Chapitre 1 : Triste routine

Par Rouky

L’homme cavale dans les rues de Paris. Le souffle coupé, il passe au dessus de palissades, traverse des arrières-courts. Son trésor à la main, il ne s’arrête pas de courir. La faveur de l’obscurité l’empêche d’être repéré par les habitants. Le monde de la nuit le protège... mais pas pour longtemps.

Ses jambes faiblissent, les battements de son cœur s’accélèrent. Il ne pourra pas tenir longtemps. Il continue pourtant d’espérer. Avec un peu de chance, peut-être que...

Il jette un rapide coup d’œil derrière lui.

Non, ce soir, la chance n’est décidément pas avec lui. L’homme qui le poursuit est toujours là, à quelques mètres seulement. Il est passé par les mêmes obstacles, a couru tout aussi longtemps. Et pourtant, il ne présente aucun signe de fatigue.

L’homme au trésor parvient jusqu’à un pont qui surplombe la Seine. Emprunté uniquement par des piétons, le lieu est ce soir tout aussi désert que toutes les rues par lesquelles l’homme est passé jusque là.

Il est désormais bien trop fatigué pour continuer sa cavale. Arrivé à mi-chemin, il s’arrête, se retourne vers son poursuiveur. Ce dernier s’immobilise à quelques pas de du fuyard. Une écharpe violette lui couvre le bas du visage tandis qu’un capuchon noir est rabattu sur sa tête. Seuls ses yeux d’un bleu azur sont visibles. Sa poitrine se soulève et s’abaisse rapidement, unique preuve d’une quelconque fatigue.

L’homme au trésor lève lentement les bras en signe de reddition.

- Très bien, balbutie-t-il entre deux souffles. Tu... tu as gagné. Je te le rends. Mais laisse-moi d’abord parler au chef, s’il te plaît. Je dois le voir, lui faire comprendre que-

- Non, rétorque son adversaire en avançant.

L’homme au trésor recule. Son poursuivant reprend d’une voix féroce :

- Tu nous a trahi, tu sais ce qui t’attend. Le chef n’aura aucune pitié pour toi. Je n’ai reçu qu’un ordre, un seul : t’éliminer.

- Non, attends, ne fais pas ça. S’il te plaît, on peut certainement trouver un compromis !

- Je ne négocie pas aves les traîtres. Tu vas payer le prix de ton parjure.

Il s’avance encore. En deux enjambées, le voilà qu’il atteint l’homme au trésor.

*

- Non ! S’écria vivement Gallant. Je refuse d’accepter, c’est hors de question !

- Ne faîtes pas l’enfant ! Répliquai-je.

Nous nous tenions en face d’une jolie maison, assez petite pour ne pas trop attirer l’œil, mais assez grande pour offrir, en plus des pièces habituelles, trois chambres ainsi qu’un bureau. Elle possédait également un petit jardin à l’arrière-cour.

L’habitation se situait à mi-chemin entre la banlieue de Paris et son centre. Dans un quartier calme où toutes les maisons se ressemblaient plus ou moins, l’endroit était idéalement placé.

- Vous savez pertinemment que je possède un petit appartement dans le sud ! Me répondit Gallant en se tournant vers moi. Pourquoi ne voulez-vous pas me suivre là-bas ?

- Si l’on veut résoudre des enquêtes, c’est ici qu’il faut s’installer. La capitale offre bien plus d’opportunités qu’un petit village du sud. Ne vous inquiétez pas pour votre loyer, mon père se charge de tout.

- Et puis quoi encore ? Non seulement vous prenez en charge le loyer d’un appartement inhabité, mais vous voudriez en plus que j’investisse cette maison sans rien débourser ? Avez-vous perdu la tête ? Laissez-moi payer ma part !

- Absolument pas ! Mon père a insisté, il s’occupe de tout. Tout ce que nous avons à faire, nous, c’est de résoudre des enquêtes. Baltus Larsen et Emily Lennox ont beau eu vous offrir de l’argent en remerciement, ce n’est clairement pas assez pour couvrir tous les frais d’une maison ! S’il vous plaît, Gallant, laissez ma famille s’occuper du loyer. Si cela vous gêne, vous n’avez qu’à vous voir comme un artiste dont mon père serait le généreux mécène.

- Un artiste, moi ?

Son visage s’empourpra. Il secoua la tête en grognant quelque chose que je ne parvins pas à entendre.

Alors, sous le ciel gris et morne de Paris, nous pénétrâmes dans la maison. Gallant ne cessait de s’extasier dans chaque pièce, devant chaque meuble et autre peinture qui décorait le petit pavillon.

- Tout cela est très charmant, disait-il en passant du salon au bureau.

- C’est ici que nous recevrons de nouvelles affaires, expliquai-je. Si nous n’en trouvons pas à nous mettre sous la dent, ce sont elles qui viendront jusqu’à nous !

- Vous êtes bien optimiste. Nous n’avons résolus que deux affaires, jusqu’à présent. Personne ne nous connaît.

- Mais ça ne saurait tarder ! Il suffit d’attendre un peu.

Je lui décochai un clin œil, ce qui le fit sourire.

 

De toute évidence, je m’étais trompé.

Les jours passèrent, et avec eux l’absence d’une quelconque affaire. La police résolvait assez rapidement les quelques enquêtes qui furent ouvertes, et personne ne vint toquer à notre porte.

Une routine monotone commença à s’installer. Alors que Gallant plongeait le nez dans des ouvrages en tout genre, je sortais pour me balader dans les rues de la capitale. Je trouvai un café non loin de chez nous, près d’un pont surplombant la Seine.

Je pris alors l’habitude de venir boire un thé en terrasse chaque matin, observant les gens autour de moi. Certains discutaient, dégustant un café bien chaud. D’autres étaient seuls, comme moi, scrutant la faune alentour. Les passants, eux, marchaient d’un pas rapide, en chemin vers une destination inconnue. Des brouhaha s’élevaient de toute part, le vrombissement des moteurs étaient assourdissants. Décidément, la ville faisait beaucoup de raffut.

Un jour où le ciel gris avait fait place à une voûte d’azur, un son particulier retint mon attention. Au milieu de tout ce tumulte quotidien, une mélodie se faisait entendre. Je relevai la tête, cherchant l’origine de ce bruit.

Sur le pont où ne passait que des piétons, je vis un homme, visiblement un sans-abri, en train de jouer du violon. Il devait avoir la cinquantaine, les cheveux déjà gris, et avait retourné à ses pieds un chapeau melon dans l’espoir de gagner quelques pièces.

Je me délectai de sa musique. Un bonheur pour les oreilles.

Finissant ma tasse, je laissai de l’argent sur la table, et me mis en route pour rentrer. Au passage, je versai quelques pièces dans le chapeau melon. L’homme me remercia d’un hochement de tête, tout en continuant de jouer.

Ainsi passèrent les semaines, longues et monotones. Gallant à la maison, moi au dehors, et cet homme jouant du violon. Au fil du temps, je vis Gallant devenir de plus en plus grognon, se réfugiant dans sa chambre ou dans son bureau.

Moi, j’épluchai les journaux à la recherche d’une affaire quelconque. Un vol de petite frappe, le meurtre passionnel d’un mari, une arnaque à l’assurance, un suicidé repêché dans la Seine... Non, décidément, rien ne sortant assez de l’ordinaire pour faire appel à un détective ne pointait le bout de son nez.

Notre terrible routine continuait ainsi : j’allais prendre un thé sur cette terrasse de café, j’écoutais la mélodie du sans-abri, je versais des pièces dans son chapeau, je rentrais pour voir un Gallant nostalgique du soleil du sud, et je passais le reste de ma journée à maudire tout et n’importe quoi.

Deux semaines s‘écoulèrent avant qu’un élément particulier ne fasse irruption dans ma vie.

Je finissais de boire mon thé et, alors que je versais quelques pièces dans ledit chapeau, la mélodie du violon cessa. L’homme leva son regard gris sur moi, et je vis des larmes roulaient sur ses joues.

Angoissé à l’idée de l’avoir blessé d’une quelconque manière, je me confondais en excuses. Peut-être mon accent anglais ressortit-il d’autant plus que je commençais à paniquer.

- Allons, monsieur, que vous arrive-t-il ? Ai-je donc fais quelque chose de mal ? Si tel est le cas, monsieur, il s’agissait d’un acte involontaire, je vous le promets ! Je suis désolé, monsieur, veuillez me pardonner !

L’éclat de rire qui me répondit me fit sursauter. Les larmes avaient fait place à un grand sourire.

- Garçon, arrête donc d’angoisser ! S’écria le sans-abri. Tu n’as rien fais de mal, bien au contraire !

- Mais alors, monsieur, pourquoi pleurez-vous ?

- Ah, garçon, n’as-tu jamais pleuré de joie ?

- Je... je pense bien que oui, quelques fois.

- Hé bien voilà, garçon. C’est la joie qui me fait monter les larmes aux yeux !

Je haussai les sourcils en le regardant. Puisque je m’étais arrêté en plein milieu du passage, des passants me contournèrent en poussant des soupirs exagérés.

- Je te remercie, garçon, reprit l’homme au violon. Tous les jours, tu viens boire, et tu me donnes des pièces. Ta bonté m’a ému, voilà tout ! Mais ne dilapide surtout pas ton argent pour un vieil homme comme moi !

- Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas l’argent qui me manque. Alors, si je peux en faire profiter quelqu’un qui n’en possède malheureusement pas, c’est avec plaisir que je le fais !

- Que fais-tu dans la vie pour avoir autant d’argent, garçon ?

- Oh, je suis simplement détective. Ce n’est pas cela qui me rapporte un bon salaire. D’autant plus que nous rencontrons des difficultés à obtenir une nouvelle affaire.

A la mention du métier, l’homme écarquilla les yeux, soudain pétrifié.

- Est-ce que vous allez bien ? M’enquis-je.

- Détective ? Répéta-t-il simplement.

- C’est cela, oui. Mon partenaire et moi avons ouverts un cabinet privé il y a peu.

- Où ça ?

- A quelques rues d’ici. Nous sommes situés au 36 Rue des Magnanimes.

L’homme marmonna l’adresse entre ses dents. Puis, sans rien ajouter, il remit son violon dans son étui, ramassa son chapeau et tourna les talons, me plantant là.

Confus, je décidais de rentrer, laissant cette histoire derrière moi.

Une fois à la maison, je toquais à la chambre de Gallant, ne l’ayant pas vu dans son bureau. Aucun son ne sortait de la pièce. J’en conclus qu’il devait être à l’extérieur.

Enfin ! Prendre l’air lui ferait le plus grand bien, lui qui restait jour et nuit à se morfondre.

En descendant les escaliers, j’entendis des bruits étouffés provenant de l’arrière-cour. Je sortis et trouvai Gallant accroupi, dos à moi, tenant quelque chose entre ses mains.

- Gallant ? Appelai-je, surpris.

Il sursauta et se leva pour me faire face. Je pu alors voir ce qu’il portait avec tant de délicatesse : un petit chaton au pelage blanc et crasseux, ses grands yeux bleus importunés par quantité de chassie.

En voyant la bête, je fis un bond en arrière.

- Gallant, lâchez tout de suite ce rat ! Ordonnai-je.

- Un rat ? S’étonna le détective. Mais ce n’est qu’un chat...

- Un chat affreusement sale ! Où l’avez-vous trouvé ?

- Il était en train de miauler dans le jardin. Il avait l’air si terrifié... Peut-être sa mère l’a-t-elle égarée ici...

Il parla avec une tristesse si évidente que j’en ressentis un pincement au cœur.

- Gallant, repris-je toutefois. S’il s’agit d’un animal errant, il est peut-être malade, ou contaminé. Relâchez-le.

- Certainement pas ! Je vais plutôt l’emmener chez Monsieur Bourgelat.

- Qui est-ce ?

- Un vieil homme qui réside non loin d’ici Je l’ai rencontré il y a peu. Il s’occupe de soigner les animaux. Attendez-moi là, je reviens tout de suite !

Il serra le chaton contre sa poitrine et sortit de la maison. J’obéis et attendis sagement son retour. Ce n’est pas comme si j’avais déjà quelque chose de prévu, de toute manière...

Trois heures passèrent. J’étais en train de somnoler quand la porte s’ouvrit enfin. Un sourire victorieux flottant sur son visage, Gallant me montra fièrement le chaton. Son pelage était désormais immaculé et reluisant. Il n’avait plus de sécrétion au bord des yeux, et semblait complètement reposé dans les bras de son nouveau propriétaire. Ses petits yeux bleus me dévisageaient avec tant d’intensité qu’une petite frayeur s’empara de moi. On aurait dit que cette bête essayait de lire dans mon âme.

- Et voici Sergent ! M’annonça le détective.

- Sergent ? Répétai-je.

- Oui, c’est ainsi que j’ai décidé de l’appeler ! “Sergent Miaou”, qu’en pensez-vous ?

- J’en pense que l’absence d’affaire vous a sérieusement mis les nerfs à vif.

- Oh allons, Thomas. N’appréciez-vous donc pas les animaux ?

- Si, bien au contraire ! J’aime beaucoup les animaux. Les chiens, par exemple. Ils sont fidèles et aimants. Alors que les chats, eux, vous considèrent comme leurs esclaves. Puis il faut s’occuper de leur litière, ce que je trouve répugnant !

- Tant mieux pour vous alors, car c’est moi qui m’occuperai de tout cela.

- Je vous en prie, Gallant, changez donc d’avis ! Allons plutôt adopter un chien, cela me conviendrait mieux. Il pourrait même nous être d’une quelconque utilité au cours d’une affaire.

- Non ! Vous m’avez forcé à abandonner ma vie dans le sud, pour me traîner dans cette capitale grise et puante. Laissez-moi au moins garder ce chat, s’il vous plaît.

- Si vous gardez cette bête, je considèrerais cela comme une déclaration de guerre. Et je puis vous affirmer qu’un chien investira bientôt les lieux.

Gallant releva la tête, un air de défi dans le regard.

- Soit. Que la guerre soit déclarée. Sergent Miaou ne fera qu’une bouchée de votre crétine créature. En attendant, il est le seul habitant à quatre pattes de cette demeure. Laissons-le donc inspecter sa nouvelle maison. C’est à vous, Sergent Miaou.

Il relâcha le chaton sur le sol. Le petit rat partit aussitôt à l’aventure. J’étais sérieusement en train de me questionner sur l’état mental de mon ami quand quelqu’un toqua à la porte. 

Gallant et moi nous regardâmes, interloqués.

Je bondis de mon siège pour aller ouvrir. Peut-être une affaire se présentait-elle enfin !

Mon ardeur laissa place à la confusion quand j'ouvris la porte.

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