Nous étions en 1056, dans l’un des quatre états-continents qui composaient le Landau, celui d’Oldan. Et plus précisément, à l’Est de cet État féodal : dans la capitale, Oldania. Une ville géante qui surplombait le continent depuis ses hauteurs. Elle abritait la famille royale mais aussi une majorité des maisons secondaires de la noblesse.
À la mi-journée, une procession religieuse avançait, non loin des bas quartiers de la ville. Entre les bâtiments de chaume et de bois qui composaient les rues pavées de la banlieue d’Oldania, une vingtaine de fidèles se déplaçaient lentement entre les passants, les étals et les échoppes encore ouvertes, dont les propriétaires curieux arrêtaient leurs affaires le temps du spectacle. Le groupe de croyants était encadré par deux brigades. L’une composée de Sentinelles, l’autre uniquement par des membres du Groupe d’Intervention. À la tête du cortège de fidèles qui marchaient en rang, se trouvait un évêque vêtu d’une longue robe blanche. Son visage ridé était marqué par deux traces rouges, similaires à de récentes cicatrices, qui lui tombaient sous chaque œil comme des coupures en forme de stalactites. Des traces présentes sous les yeux de tous les fidèles encapuchonnés du cortège.
Aux côtés de l'évêque marchait le Caporal Goro, portant la responsabilité des deux brigades de Miliciens (Sentinelles et Interventionnistes). Il portait une armure argentée sculptant la forme de ses muscles saillants, résultat d’un entraînement acharné durant son service militaire à la Légion. Elle lui recouvrait le bras droit et le torse et s’arrêtait à son épaule gauche, laissant apparaître le tatouage d’une épée recouverte d’un bouclier. Il avait une allure robuste et paraissait d’une grande taille à côté de l'évêque. Ses cheveux noirs étaient courts, rasés sur les côtés, et son visage portait fièrement une barbe soigneusement taillée. Son œil gauche, marqué d’une cicatrice verticale, rendait son regard dur. Le Caporal avait autour de la quarantaine mais il en paraissait trente et semblait à l’apogée de sa forme bien que certains de ses cheveux commençaient à grisonner.
À quelques mètres au-dessus des pavés, au second étage d’une bâtisse, derrière une des fenêtres, pointait le canon d’un fusil à barillet. Dans la lunette du fusil, un œil vert scrutait le cortège. Derrière ce fusil, doigt sur la tempe de la crosse, une jeune femme vêtue de vêtements noirs. Un noir si sombre que son ombre semblait plus claire que son corps lui-même. La capuche, entourée d’une écharpe noire, enrobait son visage recouvert d’un masque noir, tâché de multiples couleurs. Ce dernier couvrait tout le visage, avec une bouche ouverte à la denture longue et pointue, menaçante, dont les canines acérées étaient courbées vers l’extérieur. Sur le haut du masque, il y avait deux cornes pointues.
Après avoir évalué la distance qui la séparait de sa cible, la jeune femme descendit son index de la crosse vers la gâchette. Puis prit une profonde inspiration, avant de libérer doucement l’air de ses poumons. Enfin, elle tira.
Avec une vitesse exceptionnelle (même pour une arme de ce calibre) une balle de plomb, gravée, atteignit la tête de l’évêque qui s’écroula, inerte, comme un oiseau qui perd ses ailes en plein vol. On entendit ensuite la détonation du coup de feu, provoquant la cohue parmi les disciples du cortège et les spectateurs d’Oldania, sortis de chez eux pour observer le spectacle afin de briser la monotonie de leur vie ; maintenant en panique à l’idée d’être la cible du terrible son qui avait retentit. La peur montait et la population s'agitait.
« Gardez votre calme ! somma le Caporal Goro, dont la voix, grave et chaude, retentit jusque dans les oreilles de la femme assassin.
Il analysa son environnement et se mit à courir dans la direction de l’assassin en donnant ses ordres :
- Unité II, occupez-vous de la foule et escortez le reste des disciples jusqu’à leur église. Prenez quelques Seconde-classe de l’unité I pour vous aider à contenir les civils.
- OUI CAPORAL ! répondit le chef d’équipe de l’unité II, déjà en mouvement.
- Le reste de l’unité I, avec moi ! ordonna Goro en désignant le lobe de son oreille, orné d’une bille rouge. »
Le Caporal en armure s’élança dans la rue, tout en s’efforçant de pousser la foule trop curieuse et paniquée qui l’empêchait d’avancer. Il aperçut la silhouette sombre de la tireuse fuyant sur les toits. Lui, se jeta en hauteur pour attraper le garde-corps d’un balcon. Le mur qu’il utilisa pour prendre appui se craquela sous son poids. Après avoir fait tomber un pot de fleurs, il réussit à s’accrocher à la gouttière et à se hisser sur les toits. Il aperçut la terroriste vêtue de noir qui courait plus loin et reconnut le masque blanc dessiné dans son dos.
Dans sa fuite, la jeune femme vit un membre de la Milice qui l’avait rattrapée sur sa droite. Elle l’identifia facilement à son pantalon, un jean fonctionnel gris avec des genouillères en cuir ; mais aussi à son pendentif, un collier au bout duquel un bouclier était transpercé d’une épée. L’homme se rapprochait rapidement jusqu’à atteindre le toit accolé au sien. Elle sauta sur une cheminée et se hissa sur une autre maison, légèrement plus haute. Sa course se poursuivit vers l’escalier en métal qu’elle avait choisi comme point de fuite en faisant le repérage des lieux, quelques jours auparavant. En arrivant à son niveau, la fuyarde aperçut deux autres membres du Groupe d’Intervention l’escalader à toute vitesse. Elle effectua in extremis une roulade pour changer de direction sans perdre en vitesse et se laissa tomber sur une maison en contrebas. À peine avait-elle le temps d’envisager de descendre en rappel le long de la corde à linge qu’elle remarqua un autre membre de la brigade, au sol, qui la regardait tout en bousculant les passants pour s’approcher de sa position.
Il ne devrait en rester qu’un dont je ne connais pas l’emplacement. Et le Caporal que je n’ai pas vu depuis un moment. Je vais prendre de la hauteur pour les repérer, se dit-elle.
Elle s’élança sur une fenêtre et grimpa à l’aide de la persienne. Le cinquième membre de la brigade l’attendait et attrapa l’écharpe, qui prit feu, brûlant la main du militaire. Elle lâcha le volet et se réceptionna parfaitement sur le toit duquel elle était partie, avant de reprendre sa course dans une tierce direction. « Plus que le Caporal ». La tireuse commençait à manquer d’option dans sa fuite, mais pour une personne aussi entraînée qu’elle, pas question de paniquer. Du bout des doigts, elle attrapa une échelle de secours. Elle trouva la force de se hisser de barreaux en barreaux malgré les nombreux chocs que ses bras avaient subis pendant la course. Mais à peine arrivée sur le toit, elle vit Goro, qui bondit pour l’attaquer. Elle évita le coup d’épée d’un salto avant, libérant ses cheveux bleu électrique, flottant autour de son masque tâché. Alors que le Caporal la regardait passer au-dessus de lui, elle lança un des couteaux attachés à sa jambe. Le Caporal suivait la silhouette de la femme du regard tandis que la lame traversait sa tête, puis son corps. Surprise, Stella atterrit derrière lui et recula d’un bond, à la manière d’un félin effrayé. Elle le dévisagea pendant quelques instants, haletante. Pas une égratignure sur le visage déjà balafré. Pourtant, le couteau s’était planté aux pieds de l’homme après avoir brisé une tuile en morceaux.
Le Caporal s’adressa à la criminelle en tendant son épée usée dans sa direction :
« Ce démon blanc dans le dos. Ce masque. Tu es une Oni… conclut-il. Seule ?!
- … »
D’un simple pas en arrière, presque comme une hésitation, elle disparut en tombant dans une ruelle étroite. Goro s’élança mais ne vit en se penchant qu’une bille d’où émanait une petite lumière. Une gemme de captation ?! pensa-t-il.
La bille scintillante atterrit sur le sol pavé de la ruelle. La lumière s’estompa et la bille se brisa sous les yeux de Goro. Le Caporal fit demi-tour et expira fortement. Pas de fatigue mais de contrariété.
* * *
À plusieurs kilomètres de là, dans un vestiaire rempli de casiers, une forte lumière jaillit de l’obscurité en dessinant la silhouette d’une femme, laissant place en s’estompant à Stella, portant toujours le masque de Oni aux dents acérées. Elle s’assit sur un des bancs et expira lentement. Pas de contrariété, mais de fatigue. Les images défilaient dans sa tête. La course. Le couteau qui transperçait le corps de Goro sans consistance, comme un mirage. L’épée usée qui passait à quelques centimètres de sa tête. Elle sentait son coeur qui reprenait lentement un rythme normal. Elle se redressa, se remémorant les différents placements de la brigade du Groupe d’Intervention. Une formation en tenaille, pensa-t-elle.
Avec des trajectoires qui semblaient en apparence aléatoires, le but de cette manœuvre était d’obliger une confrontation avec Goro. Le Groupe d’Intervention avait même doublé les effectifs placés sur l’escalier en métal afin de s’assurer qu’elle n’envisage pas la confrontation avec un des membres de la brigade. Si la gemme de captation avait été moins puissante, elle n'aurait pas pu se téléporter aussi loin et Goro, ou la brigade, l'aurait retrouvée rapidement. Elle ôta son masque, dévoilant le visage d’une jeune fille aux yeux verts, âgée d’une quinzaine d'années. Le masque aux multiples tâches s'enfonça lentement dans sa main jusqu’à entièrement disparaître. Un homme entra dans le vestiaire. La pénombre laissait voir une grande taille, élancée, et Stella reconnut ses vêtements noirs bien repassés avant de voir son visage. Ses cheveux noirs étaient fins et coiffés en chignon, ce qui dégageait son visage droit et ses yeux bleus perçants, derrière une paire de lunettes rondes.
« Ah ! Tu es de retour, lui dit-il. Je savais bien que j’avais entendu du bruit. Ta tâche est-elle accomplie ?
- Oui.
- Bien. Aucune surprise ?
- Disons que le retour fut plus mouvementé que prévu, répondit Stella. Goro est bien plus dangereux que ce que j’imaginais. Et c'est un chef d'équipe redoutable, il sait ce qu'il fait de ses hommes.
- Je t’avais prévenu que la mission ne serait pas simple, c’est un Caporal après tout. »
Elle se leva et ouvrit un casier sur lequel était inscrit « POLLOCK ». Il ne contenait que deux objets : une ancienne photo usée d'une famille heureuse et un masque. La photo brunie ne laissait apparaître que les corps des parents, dont la mère portait un bébé, et d'une petite fille devant eux, blonde et souriante. Elle récupéra le masque, similaire à celui qu’elle portait un peu plus tôt et qui avait disparu dans sa main, mais lézardé de failures. Une corne était cassée et une des dents imposantes de la mâchoire était manquante.
« J’ai utilisé la gemme de captation pour m’échapper et elle s’est brisée. Veuillez m'excuser.
- Ne t’en fais pas, lui répondit l’homme en remontant ses lunettes rondes. Elles servent à ça. Je ne pensais même pas qu’elle couvrirait la distance entre Oldania et l’Olympe pour être honnête.
Il prit des dossiers dans l’un des casiers.
- Le masque que j’ai utilisé pour la mission “Oeuf de Cailles” est inutilisable. Il n’a pas survécu à l’explosion. Je peux vous laisser en disposer ?
- Bien-sûr, laisse-le avec ton rapport.
- Merci. (elle marqua une pause avant de continuer) Caporal, je voulais vous demander… Quand j’aurais fini le rapport de mission, pourrais-je avoir une permission cet après-midi ?
- Quand tu auras fini, oui. Pose le rapport au même endroit que d’habitude, termina l’homme en sortant de la pièce.
- Merci Azumer. »
Stella referma son casier et termina de se changer tandis qu’Azumer refermait la porte derrière lui. Elle enfila des vêtements propres et passa la main dans ses cheveux bleus qui prirent feu au niveau de ses doigts. Après le passage de la paume, les cheveux bleus devinrent blonds comme le métal rougi au contact de la flamme. Elle ouvrit de nouveau son casier et en sortit un tissu qu’elle prit. Avant de s’en aller.
* * *
Quand l’ascenseur s’ouvrit, Azumer croisa un homme dont on distinguait à peine le visage dans l'ombre du couloir.
« Comment allez-vous Vice-Gouverneur ? demanda Azumer en saluant son supérieur de la tête.
- Caporal ! salua l’homme de la main. Je suis en retard pour une réunion, je vous verrai plus tard !
Il entra dans l'ascenseur tandis qu’Azumer en sortait.
- L’incident diplomatique à Oldan, continua le Vice-Gouverneur. Une histoire d’évêque. Nous en parlerons tout à l’heure. Et bon sang ! s’exclama-t-il. Il faut vraiment faire quelque chose pour la lumière ! J'ai failli vous rentrer dedans. »
L’homme sortit une minute plus tard, traversa un long couloir et arriva devant une grande porte qu'il poussa lourdement de la main.
La pièce cachée derrière était spacieuse, uniquement remplie par la présence d'une table épaisse et rectangulaire dont le centre et les coins étaient gravés par des symboles imbriqués dans des cercles brillants. Autour de cette table en suspension étaient disposées neuf chaises, quatre de chaque côté et une au bout, qui présidait. Sur trois d'entre elles étaient incrustées des gemmes, dont deux brillaient d’une lumière opaque et vacillante qui formait les corps de deux jumeaux, en hologrammes, qui discutaient. Ils n’étaient dissociables que par la couleur de leurs cheveux. L’un, Ismaël, était blond, l’autre, Tamaël, était brun.
Au fond de la pièce, une très grande baie vitrée remplaçait un des murs, laissant apercevoir au loin le tairiku d’Oldan, rapidement reconnaissable à son imposante capitale, Oldania, qui surplombe le continent par sa hauteur ; mais aussi par les trois montagnes en forme de pics au Nord de la mégapole.
« Je m’excuse de mon retard mais je vois que je ne suis pas le seul… dit l’homme en regardant la pièce. Pourquoi vous vous taisez au moment où j'arrive ? Vous préparez un sale coup ? C’est ça ?
- C’est plutôt vous, vieux briscards, qui mettez toujours la pagaille… lui répondit le jumeau brun.
- Mais moi, Tamaël, je ne suis pas Magistrat à Oldan ! Si je fais n’importe quoi, je peux encore me rattraper, s’amusa l’homme, décidément rendu mystérieux par ces italiques.
Note :
- Je ne crois pas que tu puisses faire ça.
- T’es toujours là ?! Je t’ai dit que c’est moi qui raconte l’histoire alors je fais comme je veux ! C’est le Vice-Gouverneur du renseignement tout de même ! Je ne peux pas balancer sa description ou son nom à tout va ! C’est le moindre des respects pour sa profession.
- Eh toc.
- Quoi ?
- Là c’est clairement un spoil. Je suis un meilleur narrateur. Ce n’est qu’une question de temps avant que je retrouve mon poste.
- Déjà : On s’en fiche, c'est pas important comme info. En plus : meilleur que moi, peut-être. Mais je commence, donc ça va changer. Ne refais jamais ça, d’intervenir dans mon récit comme ça, vieux chnoque classique à en vomir sur les vêtements d’une nourrice. Au milieu d’un dialogue en plus… Tu sais quoi ? Je vais même pas le finir.
La salle de réunion était située dans la tour de la Légion. Et pour que vous compreniez les enjeux de cette réunion, je dois d’abord vous expliquer comment fonctionne cet état militaire.
C’est une organisation comportant environ huit millions d’individus. La réunion concernait ses dirigeants, et comme il arrive si souvent dans les réunions entre dirigeants, (que ce soit dans votre monde ou dans le nôtre) tous ne furent pas présents ce jour-là. Nous attendions les Vice-Gouverneurs, les Magistrats et la Gouverneure.
Dans un premier temps, les trois Magistrats, dont Tamaël et Ismaël (les deux jumeaux) font partis. Ce sont des sortes d'ambassadeurs, présents auprès de chaque dirigeant des trois tairikus. Ils permettent un dialogue plus rapide entre la Légion et ces derniers. Ils offrent leur soutien aux dirigeants de chaque pays et parlent au nom de la Légion. C’est aussi une façon de montrer la loyauté et l’impartialité de la Légion à tous les tairikus.
Sur les trois Magistrats, Ena manquait à l’appel. Les deux autres étaient quasiment toujours présents. Sous une forme lumineuse, grâce à des “gemmes holocom”, ils pouvaient assister à la réunion depuis un autre continent. Aucun Vice-Gouverneur ne manqua à l’appel, bien que tous furent plus ou moins en retard. Encore un talent de dirigeant.
Les Vices-gouverneurs, eux, sont chacun chargés d’un domaine d’activité de la Légion. Par exemple, le Vice-Gouverneur du Renseignement s’occupe des pâtisseries de la Légion. Sa spécialité sont les chouquettes à la crème. Une merveille.
Plus sérieusement, je ne vais pas vous présenter les Vice-Gouverneurs du Renseignement et du Commerce parce que leur nom parle de lui-même. Cependant il est intéressant de noter que celui de la Milice (pour qui travaille par exemple le Caporal Goro) s’occupe principalement de représenter et de maintenir la paix dans les rues. La flicaille quoi. Il y a aussi une faction consacrée aux soldats… dispensables. Certains d’ailleurs sont d’anciens criminels… Ne nous étendons pas trop sur le sujet. L’important est de retenir que cette faction, les Fantassins, sont souvent là pour aider dans les grands travaux d’intérêts généraux ou pour partir à la guerre. Les Mandarins, quant à eux, sont les cerveaux de l’armée (si si, il peut y avoir des cerveaux dans l’armée).
La réunion de fin de mois avait été décalée en raison des événements survenus quelques heures plus tôt. Mais aucune excuse, ils auraient dû être à l’heure.
Le roi d'Oldan avait demandé à son Magistrat, Tamaël, que des sanctions soient prises concernant l’échec de la protection de l’évêque. Demandant même une exécution, ou que le Caporal de la Légion soit congédié. Mais les sujets qu’ils devaient traiter aujourd'hui étaient au nombre de trois.
En effet, quelques semaines avant l’incident, un des soldats, appartenant à la faction des Fantassins, avait confectionné une bombe qui avait malheureusement atterrit dans les mains d’une organisation terroriste. Vous pourriez dire qu’il l’avait cherché et vous n’auriez pas tort. Ces mêmes terroristes qui avaient frappé il y quelques heures, connus sous le nom de “Oni” en raison de leur apparence. Après une enquête martiale, le soldat avait été innocenté de toutes affiliations au groupe. Il était nonobstant nécessaire de prendre des mesures pour le sanctionner. La contrainte, c’était qu’il fallait le faire discrètement, afin que les tairikus (et surtout Oldan, où la bombe avait sauté) n'apprennent pas que l’engin avait été confectionné par un membre de la Légion. Et le troisième sujet, probablement le plus important, était la Sélection.
Bien des méthodes existent pour rejoindre les rangs de la Légion, néanmoins la plus commune reste la Sélection. Une courte période d’une semaine, répétée tous les cinq ans, permettait à l’organisation mondiale de recruter des hommes et des femmes de chaque tairiku pour agrandir ses rangs. Chaque fois, la méthode de recrutement était différente. Ou presque. Toute la période était chapeautée par la Caporale Hillary. D’ordinaire, elle choisissait un Capitaine et des Premières-Classes pour superviser la première épreuve. Cependant elle ne pouvait pas honorer son rôle cette année car elle était en mission. Il en était donc de la responsabilité de ses supérieurs de réaliser cette tâche.
La Sélection précédente avait été catastrophique. Le Capitaine chargé de la supervision avait eu un taux de blessés et d'abandons tel, qu’il avait fait chuter le nombre de recrues à une trentaine, dont seulement sept indemnes. Pour vous donner un ordre d’idée, en temps normal, la Légion recrute environ deux-cent personnes chaque semaine de la Sélection. Ces sept petits prodiges avaient été renommés par leurs camarades : les Sept Perles. Cinq ans plus tard, les Vice-Gouverneurs devaient choisir un Capitaine pour la Sélection à venir, qui soit capable de recruter des bons éléments, sans laisser passer n’importe qui.
Habilement, les Vices-Gouverneurs eurent l'idée de régler ces différents problèmes les uns avec les autres :
« Donc, ce matin le Caporal Goro a échoué à protéger l’évêque du culte des Jashins, commença celui des Renseignements.
- Je pensais que nous devions parler de la Sélection d'abord ? l’interrompit le Vice-Gouverneur de la Milice, Muldas, qui était le supérieur direct du Caporal Goro.
Note :
- Et j’imagine que tu ne vas pas nous le décrire…
C’était un homme de la soixantaine. Ses cheveux, coiffés en une queue de cheval blanche, dépassaient de son crâne chauve. Les traits de son visage étaient légèrement marqués par l’âge. Ses vêtements blancs étaient cousus par des lacets de cuir rouge et surtout la vraie particularité de ce vieil homme c’était son bras gauche. Inexistant. Une prothèse faite d’un alliage rare de métaux uniques l’avait remplacé.
« Tout à fait, et j’y viens, continua le Vice-Gouverneur mystérieux (celui en charge des renseignements, rappelez-vous). La réputation de la Légion étant entachée, je propose de rétrograder Goro du poste de Caporal à celui de Capitaine. Qu’en pensez-vous ?
Il s’adressa au Magistrat d’Oldan, où l’assassinat de l’évêque avait eu lieu.
- Tamaël, tu penses que ce sera assez pour la famille royale ?
- Je vais leur demander. C’est moins fort qu’une exécution, nous verrons.
- Merci. Et toi Muldas ?
- Oui, ça nous évite la mise à pied et ça reste une sanction importante.
- Alors finalement nous commençons par nous occuper de Goro, souffla Alexandre (le Vice-Gouverneur du commerce). N'oublions pas de revenir sur la Sélection. C'est une affaire qui presse… Je ne peux pas prévoir toutes les dépenses et prévenir les fournisseurs si on ne sait même pas ce que la première épreuve sera ! Déjà qu’elle commence dans quelques semaines, l’absence d’Hillary n’aide pas.
Note :
* Regard désapprobateur du narrateur original *
Alexandre a une allure similaire à celle d’un mousquetaire. Habillé en velours marron.
- Même si on s’en cogne de ça ! Tu nous casses les couilles avec des détails de merde ! Et puis tu repassera pour le “narrateur original”. Je résume ça vite fait et on passe au vrai héros de cette histoire ! Sinon à ton rythme il fera pas son apparition avant le chapitre 2.
- Il serait judicieux d’avoir Goro en Capitaine.
La voix qui avait prononcé ces mots était profonde et tranquille. Bandura, le Vice-Gouverneur des Mandarins, était un homme de soixante-neuf ans, réputé pour son savoir analytique et sa capacité d’adaptation aux différents problèmes. Il caressa d’un air pensif les deux gouttes du Yin et du Yang dessinées sur son front et poursuivit :
- Dans la mesure où Hillary ne pourra pas choisir de Capitaine pour Superviser la première épreuve de la semaine de Sélection, nous pourrions demander à Goro de porter ce rôle.
- Pour ma part, reprit le Vice-Gouverneur des renseignements, je soutiens cette idée. Et je vous propose de sanctionner le Première-Classe Ladvard en le mettant comme encadreur aux côtés de Goro. Je suis conscient qu’être encadreur ne semble pas être une punition mais sachez que pour lui, ça le sera.
- Vous pouvez lui enlever les avantages de sa participation, renchérit le Magistrat Ismaël.
- C'est une bonne idée. Le fait que ce soit sa bombe qui fit exploser l’orphelinat doit rester un secret, poursuivit Ajax, le Vice-Gouverneur des Fantassins. Donc ça nous permettrait de le sanctionner sans le montrer aux autres tairikus.
- Nous avons ainsi un encadreur et notre superviseur pour la première épreuve de cette Sélection. C'est une très bonne idée, rebondit Alexandre en caressant sa moustache. Qu’en pensez-vous ?
- C'était donc là où vous vouliez en venir ! comprit Tamaël. Régler deux sanctions en un évènement. C’est parfait pour moi. »
La réunion fut coupée brièvement par Tamaël, qui reçut un messager du roi d’Oldan. Ce dernier exigeait une entrevue directe avec deux Vice-Gouverneurs afin de discuter d’une meilleure protection pour les prochains évènements sur son territoire. Après quelques moqueries de son frère Ismaël, la réunion s’était poursuivie et le choix des Première-Classes fut fait.
« Parmi ceux qui se sont proposés, j’aimerais prendre Zabimaru comme un des encadreurs, proposa Bandura en remontant sa toge rouge sur son épaule. Il fait non seulement partie des Sept Perles mais son comportement a été exemplaire d’après ce que j’ai pu lire dans les rapports. De plus ça lui sera utile dans son apprentissage.
- Je propose Charles au même poste, enchaîna Alexandre. Et il en possède largement le niveau. »
À la fin de la réunion, les deux gemmes holocom respectives de Tamaël et Ismaël cessèrent d’émettre leur lumière, faisant disparaître leurs corps. Les Vice-Gouverneurs se levèrent et quittèrent la pièce chacun leur tour. Le Vice-Gouverneur des renseignements, le dernier à quitter la pièce, frôla sur le mur un glyphe semblable à ceux dessinés sur la table. La lumière dans la pièce s’assombrit alors, pour finalement s’éteindre.
* * *
Revenons maintenant à Oldania, capitale de l'État féodal d’Oldan, un des trois tairikus du Landau. Entre les maisons, un enfant avec une capuche et deux adultes, sont accroupis. L’un des deux hommes n'est pas très grand et tout maigre. Son visage est marqué d’une énorme balafre qui lui donne un air mauvais. L'autre homme quant à lui, en fait la taille de deux. Il possède un corps gros avec un ventre imposant, ce qui contraste fortement avec son ami. Ses cheveux sales sont assez longs et tombent sur ses épaules. Il compresse entre ses genoux et son dos recroquevillé son énorme ventre, accroupi vers le sol, car avec l'enfant, les deux lascars regardent la même chose : deux dés. L’un affiche cinq et l’autre deux.
« C’est pas vrai ! s’écria Tuhn en relevant son corps gigantesque. Encore sept ! C’est impossible d’avoir autant de chance !
- Effectivement Tuhn… répondit Yohan en caressant sa balafre avec le pouce. C’est impossible…
Les deux hommes se retournent vers le jeune garçon.
- Dis-moi gamin… continua le plus maigre. Tu ne serais pas en train de tricher quand même !?
- Si si Yoh, j’crois qui triche moi ! insista le plus gros.
- Allons… Bons Messieurs ! les calma l’enfant à la capuche en se relevant. Vous me connaissez depuis le temps, ai-je déjà été une seule fois malhonnête avec vous sur quelque chose ? »
Tuhn se gratta le ventre pour réfléchir. L’enfant en profita pour s’enfuir en courant après avoir ramassé les quelques morceaux de cuir chiffonnés, frappés du sceau de la Légion, qui étaient au sol.
« Nos Gramms ! Il se barre le con ! »
Les deux adultes lui coururent après, de plus en plus vite. Après une dizaine de mètres dans la rue, l’enfant tourna à gauche presque essoufflé pour s’enfoncer dans une impasse. Alors qu’il se rendait compte que la rue était bloquée par un grand mur de brique, la main du bonhomme balafré lui attrapa l’épaule et le tira violemment en arrière, ce qui le fit tomber sur le dos. Il sentit une douleur atroce le long de sa colonne vertébrale. Suivis de plusieurs chocs dans les côtes.
Alors que les deux hommes le martelaient de lourds coups de pieds au fond de l’impasse, une jeune fille vêtue de blanc, portant un bandeau bleu noué autour de ses cheveux blonds, arriva par le fond de la ruelle. Tandis qu’elle s’approchait furtivement, une tornade émana de sa main, d'abord sous forme miniature, puis grossit jusqu’à avoir une taille humaine et envelopper les deux gredins toujours occupés à marteler l’enfant. Ils ne remarquèrent pas cette brise d'abord légère, avant qu'elle ne leur entailla ensuite les vêtements et la peau, tout en les projetant plus loin sur le sol. La jeune fille blonde prit l’enfant par la main, et s'enfuit en courant. Le garçon, sentant qu’on l’attrapait, ouvrit un œil et reconnut les deux couettes qui se balançaient.
« Cécilia ?! Toujours là au bon moment ! lui dit-il, essoufflé par la course et les coups qu’il avait reçus aux poumons.
- Tais-toi et cours plus vite ! lui avait-elle répondu. »
En passant devant une étale de masques pour bals, l’enfant se servit au hasard et enleva les froufrous de l’objet pour se le mettre sur le visage.
Après avoir couru sur quelques longues rues, les deux garnements s’arrêtèrent sous le porche d’une maison derrière le marché et posèrent leurs fesses sur la marche en pierre pour reprendre leur souffle.
« C’est bon je crois, tu peux me lâcher maintenant, intima l’enfant. Tu sais, j’en avais pas l’air mais je maîtrisais grave la situation, fanfaronna-t-il aussitôt.
- Non Billy, répondit Cécilia, visiblement en colère, qui le tenait toujours par la main. Arrête de dire des conneries. Je vais finir par croire que tu penses ce que tu dis (elle lui lâcha la main comme on jette quelque chose à la poubelle). Comment se fait-il qu’à chaque fois que je viens te retrouver, tu n’es pas au point de rendez-vous, mais quelque part ailleurs, en train de te faire courser ou pire… attraper. Tout ça c’est à cause de Bensom ! Sans lui, tu ne jouerais pas à faire des paris avec des fous furieux ! »
L’enfant rabattit sa capuche sur ses épaules. Son visage couvert du masque blanc ne laissant apercevoir que deux yeux bleus. Ses cheveux épais, coiffés en pagaille, étaient de couleur blanche à la base et tiraient vers le violet sur les pointes.
« Comment tu me trouves avec ce masque ? lui demanda le garçon.
- Billy !... elle baissa les bras et reprit plus calmement. C'est pas mal. Ça cache tes bleus. Mais tu trouves pas que ça fait trop, les lentilles plus le masque ?
- La liberté ça a un prix…
- L’anonymat ! dirent-ils en cœur.
- Là-dessus on est d’accord… Mais arrête de tout prendre à la légère !
- Eh Cécilia, commença Billy sur un ton plus sérieux. Tu sais que j’t'aime bien. Mais t’es pas ma mère. Ni même ma sœur. Et t’as que deux ans de plus que moi j’te signale. J'apprécie tout ce que tu fais pour moi, vraiment. Mais c'est pas parce que t’as pu rentrer à la Légion et que tu sais te défendre mieux que moi que tu peux me donner des leçons et encore moins insulter mon pote.
- …
- Bon comment vas-tu ? continua-t-il d’un air plus enjoué. Ça va faire un moment qu'on ne s’est pas vu !
- Ne change pas de sujet. J’ai pas besoin d’être ta mère pour me faire du souci pour toi. Et je pense pas que Bensom t’aide à te sortir de la merde c’est tout.
- Je veux pas que tu le prennes mal, mais tu vis pas là où je dors. Et t’es pas là pour m’offrir une alternative. Tu m’as dit que la Légion c'était vraiment pas facile, mais quand je te vois, je me demande si ça vaut pas le coup de tenter. T'as de l’argent, t'as du temps libre quand tu es pas en mission, et je suis sûr que tu dors bien.
Cécilia ne répondit pas.
- Bref, on en reste là si tu veux bien, ponctua Billy d’une tape sur l’épaule. Je te vois pas pour tes sermons. Et tu me vois pas pour que je te parle de ma vie de merde.
- Arrête de parler comme si t’allais t’enrôler, finit-elle par répondre.
Elle le regarda avant d’esquisser un sourire et de poursuivre :
- De toute façon tu te ferais recaler avec ton corps de gamin !
- Pas cool ! Je fais de l’exercice tous les jours tu sais ! ajouta l’enfant en sachant qu’il ne tromperait personne.
Cécilia éclata de rire et il l’accompagna.
- Tiens, (elle fouilla dans ses poches) je t’ai apporté un truc.
Elle sortit de son pantalon un petit paquet rectangulaire.
- Fallait commencer par ça ! s’excita Billy. Vas-y donne !
- Calme toi, souria-t-elle. C’est juste pour t’aider à te défendre un peu, et va pas croire que c’est pour t’encourager à continuer tes magouilles ! »
Billy déballa le petit paquet avec soin et découvrit un jeu de cartes décoré en couverture d’un As de pique. Un peu déçu de ce qu’il vit, l’enfant regarda Cécilia dubitatif.
« Et donc... Je dois me défendre avec ça ? (plus bas, il ajouta) On vit pas dans le même monde, en effet.. »
Cécilia prit simplement une carte du paquet entre ses doigts. Elle se leva de la marche et avança de quelques mètres. En regardant dans la direction de son ami qui se posait des questions, elle lança la carte d’un revers de la main. Le rectangle de papier vint se planter tout droit entre les planches d’une cagette en bois. Très étonné, Billy se leva d’un bon pour lui prendre le paquet des mains mais Cécilia levait le bras.
« T’en prends soin ! Et c’est défensif. (elle baissa la main et lui donna le paquet) Ces cartes sont normales, mais si tu apprends à t’en servir, elles peuvent vraiment faire mal. Fais attention.
- Oui oui... Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités je sais. Mais je suis pas Spider-man…
- Quoi ?
- Rien ! Montre-moi juste comment on les lance. »
Note :
- Ça passera jamais d’avoir un narrateur aussi peu fiable si tu veux te faire publier. Tu le sais n’est-ce pas ?
- Lecteur, si tu lis ça, c’est que ce vieux crouton avait tort. Et juste pour ça, merci.
Au début de l'histoire on a le point de vue du caporale et tout d'un coup, on passe a un paragraphe different avec pour premier mot elle. Je trouve cela déstablilisant car au début on ne sait pas qui est elle. Appart cela j'aime beaucou l'histoire et j'arrive beaucoup mieux a suivre l'histoire des autres personnages intervenant dans l'hsitoire. Egalement j'aime bien l'histoire qui se déroule autoure de chaques personnages. Je compte lire la suite et serais heureuse de découvrir l'adapation en manga.
Je suis très content d'avoir un retour constructif comme le tiens. Si tu continue l'histoire tu aura l'occasion de t'apercevoir que le style d'écriture change après le chapitre 5 et nous allons retravailler les précédents pour qu'ils correspondent à ce style. ça nous donnera l'occasion de corriger le genre d'erreurs que tu as pointé alors je t'en remercie à nouveau. Nous sommes super heureux que l'histoire t'intéresse et j'ai hâte de lire tes prochains commentaires sur la suite ! à bientôt.
Laseo