Chapitre 1: Part 2

5 mai~

L'aube grise avait rougi, et le soleil était déjà haut sur l'horizon, déchiquetant les arbres et les collines. Maud soupira en coiffant lentement ses longs cheveux épais, qui avaient bien décidé de lui donner du fil à retordre. Le sommeil lui avait fait faux bond. Sachant que personne ne viendra la réveiller, elle avait tenue à écrire dans le journal que Mina lui avait offerte, pour connaître son aventure hors de l'Angleterre.

Même si elle s'était inquiétée pour son très cher Jonathan, Mina avait été que ravi d'apprendre que c'était sa très bonne amie Maud qui partait rencontrer le client. Elle lui avait expressément demandé de tout raconter dans le journal. Même si Maud n'était pas aussi férue d'écriture que ses bons amis, elle faisait de son mieux pour tout retranscrire sur le papier. 

Maud s'assura de ne pas oublier quelque chose dans la pièce. Son attention se posa sur le crucifix offert par la vieille dame. Elle n'avait jamais réellement eu la Foie, mais ce lieu et la crainte de ces gens. Prenant une profonde inspiration, elle mit le crucifix autour de son cou puis alla attendre l'arrivée de la diligence. Lorsque celle-ci arriva et qu'elle pu prendre place, elle constata que le conducteur n'avait pas encore pris place, s'étant approché du couple qui tenait l'hôtel pour s'entretenir avec eux. De toute évidence, ils parlaient d'elle, car, de temps en temps, ils jetaient des coups d'œil dans sa direction. Certains gens curieux, s'approchèrent pour mieux écouter. Maud les regardait curieusement, ne comprenant les mots qu'ils se disaient. Si seulement elle avait son dictionnaire polyglotte sous la main. Mais dans son éternelle malchance, elle l'avait oubliée à la maison. Lorsque la diligence s'ébranla, la foule fit le signe de la croix, pointant deux doigts en direction de la jeune femme. 

Ces personnes étaient, étonnamment, très croyant. 

Ses yeux se posèrent sur son compagnon de voyage. Du moins pour un temps. Elle lui posa timidement la question. D'abord réticent, il répondit finalement en apprenant que la jeune femme était anglaise: ce geste, expliqua-t-il, était destiné à la protégée du mauvais œil. 

Cette révélation n'était guère rassurante, alors qu'elle se rendait dans un lieu inconnu pour rencontrer un parfait inconnu. Mais le claquement du fouet interrompit ses inquiétudes: le voyage commençait. 

Sans doute était ce à cause de la nuit qu'elle avait passée, le sommeil avait finit par la gagner. Elle dormit une bonne partie du trajet, manquant tout les paysages qui s'offrait ainsi que le soleil qui se couchait au fur et à mesure du trajet ainsi que les croix qui se dressaient sur les bords de la route. Chaque fois qu'ils en voyaient une, ces compagnons de voyage firent un signe de croix. La voyant dormir profondément, les autres occupant regardèrent vers le cochet, lui demandant de se dépêcher. Le cochet fit claquer son fouet, pressant les chevaux. 

Ce fut à ce moment que Maud émergea de son sommeil réparateur. Juste à temps pour voir que la diligence entrait dans le col de Borgo. Grand Dieu! Avait-elle dormi si longtemps que ça? Une vague de gêne l'envahit. Si sa mère l'avait vue ainsi, elle aurait hurlé pour la recadrer. Alors qu'elle s'apprêtait à s'excuser, les passagers lui tendirent des présents divers avec un sérieux qui rendait vain tout refus. 

Des cadeaux étranges, mais qui lui fit étrangement plaisir. Personne n'avait jamais été aussi regardant envers elle. 

A chaque don, une bénédiction, ainsi que ces étranges mouvements qu'elle avait vus les gens faire près de l'hôtel, le signe de croix et la protection des doigts contre le mauvais œil. Maud se tortillait nerveusement sur son siège, la course folle continuait. Le chauffeur se pencha en avant alors que les passagers, de part et d'autre du véhicule, tentèrent de percer l'obscurité. 

La tension se poursuivit quelques moments. Finalement, le col s'ouvrir devant eux. En raison de sa sieste inopinée, Maud n'avait pas remarquée que la neige tombait et que le vent soufflait avec force. Rendant le froid encore plus mordant. Sans doute à cause du faite que les deux versants de la montagne qui subissaient des conditions atmosphériques différentes et qu'ils devaient maintenant affronter cette zone de tempête. 

Maud essuyait la buée de la fenêtre, tentant d'apercevoir la voiture qui devait la conduire chez le comte. A chaque instant, elle s'attendait à voir des lampes crever l'obscurité. Mais le noir restait noir.  

Le stress céda à l'incrédulité, alors que les passagers et le cochet se détendirent, soupirant de soulagement. Le chauffeur sortit sa montre, marmonnant, aux autres, quelque chose qu'elle ne put comprendre tellement qu'il parlait bas. Puis, il se tourna vers elle, déclarant, dans un Allemand qu'elle eu du mal à saisir:

"Il n'y a pas de voiture ici. Le monsieur n'est pas attendu, dirait-on. Elle va maintenant venir en Bukovine, avec nous, et revenir demain ou le jour d'après, de préférence le jour d'après."

Maud afficha une mine boudeuse. Elle ne pouvait se permettre d'attendre deux jours en Bukovine. Ca nuirait à son travail, et le client serait contrarié de patienter davantage. Pendant que l'homme parlait, les chevaux se mirent à hennir et à ruer si violemment qu'un petit cri de surprise s'échappait des lèvres de l'unique femme présente dans la diligence. Les hommes poussèrent des cris en se signant sans pouvoir s'arrêter, le cochet dut retenir les chevaux. 

Au milieu de tout ce tumulte, une calèche à quatre chevaux arriva derrière eux, semblant vouloir les dépasser, mais s'arrêta à leur hauteur. Maud sentait son cœur s'emballer en distinguant le grand homme à longue barbe brune et dont le grand chapeau noir semblait avant tout destiné à dissimuler ses traits. Son estomac se tordit lorsqu'elle vit l'éclat de ses deux yeux brillants qui, dans la chiche lueur, paraissaient rouges. L'homme se tourna vers eux et lança au conducteur:

"Vous êtes en avance, ce soir, mon ami."

"Il y a eu un imprévu. Le Herr anglais n'est pas là. C'est… une remplaçante. Une jeune femme anglaise."

Le corps de Maud se tendit en voyant l'homme poser son regard sur elle. 

"Hmm. Et le Herr anglais?"

"Malade."

"Une bien triste nouvelle, mais cette jeune femme fera l'affaire. Quoi qu'il en soit, vous vouliez l'emmener en Bukovine? Vous ne pouvez pas me tromper, mon ami. J'en sais trop, et mes chevaux sont rapides."

L'homme sourit à ces dernières paroles. Les lampes éclairèrent une bouche dure, des lèvres d'un rouge vif et des dents pointues aussi blanches que l'ivoire. Maud le fixait, incapable de détourner les yeux de cette bouche si atypique. Sa fixation fut brisée en entendant l'un de ses compagnons se pencha vers son voisin et lui murmura:

"Denn die Totent reiten schnell."

L'étrange conducteur regarda le passager, qui venait de prononcer ses paroles, souriant dans l'obscurité. Le passager détourna les yeux, tout en se signant, puis avança deux doigts en avant.

"Donnez-moi les bagages de madame. Ne la laissons pas mourir de froid," ordonna l'étrange chauffeur. 

Maud observa la hâte étrange du cocher de la diligence, qui se dépêchait de remettre ses bagages au nouvel arrivant. Puis, elle descendit du premier véhicule pour monter dans le second. Le nouveau cocher l'aida à monter dans la calèche, emprisonnant sa main dans une étreinte de fer. Dieu que sa force était prodigieuse! Une fois installer, le cocher secoua les rênes. Les chevaux firent demi-tour et ils filèrent dans l'ombre du col.

Elle se pencha à la fenêtre et vit, pour la dernière fois, ses compagnons de voyage. En les voyant disparaître dans l'obscurité, un sentiment de solitude l'envahit. Ses pensées furent interrompus lorsqu'un manteau épais fut jeté sur ses frêles épaules, et qu'une couverture recouvrit ses genoux. Le conducteur dit alors:

"La nuit est glacée, my lady, et mon maître, le comte, me foudroierait sur place si je laisse une jeune demoiselle mourir de froid. Sous le siège, vous trouverez une bouteille de slibovitch. Servez-vous-en autant qu'il vous plaira."

"C'est fort aimable de la part de votre maitre… mais je ne bois pas d'alcool," dit-elle en ajustant le manteau sur ses épaules ainsi que la couverture sur ses genoux.

Maud ne souhaitait surtout pas s'enivrer en compagnie d'un parfait inconnu. Son malaise ne faisait que croître de secondes en secondes. La pensée qu'accepter de venir à la place de Jonathan était une mauvaise idée lui traversait l'esprit. Elle tenta de se détendre, en utilisant la technique de respiration que son grand-père lui avait apprise. Inspirez profondément en comptant 4 secondes, retenir son souffle en comptant jusqu'à 7 et expirez durant 8 secondes. 

Un cri lui s'échappa lorsque la calèche tourna brusquement. Maud remarqua qu'ils passaient sans cesse sur le même tronçon de route. Elle voulait interroger le conducteur, mais craignait de le faire. Sa mère lui avait toujours rabâché de ne jamais remettre les adultes en questions. Elle était à la merci de cet homme, et de cette nuit froid. Elle fouilla dans ses poches, sortant une montre à gousset et une allumette qu'elle craqua. Quelques minutes avant minuit. Etait-il déjà si tard? Toutes les suppositions liées à cette heure fatidique s'éveillèrent en elle, nourrissant une terreur grandissante.

Un chien se mit à hurler, quelque part devant une ferme, au bas de la route. Un long hurlement sonore qu'on aurait dit provoqué par la peur. Un autre chien le reprit. Puis un autre. Et un autre. Et encore un autre jusqu'à ce que, porté sur le vent qui sifflait sur le col comme s'il gémît, naquît un immense hurlement, paraissait venir de la campagne entière. Au premier cri, les chevaux se cabrèrent et tremblèrent, mais quelques paroles du cocher suffisaient à les apaiser. Maud s'accrocha à la portière comme si sa vie en dépendait. 

Seigneur… dans quoi venait-elle de s'embarquer?  

"Ne vous en faite pas mademoiselle. Tout ira bien t'en que vous restez dans cette calèche. Vous arrivez chez le comte en un seul morceau."

Bien que ses paroles eussent dû la rassurer, Maud n'y trouvait aucun réconfort. C'était même l'inverse. Un hurlement plus sonore et plus aigu se fit à nouveau entendre. C'étaient des loups, dont les cris effrayaient autant les chevaux qu'elle-même. Elle eut l'idée folle de sauter de la voiture alors que l'attelage se cabrait et hennissait de panique, au point que le chauffeur dut user de sa force phénoménale pour les empêcher de s'emballer.  

Après de longues minutes interminables, ses oreilles s'habituèrent aux hurlements. Les chevaux furent si bien calmés que le cocher put descendre à leurs côtés. Il les flatta, les caressa, leur murmura des paroles apaisantes, comme le font tout ceux qui savaient parler aux chevaux pour se faire obéir d'eux. L'effet fut immédiat. Sous ses caresses et ses flatteries, ils s'apaisèrent, bien qu'ils continuaient à trembler. Tout comme elle. 

Le conducteur regagna son siège et, reprenant les rênes, repartit à toute allure. Cette fois, après avoir franchi le col, il prit soudain à droite, sur un chemin étroit. 

Combien de temps allait encore durer cette course folle? 

Impossible de se concentrer sur le paysage, ni sur autre chose que ses hurlements de loups. Elle pouvait juste s'accrocher à la porte et prier pour qu'ils arrivent enfin. Le froid se faisait de plus en plus mordant. Le vent sifflait, gémissait. Les branches venaient heurter les parois de la calèche. Tout le paysage était recouvert d'un manteau blanc. Les hurlements des chiens, au loin, faiblissait de secondes en secondes. Tandis que ceux des loups se rapprochèrent comme s'ils cherchaient à les encercler.

La peur de Maud grandissait, comme celle des chevaux. Par contre, le conducteur demeurait parfaitement calme. Il regardait à gauche, puis à droite, puis à nouveau à gauche. Maud tentait aussi de percer l'obscurité. Soudain, elle crut apercevoir une petite flamme bleutée sur la gauche. Le conducteur la vit aussi. Il arrêta aussi tôt les chevaux et, sautant sur le sol, disparaissant dans la nuit. 

Maud ne savait que faire, d'autant plus que les hurlements des loups se faisaient plus proche. Dans un reflex enfantin, elle s'allongea sur la banquette, tirant le manteau au-dessus de sa tête, comme pour se cacher. Elle devait s'être endormie et faire un mauvais songe. C'était la seule explication. 

Un sursaut la prit quand la calèche se remit en mouvement. Elle sortit sa tête de sa cachette: le cocher était de retour, assis comme s'il n'était jamais parti, et les chevaux repartaient de plus belle. Maud se redressa, s'accrochant à la porte. Une nouvelle lueur brilla. Le cocher stoppa à nouveau le véhicule, se précipita vers l'endroit où naissait la flamme, rassembla quelques pierres et les disposaient en une forme étrange. Elle crut être victime d'un effet d'optique: alors que le cocher s'interposait entre la flamme et elle, elle continuait à voir la flamme trembler dans le vent, comme si l'homme n'existait pas. 

Maud ôta ses lunettes, frotta ses paupières fatiguées. Lorsqu'elle les remit, le cocher avait disparue. Il ne restait plus qu'elle et les cheveux, qui tremblaient jusqu'à hennir de peur. Etrangement, les hurlements des loups s'étaient tus. De quoi pouvaient-ils avoir peur? La réponse ne tarda. Les nuages sombres se dégagèrent, révélant la lune, et sa lumière froide perça les ténèbres. A la lueur, elle distingua un cercle de loups tout autour d'eux, aux dents éclatantes, aux langues rouges et leurs longs poils hérissés sur leurs membres musclés. Paralysée par la peur, elle ne pouvait que regarder.

Soudainement, les loups hurlèrent à nouveau. Les chevaux se cambrèrent, hennissant, jetant autour d'eux des regards désespérés. Maud cria de terreur, sentant la calèche secouée. Elle s'accrocha à la porte pour ne pas être projetée hors du siège. 

Où était passé le cocher? Ne pouvait-il pas revenir à cause des loups? C'était sans doute ça. 

Elle se mit à frapper la vitre, hurlant contre les loups, espérant les effrayer. Mais ils restèrent imperturbables. 

Soudainement, la voix du cocher s'éleva, grave, autoritaire, irréfutable. Il se tenait au milieu de la route, ses longs bras tendu, comme pour repousser un mur invisible. A la stupéfaction de Maud, les loups reculèrent peu à peu, et le silence revint. 

Un nuage épais passa devant la lune, plongeant les alentours dans l'obscurité. Elle essaya de distinguer les environs, mais le cocher reprit sa place, attrapant les rênes et reprendre la route. 

Les loups avaient disparu. Mais comment? Où avait-il bien put aller? Pourquoi l'avait-il laissée seule? 

Maud voulut lui poser ses questions, mais elle était trop secouée pour pouvoir prononcer le moindre mot. 

Ce voyage semblait ne jamais se terminer. La route montait et descendait, les tournants étaient si serrés qu'ils lui tordait. Enfin, après ce qui lui parut une éternité, la calèche dans la cour intérieure d'un vaste château en ruine.

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