Chapitre 1 : Où est Albin ?

Par Rouky

- Où est Albin ? Rendez-moi Albin, s’il vous plaît, monsieur.

Le corps parcouru de tremblements, William Rapin se tenait courbé, la tête baissée.

Dans le petit bureau froid du directeur de la prison, l’ambiance était lourde. Devant le prisonnier, confortablement assis dans son fauteuil, Bénédicte Caron fit mine de bailler.

- Allons, Rapin, tu sais que c’est impossible. Tu es dorénavant placé en cellule d’isolement. Tu ne reverras plus Albin.

- S’il vous plaît, monsieur, gémit le prisonnier. Je dois lui parler, par pitié. C’est une question de vie ou de mort.

- Ne sois pas si dramatique ! Tu n’as qu’à me parler, à moi. Que veux-tu lui dire de si important, à Albin ?

Le prisonnier secoua la tête, les mains triturant le bas de sa chemise.

Derrière lui, près de la porte, Victor Morel l’observait d’un œil mauvais. L’agent pénitentiaire contempla le dos du prisonnier. Celui-ci, au travers de la fine couche de tissu qui le recouvrait, était parsemé de zébrures rouges, sanguinolente pour la plupart.

Le surveillant détourna la tête, choisit plutôt de poser ses yeux sur l’unique fenêtre de la pièce, d’où l’on pouvait apercevoir la cour commune, avec en son centre la serre. Des prisonniers étaient en train de prendre l’air au dehors. Mais Albin Nozière n’était pas parmi eux. De cela, Victor Morel en était certain.

- S’il vous plaît, répéta William Rapin. Je vous en supplie, monsieur Caron, laissez-moi lui parler. Je ne vous demande qu’une entrevue, une seule.

- Non ! S’écria le directeur. Cesse de m’agacer, ou je promets que tu le regretteras. N’en as-tu déjà pas eu assez ?

Rapin pâlit en relevant la tête. Ses pupilles affolées se posèrent sur celles, glaciales, du directeur.

Le prisonnier se tourna à demi vers l’agent pénitentiaire, à la recherche d’une aide quelconque, mais ce dernier gardait obstinément les yeux rivés sur la fenêtre.

Rapin regarda à nouveau le directeur, déglutit, puis reprit d’une voix tremblante :

- Pitié, monsieur Caron, pitié ! Je ferai tout ce que vous voudrez. Mais, je vous en supplie, laissez-moi juste-

Il s’interrompit, poussa un hoquet de stupeur quand Bénédicte Caron se leva brusquement de son fauteuil. En quelques secondes, ce colosse de 90 kg retira sa ceinture de cuir, et vint se positionner devant Rapin. Il lui asséna alors plusieurs coups partout où la chair s’offrait à son bon vouloir : sur le visage, dans le cou, sur les mains...

S’effondrant au sol, William Rapin leva les bras pour protéger sa tête. Le directeur décida alors de s’en prendre aux endroits que le jeune homme ne put protéger. Les coups pleuvaient maintenant sur le ventre du prisonnier, sur ses jambes, ses cuisses, dans son dos, arrachant la chemise par endroit, rouvrant des plaies encore récentes.

William Rapin gémissait, suppliant dans un souffle que quelqu’un lui vienne en aide.

Victor Morel contracta la mâchoire, se força à rester immobile.

De longues minutes passèrent ainsi, jusqu’à ce que la fureur du directeur s’apaise enfin. Bénédicte Caron s’abaissa alors, prit un pan de la chemise de son souffre-douleur, et essuya le sang sur sa ceinture, avant de la remettre sur lui. Il passa la main dans ses cheveux gris pour les recoiffer, puis s’assit à nouveau dans son fauteuil.

- Ramenez-le dans sa cellule, ordonna-t-il à l’agent pénitentiaire.

Victor Morel hocha la tête, puis se dirigea vers le corps prostré de William Rapin. Le prisonnier tremblait, secoué de sanglots. Il gémit quand le surveillant l’attrapa rudement par le bras, et le força à se relever.

Quelqu’un toqua alors à la porte du bureau, et entra sans y être invité.

Lysandre Coligny apparut sur le seuil. Il haussa les sourcils en voyant la scène qui s’offrait à lui, puis posa les yeux sur monsieur Caron.

- Puis-je vous parler un instant, monsieur le directeur ? Demanda simplement l’avocat de la défense.

- Bien entendu, l’y invita Caron. Prenez un siège, je vous en prie. Morel, allez-y.

Le surveillant emmena Rapin à l’extérieur de la pièce. En passant à côté de son avocat, les tremblements du prisonnier redoublèrent, et il baissa instinctivement la tête.

La porte fut refermée, et Victor Morel traîna William Rapin jusqu’à une cellule isolée du reste de la prison.

Rapin ne se débattit pas. Même quand le surveillant le jeta sans ménagement sur sol de sa cage.

- Arrête de faire l’idiot, gronda l’agent pénitentiaire. Tu sais comment il est, le directeur. Alors arrête de l’emmerder, ça t’évitera au moins des coups inutiles.

- Pitié, gémissait Rapin.

Tout mouvement risquant de réveiller une terrible douleur dans son corps, le jeune homme choisit donc de rester allongé sur le sol, les genoux ramenés vers sa poitrine.

- Je dois lui parler, continua de sangloter le prisonnier.

- Arrête de nous faire chier avec ton Albin ! S’emporta Morel. Lui aussi est placé en isolement, tu le reverras plus jamais, le directeur va s’en assurer. Arrête de demander après lui, tu vas lui apporter que des ennuis, à ce garçon. Tes problèmes, tu les gardes avec toi ! Maintenant, arrête de pleurer. Je dois te surveiller encore plusieurs heures, j’ai pas envie de les passer à devoir supporter tes lamentations.

William Rapin ravala les sanglots qui lui déchiraient la gorge.

Il resta ainsi silencieux, dans la peine et la douleur. Quand il trouva enfin la force de bouger, plusieurs heures s’étaient déjà écoulées. Le prisonnier se hissa difficilement sur la paillasse qui lui servait de lit.

Morel, assis sur une chaise en face de la cellule, releva les yeux vers le condamnée. Son collègue allait bientôt prendre la relève, il avait hâte de rentrer chez lui.

- Ah ! S’exclama le surveillant en se tapant le front. J’ai oublié de t’annoncer un truc, Rapin. Madame Guerin souhaite te voir, ce soir. Elle veut te montrer quelque chose dans la serre, elle m’a pas dit quoi exactement. Mais ça avait l’air assez important. C’est Rolland qui t’emmènera auprès d’elle, dès qu’il viendra prendre son tour.

Morel ne s’attendait à aucune réponse particulière de la part du prisonnier.

Aussi fut-il surpris quand Rapin éclata soudain en sanglots incontrôlables, secouant la tête et hurlant sans plus s‘arrêter :

- Pitié, pitié, ne me tuez pas ! Je vous en supplie, épargnez-moi ! Je dois parler à Albin, pitié. Laissez-moi lui parler !

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