Chapitre 2 : La Belle-Soeur

Par Rouky

Les yeux plissés, sourcils froncés et regard désapprobateur, Gallant émettait quelques réserves quand au petit être que je tenais entre mes mains. Je serrais tout contre moi un petit chiot blanc tacheté de noir, et appelé à devenir un grand chien élégant.

Avec le peu d’argent qu’il avait reçu au cours de ses enquêtes, Gallant était parvenu à m’offrir un canidé, comme il me l’avait promis dans le bureau de Jacques Barnet.

Sergent, assis sur les genoux de son maître, jetait à mon chien ainsi qu’à moi le même regard accusateur que celui du détective. Hérissant les poils et crachant à notre encontre, le chaton n’appréciait visiblement pas la présence de son nouveau compagnon.

- Rappelles-moi la race de ce chien ? Demanda Gallant avec un air de dédain. L’éleveur a parlé d’un dogue, c’est cela ?

- Tu n’y es pas du tout ! Ris-je à ses dépends. Il s’agit là d’un dalmatien.

- Est-ce qu’il va beaucoup grandir ?

- Il grandira bien assez pour que ton piètre félin ne le prenne plus de haut, sois-en certain.

- Sergent ne s’abaissera jamais devant un pauvre animal qui ne sait communiquer autrement qu’en-

Il fut interrompu par le petit chiot. Celui-ci se tortillait entre mes mains tout en aboyant, la truffe tournée vers le détective.

- On dirait qu’il t’apprécie déjà, le narguais-je.

Gallant leva les yeux au ciel en faisant claquer sa langue.

- Lui as-tu trouvé un nom ? Demanda-t-il à brûle-pourpoint.

- Je pensais à “Capitaine”, qu’en pense-tu ?

Ses yeux s’agrandirent et il ouvrit la bouche, prêt à rétorquer, quand Capitaine le devança une nouvelle fois en aboyant. Je posais le chiot au sol, et il courut vers les jambes du détective, essayant en vain de monter sur ses genoux.

Sergent feula et grimpa sur l’épaule de Gallant, aussi loin que possible de Capitaine.

Ainsi pris entre les deux boules de poils, le détective n’osa plus bouger. Je riais aux éclats, son désarroi bien trop amusant pour ne pas s’en moquer.

- Lorsque vous aurez fini de ricaner, déclara mon associé, je vous saurai gré, monsieur Laon, de bien vouloir reprendre votre bestiole puante.

Mes rires redoublèrent. Gallant, qui avait dorénavant décidé de me tutoyer, revenait toujours au vouvoiement quand il me grondait.

- Je vais le laisser ici quelques instants, répondis-je sur le même ton de cordialité. Juste le temps d’ouvrir le courrier, et je vous délivre.

Je sortis alors du bureau, laissant Gallant et Sergent sous les aboiements de Capitaine.

*

Alice Durand hésitait. Elle fit mine d’avancer, puis recula de quelques pas. Elle croisa des riverains, qui haussèrent les sourcils face à cette étrange jeune femme.

Vêtue d’une longue robe bouffante d’un rouge carmin, la noble dame n’était visiblement pas dans son élément, dans ce petit quartier bourgeois.

Elle inspira longuement, serra la mâchoire, et se décida à avancer... avant de s’immobiliser. Faisait-elle vraiment le bon choix ?

On lui avait conseillé de se rendre ici, mais... Et si elle se trompait ? Elle leva une main tremblante, prête à frapper le heurtoir.

*

Gallant vit son associé revenir dans le bureau, une lettre à la main. Mais il n’y prêta pas plus d’attention. Il baissa les yeux vers le petit dalmatien qui ne cessait d’aboyer.

Sur son épaule, Sergent continuait de feuler.

Gallant soupira et leva les yeux au ciel. Quand son regard se posa à nouveau sur Thomas, il fronça les sourcils.

La lettre ouverte dans les mains, son jeune associé tremblait, les yeux écarquillés en une moue horrifiée.

- Que se passe-t-il ? Demanda Gallant. Qu’est-ce qu’il y a ?

Thomas leva lentement les yeux sur le détective. Il hoqueta quelque chose, que Gallant ne comprit pas.

- Qu’y a-t-il ? Insista ce dernier.

- C’est une lettre d’Antoine Favre.

- Encore ? Décidément, cet inspecteur t’apprécie assez pour te donner des nouvelles au quotidien... Mais pourquoi cet air si chamboulé ?

Thomas secoua la tête, ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, Gallant y lu de l’effroi.

- C’est Eden D’Asande, reprit le jeune Anglais. Il s’est suicidé dans sa cellule. Il a laissé une lettre, dans laquelle il a expliqué qu’il lui était impossible de vivre un jour de plus en prison.

- Oh, fit simplement le détective.

- “Oh” ? Répéta Thomas Laon. Gallant, il s’est suicidé. Il est mort.

- Oui, je l’ai bien compris...

- Et vous comprenez aussi bien que moi que si nous, nous sommes au courant, alors Dorian D’Asande l’est également. Imaginez quels sentiments doivent s’emparer de lui à l’heure où nous parlons.

- Pense-tu qu’il souhaite se venger ?

- Ce n’est pas impossible. Tout comme Favre l’indique dans sa lettre, je préconise la prudence. Nous ne savons pas comment il va réagir, alors soyons sur nos gardes.

- Oui, tu as raison.

Thomas allait ajouter quelque chose, mais s’interrompit en voyant Gallant jetait un coup d’œil derrière lui. Se retournant, l’Anglais aperçut, au travers des rideaux, une ombre se tenant sur le seuil de leur maison.

*

Mais elle n’eut pas le courage de poursuivre son geste. Elle abaissa à nouveau la main, et tourna les talons.

Elle allait repartir, loin de cette maison.

Mais elle se figea en entendant une porte s’ouvrir.

- Madame ? Fit une voix masculine.

Alice Durand se retourna.

Sur le seuil se tenait un homme d’une vingtaine d’années, vêtu d’un costume beige en tweed. Son visage était encadré par une chevelure blonde coiffée vers l’arrière. Ses yeux vert, eux, scrutaient prudemment Alice, ouvertement méfiants.

- Puis-je vous aider ? Demanda l’homme.

- C’est que... hésita Alice.

Le cœur palpitant, elle baissa la tête, se tordit les mains.

- Oui, dit-elle finalement. Oui, vous pouvez m’aider. A vrai dire, il faut que vous m’aidiez, je vous en supplie.

*

Je fis assoir la jeune femme dans le bureau, et lui servis une tasse de café. Gallant, qui était parvenu à fuir Capitaine, nous rejoignit bientôt.

Les yeux sombres du détective contemplèrent longuement la noble dame, mais je ne su déchiffrer l’expression qui passa sur son visage. Il s’assit derrière son bureau, et croisa les bras.

Nous attendîmes que notre invitée boive quelques gorgées avant de commencer à la questionner.

- Qui êtes-vous, madame ? Demanda simplement Gallant.

- Je m’appelle Alice Durand, répondit-t-elle d’une petite voix. J’ai hésité à venir vous demander votre aide. Seulement voilà, un de mes ami qui travaille dans la police a entendu parler de vos récents exploits, et m’a donc conseillé de venir vous voir. Vous avez déjà résolu deux affaires impliquant des suicides, en prouvant qu’il s’agissait en réalité de meurtres. C’est pour cette clairvoyance que j’ai besoin de vous.

- En quoi pouvons-nous vous être utile, madame Durand ?

- Pour comprendre ce dont il en retourne, je dois vous présenter l’histoire dans son ensemble.

- Nous vous écoutons, madame.

- Je suis arrivée à Paris il y a de cela quelques années. Mon père, qui avait fait fortune dans l’immobilier, a convaincu ma mère, ma sœur et moi-même de venir nous installer ici. Les affaires ont repris de plus belle, et nous nous sommes vites fait un certain nom dans les riches quartiers. C’est lors d’une réception donnée en notre honneur que ma sœur a rencontré son futur mari. Il s’agissait d’un serveur nommé William Rapin. Il était jeune, plus jeune que ma sœur. Mes parents ne voulaient pas accueillir ce garçon des quartiers populaires dans notre famille. Mais, à force de détermination, Anabelle est parvenue à leur ouvrir les yeux, leur prouvant qu’il ne faut pas s’arrêter au rang social. William Rapin était un être aimant et charmant, prêt à tous les sacrifices pour offrir à Anabelle la meilleure vie possible. C’est cette bonté d’âme et cette générosité à toute épreuve que mes parents ont finalement su apprécier. Ils ont alors accorder leur bénédiction, et Anabelle et William se sont rapidement mariés. Ils se sont trouvés une jolie maison à la campagne et, au bout de quelques mois, Anabelle est tombée enceinte. Elle a donné naissance à une magnifique petite fille. Seulement...

Sa voix flancha. Elle ravala un sanglot, inspira longuement. Loin de nous l’idée de la presser dans son récit, nous lui laissâmes plutôt le temps nécessaire pour trouver la force de continuer.

- Il y a de cela huit mois, reprit-elle, un drame affreux et ignoble s’est produit. Ma sœur... et son bébé... ont été sauvagement assassinés. Anabelle a eu la gorge tranchée dans son lit, et la petite Renée a été étouffé sous un oreiller. Le légiste a confirmé que les deux étaient encore vivantes quand elles ont été massacrées. C’est tellement...

Elle ne put ravaler ce sanglot. Les larmes coulèrent silencieusement sur son visage, tandis qu’elle efforça de reprendre d’une voix calme.

- William a tout de suite été arrêté. Ses empreintes ont été retrouvées sur l’arme du crime. Normal, après tout, car il s’agissait d’un couteau qui se trouvait dans leur cuisine. Puis des voisins ont témoignés en sa défaveur, insistant sur le fait qu’Anabelle et lui se disputaient souvent, ces derniers temps. Et c’est tout. Voilà les seules preuves qui ont servis à l’écrouer derrière les barreaux. Maître Coligny, son avocat, était d’une médiocrité absurde. Il n’a absolument pas su protéger William contre les malédictions du jurés, contre la haine du public. Je n’aurai pas dû être surprise de son incompétence, voyant le peu d’argent que ce sacripant a demandé en échange de ses services. J’aurai dû me douter que cela cachait un évident manque de compétences en la matière. La seule raison qui a permis à William d’éviter la peine de mort, c’est son comportement durant le procès. Il était effondré, inconsolable, ne cessait de répéter qu’il n’était même pas là, la nuit du drame, mais qu’il était parti se promener à la belle étoile. Il jurait qu’il était innocent. Et c’est bien là le problème, messieurs. Je suis persuadée, en mon for intérieur, que mon beau-frère est innocent. Il adorait profondément sa femme et sa fille, et je suis certaine que jamais il ne leur aurait fait du mal.

- Madame, dit Gallant. Cette histoire est tout à fait tragique, et je suis terriblement désolé pour votre sœur et votre nièce. Je vous présente mes sincères condoléances. Mais, pour le moment, je vois mal ce que nous pouvons faire pour vous aider. Il n’est pas en notre pouvoir de casser un jugement déjà rendu.

Alice Durand esquissa un sourire qui n’en était pas un, triste et affligé.

- Inutile de vouloir casser ce jugement, monsieur, car, à l’heure où je vous parle, William Rapin est mort depuis deux jours.

- Comment ? Demanda Gallant, le regard sombre.

- Il a été retrouvé empoisonné dans sa cellule. Et devinez quoi ? Le médecin légiste en a conclu à un suicide. Mon beau-frère avait une dose conséquente d’arsenic dans son organisme. En sachant qu’une serre se trouve au centre même de la prison, je ne vois aucune difficulté à déterminer la provenance du poison.

- Une serre ? M’étonnai-je.

- Oui, une drôle d’idée, n’est-ce pas ? C’est la femme du directeur de la prison qui gère la serre. Elle est certaine qu’un contact régulier avec les plantes et la nature en général ne peut avoir qu’un effet bénéfique sur les détenus. Mais là où je veux en venir, messiers, c’est que William ne s’est pas suicidé. Il n’a jamais tué sa femme et sa fille, je parierai ma vie là-dessus. Il a été jeté en prison à la place de quelqu’un d’autre, et a été assassiné parce qu’il savait quelque chose.

- Que pensez-vous qu’il savait ? Demanda Gallant.

- Quelque chose de visiblement assez important pour que le véritable assassin prenne le risque de l’éliminer au sein même d’une prison. Je n’ai pu lui rendre visite qu’une seule fois, trois mois après qu’il ait été enfermé. Le pauvre garçon était complètement affolé, il était très amaigri, et me suppliait de l’aider à sortir de cet enfer. Il m’a dit qu’il possédait une information capitale, qui pourrait l’aider à sortir d’ici, redevenir un homme libre. Il ne voulait pas me dire quoi, il avait peur que ce savoir ne me mette en danger. Il avait décidé à la place de tout révéler à un certain “Albin”. Je crois qu’il s’agit d’un de ses compagnons de cellule. Après cette entrevue, je n’ai jamais pu revoir mon beau-frère. Le directeur de la prison m’affirmait que William était devenu dangereux, et qu’il avait été placé en cellule d’isolement, qu’il n’avait plus droit à aucun contact avec l’extérieur. En quelques mois, William est passé d’un homme chaleureux et bon-vivant à une bête affolée et terrifiée au moindre bruit suspicieux. Quelqu’un a tué ma sœur, ma nièce et mon beau-frère, messieurs, et je veux qu’il soit arrêté. Aidez-moi, je vous en supplie.

Gallant hocha la tête, les bras croisés.

- Avez-vous déjà rencontré ce fameux “Albin” ? Questionna-t-il.

- Non, jamais. Je ne le connais que de nom. William avait l’air de placer une confiance aveugle en cet homme. Il ne jurait que par lui, assurait que cet ami l’aiderait à s’en sortir. Mais j’ignore réellement de qui il s’agit, ni de pourquoi William lui était dévoué corps et âme.

- Très bien. Vous dîtes que votre beau-frère a été placé en cellule d’isolement, c’est cela ?

- Tout à fait.

- Avez-vous une idée de qui pouvait aller et venir dans sa cellule ?

- Pas grand monde... Maître Coligny continuait de lui rendre visite, dans l’espoir de renvoyer l’affaire au tribunal. Il y a aussi quelques agents pénitentiaires, bien évidemment. Avant qu’il ne soit placé en isolement, William m’avait déjà confié que le directeur de la prison, monsieur Bénédicte Caron, passait le voir assez souvent. William avait l’air... complètement terrifié par cet homme. Et je suis certaine que la dame qui s’occupe de la serre a déjà rencontré William. Je ne vois pas d’autres explications possibles pour justifier la provenance de l’arsenic.

- Je vois. Soyez assurée, madame Durand, que mon associé et moi-même allons tout mettre en œuvre pour élucider ce mystère.

- Je vous remercie, messieurs.

Elle se leva, et je l’accompagnais jusqu’à la sortie. En revenant dans le bureau, je vis Gallant enfiler une veste.

- Où vas-tu ? Lui demandai-je.

- A ton avis ? A la prison, bien évidemment !

- Mais, ne faut-il pas d’abord envoyer une lettre au directeur ? Nous ne pouvons pas juste nous pointer à l’entrée et demander à enquêter. On nous rirait au nez avant de refermer la porte !

Gallant m’offrit un sourire désarmant tout en me passant ma propre veste.

- Mon ami, dit-il, tu oublies que Jacques Barnet est de nôtre côté. De l’influence, il en possède beaucoup. Je suis sûr qu’un simple coup de fil de sa part nous ouvrira les portes de cette forteresse.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez