Instinctivement, Geriko se baissa. L'homme qui le chargeait passa alors par dessus bord. Pris d'une montée d'adrénaline, le Capitaine se mit à combattre avec rage. Se délectant d'éliminer chacun d'entre eux, il vint aux secours de sa fille qui peinait à terrasser les dix hommes qui s'opposaient à elle.
Alors qu'il aidait Elle à se défaire de la vermine, sa femme hurla.
— Vanita ! fit-il, voyant sa femme tomber du gaillard avant.
Il ne restait désormais plus que six hommes dont deux qui se penchaient, du gaillard avant vers le pont, afin de regarder la femme se vider de son sang.
— On a eu la légendaire Elle ! cria l'un des deux hommes.
— On l'a enfin zigouillée ! reprit le second, levant son alfange ensanglantée au ciel.
La seconde suivante, alors que la véritable Elle venait de tuer les quatre hommes qui se tenaient face à elle, le capitaine adverse fit irruption. Venant de bâbord, il lança :
— Bande d'incapables ! Vous n'avez pas tué la bonne personne !
Geriko, se tenant aux côtés du corps inanimé de son épouse, écouta attentivement les dires de cet homme.
— La femme que vous deviez tuer était là ! fit-il, pointant Elle de son épée.
Elle ne bougeait pas, furieuse, elle le fixa du regard. Sa posture montrait que la rage la plus sombre l'habitait. Sans prononcer un mot, elle fit comprendre au Capitaine adverse qu'il avait eu raison de la désigner comme la véritable Elle.
— Alors c'est donc vrai, personne n'a jamais vu ton visage, lui fit-il, approchant lentement d'elle.
Voyant qu'il arrivait, Elle se mit à avancer à son tour, retirant son épée du corps de celui dont elle avait transpercé le cœur. D'un coup de pied, elle balaya les corps qui lui faisaient obstacle et se dressa face à lui.
— Occupez vous de lui, je m'occupe, personnellement, d'éliminer cette femme au visage masqué, ordonna-t-il à ses deux derniers corsaires, parlant du père de Elle.
Geriko ne se laissa pas faire, il se battu dignement et finit par vaincre les crapules qui avaient tué sa femme. Ce n'était pas deux pauvres hommes qui l'auraient arrêté dans son élan.
— Ne vous approchez pas de mon enfant ! hurla-t-il, prêt à sacrifier sa vie pour la sauver.
Voyant son père épuisé, Elle se refusa de le laisser mourir comme sa mère.
— Il est à moi ! le stoppa-t-elle d'un ton ferme.
— Oh ? Je vois, tu es donc une jeune adulte, et la fille du Capitaine de ce navire ! dit-il, amusé par la situation.
— Elle ! Si tu l'affrontes, il te tuera ! s'écria Geriko, apeuré à l'idée de voir les deux seules femmes de sa vie mourir.
— Non, par contre, si vous le défiez... vous, vous mourrez. Comme mère, répondit-elle, prête à la venger.
Ne lisant que peine et désillusion sur le visage du Capitaine Blowday, l'homme fit une remarque :
— Votre fille a l'air d'être plus à même de commander ce navire que vous, ria-t-il, vous venez de perdre votre épouse et vous avez les yeux débordants de larmes. Alors que votre fille semble ne rien ressentir face à la perte de sa mère.
L'homme fit une légère pause pendant son dialogue et, après une courte réflexion, fit une proposition :
— Tu sais gamine, pas un seul de mes hommes pourrait faire ce que tu as réalisé. A toi seule, tu as décimé la moitié de mon équipage. Joins toi à moi, nous pourrions bâtir un nouveau monde, personne n'osera nous combattre avec toi à mes côtés.
A l'entente de cette proposition, Elle se sentit possédée d'un dégoût immense. Il lui était hors de question de se rallier à l'homme qui avait causé la mort de sa mère et du trois quart de sa famille. Aussi, elle lui dit :
— Plutôt mourir que de me ranger de votre côté !
— Bien, tu l'auras voulu, lui répondit-il.
Elle, suite à cela, s'élança et prépara ses deux alfanges.
Prête à attaquer, Elle prit son élan et fonça sur le Capitaine. Immobile, il se contenta de rire avant d'esquiver le mouvement des deux alfanges. La jeune pirate passa alors derrière l'homme qui semblait se moquer d'elle.
— Allez, je sais que tu peux faire mieux que ça, fit-il.
Hargneuse de plus belle, elle se retourna afin de reprendre sa place initiale et, à l'aide d'un tonneau sur lequel elle s'appuya, sauta dans les airs. D'une souplesse et d'un mouvement acrobatique, elle repassa devant lui. Pieds joins au sol, elle atterrit en riant. Son visage ne se voyant pas sous son foulard, le Capitaine ne saisit que trop tard la raison de son rire.
— Oh, je vois... tu veux la jouer au corps à corps, lança-t-il, constatant que son épée avait disparue.
Elle n'était en rien une pirate ordinaire, ses capacités combatives s'élevaient plus haut que la plupart des hommes de la mer. Tandis que les pirates classiques se battaient grossièrement à l'aide d'épées, Elle, contrairement à eux, maniait ses poings à la perfection. Ayant souvent été contrainte de se battre contre son cousin Noromé, mort suite à une attaque de corsaires du sud, la jeune femme était devenue très agile.
Futée, elle n'eut de difficulté à deviner qu'elle aurait le dessus en le combattant à mains nues. Amusé par la situation, mais ne s'y attendant pas, l'homme accepta. Persuadé de mettre la jeune « gamine » au tapis, il lui fit :
— Je pourrai retenir mes coups que tu serais déjà morte.
A la suite de cette phrase, un rire sournois se fit entendre et les yeux de Elle se plissèrent de façon à faire ressortir le haut de ses pommettes. Les sourcils froncés, Elle se vit porter les rides du lion.
— Pourquoi ris-tu ? lui demanda-t-il, curieux d'une réaction pareille.
Ensuite, la jeune pirate jeta ses épées contre le sol du pont puis, d'un sang-froid exemplaire, elle lui répondit :
— Je préfère ne rien dire.
Elle s'approcha de lui afin de le cogner de son coude au bas du torse. L'homme, sous le fort et inattendu impacte, se vit se plier par réflexe. Comme pour s'écarte instinctivement de son coup, il recula de trois pas. Suite à un gémissement de surprise et de douleur étouffé par sa barbe, le Capitaine comprit qu'il l'avait sous-estimé.
— Tu cognes comme un homme ! lui fit-il remarquer.
Elle ne répondit pas, elle profita de l'inattention du vieux pirate pour prendre le dessus sur lui. D'un second coup, elle le fit tomber fesse à terre. D'un troisième coup, elle lui fit perdre une dent. D'un quatrième coup, elle lui cassa le nez. Et, d'un cinquième ... l'homme esquiva.
— Tu vas mourir ! fit-il, la bouche et le nez en sang.
Par réflexe, la jeune femme sortit une dague de sa ceinture et la positionna sous la gorge de celui-ci. Comme pour lui faire comprendre que son heure était arrivée, elle retira son foulard et lui dévoila son visage.
— Tu es trop belle pour te salir les mains ! réagit-il, charmé.
Exaspérée par tant de niaiseries, surtout venant d'un pirate ennemi des siens, Elle lui cracha au visage.
— Baisse les yeux quand tu me regardes ! lui dit-elle, avant de lui trancher la gorge.
Une fois de plus, son geste fut si rapide que l'homme ne put esquiver. D'une précision sans nom, elle lui avait sectionné la gorge sur une ligne parfaite. Instantanément, le Capitaine tomba au sol, se vidant de son sang.
Impressionné par les prouesses de son unique enfant, Geriko Blowday la rejoignit.
— Tu ne t'es jamais aussi bien battue... la complimenta-t-il, tout en posant sa main gauche sur son épaule droite.
D'une légère pression, il la fit pivoter vers lui. Se tenant face à elle, il lui tendit les bras afin de lui faire signe de venir s'y blottir. Dans un silence pesant, l'homme se mit à pleurer.
— Ta mère aurait été fière de toi, tu sais... rumina-t-il dans la chevelure de sa fille.
— Père... fit Elle, tout en reculant.
— Qu'y a-t-il ? lui répondit-il, reniflant de chagrin.
— Mère n'est pas morte, elle est et sera toujours avec nous, rétorqua-t-elle, posant sa main sur le cœur de son père.
Ému par la réponse de sa fille, le Capitaine fondit en larme. Quelques secondes plus tard, elle lui exprima sa peine et ses remords :
— Je me sens coupable. Des rumeurs ont couru sur moi... c'est pour me tuer qu'ils nous ont abordé ! Mère a été désignée comme étant moi car je me cachais derrière ce foulard ! fit-elle, le jetant à l'eau.
— Non. Elle, je t'interdis de dire ça ! lui répondit son père.
— C'est pourtant vrai, non ? N'est-il pas ?
Face aux remords qu'éprouvait Elle, le Capitaine ne savait comment réagir. Elle se pensait fautive malgré que ces rumeurs ne venaient pas d'elle-même. Tout avait commencé dix ans auparavant, mais elle l'ignorait.