Dix années plus tard, Elle a bien grandi. Âgée de vingt-et-un an, elle est devenue l'une des pirates les plus légendaires du continent. Depuis ses onze ans, les rumeurs à son sujet ont été des plus créatives. Passant de la pirate la plus gentille à celle la moins humaine, Elle se retrouve ciblée par les « on dit ».
C'est au retour du lieutenant au palais royal que les choses ont commencé. Alors que la famille Blowday avait décimé, sans prétention aucune, la troupe de soldats royaux à elle seule, le peuple des terres entendirent un nom. Elle. Qui était-elle ? Le lieutenant n'en avait pas la moindre idée, mais le seul fait d'avoir entendu son nom suffisait. En réalité, il ignorait tout de Elle, il s'était simplement imaginé mille et un scénarios la mettant en position de méchante pirate sans cœur.
De là, partit une longue liste de rumeurs. Certains roturiers se mirent, peu de temps après, à raconter qu'ils l'avaient vu sur la jetée nord, une tête de soldat royal dans la main et, la levant au ciel, crier « A mort le roi ». Bien évidement, tout cela n'était que mensonges et calomnies, Elle n'était jamais venue sur ces terres.
D'autres rumeurs, en ce genre, ont fait irruption les jours, semaines, mois et années après le retour du lieutenant. Plus le temps passait, plus les villageois s'amusaient à répandre de fausses informations afin d'attirer l'œil sur eux. Un genre de jeu dangereux s'était installé, un jeu à la mode, à celui qui crierait le plus fort « Je l'ai vu ! ».
Les descriptions physique de « la pirate fille Blowday » ne tenaient, cependant, pas la route. Lorsque la question « Elle, à quoi ressemble-t-elle ? » se posait, les réponses se diversifiaient. Certains la décrivaient comme une jeune femme ravissante, dans les âges de la jeunesse, Elle était décrite comme une pirate sensuellement attirante. Alors que d'autres la décrivaient autrement, comme une vieille femme pirate au visage détruit par l'eau de la mer, la rendant affreusement repoussante.
Malgré la mauvaise habitude que prenaient les villageois, des clans s'étaient créés. Il y avait, ceux qui semblaient croire que « la pirate fille Blowday » était dangereuse et aurait des pouvoirs de sorcière, ceux qui se vantaient de lui avoir parlé à plusieurs reprises, et ceux qui expiaient les rumeurs en essayant de rétablir une vérité inconnue.
C'était sans étonnement que l'école des, dits, « fanatiques » de la soi-disant « sorcière des mers », se virent prendre la direction du palais royal sans jamais en revenir. Où étaient-ils tous passés ? Pourquoi étaient-ils tous appelés par le roi en personne ? Seul de nouveaux « on dit » semblaient pouvoir répondre à ces questions.
La majorité des villageois, tous beaucoup trop curieux, prônaient savoir la véritable raison de leur départ. Ils ne cessaient de répéter, à chaque coins de rues et ruelles, que des privilégiés pouvaient vivre aux côtés de la famille royale. Bien entendu, ce n'était en rien la vérité absolue, en réalité, seul la minorité connaissait le pourquoi du comment.
Succinctement, cette même minorité se murait dans le silence. Comme si le simple fait d'en parler les condamneraient à subir le même sort. Ils s'étaient même, petit à petit, éparpillés loin les uns des autres; certains se voyaient contraints de déménager à l'autre bout de la ville. Afin que rien ne puisse les relier, ils s'assuraient de ne jamais, ou très peu, se croiser.
Bien que le village n'était en rien petit, la famille royale demandait à leurs gardes de veiller, jour et nuit, sur les allées et venues des roturiers. Messes basses et conciliabules ne pouvaient être tolérés. Les rassemblements de petits groupes étaient, eux aussi, interdits ou devaient être accompagnés d'un garde de joue¹.
Le roi, inconsciemment, se faisait des ennemis. Des gens du peuple de la terre qui, d'après lui, voudraient sa mort. Les raisons, qui pousseraient les Hommes concernés à le vouloir mort, demeuraient floues. Alors qu'autrefois les Hommes de Pryo² étaient soudés, et voués à idolâtrer leur roi adoré, aujourd'hui, une ambiance peu rassurante planait tout autour d'eux.
Pendant que les années passaient, Elle, s'était adonnée à des duels contre le Capitaine, simulant des attaques ennemies. Son but était de surpasser son maître, surpasser son père et, d'ainsi, devenir plus forte que quiconque sur le Raven. Ces entraînements à répétitions ne la quittaient pas. Plus elle grandissait, plus ses adversaires se faisaient nombreux. Entêtée à vouloir vaincre son père, Elle en redemandait sans cesse. Il était hors de question pour la jeune femme de se laisser marcher dessus, elle se devait, comme une mission, de devenir celle dont tout le monde aurait peur.
Une nuit, alors qu'elle ne s'y était pas préparée, son père vint la réveiller brusquement. Pensant faire face à un entraînement surprise, Elle dégaina une épée de sous son fin matelas. Un sourire au visage et, tout en posant la lame tranchante de son épée sous la gorge de son père, elle fit :
— Je t'ai eu !
A l'intensité du regard de son père, la jeune pirate baissa son arme. Sentant qu'il ne s'agissait probablement pas d'un exercice, elle se leva immédiatement. Le Capitaine n'eut pas besoin de dire un seul mot, sa fille avait tout compris.
— Je vais leur faire regretter d'avoir osé nous aborder en pleine nuit ! lança-t-elle, s'accoutumant d'habits prévus pour l'occasion.
Elle s'était habillée d'un bandeau noir autour du front, afin que ses cheveux ne la gênent pas lors de l'affront. D'un foulard noir qu'elle attacha autour de son cou afin de se protéger d'éventuels éclats de bois. D'une longue chemise marron ample. D'une ceinture en cuire afin d'y coincer des armes supplémentaires et d'un pantalon ample accompagné de bottes noires. Elle était fin prête à affronter le monde difficile qui s'offrait à elle.
Hargneuse, elle se dirigea sur le pont du Raven, prête à transpercer chaque individus qui auraient le malheur de croiser son regard.
Des corsaires envahissaient le navire sans scrupule. Ils semblaient nombreux mais trop peu entraînés. Le regard noir, Elle, avança vers l'un d'entre eux et lui trancha la gorge. Son geste fut si rapide qu'il n'eut le temps d'esquiver. La dernière chose qu'il eut l'honneur de voir était les yeux bleus d'un doux visage.
Venant de faire sa première victime, elle releva son foulard autour de sa bouche, posé sur l'arête de son nez, et continua d'avancer avec détermination. Ne laissant transparaître que ses yeux, elle était certaine de garder son identité secrète. A chaque pas qu'elle faisait, un ennemi se faisait empaler sur son épée.
Avec toute la rage qu'elle dégageait, les corsaires ennemis la ciblaient instantanément. Pour pouvoir gagner, il leur fallait tuer le plus dangereux du navire. Ils ne s'étaient pas rendu compte qu'il s'agissait d'une femme, ses cheveux ondulés étaient attachés de quelques pinces à l'arrière de sa tête.
Petit à petit, victimes après victimes, la jeune femme sortit une seconde épée. Un homme s'était mis en tête de la prendre par surprise mais, malgré qu'il arrivait de derrière, elle lui planta sa seconde épée droit dans le cœur. Son arme coincée dans le corps de son adversaire, la jeune femme n'eut d'autre choix que d'esquiver les prochaines attaques. Son alfange principale, quant à elle, était déjà occupée à affronter un ennemi coriace.
Voyant sa fille en difficulté, et malgré que Elle le lui avait interdit, Vanita Blowday lui porta secours. La mère Blowday sauta au cou des hommes venant à bâbord, elle savait que sa fille était leur cible. En plein combat, la femme du Capitaine fit :
— Je sais que tu as horreur d'avoir de l'aide mais, là, je pense t'avoir sauvé la vie !
— Vous pensez vraiment que c'est le moment de parler mère ? rétorqua Elle, coupant la tête d'un homme de son âge.
— Un merci aurait suffit, répliqua-t-elle, esquivant une double attaque venant de deux côtés différents.
Quelques minutes plus tard, alors que l'équipage du navire adverse se faisait peu à peu tuer, Vanita fut déstabilisée. Elle voyait son époux combattre quatre hommes armés jusqu'aux dents pendant qu'un cinquième arrivait en hurlant. Ni une - ni deux, la femme esquiva toutes les attaques qui se dressaient contre elle afin de rejoindre son mari.
— Geriko ! Derrière toi ! fit-elle, comprenant qu'elle n'arriverait jamais à temps pour tuer l'individu.