À mesure qu’elle se rapprochait du centre de la Tour, les couloirs devenaient plus larges, plus animés. Elle finit par déboucher au cœur de l’édifice : un vaste puits, tel un tube immense, reliant tous les étages de la Tour, de son sommet à ses plus lointaines profondeurs. Des nacelles montaient et descendaient, reliant les différents quartiers. Hart s’en détourna, cependant, préférant éviter d’être interceptée à l’une des douanes. Aussi descendit-elle les escaliers qui tournaient en spirale aux bords du puits, et ce jusqu’à ce qu’elle croise l’une des échelles de service utilisée, il y a longtemps, pour la maintenance. Après s’être assurée qu’aucune patrouille ne se trouvait dans les environs, elle s’agrippa aux barreaux et se laissa glisser en contrebas. Parvenue aux habitations des quartiers sous-marins, elle en escalada les toits, poursuivant sa descente là où les prises le lui permettaient. S’aidant des poutres aux formes arquées, elle parvint enfin aux forges. Elle se laissa tomber dans une ruelle enfumée et se glissa entre les étals et les fours brûlants. L’atmosphère était saturée d’une chaleur sèche qui lui brûlait les poumons.
Hart ramena sa cape devant sa bouche pour se protéger des vapeurs âcres. Elle ne s’habituait toujours pas au bruit assourdissant des marteaux claquant contre le fer encore chaud, pas plus qu’elle ne se faisait à cet air irrespirable qui lui piquait la gorge. L’endroit était couvert de suie et de cendre. Celle-ci tombait comme de la neige jusqu’aux bidonvilles qui s’étaient construits au-dessous au fil des années : les Quartiers Gris, la destination de Hart.
La jeune femme remarqua de justesse que le pont qui y menait était désormais envahi par une patrouille nomade. Elle évita le contrôle d’identité et se faufila par les toits de tôles grinçantes jusqu’au centre du bidonville. Les canalisations des usines y crachaient parfois leur fumée et des liquides grisâtres qui dégoulinaient sur les murs. Hart traversa une passerelle branlante et se faufila entre les étals du marché noir. Les Quartiers Gris n’étaient alimentés ni en eau ni en énergie : ils étaient éclairés, de jour comme de nuit, par la lueur tremblotante des forges et des néons suspendus aux étages supérieurs. Aussi le marché était-il animé quelle que soit l’heure. Parvenue à un étal de vieilles pièces robotiques, Hart s’arrêta. Un individu assez âgé se tenait là, affalé sur une chaise, les yeux cachés sous les bords d’un chapeau. La jeune femme fit mine de tousser pour attirer son attention :
- J’ai un message à transmettre, expliqua-t-elle.
Le vieil homme grogna et se redressa légèrement. Du menton, il montra un calepin qui traînait au bord de l’étal. Hart se pencha dessus, réfléchit à ce qu’elle pouvait écrire, à la manière de le crypter. Quelques lettres suffiraient : « Kholia. Revenue. Mémoire effacée. ». Le courrier pouvant être intercepté, elle le rendit indéchiffrable.
- Pour Naste, souffla la jeune femme plongeant son regard dans celui du vieil homme. C’est urgent.
Celui-ci hocha la tête et fourra le morceau de papier dans l’une de ses poches. Hart le remercia d’un signe de tête et repartit en sens inverse. Elle sursauta quand, en contrebas d’une passerelle, un cri strident lui parvint. Elle s’éloigna rapidement, frileuse à l’idée de rester proche de ces geôles dont les murs pourraient tout à fait devenir ceux de son nouveau logis si d’aventure elle était découverte dans un Quartier qui n’était pas le sien, et ce, sans autorisation.
En contrebas, dans l’une des geôles, le cri se poursuivit encore plusieurs longues minutes. Quelques cellules plus loin, un jeune homme aux longs cheveux blancs s’en impatienta.
- Vous pourriez pas le faire taire ? lança-t-il à un garde qui passait.
Celui-ci observa le prisonnier assis contre un mur. Il remarqua le plateau et la nourriture encore intacte qui s’y trouvait :
- Vous devriez manger.
Le prisonnier s’amusa de cette voix jeune et hésitante qui s’adressait à lui.
- J’en ai pas besoin.
Et comme l’autre restait interdit, le jeune homme, taquin, poursuivit :
- Quoi ? On ne vous apprend plus l’Histoire, là-haut ?
Le garde recula d’un pas : le jeune homme en face de lui était désormais un enfant. Le visage attendri par des joues rondes, il s’avança vers les barreaux, l’air suppliant. De sa voix fluette, il demanda à être libéré, arguant qu’il se trouvait ici par erreur, pour un simple vol – mais il fallait le comprendre, sa mère était si malade… Une femme,soudain, s’interposa entre le prisonnier et son geôlier. Celui-ci, confus, se reprit à temps pour présenter à sa supérieure le salut qu’il lui devait. Elle l’ignora et appuya sur l’un des boutons jouxtant celui ouvrant la porte de la cellule. Une secousse électrique traversa le corps du prisonnier qui, avec une grimace, reprit son apparence initiale.
- Vous n’avez rien à faire là, gronda la plus haut gradée à l’intention de son subalterne.
Ce dernier s’excusa, le regard baissé, avant de s’éloigner précipitamment. Alors qu’il regagnait son poste, il entendit le rire du prisonnier résonner derrière lui. Celui-ci, hilare, fixait sans ciller la femme qui lui faisait face.
- Vous venez de tuer quelqu’un, soupira-t-elle avant de pointer une arme vers la tête du garde qui était sur le point de disparaître à l’angle du couloir.
La détonation fusa et le corps s’écroula, inerte. Le prisonnier, quant à lui, haussa les sourcils, moqueur. Tout dans son attitude signifiait le peu de responsabilité qu’il prenait vis-à-vis de la mort de ce jeune garçon échoué à quelques pas de là. Il ne l’avait obligé à rien, elle le savait. Aussi s’éloigna-t-elle, pleine de frustration, donnant des ordres pour que le cadavre soit débarrassé et l’endroit nettoyé. Elle marqua une pause cependant, hésita puis osa poser la question qui lui brûlait les lèvres :
- Qu’est-ce que vous attendez, depuis le temps ?
- Rien, finit par répondre le prisonnier depuis le fond de sa cellule.
- Mais vous pourriez sortir ! s’exclama l’autre en se retournant.
- À condition de tout oublier, fit remarquer le jeune homme en grinçant des dents.
Le Major souffrit de savoir cet être qu’elle révérait tenir un discours en tout point contraire à ses croyances. Elle considéra l’arme qu’elle tenait dans sa main : elle n’avait qu’à presser la détente. Nul besoin, dès lors, de voir, jour après jour, ce visage inchangé au fil des ans, nul besoin de le traiter en criminel quand bien même sa chair serait celle des divinités qu’elle vénérait. Nul besoin, surtout, de l’entendre proférer les hérésies qu’il brandissait avec ce rictus épouvantable. Elle ferma les yeux lorsque le coup parti. Quand elle les rouvrit, le prisonnier était debout dans sa cellule. Il tenait entre son pouce et son index une balle de plomb qu’il considérait avec amusement.
- Je peux garder ça entre nous, si vous préférez.
Le Major balbutia, baissa la tête avec révérence puis disparut au bout du couloir. À nouveau seul, le prisonnier se laissa glisser contre le mur, le regard vide, perdu dans cette perception altérée qu’il avait du temps. Les images défilèrent devant lui, rapides, comme un ensemble de clichés indistincts les uns des autres. Une dizaine d’années pourraient passer sans qu’il ne s’en rende réellement compte. Il en venait même, parfois, à oublier son prénom : Lyslir. Mais les syllabes lui revenaient, articulées par cette voix douce et cristalline qui résonnait toujours au creux de ses plus précieux souvenirs.
Harren...
Je continue tranquilou à lire ton histoire, c'est toujours aussi agréable !
Je vois , dans les commentaires, que le changement de pdv partage pas mal les avis. C'est vrai que c'est toujours un exercice assez délicat. Celui qu'on lit dans ce chapitre ne m'a pas dérangé mais je comprends que cela puisse dérouter certains et je me demande si ça ne gagnerait pas en clarté si, au lieu de chercher à fluidifier le changement, tu appuyais d'avantage dessus genre : "en contrebas, dans l'une des geôles [où la jeune femme ne tenait pas à atterrir], le cri se poursuivit encore..."
Voilà voilà, j'ai pas d'autres suggestions qui me viennent là tout de suite, donc à un de ces quatre ! :D
L'intrigue continue, tu as un style très agréable à lire, et surtout chapeau pour l'ambiance, on la ressent très bien !
De nouveaux mystères s'ajoutent aux précédents... J'ai hâte de découvrir la suite.
Voici quelques remarques :
Hart s’en détourna, cependant, préférant éviter d’être interceptée à l’une des douanes
=> je trouve que le « cependant » est inutile et alourdit la phrase
et ce jusqu’à ce qu’elle croise l’une des échelles de service utilisée, il y a longtemps, pour la maintenance
=> la phrase ne semble pas correspondre rythmiquement parlant au reste de ton texte. Peut-être ne pas mettre de virgule et remplacer « il y a longtemps » par « auparavant »
"un Quartier qui n’était pas le sien, et ce, sans autorisation.
En contrebas, dans l’une des geôles, le cri se poursuivit "
=> quand tu changes de point de vue, j’ai personnellement besoin d’une astérisque entre les deux paragraphes. C’est un peu comme dans le chapitre précédent finalement, un peu brutale cette passation de pdv.
Voilà c'est tout ! Dis-moi si ça te va ce type de retours ou si tu préfères uniquement des retours sur le fond :)
À très vite sur "Au portes du monde" ou sur "Ostrion" !
Oh ! Je suis content d'apprendre que l'ambiance te plaît ! Encore une fois, je note tes remarques ; merci beaucoup d'avoir pris le temps de me faire ce retour.
A bientôt, j'espère !
Intrigant, ce chapitre.
J’apprécie toujours autant ta plume, tes descriptions, et cet univers qui se met en place.
J’ai beaucoup aimé la personnalité de cet étrange prisonnier, sans âge. Hâte d’en savoir plus !
Côté relecture : ici « Le Major balbutia, baisa la tête avec révérence » baissa, il manque un « s »
A très vite
Ayunna
Beaucoup de personnages se croisent dans cette histoire. Je suis content de savoir que certains te plaisent déjà. ;)
J'ai corrigé cette faute de frappe... Merci de me l'avoir fait remarquer.
Et surtout, encore merci de prendre le temps de lire le début de cette histoire ; c'est un plaisir de savoir que mes personnages peuvent vivre au travers des yeux d'autres personnes.
A bientôt !
Le glissement de point de vue m'a un peu étonnée, mais je suppose que je vais m'y faire :D En tout cas je continue !
Je comprends ce que tu veux faire en glissant ainsi sur l'inconnu emprisonné. Mais j'ai été un peu décontenancée quand tu as abandonné Hart pour t'intéresser au prisonnier. Les transitions manquent de clarté, je trouve.
Mais ce personnage est vraiment très très intéressant. Est-ce un dieu ? Un androide ultra sophistiqué ? On s'en pose des questions et c'est ce qui rend cette scène passionnante. C'est une scène très forte qui s'est jouée entre lui et le major. On sent vraiment l'ambivalence de ses sentiments envers lui. Tu poses des bases très prometteuses.
Merci, tout d'abord, pour ton retour ; c'est très instructif de voir ce chapitre par les yeux de quelqu'un d'autre. Par rapport aux transitions, je vais voir si je peux les rendre plus fluides... J'avoue que j’utilise si souvent ce procédé de bascule d'un personnage à un autre que je serais bien en peine de les supprimer.
Content, par ailleurs, que le personnage du prisonnier t'intrigue ! J'espère que tu trouveras des réponses à tes questions... Elles ne devraient pas tarder. ;)
Comme ça faisait un moment que je n'étais pas venu par ici, j'ai rapidement relu le chapitre précédent (enfin, sa première partie quoi) et, en lisant l'extrait du traité d'histoire naturelle de la princesse au tout début, je ne peux pas m'empêcher de faire le lien entre ce Lyslir et ces êtres de glaise au corps malléable. Une espèce de métamorphe apparemment, et dont le temps n'a pas d'emprise sur le corps... Tout ça me semble vraiment intéressant et très bien amené ! :)
Du reste, j'aime toujours autant ta plume, j'avais l'impression de marcher avec Hart dans le Quartier Gris (j'adore ce nom) tant ses descriptions étaient fluides et bien menées.
Dans un précédent commentaire j'ai lu que tu essayais de construire une histoire à plusieurs voix dont les chemins s'entrelacent. Déjà, j'adore l'idée, même si ça reste un pari risqué, trop de personnage pourrait perdre le lecteur. Mais, de ce que j'en ai vu pour le moment (faut dire qu'on a pas encore dépassé le premier chapitre), c'est assez bien exploité, même si j'ai un peu de mal à suivre les transitions. Ce n'est pas qu'elles soient mauvaises, au contraire elles sont très fluides, disons plutôt que j'ai la sensation que le chemin de Hart est un fil rouge qui te permet de nous faire progresser dans l'histoire et rencontrer les personnages principaux, mais quand tu changes de voix (si je puis dire) je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que fait Hart de son côté. L'exemple le plus flagrant serait avec Lyslir : les descriptions et sentiments du personnage sont très bien écrits bien qu'encore un peu nébuleux pour le lecteur (en même temps, on viens tout juste de le rencontrer ! Et, je dois bien l'admettre, j'adore échafauder des hypothèses ;) ). Mais, que fait Hart de son côté ? Est-elle déjà partie ou assiste-t-elle à toute la scène cachée dans un coin ? Peut-être que pour rendre les transitions un peu moins floues, tu pourrais nous indiquer ce que fait Hart, juste un petit aperçu, une phrase qui nous permettrait de garder un lien avec ton fil rouge. A moins que ce ne soit un choix délibéré de ta part, et dans ce cas, je respecte (de toute façon, je rêve déjà de voir ton livre en papier dans mes mains ! Désolée si ça met la pression ^^' mais tu fais parti de ces auteurs de PA que je rêve de voir publié)
Voilà, je crois que j'ai tout dis... A part une coquille que j'ai croisé mais qui a déjà été relevée, je ne vois rien de plus à ajouter si ce n'est que je suis curieuse de découvrir la suite et un peu désolée de mettre autant de temps à le faire ^^'
A bientôt !
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de lire ce chapitre et de le commenter. Je vais suivre tes conseils quant au changement de narrateur. Je n'avais pas envisagé que l'on veuille savoir ce que devenait Hart... Mais c'est tout à fait logique !
Je suis touché, en tout cas, et ravi que la lecture t'ait été agréable. Tes suppositions vis-à-vis de Lyslir sont tout à fait pertinentes, et je laisse la suite de l'histoire te révéler les tenants et aboutissants de sa véritable nature.
(J'en profite pour te prévenir... Je plaide coupable : j'ai pas mal avancé ton histoire, de mon côté, mais l'ayant lu sur téléphone, et Plume d'Argent ayant la désagréable habitude de me déconnecter... Je n'ai pas eu l'occasion de te partager mes retours. Il faudra que je remédie à tout ça !)
A bientôt, j'espère !
Si j'ai bien compris on peut jouer avec le temps dans ton univers, ce qui explique le fait que le prisonnier intercepte la balle. C'est intéressant.
Il y a également une alternance de pdv qui se fait sans marqueur , ça peut aider à obtenir des effets intéressants mais il va falloir que je m'y habitue xD Mais ce n'est pas un problème.
En tout cas avec des prisonniers et des morts, le ton est donné...
Rien relevé sur la forme.
Hâte de voir la suite...
A bientôt !
Tu as très bien deviné. Ce point sera d'ailleurs éclairé dans le chapitre suivant.
J'ai cru comprendre que certaines transitions n'étaient pas toujours très fluide d'un narrateur à l'autre. J'essaierai d'arranger cela ; peut-être que ça te facilitera également la lecture.
Je te remercie de nouveau : c'est très gentil à toi de prendre le temps de me lire et de me proposer des retours.
A bientôt !
J'ai eu un moment de confusion vers le milieu du texte, pour savoir qui était qui et qui disait quoi, et vers la fin, je pense que tu as voulu écrire "baissa" plutôt que "baisa".
A bientôt,
Claire
A bientôt !
Je t'avais fait la remarque pour la fin du chapitre mais je viens de me rendre compte qu'il valait mieux couper un chapitre en plusieurs parties afin d'en facilité la lecture. Du coup, pas évident (j'ai coupé mes chapitres pour les mettre en ligne car mes lecteurs trouver des chapitres de 20 à 30K trop longs).
Cette suite de chapitre est égale à la première, donc pas de remarques (même pas une faute ou une coquille à se mettre sous la dent), c'est parfait. si ce n'est : vivement la suite !
Merci pour ton retour encourageant ! J'espère que la suite te plaira également. Je suis en tout cas curieux de savoir ce que tu en penseras.