avait assez fait pour cette fois. Agacée, elle s’éloigna du nécromancien pour revenir vers les siens, le cœur serré.

- Il a confirmé chercher à convertir des gens à sa religion, souffla l’ensorceleur, abasourdi.

Lise l’ignora pour se tourner vers le sorcier.

- Téléporte-moi au temple des Aar’myth, ordonna-t-elle d’une voix douce pleine de larmes.

- Pourquoi ? demanda-t-il.

- Je n’ai même pas le droit de prier ? s’exclama Lise.

- Tu peux prier ta dragonne n’importe où ! répliqua le sorcier. Les dragons nous entendent où que nous soyons !

- Hé bien moi, je veux prier au temple.

- C’est loin, s’énerva le sorcier.

- Téléporte-moi là-bas !

Le sorcier prononça une longue incantation et Lise vit le décor changer. Elle n’était jamais venue dans ce bâtiment à l’autre bout du monde, au cœur des neuf royaumes, pays certes allié mais assez peu accueillant.

Elle trouva l’endroit très sobre. Des pierres nues, pas de statue ni de fresque. Quelques colonnades et un haut plafond voûté, le tout permettant de contenir une bonne centaine de personnes.

Cinq mages – deux hommes et trois femmes - se trouvaient là, à genoux, priant les yeux fermés, portant la toge symbolisant leur fonction. Ils levèrent la tête vers elle, la magie les ayant prévenus de sa présence.

- Que faites-vous là ? Ce temple est sacré ! Seuls les prêtres des Aar’myth peuvent y demeurer ! gronda une très belle femme blonde.

- Je voudrais parler à un dragon, blanc ou noir, peu m’importe, annonça Lise. Voudriez-vous bien en appeler un pour moi ?

La prêtresse rit jaune avant de s’arrêter en constatant que la magicienne ne blaguait pas.

- Mais enfin, impertinente, nul ne peut convoquer un dieu ! s’étrangla la prêtresse.

- Vous leur faites des offrandes quotidiennes et elles ne sont plus là le lendemain. Ils viennent donc tous les jours les récupérer ! J’attendrai pour en rencontrer un.

Lise sortit, contourna le temple et trouva aisément la stèle sacrificielle non loin. Une gazelle morte s’y trouvait. Parfait. Le dragon n’était pas encore venu déguster sa proie. Lise se plaça devant l’autel, s’agenouilla et pria intensément.

- Madame ! s’exclama un prêtre. Vous ne pouvez pas rester là ! Cet endroit est sacré !

- Vous n’avez pas à me dire ce que je dois faire. Je veux parler à un dragon.

- Partez ! s’exclama le mage avant de lancer ses pouvoirs sur elle.

Ridicule. Lise balaya l’attaque sans la moindre difficulté. Elle monta un bouclier de protection et attendit. Les neuf magiciens et magiciennes tentèrent de la déloger, en vain. Les contenir ne lui posait aucune difficulté.

- Arrêtez, gronda une voix grave et son porteur fut obéi. Que veux-tu, Lise ?

- L’être qui m’a marquée sert-il l’un des dieux que vous vénérez ? demanda Lise sans lever les yeux sur son interlocuteur.

Se trouvait-il sous sa forme originelle ? Était-il noir ou de nacre ? Avait-il revêtu une apparence plus humaine ? Elle n’en savait rien et s’en fichait. Elle ne comptait pas lever le regard sur l’un de ses dieux. Elle voulait juste une réponse.

Le dragon mit un long moment à répondre. Finalement, il lâcha :

- Oui.

Lise fondit en larmes, le ventre noué.

- Que cela ne t’empêche pas de continuer à nous vénérer, précisa-t-il.

- Qu’est-ce qu’il me veut ? bafouilla-t-elle.

- Qui peut se targuer de connaître les desseins d’un dieu ? répliqua celui que Lise considérait comme tel.

Lise hocha la tête. Bien sûr, elle en demandait trop.

- Merci beaucoup, puissant dragon.

- De rien, Lise. Prends soin de toi.

Lise entendit des bruits d’os brisés. Un souffle la percuta puis il n’y eut que le silence. Le dragon venait sans aucun doute de partir après avoir récupéré son offrande. Lise resta à genoux, les yeux fermés. Elle voulait juste prier.

Elle n’en eut pas la possibilité. Une décharge de magie l’informa que des gens venaient de se téléporter près d’elle. Elle se tourna vers eux. Un sixty se trouvait là.

- Magicienne, tu as désobéi à l’ordre de trop, annonça celui qui devait probablement être le sorcier.

Lise les regarda d’un œil morne et indifférent. Elle ne voulait pas la guerre mais juste être un peu tranquille. Elle avait été marquée par le prophète du dieu de la mort qui souhaitait revenir vers elle lorsqu’il aurait fini de convertir des sujets. Elle avait vu ses amies tomber entre les mains de morts-vivants. Ne pouvait-on pas la laisser en paix ?

- Le roi te condamne à mort, continua le sorcier.

Lise soupira. Cet échange l’ennuyait prodigieusement. Elle leur tourna le dos et reprit sa prière. Elle sentit un esprit étranger tenter de pénétrer le sien. Elle le repoussa.

- Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama le sorcier. Contrôle-la !

- J’essaye ! s’énerva celui qui était probablement l’ensorceleur. Elle me tient à distance !

- C’est impossible ! s’énerva le sorcier.

- Hé bien elle le fait ! hurla l’ensorceleur.

Des filaments de magie coururent vers elle pour s’écraser sur le bouclier de Lise. Elle poursuivit sa prière à destination de Baca, la dragonne de nacre, indifférente aux attaques qu’elle subissait. Rapidement, le sixty fut éreinté et dut cesser de s’en prendre à elle.

Ils sortirent leurs armes. Si la magie échouait, la solution était de s’en passer. Tous avaient reçu la même formation. Lise s’attendait à ce revirement. Elle se releva et dégaina son épée et sa dague, prête à se battre. Ils étaient doués et coordonnés, mais aidée de la magie, Lise n’eut aucune difficulté à les battre.

Ils se retrouvèrent au sol avec quelques côtes cassées, des mâchoires brisées, des os dessoudés et des hématomes, mais aucun mort. Lise ne voulait pas la guerre, juste qu’on lui fiche la paix.

D’autres sixty apparurent, une dizaine au moins, compta Lise. Cette fois, elle se sentit en danger. Elle était douée certes, mais pas à ce point. Elle recula en tremblant. Constatant la présence du roi, elle lança :

- Pourquoi venez-vous me faire chier ? Je veux juste prier en paix ! J’ai été marquée par ce connard après avoir vu tomber toutes mes amies. Foutez-moi la paix !

- Tu portes sa marque, en effet, cracha le roi, et tu es la seule survivante d’une attaque mortelle. De plus, tu marches au milieu des morts sans qu’ils ne s’en prennent à toi et tu parles avec notre ennemi.

Lise comprit. Ils la prenaient pour une traître. Elle admit que les apparences étaient trompeuses.

- Les revenants ne s’attaquent pas non plus à vous, répliqua Lise, acerbe.

Le nécromancien avait dit préférer ne pas s’attaquer aux êtres magiques. Le roi secoua la tête avant de faire un geste dédaigneux vers elle. Les sixty dégainèrent leurs armes. Ça serait à celui qui parviendrait à la tuer le premier.

Lise sentit une terreur l’envahir alors qu’un bras s’enroulait autour de ses hanches. Un souffle chaud tomba sur son cou tandis qu’une voix sourde s’élevait derrière elle.

- Elle est à moi. Ne vous avisez pas de lui faire du mal.

Lise vit les sixty reculer d’un pas. Par un immense effort de volonté, Lise se dégagea de la poigne du nécromancien, fit un pas en avant puis se retourna et cingla d’un ton glacial :

- Je ne vous appartiens pas.

- Si, répondit-il.

- Je suis libre.

- Libre de te faire trucider, tu veux dire ? ricana le nécromancien en désignant les sixty derrière Lise du menton.

- Je n’avais pas besoin de votre aide !

- Je tiens à toi, mon trésor. Tu es une magicienne exceptionnelle. Je ne peux pas me permettre de te perdre. Ils t’auraient exécutée. C’est intolérable.

- Allez vous faire foutre ! siffla Lise.

Elle entendit les sixty se tendre et sursauter. Qu’elle ose parler de la sorte à l’ennemi invincible les saisit de terreur.

- Excuse-toi, ordonna le nécromancien.

- Va chier, connard, répondit Lise.

Il observa autour de lui puis annonça :

- Je n’ai rien contre les Aar’myth. Au contraire, Baca a donné aux humains de cet univers la possibilité de contrôler la magie, m’offrant… toi. Je ne désire pas leur faire du tort. Si nous nous battons ici, ce temple pourrait en pâtir. Rejoins-moi à l’endroit où je t’ai marquée.

À ces mots, il disparut. Nul doute qu’il venait de se téléporter… sans avoir émis un son. Normalement, seuls les sorciers, à l’aide de la magia verborum, pouvaient se téléporter. Les professeurs avaient toujours indiqué à Lise que c’était le seul moyen.

Lise secoua la tête. Combien d’autres bêtises lui avait-on mis dans le crâne là-bas ? Elle se concentra et modela la magie en elle. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ce fut sans surprise qu’elle reconnut la petite place de Brise-fer.

- Cet endroit est inhabité. Les dégâts collatéraux n’auront aucune importance, s’amusa le nécromancien, présent, seul, sans ses serviteurs.

Il ne semblait pas craindre pour sa sécurité sans son armée de revenants. Habituellement, les nécromanciens se terraient derrière leurs morts-vivants. Lise frémit. Il semblait si sûr de lui.

- Tu me dois des excuses, rappela-t-il.

- Va mourir, répondit Lise.

Il explosa de rire avant de lancer :

- Je ne peux pas. Allons, Lise, excuse-toi, qu’on en finisse.

- Non ! s’écria Lise, abasourdie devant l’insistance du nécromancien qui ne manquait pas de souffle.

Une boule de feu apparut dans la main du nécromancien. Boule de feu ? Nécromancien ? Ces deux choses n’étaient pas compatibles, pas plus qu’une téléportation ou qu’un bouclier protecteur, à bien y réfléchir. Le réveil des morts-vivants n’était qu’un sort parmi d’autres. Ce gars n’était pas un nécromancien mais un magicien versé, entre autres, dans l’art de la maîtrise des morts.

Lise monta un bouclier. Il pensait vraiment qu’elle aurait peur de sa ridicule petite flamme ? Lise sentit la puissance de la sphère augmenter. Elle constata également que des sixty apparaissaient assez loin, simples observateurs.

Lise resta concentrée sur son duel. Il s’agissait seulement d’un combat théorique. La boule de feu restait dans la main du lanceur. En défense, Lise augmentait la puissance du bouclier pour s’adapter à la montée en puissance de la sphère chaude.

Lise en avait encore sous le coude. Son regard noir ne quittait pas le magicien ennemi des yeux, qui, en retour semblait s’amuser follement. Lise commença à blêmir en constatant que la sphère s’améliorait encore, et encore, et encore, plus vite que Lise ne parvenait à consolider sa protection.

La boule fusa et percuta la magicienne. Une grande partie de l’attaque fut fort heureusement avalée par le bouclier. Les sixty crièrent tandis que Lise tombait au sol en hurlant. Le feu la dévorait de l’intérieur. La douleur explosa partout, n’épargnant aucune zone de son corps.

Une main chaude posée sur son bras gauche mit fin au supplice.

- Excuse-toi, Lise, dit le magicien en noir.

- Non, grogna Lise en reprenant son bras.

Elle se releva, titubant un peu avant de reprendre contenance. Une nouvelle sphère de feu apparut dans la main du magicien. Cette fois, elle grossit beaucoup plus vite. Lise ne montait pas de bouclier. À quoi bon perdre de l’énergie ? Il gagnerait de toute façon.

Elle sortit ses lames et s’avança. Quand la magie s’avérait perdante, la solution devenait classique. Le magicien envoya sa boule de feu. Lise l’évita d’un bond souple et la flamme s’évanouit sans toucher sa cible. Au moment où l’épée de Lise effleura le ventre du magicien, celui-ci pivota, la laissant glisser sur son manteau et frappa la main de Lise.

De douleur, elle lâcha son arme et prise par surprise, ne put éviter le coup de poing qui lui brisa la mâchoire. Elle s’écroula au sol, le goût acre du sang plein la bouche.

Autour des deux combattants, le silence était total. Lise venait de prouver être capable de vaincre six êtres magiques sans la moindre difficulté. Cet homme venait de la mettre au sol dans des gestes aisés. Il se jouait d’elle. Les sixty reconnurent la valeur de leur adversaire et en frissonnèrent, soudain heureux qu’il ne désire pas s’en prendre à eux.

Lise ne perdit pas un instant. Elle se soigna à l’aide de ses pouvoirs avant d’abattre la lame de sa dague dans la cuisse de son adversaire… qui l’esquiva aisément avant de lui envoyer un formidable coup de pied dans le torse.

Lise sentit plusieurs côtes se briser et elle s’écroula, la respiration difficile. Soignée d’une pensée, elle évita le coup suivant et se redressa, prête à continuer le combat.

- Lise, laisse tomber, franchement ! s’exclama le magicien. Tu es ridicule. Tu vois que tu perds. Admets-le !

- Va en enfer !

- Quelle impatience ! s’écria le porteur du manteau noir. On va y aller. Laisse-moi d’abord finir ce que j’ai à faire ici.

Lise cligna plusieurs fois des paupières à cette réplique. Que venait de dire ce malade mental ?

- Excuse-toi puis viens avec moi, insista le magicien qui décidément, ne doutait de rien. Tu m’accompagneras le temps que je finisse de gagner mes derniers serviteurs. Comme ça, je te protégerai de ces abrutis.

Les sixty ne s’opposèrent pas. Ils ne frémirent même pas sous l’insulte.

- Ils ont compris, eux, lança le nécromancien.

- Ils sont pitoyables, siffla Lise. Ils ne protègent même pas le peuple qu’ils disent servir.

- Parce que toi, tu le fais ? s’amusa le magicien.

- Pendant que vous êtes là, vous n’êtes pas là-bas !

- Je peux contrôler mon armée à distance. Mes revenants massacrent Arbre-Nuit en ce moment-même.

Les sixty confirmèrent d’un geste.

- J’essaye, au moins, cingla Lise.

- Tu es pathétique, répliqua-t-il. Tu ne te rends même pas compte que tu as déjà perdu.

- Vous rêvez !

- Ça m’arrive, souvent, dit-il. Ton apparition va rendre mes visions de l’avenir encore plus noire. De quoi me ravir ! Allez, mon trésor. Excuse-toi et viens.

- Non ! insista Lise. Je ne suis pas votre trésor !

- Soit, lança-t-il avant de disparaître.

Il venait, sans nul doute, de se téléporter pour Arbre-Nuit. Lise soupira d’aise. Avait-elle réussi à s’en débarrasser ? Elle rit nerveusement. Il l’avait laissée tranquille ! Elle en frémissait de plaisir.

Elle perçut la fissure dans la magie. Le sort lancé par un sixty s’écrasa sur son bouclier. Lise se rendit compte de son environnement. Les sixty se trouvaient toujours là, cherchant à la tuer. Lise se tourna vers ses adversaires qui dégainaient. Elle secoua la tête puis d’une pensée, se téléporta à l’école, dans la petite chapelle dédiée à Baca, sa préférée.

Elle s’agenouilla devant la statuette de la dragonne de nacre et pria. Les sixty ne viendraient probablement pas la chercher là, au cœur même du pouvoir du pays de Turiel. Quand une exécution pesait sur soi, on ne venait pas se réfugier dans le palais du roi, si ?

Lise put, de fait, prier en paix. Elle resta agenouillée un très long moment, se recueillant en silence et nul ne vint la déranger.

 

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- Mon trésor, j’ai fini.

Lise se tourna vers le nécromancien qui venait d’apparaître dans la petite chapelle.

- On peut y aller, poursuivit-il d’un ton enjoué. J’ai la supériorité. Je n’ai plus rien à craindre de mes collègues.

Il lui tendit la main. Lise n’en revenait pas. Il comptait vraiment qu’elle le suive docilement. Elle ne broncha pas, ses lèvres se déformant dans un rictus choqué.

- Mon trésor ! Il faut y aller ! insista le magicien.

- Je ne vous suivrai pas, dit Lise, toujours abasourdie qu’il n’ait pas compris.

Il attrapa Lise avec une telle vivacité qu’elle n’eut pas le temps de réagir. L’instant d’après, elle se retrouva sur la plaine devant la porte ouest de brise-fer. Elle tenta de se dégager de son ravisseur mais il la tenait.

Un arc-en-ciel ovoïde apparut à quelques pas devant Lise. La magicienne n’avait jamais rien vu de tel. Un peu plus grand qu’elle, il ressemblait à un miroir ovale, à ceci près que la lumière ne rebondissait pas sur cet amas mouvant de couleurs désordonnées.

Il la poussa vers le magnifique tableau. Lise se débattit en hurlant. Elle n’essaya même pas d’utiliser ses pouvoirs. À quoi bon ? Il avait prouvé être bien meilleur qu’elle. Il la surpassa aussi physiquement et Lise se retrouva obligée de traverser la paroi colorée.

Elle découvrit une immense plaine herbeuse sous un doux soleil rayonnant dans un ciel bleu sans nuage. Une grande bâtisse était posée dessus, en pierre et bois, simple mais agréable.

- Bienvenue chez moi, annonça le nécromancien en lâchant Lise.

Elle se retourna pour ne voir que de l’herbe, à perte de vue. L’arc-en-ciel ovoïde avait disparu. Ce moyen de transport, quel qu’il soit, n’était plus disponible.

- À partir de maintenant, je t’interdis d’utiliser tes pouvoirs.

Lise lui lança un regard incrédule. Il lui interdisait ? Mais pour qui se prenait-il ? Il ne sembla pas se rendre compte de l’attitude abasourdie de son interlocutrice. Il poursuivit d’un ton léger :

- Tu en auras besoin. Le moment venu, crois-moi, la moindre goutte d’énergie sera nécessaire. Inutile de le gaspiller alors que tu as accès aux miens. Si tu veux quelque chose, il te suffit de le demander poliment et tu l’obtiendras. Tu as compris ?

Elle observa autour d’elle et décida de se téléporter en dehors de ce domaine. Ses pouvoirs rencontrèrent un mur.

- Je t’ai dit de ne pas utiliser tes pouvoirs.

Cette fois, son ton était glacial. Lise sentit une profonde rage l’envahir. Il osait brider ses pouvoirs ?

- Redonnez-moi le contrôle ! ordonna-t-elle.

- Et puis tu voulais quoi ? Te téléporter en dehors de cet endroit spécialement crée pour Esteban et toi ? Tu en serais morte ! Le reste de ce plan n’est pas viable pour un être humain.

Lise ne comprenait pas ce qu’il disait.

- Tu es précieuse, mon trésor ! Cette tentative était vraiment stupide. Cet endroit ne doit pas être à ton goût pour que tu veuilles le quitter. Soit. Viens par là.

Il lui attrapa le bras.

- Lâchez-moi ! hurla-t-elle en tentant d’échapper à sa poigne.

Impossible. Elle avait beau se démener, il la maintenait fermement. Il la fit entrer dans la demeure, très belle maison au sol couvert de tapis luxueux, aux murs ornés de tableaux de maître et de chandeliers. Lise aperçut rapidement certaines pièces remplies de chaises ornementées, de tables sculptées, de meubles en chêne, de fauteuils moelleux. L’endroit semblait vraiment accueillant.

Il la fit passer une porte et le décor changea du tout au tout. Les murs devinrent gris et sobre. La température chuta pour devenir fraîche. L’escalier nu mena à un sous-sol dépourvu de fenêtre. Une grande pièce proposait une dizaine de portes en fer. Il poussa Lise derrière l’une d’elles avant de refermer derrière sa prisonnière.

Lise se jeta sur la porte mais elle était close. Elle tenta de l’ouvrir avec ses pouvoirs pour se heurter au même mur.

- Laissez-moi sortir ! hurla Lise.

Elle n’obtint que le silence en retour. Elle se glissa sur le sol et tapa sur la porte avec ses poings, pas assez fort pour se faire mal. Le son résonna dans la petite cellule vide, sombre et froide.

Lise fondit en larmes. Elle voulait s’en aller, qu’il la laisse tranquille, revenir chez elle.

Chez elle ? Si elle y retournait, ses anciens collègues la tueraient. Le roi l’avait condamnée à mort. Sans l’intervention du nécromancien, les sixty auraient réussi à la tuer.

Lise n’avait plus nulle part où aller. En même temps, n’importe où serait meilleur qu’ici.

- Je veux sortir, pleura-t-elle.

Nul ne lui répondit.

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Honey41
Posté le 06/10/2023
je me demande ce qu'il lui veut et pourquoi il l'a sauvée ? et qui est Esteban? pourquoi le roi veut-il la faire exécuter ? et surtout comment Lise va-t-elle sortir de ce guêpier ?
Nathalie
Posté le 06/10/2023
Bonjour Honey41

Ravie de savoir que le suspens du scénario te prend aux tripes :)
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