Chapitre 2 : Résolvez mon assassinat à venir

Par Rouky

L’homme au violon se tenait sur le seuil.

Regardant à gauche et à droite, il jeta ensuite un rapide coup œil derrière moi, évaluant Gallant des pieds à la tête.

- Qui est-ce ? Demanda-t-il avec brusquerie.

- Il s’agit du détective Isen Gallant, mon associé, répondis-je. Mais que faites-vous là, monsieur ?

- Puis-je entrer ?

- Oui, bien sûr.

Je l’emmenais jusqu’au bureau et le fit s’assoir. Il posa l’étui de son violon à ses pieds. Gallant s’installa sur le siège en face de lui. Je décidais de rester debout, près de la fenêtre.

- J’ai rencontré Monsieur sur le pont menant au petit café, expliquais-je à Gallant. Monsieur joue du violon pour gagner de l’argent.

- Ah, je vois. Vous êtes Monsieur... ?

L’homme au violon secoua la tête, et choisit délibérément d’ignorer la question du détective.

- Ecoutez-moi, j’ai besoin de votre aide !

- Notre aide ? Demanda Gallant. Pourquoi cela ?

- Je... je pense que l’on va m’assassiner dans peu de temps !

- Quoi ?! M’horrifiais-je. Pourquoi pensez-vous cela ? Qui pourrait vouloir vous faire du mal ?

- Mon garçon, c’est que j’ai assisté il y a peu de temps à une scène très dangereuse !

- Racontez-nous donc, l’enjoint Gallant.

- Bien. C’était il y a quelques jours. Vous avez entendu parler du gars qu’on a repêché dans la Seine ?

- Oui, la police en a conclu à un suicide. L’homme ne portait aucune trace de lutte, il est mort noyé. Aucun document officiel n’ayant été retrouvé sur lui, il a été impossible de l’identifier.

- Ouais, ben la police se trompe ! Moi, ce gars-là, j’ai bien vu ce qui lui est arrivé !

- Et que lui est-il arrivé, Monsieur ?

- Vous voyez l’allée qui longe la Seine, juste sous le pont ? Je me trouvais là, les pieds pendant dans le vide. Il faisait complètement nuit, y avait pas un chat dehors. C’est alors que j’ai entendu du grabuge là-haut. J’ai levé la tête, et j’ai vu deux hommes, dont l’un d’eux était le futur macchabé. L’autre était en train de le tirer par les vêtements, comme s’il essayait de l’empoigner. Mais il l’a jamais frappé, c’est pour ça que la police a vu aucune trace de lutte. La victime s’est reculée si violemment qu’elle est passée par dessus le pont.

L’homme fit une pause, secoua lentement la tête, replongé dans ses souvenirs.

- C’est là que j’ai commis une erreur... J’ai hurlé. J’sais pas si c’était de la frayeur, de l’étonnement, ou si je voulais juste montrer au vilain gars que je l’avais vu faire. Mais j’ai hurlé en me jetant à l’eau. J’ai nagé vers le pov’gars qui était en train de se noyer. Mais il faisait froid, j’avais les membres engourdis. Ajoutez à ça mon âge avancé et l’obscurité la plus totale. Le pauvre devait avoir déjà coulé, car une fois atteint l’endroit où il était tombé, j’ai rien vu du tout, même en plongeant la tête. Par contre, y a bien quelque chose que j’ai vu.

Il se pencha par dessus le bureau, comme pour faire une confidence.

- Un trésor, annonça-t-il. Le malheureux avait coulé, mais y avait un trésor qui flottait. Je l’ai pris avec moi, et j’ai regagné le rebord de l’allée. J’étais complètement fatigué, j’avais froid, et j’entendais arriver des gens, certainement alertés par mes cris. Alors j’ai relevé la tête. L’agresseur était encore sur le pont. Mais quelle fut pas ma surprise quand j’ai vu qu’il était plus seul ! Y avait un autre homme avec lui. Il portait les mêmes vêtements que son acolyte : une écharpe violette avec un capuchon noir ! Vous savez ce qu’il a fait, ce deuxième gars, en me voyant ? Quelque chose qui me terrifie encore rien qu’en y repensant.

Le vieil homme mis un pouce sous son cou, et fit mine de s’égorger lui-même.

- Voilà ce qu’il a fait ! Puis il est reparti tandis que les badauds arrivaient. Le lendemain, le corps du malheureux a été trouvé au fond de la Seine.

- Quel est donc ce trésor, Monsieur ? Demanda Gallant. Et où l’avez-vous mis ?

- Hors de question que je vous révèle quoi que ce soit ! Je l’ai soigneusement caché, voilà tout. Mieux vaut que vous en sachiez rien. C’est déjà assez dangereux comme ça de vous dévoiler son existence, alors si je vous en dis plus, je vous mets davantage en danger. Mais voilà toute l’histoire. Avec cette menace on ne peut plus clair, je ne comptais certainement pas aller voir la police. Non seulement ils auraient pas cru un sans-abri, mais en plus j’aurais dû leur révéler l’existence du trésor. Ils me l’auraient volés...

- Mais... c’est vous qui l’avez volé, non ?

- On ne peut pas voler un mort !

- Peut-être l’objet appartenait-il à l’agresseur, et c’est pour cela qu’il se serait battu avec le deuxième homme. Auquel cas il serait plus sage de rendre ce trésor sur le champ.

- Et comment, hein ? Il a pas pensé à me donner son adresse, le bougre ! Non, c’est lui qui me trouvera en premier, pour sûr. Et quand il me trouvera, il m’assassinera. Vous voyez, c’était pas un accident, ce qui s’est passé sur le pont. Ce gars-là a tué le pauvre homme.

- Vous disiez qu’il était tombé.

- S’il était pas tombé lui-même, c’est l’autre qui l’aurait fait passé par dessus le bastingage !

- Comment pouvez-vous en être sûr ?

- Le survivant, lui, était camouflé, je vous l’ai dis. Tout comme son acolyte : une écharpe et une capuche. Je veux bien admettre qu’il fasse froid, mais on est pas non plus en hiver ! On ne se dissimule pas ainsi, à moins de vouloir cacher son identité. Et on ne cache pas son identité, à moins que l’on ait commis quelques méfaits. Ces hommes là sont des criminels, pour sûr !

Le sans-abri tourna son regard vers moi.

- Tu disais ne pas avoir de nouvelle affaire, garçon ? Ben en voici une ! Résolvez mon assassinat à venir, messieurs.

- Non ! M’écriai-je. Nous empêcherons cet assassinat, et nous arrêterons ce criminel, soyez-en certain !

- Allons, ne me fais pas rire ! Pour le peu que j’en ai aperçu, cet homme avait l’air terriblement féroce. N’essaye pas de jouer au plus dur avec lui, garçon. Contente-toi de trouver de qui il s’agit, c’est tout ce que je te demande.

Je m’apprêtais à répondre, mais Gallant m’interrompit d’un geste de la main. Il s’adressa au vieil homme.

- Très bien, Monsieur. Nous allons faire tout notre possible, soyez-en assuré. Voici ce que nous allons faire. Si cet homme vous a menacé, c’est qu’il a bien compris que vous étiez en possession du trésor. Et il cherchera à récupérer son bien. J’ignore où vous avez dissimulé celui-ci, mais il va falloir lui trouver une très bonne cachette. Ne le portez surtout pas sur vous, cela permettra peut-être de vous offrir une chance de survie. Si ce criminel vous retrouve, il voudra savoir où vous avez mis son trésor, et ne pourra avoir la réponse que si vous l’y emmenez vous-même.

Gallant s’interrompit, se massa les tempes.

- Vous allez devoir faire comme à votre habitude dans les jours qui suivent, reprit-il. Continuez de faire ce que vous aviez l’habitude de faire. En sortant d’ici, dirigez-vous vers le pont où tout s’est déroulé. Nous vous y rejoindrons. A tour de rôle, nous allons vous suivre discrètement, de jour comme de nuit. Nous attendrons aussi longtemps qu’il le faudra à cet homme pour se montrer.

- Comme vous voudrez. Mais je vous le répète, n’essayez pas de jouer au plus dur. Cet homme est dangereux, j’en suis convaincu. Enfin bref...Sur ce, Messieurs...

Il se releva, ramassa son étui, et tourna les talons. Mais, sur le seuil, il s’arrêta quelques instants.

- Ce serait idiot d’embarquer mon instrument, dit-il. Je vais mourir, alors autant laissez cette beauté entre de bonnes mains. Verriez-vous une objection à ce que je vous la laisse ici ?

- Comme vous le souhaitez, répondis-je. Je vous la rendrai lorsque nous aurons arrêté le criminel.

L’homme émit un rire bref, puis me donna l’étui. Il sortit alors, sifflotant en s’éloignant.

Je fermais la porte et revins dans le bureau. Je posais l’étui et interrogeais Gallant du regard.

- Le suivre à tour de rôle ? Demandais-je. Et si cet homme apparaît, que faisons-nous ? En ce qui me concerne, je peux essayer de me battre avec lui. Mais vous, vous m’avez déjà révélé être complètement faible au corps-à-corps.

- Vous oubliez qu’en ce cas-là, je ne serai pas seul. Même s’il approche de la vieillesse, je pense que Monsieur Violon et moi-même serons en mesure d’arrêter ce criminel.

- Monsieur Violon ?

- Il faut bien lui donner un nom, à cet homme ! Hors de question de le surnommer “le sans abri”. Et puisqu’il ne veut pas nous révéler le sien...

- Bien, comme vous voudrez. Alors, à qui l’honneur de débuter ce tour de garde ?

- Je propose que vous y alliez en premier. Lorsque vous estimez être trop fatigué pour continuer, faites discrètement signe à Monsieur Violon de revenir sur le pont. Je vous y attendrais, et alors nous procéderons à l’échange du tour de garde.

- Entendu. En voilà une affaire bien compliquée...

- Vous en vouliez une, non ? Vous voilà servi.

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